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mercredi 15 janvier 2020

Les Cinq secrets du désert - Five grave to Cairo, Billy Wilder (1943)


Dans un hôtel au fin fond du désert, où logent Erwin Rommel et ses soldats, un soldat britannique, John J. Bramble, est recueilli par les deux hôteliers. Le Britannique décide de prendre la fausse identité d'un espion allemand pour livrer les secrets de l'armée allemande à son pays.

Billy Wilder aura su saisir sa chance avec Uniforme et jupons courts (1942), première réalisation dont le succès lui permet donc de sortir du seul statut de scénariste. La Paramount lui confie donc confiante la mise en scène des Cinq secrets du désert, ainsi qu’à son partenaire d’écriture Charles Brackett qui produit également le film. Il s’agit à l’origine de la pièce Hotel Imperial de Lajos Biró écrite en 1971 et déjà plusieurs adaptée : en 1918 dans un film muet hongrois, en 1924 à Hollywood avec Pola Negri sous la direction de Mauritz Stiller et enfin en 1939 avec Ray Milland et Isa Miranda dirigés par Robert Florey. La différence majeure tient dans le cadre du récit, situé à la fin de la Première Guerre Mondiale à la frontière austro-russe dans la pièce et les précédentes adaptations. L’intrigue se déplace désormais dans la Deuxième Guerre Mondiale sur le front de l’Afrique du Nord et s’avère quasi contemporaine aux vrais évènements se jouant alors durant le conflit.

La tonalité de film d’espionnage, le climat de faux-semblant et l’atmosphère oppressante de l’ensemble s’inscrit parfaitement dans le registre nettement plus sombre des premiers Wilder –exception faite de La Valse de l’empereur (1947) et en partie de La Scandaleuse de Berlin (1948). Néanmoins le film de guerre et encore moins celui d’espionnage ne constituent pas les genres de prédilections du réalisateur même s’il y reviendra en mode sérieux dans Stalag 17 (1953) et pour rire avec Un, deux, trois (1961). Ce sont certains motifs formels et thématiques qui rattacheront le film à son œuvre en offrant certains liens inattendus. L’ouverture du film est une merveille d’atmosphère et de narration où l’on observe la silhouette d’un tank errant dans l’immensité du désert, puis le seul rescapé, un soldat britannique, s’en extirper et se traîner assoiffé jusqu’à un hôtel abandonné par l’armée anglaise en fuite. On devine la déroute qui a pu conduire à cette situation, et Wilder use du contexte et de la condition physique de son héros John Bramble (Franchot Tone) pour lui faire déblatérer tout son passif au tenancier de l’hôtel, délirant et fiévreux à cause de la fièvre du désert. Les lieux son bientôt investis par l’armée allemande et Bramble va devoir s’en sortir tout en extirpant quelques informations utiles aux Alliés.

Wilder déploie le mensonge et les faux-semblants à travers différentes strates. Tous les protagonistes jouent un double jeu par patriotisme, intérêt personnel ou pragmatisme. Les mensonges s’enchâssent parfois de manière ludique comme lorsque l’identité qu’usurpe Bramble s’avère celle d’un agent double, ce qui lui permettra d’observer de plus près l’état-major allemand. Comme souvent chez Wilder, le cynisme dissimule une émotion à fleur de peau par le personnage de la femme de chambre française Mouche (Anne Baxter) où le faux-semblant réside dans la désinvolture. Elle déteste les anglais pour avoir laissé ses frères mourir lors de la déroute de Dunkerque, et est prête à s’acoquiner aux allemands pour sauver le dernier survivant de sa fratrie. Enfin il y a également le lieutenant Schwegler (Peter van Eyck) officier allemand promettant d’aider Mouche en échange de quelques « faveurs ». Les jeux de dupes ne sont pas une fin en soi pour Wilder mais leur acceptation comme leur mise à nu sont révélateurs des personnages.

Un mensonge expose quelque chose chez l’interlocuteur, la vérité enfonce ou lève un voile positif chez le démasqué. Ainsi l’instinct de survie de Bramble lui fait inventer une famille alors que Mouche s’apprête à le dénoncer, ce qui la fait renoncer et préfigure l’information sur sa famille. Lorsque Bramble lui avouera plus tard avoir menti, Wilder capture par une plongée et un gros plan sur leur couche séparée leur visage relâché, à l’abri des regards où sans savoir quoi se dire ils se comprennent. Elle saisit la nécessité de son mensonge et il la remercie du sien qui lui a sauvé la vie.
Cette dimension ludique et factice existe dans l’énigme à la fois exposée et insoluble des « cinq secrets du désert » dont la résolution sera brillante. Face à tous ces mystères, la présence d’Erich von Stroheim est fondamentale. 

Il incarne Rommel dont il est aux antipodes physiquement et Wilder joue paradoxalement sur la stature et le charisme de Stroheim pour crédibiliser le génie et la clairvoyance de Rommel. Dans l’intrigue Rommel est l’initiateur des « five graves to Cairo », réserves d’armes allemandes installées des années plus tôt en Egypte en préparation de la guerre. Il anticipe et rejette également les tentations de la chair (sa réaction lorsque Mouche viendra lui porter son petit déjeuner) pour lui et ses subalternes. Peu à peu tout ce qui sera de l’ordre du simple calcul, de l’intérêt personnel et des projets à mauvais escient vit se retourner contre leurs instigateurs ces notions de vérités et de mensonge. Wilder passe par un jeu de clair-obscur où le secret de l’usurpation d’identité de Gamble se cache dans les décombres d’une cave sombre. La lumière d’un bombardement aérien l’expose, puis c’est de nouveau un combat dans les ténèbres qui l’étouffe après son combat avec Schwegler. 

Symboliquement juste après les « bonnes intentions » de ce dernier envers Mouche son démasquées, ce motif de clair-obscur s’exprimant même dans la nature et les revirements des personnages. L’ultime manifestation de cette idée est la plus poignante. L’omniscience froide de Rommel a tout faux dans ces allégations envers Mouche, quand cette dernière crache enfin sa vérité aux allemands tout en sauvant la vie de Bramble par une haine de façade. Anne Baxter est absolument magistrale, faisant passer l’émotion crue et le calcul dans un même élan salvateur. Toutes ces subtilités font dépasser au film le seul statut de film de propagande (ce qu’il est aussi indéniablement) et le font avancer vers une mélancolie qui anticipe la conclusion de Embrasse-moi idiot (sacré film sur le « mensonge vrai » et le vrai mensonge ») et le déroulé de La Vie privée de Sherlock Holmes (1970).

Disponible en bluray et dvd français chez Elephant 

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