Poussières dans le vent - Liàn liàn fēngchén, Hou Hsiao-hsien (1986)
A Yuan et A Yun ont grandi côté à côte dans un
petit village de montagne. Un jour, A Yuan décide de partir à Taipei
pour y trouver du travail et suivre les cours du soir. A Yun le rejoint
peu de temps après. Ils se familiarisent petit à petit à leur nouvelle
vie dans la capitale, tout en revenant de temps en temps dans leur
village natal. Leur amitié se mue sensiblement en amour jusqu'à ce qu'A
Yuan soit appelé pour effectuer son service militaire...
Poussières dans le vent est le quatrième et dernier film du cycle autobiographique de Hou Hsiao-hsien après Les Garçons de Fengkuei (1983), Un été chez grand père (1984) et Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985). Tout comme Un temps pour vivre, un temps pour mourir,
Hou Hsiao-hsien s'inspire des souvenirs de son scénariste Wu Nien-jen.
Après la tonalité nostalgique et l'éveil à la morbidité du monde de ce
précédent film, le récit se penche ici sur une histoire d'amour (élément
peu exploré jusque-là dans le cycle) mais forcément sous un angle
désenchanté. Il est d'ailleurs plus question de romance manquée et
nourrie de regret plutôt que de passion amoureuse dans Poussières dans le vent.
Amis d'enfances, A Yuan (Wang Chien-wen) et A Yun (Xin Shufen) sont
presque implicitement destinés l'un à l'autre, mais cet acquis empêche
finalement l'expression plus affirmée de leur affection mutuelle. Cela
relève de petites attentions l'un pour l'autre, d'un regard affectueux,
du souci pour leur famille respective, sans qu'une grande déclaration ne
soit nécessaire. Mais ce sont ces mêmes détails épars et insignifiants
qui vont parfois semer l'incompréhension, l'attente, et faire de leur
union un rendez-vous manqué.
L'ouverture dans le village montagneux exprime ainsi à la fois une
proximité naturelle (ils sont voisins), une connaissance de l'autre,
mais avec une forme de timidité qui exclut la complicité et la
spontanéité dans leur rapport mutuel. On ne sait si cette réserve est
venue de l'adolescence et ce sentiment amoureux latent, notamment le
rapport garçon-fille à cet âge-là. Dans la douceur de leur village, cet
amour a le temps d'évoluer à son rythme mais lorsqu'ils s'exileront à
Taipei pour gagner leur vie, l'urgence et les affres du quotidien urbain
les en empêchera. Hou Hsiao-hsien fait de chaque rencontre du couple un
moment contrasté, où une parole maladroite, un évènement inattendu,
empêche l'épanouissement d'un sentiment amoureux explicite. Ce va et
vient entre espérance et repli est symboliquement annoncé dans la
première scène où le train passe de la lumière du jour aux ténèbres des
tunnels. Pour A Yuan, A Yun est au départ seulement une camarade de son
village qu'il se doit d'accompagner pour ses premiers pas dans la ville.
A Yun attend plus que cette bienveillance fraternelle, mais est malgré
elle cause d'ennuis (le repas du fils de la patronne d'A Yuan gâché, la
moto volée) et d'embarras (la montre qui rappelle à A Yuan le dénuement
de sa famille aux yeux de tous). De même la rudesse pourtant nourrie de
bonnes intentions d'A Yuan pourra être cause de malentendu (la réflexion
sur le bandage). Hou Hsiao-hsien réserve pourtant de superbes scènes
romantiques, souvent silencieuses, lorsque les sentiments des deux
jeunes gens sont au diapason. On pense à la très belle séquence où A
Yuan suit longuement du regard A Yun rentrant chez elle, après que
celle-ci l'ai veillé plusieurs jours quand il était malade. La manière
qu'ils ont alors de se regarder a changée, soudain s'efface la distance
invisible (et parfois explicite avec le soupirail par lequel A Yuan
vient rendre visite à A Yuan sur son lieu de travail) ressentie
auparavant à chaque fois qu'ils évoluaient ensemble à l'écran.
Hou Hsiao-hsien différencie le temps de la campagne, celui qui laisse
patiemment les sentiments éclore dans leur conscience et expression, à
celui de la ville qui n'autorise pas les tergiversations. La mise en
scène se fait longuement contemplative à travers de somptueux plans
d'ensemble où l'on ressent le lent mouvement de la végétation sous le
souffle du vent, la photo de Mark Lee Ping-Bin qui souligne sa verdure,
les nuages qui traversent paisiblement l'écran... A l'inverse la ville
ne s'illustre que par ses instantanés furtifs, les imprévus ou la
présence constante des autres empêche toute proximité. Ces deux
temporalité se confrontent d'ailleurs lors des retrouvailles à la gare
du couple, où A Yun encore dans la lenteur rêveuse de sa province est
malmenée par un quidam et sauvée par A Yun déjà au fait des désagréments
de la ville. Et lorsque ce train de vie éreintant force parfois notre
corps à ralentir, ce seront les aléas du monde extérieur (en
l'occurrence une convocation pour le service militaire) qui viendront
interrompre cet apaisement. Il n'est d'ailleurs pas innocent que le
dépit amoureux s'exprime dans son versant le plus démonstratif chez le
garçon taciturne, tandis que la mise en scène se plie à la pudeur de la
sensible A Yun en la filmant de dos alors qu'elle apprend la
mobilisation et le départ imminent de A Yuan.
Le réalisateur fait
cohabiter le personnage du grand-père, robuste et pétri de traditions
rurales, avec celui du père dont les aspirations furent en son temps
aussi éteinte par le contexte (Taïwan cédé par le Japon à la Chine ce
qui rendit toutes ses connaissances inutiles). Hou Hsiao-hsien prolonge
ainsi cette frustration à la génération suivante avec son amère et
déchirante conclusion. Cependant la dernière scène semble faire de cette
déception une étape supplémentaire de l'éveil à l'âge adulte, notamment
par la réflexion du grand-père sur les légumes de plus en plus durs à
faire pousser. Hou Hsiao-hsien semble ici grandement se rapprocher de la
forme de ses films les plus célébrés, avec une épure narrative et
formelle pleine de poésie, et dont la mélancolie est essentiellement
appuyée par les images et la superbe bande-originale folk de Chen
Ming-Chang. C'est sans doute le plus frustrant et difficile à
apprivoiser des quatre films de ce cycle biographique, mais aussi un des
plus beaux.
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