Infirmière dans une
bourgade de la côte de Malabar en 1954, Cotton Mary est écartelée entre ses
origines indiennes et sa culture anglaise. D'extraction modeste, elle s'invente
un passé aristocratique et enjolive sa vie en singeant les manières distinguées
des anciens colons. Lorsque l'Anglaise Lily MacIntosh accouche prématurément,
Mary sauve la situation en amenant secrètement le bébé à une nourrice des bas
quartiers. Ignorant la réalité, Lily prend Mary à son service.
Si les rôles semblent bien définis dans la fructueuse
association Merchant Ivory Productions (Ismail Merchant à la production, James
Ivory à la réalisation et très souvent Ruth Prawer Jhabvala au scénario), certaines œuvre font
exceptions comme ce Cotton Mary mis
en scène par Ismail Merchant. Nous ne sommes cependant pas dépaysés avec ce
cadre Indien postcolonial vu dans nombre de leurs films dont le célèbre Chaleur et poussière (1983). L’autre
lien fondamental concerne la réflexion sur les clivages sociaux, la quête d’identité
au cœur de Maurice (1987) ou encore Les Vestiges du jour (1993))
La critique de la société anglaise s’articule ainsi sur deux
points de vue ici. Ce sera tout d’abord celui de Lily MacIntosh (Greta Scacchi),
une mère de famille installée en Inde et livrée à elle-même à cause d’un époux
(James Wilby) peu concerné par la vie domestique. Son mal être latent son
concrétisera par l’accouchement prématuré de son deuxième enfant qu’elle n’arrive
pas à allaiter pour des motifs plus psychologiques que physiques. L’aide
précieuse de l’infirmière Mary (Madhur Jaffrey) sera donc précieuse, le bébé
étant nourri grâce à une nourrice indienne des
bas quartiers.
Mary s’auréole ainsi d’une image de quasi sainte dévouée,
car en dissimulant la manière dont est alimenté le bébé ses actions relève
presque du miracle. Ce n’est pourtant qu’une manière dans ce cercle anglais
aristocrate qu’elle envie tant. C’est par elle que s’illustre l’autre dimension
néfaste de la société anglaise. Cette présence étrangère en Inde suscite soit
le rejet des locaux souhaitant voler de leurs propres ailes (la séquence des travailleurs
de champs de thé), soit une fascination morbide héritée du passé colonialiste
encore récent. C’est cette dernière névrose qui ronge Mary, métisse
anglo-indienne cherchant constamment à appuyer dans le phrasé et les attitudes
son côté anglais (possiblement fantasmé).
Le personnage sympathique au départ gagne ainsi
progressivement en ambiguïté, la relation avec Lily oscillant entre le chantage
et l’aliénation. La rivalité et le mépris de Mary envers Abraham, domestique
attitré et de confiance de la famille, rejoue d’ailleurs les rapports
tumultueux des majordomes de Les Vestiges
du jour où la dévotion aveugle tutoie la folie. La tension s’installe
subtilement dans le quotidien, tout en montrant à travers d’autres strates de
la société les causes de ces dérèglements. Rosie (Sakina Jaffrey) sans avoir la
soumission maladive de sa tante Mary, voit également chez les anglais une
manière de s’élever en devenant la maîtresse de John MacIntosh. A l’inverse la
condescendance t le racisme ordinaire de la haute société britannique transparait
plus d’une fois, expliquant sans les justifier les névroses et la schizophrénie
des locaux.
C’est d’ailleurs une des grandes forces du film, la folie de Mary n’existe
que dans l’apparat, à travers les vêtements occidentaux qu’elle vole à sa
patronne et qu’elle exhibe fière à ses congénères, aux récits vantards qu’elle
fait sur sa place dans la maison. Le personnage apparait plus pathétique que
réellement cruel et l’on peut supposer que l’acuité du regard d’Ismail Merchant
lui vient de son enfance indienne où il observa voire vécu les mêmes
déchirements (pas en tant que métisse mais en tant qu'issu d'un classe sociale indienne plus élevée) que Mary. Visuellement le film poursuit cette dichotomie, entre la
sophistication coutumière des productions Merchant Ivory pour la reconstitution
et quelque chose de plus authentique, sauvage et indien dans la capture de
certaines atmosphères. Très intéressant donc sans forcément s’élever aux
hauteurs des meilleurs James Ivory.
Sorti en dvd zone 2 anglais et doté de sous-titres anglais. Visisble aussi actuellement à La Cinémathèque française dans le cadre de la rétro Merchant-Ivory
Une interview d'époque d'Ismail Merchant à propos du film
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