Au Honduras, la jeune
Sayra décide d'émigrer aux États-Unis avec son père et son oncle. Au Salvador,
Casper appartient à une mara, un gang d’Amérique centrale. À la suite d'un
règlement de comptes, Casper prend la fuite. Sur le toit du train qui part vers
le nord, Sayra et Casper se rencontrent. Il fuit son passé criminel, elle
espère un avenir meilleur.
Globe-trotter invétéré avant de lancer sa carrière
cinématographique, Cary Fukunaga va notamment au cours de ses séjours en
Amérique Latine s’intéresser au sort des migrants et de leurs périlleux périples
pour gagner la terre promise des Etats-Unis. Par extension cela l’amène à
étudier le fonctionnement des maras, ces dangereux gangs qui s’enrichissent sur
le dos des migrants en leur servant de passeur ou alors en les dépouillant
durant leur voyage. Il abordele sujet
dans son second court-métrage Victoria
para chino (2005), plusieurs fois primé et qui lui permettra de passer à la
vitesse supérieure avec le plus ambitieux Sin
Nombre.
Le récit met justement en parallèle les destins de deux
personnages vivotant dans cette prison des gangs pour Casper (Edgar Flores), ou
aspirant à une liberté ténue à travers l’exil pour les Etats-Unis avec la jeune
migrante Sayra (Paulina Gaitán). L’aliénation et la violence du groupe est
saisie avec intensité au sein de la mara où votre identité, vos aspirations
sont noyés au détriment d’un collectif aux préceptes barbares offrant peu de
perspectives. Casper tout en s’y pliant a une échappatoire avec sa petite amie
Martha Marlene (Diana García), mais cette tendre respiration va également lui
être violemment arrachée. En s'opposant à la mara et en tuant le chef de sa
frange locale, Casper devient un être en sursis attendant la mort que lui infligeront
ses anciens acolytes. Cependant dans son action il a sauvé Sayra du viol, et
offert à celle-ci une perspective autre que matérielle quand à ce futur si elle
arrive à destination.
Fukanaga oscille entre rigueur documentaire et naturalisme
poétique tout au long du film. Il s’est fortement documenté sur les rituels des
gangs et a également fait le voyage en train aux côté de migrants, du Honduras
au Texas. L’urgence et le sentiment de danger sont palpable dans la mise en
scène, l’accalmie des divers points d’arrêts contrebalançant à peine le regard
subjectif de ses voyageurs constamment aux aguets de la police des frontières,
des gangs ou même de leur compagnons d’infortunes. Les grands espaces traversés
installent une tonalité plus contemplative et introspective qui rapproche
Casper et Sayra, l’affection de la seconde donnant au premier une volonté
nouvelle de vivre, autrement. Les quelques interludes intimistes fonctionnent
très bien et font exister les personnages à travers des échanges simples et
sincères.
Le futur possiblement radieux fonctionne par le départ et le
voyage pour certains, tandis qu’il n’existe que par le surplace et la fange
pour d’autres. C’est le cas du pourtant encore enfant Smiley (Kristyan Ferrer)
dont nous observons la brutale initiation au mal en début de film. La réussite
pour lui c’est d’être accepté par la mara, en réalisant l’assassinat de Casper
pour elle. Alors que les traits et les attitudes de Casper s’adoucissent, on
verra en parallèle le visage poupin et innocent de Smiley s’aguerrir au mal, au
déploiement de la violence, aux codes des gangs. Tout cela jusqu’à une
conclusion marquante et emblématique du mélange de résignation et d’espoir du
film. Une première œuvre marquante et la naissance d’un talent qui confirmera
bien vite les promesses par la suite.
Orphelin à la suite
d'un bombardement sur Londres, le petit Peter Frye est recueilli par un vieil
artiste de cirque, Gramp, qui manifeste tant d'affection et de gentillesse pour
l'enfant que celui-ci se laisse peu à peu apprivoiser. Quelle n'est pourtant
pas la surprise de Peter, un matin, de sortir du bain avec les cheveux verts !
Du jour au lendemain, il devient l'objet, puis la victime de la curiosité de
ses petits camarades et des adultes qui se moquent de lui.
Le Garçon aux cheveux
verts s’inscrit dans la volonté de produire une série de projets
progressistes au sein de la RKO pour le producteur Stephen Ames. Il lance ainsi
l’adaptation de la nouvelle éponyme de Betsy Beaton qui sera la première
réalisation de Joseph Losey. Celui-ci fort de son parcours artistique et
politique engagé au théâtre et au sein du parti communiste (il effectuera un
voyage à en Russie en 1931) s’avère le candidat idéal pour cette fable qui
ironiquement anticipe ses futures mésaventures face à la paranoïa du Maccarthysme.
Le jeune Peter Frye (Dean Stockwell) est un orphelin à qui l’on
a caché la disparition tragique de ses parents, et qui depuis est trimballé
entre divers membres de sa famille sans pour autant retrouver de foyer fixe. A
travers le personnage bienveillant et aimant de Gramp (Pat O'Brien), Losey se
place à hauteur d’enfant pour dans un premier temps montrer la confiance à
gagner pour Peter autorisé à investir ce nouvel espace familial. C’est grâce à
cette assurance retrouvée qu’il saura faire s’affirmer face à l’épreuve intime
qui va s’imposer à lui. Peter finit par découvrir la vérité quant au sort de
ces parents, ce qui le différencie de ses camarades à la cellule familiale
intacte. De par l’action humanitaire de ses parents défunts, Peter devient le
symbole des exclus et des délaissés. Cette idée prend un tour plus poétique
lorsque Peter se réveille avec les cheveux verts ce qui manifeste visuellement
cette différence. Celle-ci n’existe qu’à travers le regard des autres, Peter
étant tout d’abord amusé lorsqu’il constate seul le phénomène, avant de se
sentir complexé puis exclu suite à la réaction de ses camarades et des adultes.
La démonstration n’est certes pas des plus subtiles, mais la
candeur de Dean Stockwell, la bienveillance de l’institution (la maîtresse d’école
jouée par Barbara Hale, le psychiatre qu’incarne Robert Ryan) et la belle
symbolique des scènes oniriques dégagent une émotion sincère qui fonctionne. Le
parti pris fort du récit est de refuser le retour à la normale, l’histoire s’achève
sans que l’on sache si Peter retrouvera sa couleur de cheveux originelle. Il
incarne une idée de coexistence qui n’a pas à s’adapter à la norme mais doit s’y
fondre et y être accepté. Avec le recul, Losey se montrera sévère avec ce
premier essai dont l’esthétique acidulée est loin de ses choix initiaux plus
radicaux réfrénés par ses producteurs (tournage en 16mm façon home movie, fable
plus orientée sur la discrimination raciale que le seul pacifisme…). Evidemment
même si Le Garçon aux cheveux verts est loin de la force et de l’ambiguïté des
chefs d’œuvre à venir, cela reste est joli film qui impose déjà la personnalité
de son auteur.
Sorti en dvd zone 2 français aux Editions Montparnasse
Oliver Barrett, IVe du nom (Ryan O'Neal),
descend d’une grande lignée de diplômés de Harvard riches et éminents.
Au départ, et sans doute pour sortir du moule de l’« Ivy League »
(c’est-à-dire des plus grandes universités de l’est des États-Unis), il
commence à sortir avec Jennifer Cavilleri (Ali MacGraw), une Américaine
d’origine italienne, pauvre et catholique, étudiante en musique, à
Radcliffe. Finalement, c'est le coup de foudre entre eux.
Love Story
est le grand mélo romantique des années 70, dont l'immense et inattendu
succès relança complètement la Paramount désormais sur les rails d'une
glorieuse décennie (Le Parrain, Chinatown, Les Trois jours du condor).
L'essor du Nouvel Hollywood avait pour un temps mis fin à une certaine
veine romantique, à l'image d'un David Lean injustement étrillé par la
critique et boudé par le public pour La Fille de Ryan
(1970), jugé trop classique en ces heures de déconstruction et de
modernisme. Du coup pourquoi et comment l'émotion prend-elle ainsi corps
dans Love Story pour dépasser le
zeitgeist du moment ? Tout d'abord il y a le scénario d'Erich Segal,
finalement peu prolifique dans sa contribution au cinéma (10 scripts
entre 1968 et 1992, Love Story restant de
loin le plus célèbre), et qui à la ville était professeur et spécialiste
de littérature classique grecque et latine. On retrouve de cela dans le
talent à insérer dans un cadre contemporain et des situations anodines
les accents de la grande tragédie mais dans une approche feutrée brillante.
L'autre atout est le choix au premier abord incongru d’Arthur Hiller à
la réalisation. Même s'il a montré son talent dans d'autres genres (Tobrouk, commando pour l'enfer
(1967) film de guerre avec Rock Hudson et George Peppard) Hiller est alors
essentiellement associé à la comédie et vient d'ailleurs de signer Escapade à New York
pour la Paramount.
Cependant les meilleurs films d'Hiller prennent
souvent des protagonistes instables pour les plonger dans un
environnement dramatique qu'Hiller transcende par une approche comique
et caustique. La tonalité dramatique délurée s'y ajoute à travers une
figure féminine pour laquelle le héros un prêt à changer. C'est le cas
du James Garner couard de Les Jeux de l'amour et de la guerre (1964) ou le George C. Scott surmené de L'Hôpital
(1971), tous deux scénarisé par Paddy Chayefsky. Le Débarquement ou les
urgences débordées d'un hôpital deviennent donc des obstacles à
franchir pour gagner les cœurs respectifs de Julie Andrews et Diana Rigg
dans ces deux films.
On n'en est pas si éloigné dans Love Story
où le jeune Oliver Barrett (Ryan O'Neal) est écrasé par le poids de sa
prestigieuse lignée, et des attentes qu'elle suscite chez son père (Ray
Milland). Oliver Barrett va alors trouver l'apaisement à travers sa
rencontre avec l'insouciante Jennifer Cavilleri (Ali MacGraw). Le
cynisme et l'outrance de Paddy Chayefsky cèdent la place à la douceur
d'Erich Segal pour Arthur Hiller qui inverse son approche pour insérer
le drame dans la légèreté initiale. La note d'intention est claire dès
la scène d'ouverture qui nous révèle que Jennifer est morte pour ensuite
basculer en flashback sur la rencontre enjouée du couple. On retrouve
en effet tout le Hiller léger dans le marivaudage sautillant, les
dialogues piquants et la séduction amusée de Jenny et Oliver. Les
sentiments à vifs d'Oliver se confrontent à l'espièglerie de Jenny, que
Hiller traduit par un montage dynamique tant dans les échanges du couple
(le gros plan magistral sur une Jenny à croquer avec ses lunettes qui
incite implicitement Oliver à l'inviter prendre un café) que leurs
différentes rencontres.
L'agitation et la logorrhée désordonnée est du
côté d'Oliver dans leurs déambulations, et la distance rieuse de celui
de Jenny. Hiller le traduit visuellement lors du match universitaire de
hockey où Oliver se démène avec furie tandis que Jenny observe le
spectacle amusée et se moque de lui. On n’est donc guère surpris de voir
Oliver avouer abruptement ses sentiments quand la même révélation amène
une magnifique émotion suspendue pour Jenny. Lors d'une promenade
commune, soudain Hiller l'isole dans le cadre, lui fait prendre comme un
mouvement de recul où elle regarde Oliver, et lui fait murmurer un
simple I care qui laisse débuter la romance.
Tout
l'équilibre du film est là, la fougue d'Oliver est atténuée par la
sagesse de Jenny qui quant à elle sort de sa coquille. La tendresse et
l'énergie déployée par Hiller pour capturer la complicité des
personnages (les petits apartés tranches de vie muets où se déploie la
ritournelle romantique de Francis Lai) confèrent au film un intérêt
constant alors qu'il développe une trame assez convenue : le défi à sa
famille nantie pour Oliver, les études, les petits boulots, le premier
appartement. Toute emphase, euphorique comme dramatique, est ramenée à
l'intimité du couple dont la confiance mutuelle fait tout surmonter. Une
scène de mariage atypique scelle leur singularité, et la première vraie
dispute se conclut par la phrase emblématique du film Love means never having to say you're sorry/L'amour, c'est n'avoir jamais à dire qu'on est désolé.
On en oublierai presque la terrible sentence annoncée en préambule et
le drame ne daigne s'insérer dans ce bonheur que lors des 25 dernières
minutes. Hiller avait au départ monté l'annonce du médecin sur la
maladie de Jenny en début de film avant de finalement la placer à la
fin. Par ce choix il ne laisse pas deviner, mais comprendre ce que va
perdre Oliver, l'amour de sa vie. L'harmonie formelle initiale se
disloque alors, la silhouette d'Oliver se perdant dans la foule pour
exprimer la confusion de son esprit, et surtout, le thème de Francis Lai
est comme déconstruit, démarrant et s'arrêtant de façon minimaliste
pour signifier cet amour condamné.
La pudeur de la confession
(Jenny prenant les devants d'Oliver n'osant pas lui avouer), de la
douloureuse attente puis de l'adieu final offrent un lent crescendo où
mêmes étiolés par la peine, les caractères des personnages s'affirment.
Oliver est le reflet de son cœur meurtri quand Jenny est calme et
parvient à l'apaiser, notamment dans la scène miroir du match de hockey où il fait du patin à glace tandis qu'elle l'observe pensive, seule dans les gradins. Les accents de grands mélodrames se conjuguent à
une approche intimiste feutrée qui font de Love Story
un pur film de son époque (les effets de narration en flash-forwards) tout en ayant une dimension universelle.
L'alchimie des deux acteurs y est pour beaucoup (notamment un Ryan
O'Neal assez incroyable) et ils gagneront instantanément leurs galons de
star.
La Paramount en achetant le script avait demandé à Erich Segal
une novélisation devant précéder la sortie du film. Cet outil de
promotion dépassera toutes les attentes en devenant un best-seller,
créant une attente autour du film qui sera un des plus gros succès de
l'année au box-office et nominé pour sept catégories au Oscars (Francis
Lai remportera la meilleur musique). Pour les curieux une suite existe,
toujours écrite par Erich Segal et qui sortira en 1978 sous le titre Oliver's Story
où Ryan O'Neal reprend son rôle. Avec le temps victime de son succès un
peu trop facilement rangé au rayon des mélos sirupeux (souvent et
surtout par ceux qui ne l'ont pas vu) Love Story mérite encore toute l'attention.
Une jeune fille de
bonne famille, Francesca, dix-sept ans, se réveille un matin consciente de son
attirance pour Enrico, un architecte qui a vingt ans de plus qu'elle. Une
attirance qui va hanter cette journée d’été au cours de laquelle la jeune
fille, de rencontres en rencontres, va décider de ne pas résister à l’appel de
la vie adulte. Au risque de subir une douce désillusion…
Après le succès de Guendalina
(1957), Alberto Lattuada poursuit son portrait de la jeune fille dans Les Adolescentes. Malgré quelques élans
sensuels fonctionnant plus sur l’imagerie que les vrais actions des
personnages, Guendalina était un film
sur l’éveil amoureux, l’abandon définitif de l’enfance pour l’adolescence et
ces premiers émois sentimentaux. Les
Adolescentes a une ambition différente pour Lattuada, celle de capturer l’éveil
et l’assouvissement charnel chez l’adolescente, ou plus précisément les atermoiements
d’avant l’acte puis la perte de repère d’après. La scène d’introduction dévoile
brillamment cette idée. Nous y observons la jeune Francesca (Catherine Spaak)
endormie, sa chemise de nuit épousant les formes de sa poitrine soulevée par
une respiration inégale, tandis que son visage poupin s’agite étrangement. Un
mouvement de caméra nous la révèle dans une pose lascive qui nous révèle ses
jambes, avant qu’elle ne se réveille en sursaut, les traits troublés. Elle
adopte alors une posture typiquement enfantine en remontant ses genoux sur son
visage, ne laissant voir que ses yeux perdus dans la confusion de ses pensées.
Les mots sont inutiles pour comprendre que Francesca vient de faire un rêve
érotique, et par la seule image Lattuada explicite tout le questionnement du
film quant à l’expression inconsciente de ce désir : l’assouvir ? L’étouffer ?
Le film se déroule sur l’unité de temps d’une journée où
chaque rencontre et situations rencontrées par Francesca reposera sur cette
hésitation. La première étape servira à nous montrer l’objet de l’attention de
Francesca, celui qui agite ainsi ces nuits, à savoir Enrico (Christian
Marquand) un ami de la famille de vingt ans son ainé. Lattuada traduit par sa
mise en scène la mue de Francesca de la fillette à la femme dans le travail sur
l’espace et le regard changeant d’Enrico sur elle. La distance entre les
personnages se fait dans les déambulations des personnages au sein de la maison
où ils échangent de loin. Lorsqu’ils sont plus proches les regards insistants et
les appels du pied des dialogues d’une Francesca en quête d’attention ne
trouvent en contrechamps que les réponses allusives et le visage d’un Enrico
plus obnubilé par son chien mort que sa charmante interlocutrice. Pourtant une
conversation téléphonique avec une fiancée jalouse à laquelle il décrit
Francesca pour la titiller laisse entendre qu’il n’a rien perdu de l’élégante
silhouette de sa visiteuse. C’est là que notre héroïne voit l’ouverture et se
montre audacieuse, et que Lattuada brise toutes les frontières formelles
initiales avec un gros plan où Francesca pose sa main sur celle d’Enrico, puis
un autre où elle l’embrasse. Pourtant après cet élan qui avive le désir d’Enrico,
Francesca va fuir. La quête du contact et sa crainte, encore et toujours.
Le trouble sensuel et amoureux s’exprimera aussi avec les
adolescentes entre elle, le temps d’un détour par le lycée. Le mystère de la
lettre d’amour adressée à l’une des camarades exprime donc le rapprochement
lorsque la destinataire provoque et tente d’embrasser Francesca qu’elle
soupçonne d’en être la rédactrice. On découvrira pourtant qu’il s’agit d’une
autre fille, attirée par la beauté mais fuyant et/ou craignant la passion
physique. Toute cette ambiguïté repose aussi sur l’érotisme feutré avec lequel
Lattuada filme le groupe d’adolescentes, les robes remontant légèrement et
révélant jupons qui dépassent et haut des cuisses, ou une scène de vestiaires
où les interactions enfantines sont contrebalancées par les corps désirables et
dénudés. Le réalisateur sait équilibrer la forme et le ton pour ne jamais
rendre redondante la répétition de ce mouvement sous toutes les formes qu’il
prend tout au loin du film. La comédie enlevée intervient ainsi lorsque
Francesca rend visite son amie Maria Grazia (Juanita Faust) dont l’attitude
introvertie et solitaire est l’inverse de celle de sa truculente mère (Milly).
Lorsque Francesca exprime à son amie son désir pour Enrico, celle-ci y voit une
possible fin de leur amitié, donnant à nouveau à voir la face inversée où cet
attrait sexuel est craint et/ou fuit par une camarade de son âge. Sa mère
pourtant recommande avec délectation cet assouvissement à Francesca, la seule
manière de connaître un homme dans son entièreté.
Après avoir scrutée cette poursuite/fuite de manière retenue
ou abstraite, Francesca peut l’observer au sein d’un couple dysfonctionnel. Ce
recul peut être une manière de rendre l’étreinte de la réconciliation plus
ardente encore entre le fougueux Renato (Jean Sorel) et la froide Princesse (Donatella
Erspamer), qui s’invectivent de la plus cruelle des manières avant de se
retrouver dans une des scènes les plus élégamment excitantes du film. Catherine
Spaak est absolument fascinante, narratrice volubile ou observatrice
silencieuse autour d’un acte autant appelé que ressenti avec appréhension.
Lattuada explicite le tabou qu’était la perte de virginité d’une jeune fille à
l’époque, mais aussi la difficulté d’en discuter. Ainsi hormis la provocation
évidente du propos à la sortie du film (les foudres d’une censure et d’un
public puritain s’abattront sur le film mais n’empêcheront pas son succès), c’est
la subtilité du rapport frère/sœur entre Francesca et Eddy (Oliviero Prunas)
qui interpelle. La dernière partie du film voit Francesca interrompre
insidieusement la virée entre copains pour qu’Eddy ramène celle-ci auprès de
Francesco. La fuite et l’assouvissement concerne aussi ce frère qui devine l’attirance
de sa sœur, l’encourage et la réprouve dans un même silence ambigu et qui fuit
la discussion possible lorsqu’il sait « l’irréparable » commis.
Jugement moral ? Patriarcal ? Impossibilité à échanger sur un sujet
si sensible au sein d’une fratrie au vu des mœurs de l’époque ? – Sur ce
dernier point lorsque Francesca déplore qu’ils ne parlent jamais de leur
problème de « garçons » ou de « fille », Eddy la rabroue
par un « Mes problèmes de garçons, je les résous seuls ».
L’ambivalence du désir est superbement affirmée dans le
dernier acte, notamment par le travail sur la photo dont les jeux d’ombres
laissent voir les gestes tendre, mais masque l’expression des visages. L’attrait
ne s’exprime que par les mots neutres et l’union tant attendue passe par l’ellipse.
Ce n’était pas (encore) un désir physique explicite pour une Francesca déçue,
mais une curiosité, une étape, ce que n’a pas su voir (ou trop tard) son amant
plus âgé – l’écart d’âge participant à la provocation du film et qu'on retrouvera dans La Fille du même Lattuada (1978). Lattuada boucle la boucle avec le retour de Francesca
dans sa chambre d’adolescente. Le découpage et la progression sont similaires à
la séquence initiale de son réveil, mais entre les lueurs du matin et l’obscurité
de la nuit tardive, c’est comme si un siècle s’était écoulé. La démarche est
moins hésitante, les traits sont plus mûrs lorsqu’elle s’observe dans le miroir,
et le regard moins dans l’expectative. Francesca a appris de l’attrait qu’elle
exerce et ressent pour les hommes, elle saura désormais en jouer et s’y
abandonner, comme l’exprime ce regard face caméra final plein de froide
assurance.