Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

lundi 6 janvier 2020

Angoisse - Angustia, Bigas Luna (1987)


John Pressman est un ophtalmologue qui perd peu à peu la vue, mal considéré. Sous l'emprise de sa mère possessive, et sous l'influence d'images terrifiantes, il se venge en égorgeant ses victimes et en leur arrachant les yeux.

L’idée d’Angoisse vient à Bigas Luna suite à la réflexion d’un de ses amis philosophe à propos de Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock. Il lui signale la double mise en abyme du film, avec le spectateur venu observer et réagir sur le destin d’un personnage qui fait de même sur « l’image » que lui propose son voisinage. Cette perspective stimule l’imagination de Bigas Luna, très intéressé par l’effet miroir de ce que projette le spectateur dans ce qu’il voit à l’écran et inversement. Il rédige donc le scénario d’Angoisse et s’installe aux Etats-Unis, pensant que l’idée pourrait intéresser des producteurs américains. Au bout de quatre ans de recherches infructueuses de financement, c’est à travers la rencontre d’un producteur espagnol que le projet pourra se concrétiser. L’ancrage américain demeure cependant avec un tournage en anglais et une ruelle de Los Angeles sera reconstituée à Barcelone.

Le début du film nous plonge dans une ambiance cauchemardesque, à la fois surprenante et familière pour l’amateur de thriller. Nous y suivons John Pressman (Michael Lerner), vieux garçon complexé vivant avec sa mère (Zelda Rubinstein). Leur relation repose sur une infantilité malsaine, lorgnant sur l’inceste, mais aussi une connexion quasiment télépathique. Dès lors les maux rencontrés par John dans son métier d’infirmier n’ont pas de secret pour sa mère, qui le téléguide par l’hypnose pour sauvagement assassiner les clients qui l’ont malmené. Le réalisateur déploie une atmosphère grotesque, inquiétante et claustrophobe nous plongeant dans l’espace mental de John, qui explose dans les débordements sanglants des meurtres où s’illustre (de façon fort macabre) le motif obsessionnel de l’œil. 

A ce stade, on pense se trouver en terrain connu avec cette relation mère-fils tordue qui nous emmène sur les rives de Psychose et autre Carrie. Et là c’est le choc avec une mise en abyme nous emmenant dans une salle de cinéma où divers spectateurs regardent le même film que nous ! Bigas Luna observe d’abord les réactions triviales face aux scènes horrifiques (le duo d’adolescentes terrfifiée pour l’une, amusée pour l’autre) puis les vraies de certains agissements comme l’hypnose qui éveillent ou ravivent les névroses et instincts meurtrier des spectateurs. On se retrouve alors avec un triple effet miroir, John ayant échappé à l’emprise de sa mère qui fait un carnage dans une salle de cinéma, le spectateur du film dans le film qui vit la même situation et nous-même scrutant peut-être anxieusement les sièges arrière si l’on visionne cela en salle (l’effet étant sans doute encore plus efficace à l’époque).

La terreur est en tout cas complète quels que soient les niveaux de lecture. Dans la « fiction », c’est une folie baroque baignant dans les éclairages rougeoyants de Josep M. Civit lorgnant sur le giallo, des cadrages chaotiques et la stylisation macabre des mises à mort. Dans le « réel » c’est la psychose, la sueur froide et la mort qui frappe de manière subite et inattendue dans un traitement plus clinique (le blanc immaculé des toilettes. Cette différence se traduit par les armes différentes des deux tueurs, celui de « fiction » usant d’une arme blanche et celui du réel d’un pistolet silencieux. C’est à la fois effrayant et fascinant dans les différentes échelles de mise en abyme employé par Bigas Luna. La plus immédiate repose sur le montage avec les réminiscences dramatiques et visuelles des deux situations. La plus folle voit les actions d’un niveau de réalité agir sur l’autre, dans une totale absence de logique qui accentue la confusion. 

Ainsi un coup de feu dans le réel trouve son impact dans la fiction (que l’on a identifié grâce à la photo différente). Le réalisateur façonne même une sorte d’installation d’art contemporain pour visualiser dans une même image cet effet miroir quand les deux meurtriers tiennent un otage dans une posture (et position dans l’espace de la salle de cinéma face à l’écran) similaire. Enfin la perception se tord dans une dimension psychanalytique et méta, quand une spectatrice traumatisée est interpellée par le tueur de fiction et se croit agressée par lui. Le réalisateur maintient cette perte de repère en rendant visible une blessure imaginaire, puis dans un épilogue ludique. Une grande réussite qui rejoint avec brio les expérimentations d’alors sur le même sujet que le Body Double (1984) de Brian De Palma. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Liliom 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire