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vendredi 14 janvier 2022

Les Vies de Loulou - Las edades de Lulú, Bigas Luna (1990)


 Lulú qui a quinze ans est séduite par Pablo, le meilleur ami de son frère Marcelo, qui part travailler aux États-Unis. Lulú espère depuis des années que Pablo va revenir dans sa vie. Lorsqu'il revient, il lui fait sa demande en mariage. Pablo et Lulú ont une relation passionnée, développant un goût pour les jeux sexuels.

Les Vies de Loulou voit Bigas Lunas adapter le roman éponyme de Almudena Grandes. Publié en 1989 et auréolé d'un immense succès, il s'agit d'un des livres emblématiques de la Movida dans une observation de la libération des mœurs de l'après franquisme. Bigas Luna s'attaque donc au best-seller dans la foulée de sa récente publication et le film est l'occasion de déployer l'imagerie érotique que fera le sel de sa « trilogie ibérique » avec Jambon, jambon (1992), Macho (1993) et La Lune et le Téton (1994).

Le film suit le parcours initiatique et sexuel de Lulu (Francesca Neri). Bigas Luna par des éléments divers (la réminiscence de son jeu avec un élastique, l'ouverture sur sa chambre d'enfants et ses pérégrinations en roller) la candeur de son héroïne, qu'il contraste avec le désir et les premiers émois sexuels naissants lorsque nous la découvrons adolescente. Cet attrait se concentre sur Pablo (Óscar Ladoire), le meilleur ami de son frère Marcelo (Fernando Guillén Cuervo) dont elle est amoureuse. Ayant trouvé une opportunité de sortir seule avec lui, la jeune fille est brutalement confrontée au désir masculin. L'ambiguïté qui traversera tout le film se manifeste là d'emblée. Pablo se montre lourdement insistant avec l'adolescente, la mettant mal à l'aise par ses attouchements et la forçant presque à lui faire une fellation. Honteuse de s'être montré si timorée, Lulu refuse de rentrer chez elle et la soirée se poursuit, Pablo se montrant alors un amant bien plus patient et prévenant, désinhibant Lulu par une discussion sincère sur ses désirs et ne la prenant qu'une fois confiante et consentante. Il se dégage néanmoins tout un parfum de manipulation et de domination masculine dans ce qui reste une union entre un jeune adulte et une adolescente (même si la question était moins sensible à l'époque du livre et du film). Lulu grandit et se languit de Pablo parti étudier aux Etats-Unis et à son retour la nature ambiguë de leur relation reprend. L'amour s'exprime toujours par cette manifestation de la domination masculine, ici symbolisée par la pratique sexuelle que Pablo va imposer à Lulu pour leurs retrouvailles.

Une fois mariés, les jeux amoureux de Lulu et Pablo les emmènent vers des pratiques de plus en plus libres. Mais désormais Lulu est une adulte libre de ses désirs, notamment sa curiosité pour le monde queer et les transsexuels sillonnant les rues madrilènes la nuit venue. Elle va ainsi nouer une amitié avec Ely (María Barranco) et le temps d'une partie à trois, Bigas Luna montre brillamment comment cet éveil de Lulu est éteint pour revenir aux seules attentes sexuelles de son mari. La scène démarre réellement à trois dans le filmage et le langage corporels des amants avant que Ely en soit progressivement exclue pour laisser le couple (et en réalité l'homme) se satisfaire. On observe le dépit de la femme trans mise sur le côté dans une scène cette détresse est au premier plan plutôt que facette sensuelle. C'est donc l'escalade où ce désir masculin prend un tour monstrueux le temps d'une scène choc où un vrai tabou et franchi et voit la séparation du couple. Libre de suivre ses seules attentes désormais, Lulu explore le fantasme d'abord à travers la pornographie puis la pratique de coucher avec des hommes gay. Toute l'imagerie des communautés queer pittoresques et interlopes popularisés par un Pedro Almodovar est revisité ici sous un jour plus ambigu. 

Les scènes de sexe sont dans l'ensemble incroyablement crues, Bigas Luna poussant les curseurs le plus loin qu'il peut dans un film de cinéma traditionnel. Francesca Neri va très loin dans l'exposition et l'abandon physique avec un courage qui refroidit pas mal d'autres candidates au rôle effrayé par l'approche explicite de Bigas Lunas (comme Ángela Molina initialement envisagée). Si le personnage de Ely représente un aspect bienveillant de ce monde libertin, toutes les atmosphères et l'esthétique des environnements queer font basculer le film dans le baroque et l'excès du giallo. Sans crier gare nous nous trouvons dans un vrai film d'horreur oppressant et inquiétant où en croyant se libérer, Lulu est de nouveau prisonnière du désir masculin - l'occasion de croiser un Javier Bardem débutant et génialement odieux et menaçant. Ce n'est plus une question d'orientation sexuelle mais tout simplement d'exploitation, les mœurs libres de la Movida devenant une matière à nourrir le capitalisme le plus inhumain.

Le problème réside dans la position discutable de Bigas Luna. Le réalisateur a l'habitude de se montrer étrangement moralisateur sous les vrais excès et audaces de ses films, comme Angoisse (1987), merveille de film d'horreur expérimental mais dont le but était d'en dénoncer la violence. Donc ici l'aspect progressiste est contrasté par cette facette monstrueuse associée au monde de la nuit et surtout la conclusion où une Lulu contrite retourne auprès de son époux (qui ne vaut pourtant guère mieux que les autres comme on l'a vu). De plus l'aspect sociétal est trop diffus, la bascule des époques ne se ressent que furtivement par les tenues (les allures d'adolescente sage de Lulu durant la bascule franquisme/Movida) et les décors mais Bigas Luna ne réussit pas autant qu'il le fera dans Jambon, jambon à transmettre la force d'un contexte et d'un lieu géographique comme vecteur d'émotion.

Sorti en dvd zone 2 anglais et doté de sous-titres anglais chez Tartan Cinema

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