Si les premières et mythiques collaborations avec Wong Kar
Wai (As Tears go by (1988) et surtout
Nos années sauvages (1990)) et les prestations remarquées dans le cinéma d’auteur
hongkongais (Song of Exile de Ann Hui
(1989), Full moon in New York et Center Stage de Stanley Kwan (1991))
placent Maggie Cheung sous les radars cinéphiles locaux et internationaux, c’est
véritablement avec A Fishy Story qu’elle va gagner une immense popularité à Hong Kong avec ce
qui est un de ses plus beaux rôles. Peut-être influencé par son enfance entre Hong Kong et l’Angleterre,
Maggie Cheung aura souvent choisit des personnages hésitant entre deux mondes,
aspirant à l’ailleurs puis s’y morfondant de la patrie une fois atteint. C’est
tout le questionnement des héroïnes de Full
Moon in New York, Farewell, China
(1990) ou encore Comrades, almost a love story (1996).
A Fishy Story
reprend cette idée mais en inverse la dynamique, avec cette fois Huang (Maggie
Cheung) aspirante starlette de cinéma coincée à Hong Kong mais qui ne rêve que
de gloire aux Etats-Unis. Cette chimère dépend pourtant bien plus du bon
vouloir de « bienfaiteurs » intéressés que de son possible talent. On
le comprend bien au début du film où elle est installée dans un appartement
cossu par un réalisateur et protecteur libidineux. A l’étage au-dessus vit Kung
(Kenny Bee), taxi sans licence qui lutte pour joindre les deux bouts. Les deux
personnages vont se lier et s’entraider, Kung faisant office de chauffeur pour
Huang qui en profite pour faire des arrivées pétaradantes de star glamour dans
les studios de tournage.
Le début du film est trépidant, fonctionnant dans une pure
veine de screwball comedy où la délurée Huang mène par le but du nez un Kung
dépassé. Le réel va pourtant malmener plus d’une fois nos héros. Le réalisateur
Anthony Chan l’exprime en oppressant les personnages à travers différents
éléments formels et dramatiques. En ne cédant pas aux avances du réalisateur,
Huang est ainsi métaphoriquement écrasée dans une scène de « film dans le
film » avec une séquence de comédie musicale où des prostituées (et rivales
de casting dans l’envers du décor) la
tabassent pour avoir empiété sur leur territoire. La réalité de ce Hong Kong agité
par les soubresauts économiques et sociaux vient également briser le rêve quand
Huang et Kung se retrouvent happés dans une manifestation communiste. La
face sombre du glamour et l’obscurantisme idéologique dépassent les personnages
qui n’aspirent qu’à une existence plus douce et le réalisateur use habilement d’une
grandiloquence bariolée ou cauchemardesque pour montrer l’impasse de ces deux
directions.
Huang et Kung voient d’ailleurs chez l’autre le miroir de l’avilissement
qui les guette. Kung est entretenu par une ancienne fiancée (Josephine Koo) qui
a quitté sa misère en devenant la maîtresse d’un nanti. Huang subit quant à
elle la cour assidue d’un producteur hongkongais installé aux Etats-Unis et qui l’incite
à le rejoindre. Un rebondissement à mi-film humanise alors magnifiquement la
frivole Huang, lui faisant comprendre la vacuité de son ambition et ce qu’elle
lui a sacrifiée. La métamorphose de Maggie Cheung de la joyeuse écervelée à la
femme torturée et rongée de remords est absolument bouleversante. Toute l’outrance
première de sa prestation ne servait qu’à rendre plus intense encore la
bascule, notamment un magnifique moment trempée par la pluie elle recherche
enfin le réconfort de Kung, le seul homme droit et aimant qu’elle connaisse.
Dès lors le contour sophistiqué et clinquant du film s’estompe
volontairement, les aspirations au jour le jour et la vie plus modeste
façonnant un écrin de bonheur enfin authentique pour les personnages. Mais c’est
un répit que n’est pas prêt à leur accorder le monde qui les entoure, le
leitmotiv des paillettes et de l’aveuglement sociaux politiques revenant les
hanter de façon plus sinistre encore. Cet équilibre entre le conte (et l’hommage
hollywoodien assumé) et la fange hongkongaise est remarquablement tenu, la
bande-son pleine d’emphase Richard Yuen, les compositions de plan de Anthony
Chan et la photo Peter Pau (toutes les scènes sur le toit avec les arrière-plans
de ciel où les avions décollent) façonnant un brillant écrin où le mélo peut
tutoyer des cimes d’émotions.
C’est tout le délicat enjeu de la dernière scène,
où l’inéluctable violence d’une situation débouche sur un pur final de conte,
où le réel du cadre cède à la facticité et laisse couple s’échapper des
ténèbres vers une lumière pleine d’espoir. Une superbe réussite qui vaudra à
Maggie Cheung une première grande reconnaissance avec le Prix de la Meilleure
actrice lors des Hong Kong Film Awards.
Disponible en dvd hongkongais
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