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mercredi 8 juin 2022

La Chance sourit à Madame Nikuko - Gyokou no Nikuko-chan, Ayumu Watanabe (2022)

Nikuko est une mère célibataire bien en chair et fière de l'être, tout en désir et joie de vivre - un véritable outrage à la culture patriarcale japonaise ! Elle aime bien manger, plaisanter, et a un faible pour des hommes qui n’en valent pas toujours la peine. Après avoir ballotté sa fille Kikurin la moitié de sa vie, elle s’installe dans un petit village de pêcheurs et trouve un travail dans un restaurant traditionnel. Kikurin ne veut pas ressembler à sa mère et ses relations avec Nikuko ne sont pas toujours simples.

Après le vertige métaphysique de Les Enfants de la mer, Ayumu Watanabe prouve une fois de plus son éclectisme dans La Chance sourit à Madame Nikuko. Il s’agit de l’adaptation du roman de Kanako Nishi ayant remporté un grand succès lors de sa publication au Japon en 2011.  L’humoriste et producteur Akashiya Sanma, tombé sous le charme du livre va décider d’en faire une adaptation et sollicite ainsi Watanabe, toujours très doué pour servir un matériau original à l’identité forte. Le réalisateur s’est en effet fait connaître pour ses travaux à la télévision sur des franchises comme Doraemon. Passé indépendant depuis 2011, il jouit désormais d’une vraie reconnaissance internationale chez les férus d’animation japonaise grâce à ses passages sur les séries Space Brothers (2012-2014), Après la pluie (2018) ou plus récemment Komi cherche ses mots (2022). Toutes sont adaptées de mangas très différents mais mettant l’accent sur le sens de l’atmosphère, la capture d’un environnement en corrélation avec l’émotion des personnages, éléments auxquels Watanabe semble particulièrement attentif tout en se montrant capable d’y amener l’esthétique appropriée à l’image du psychédélisme de Les Enfants de la mer

La Chance sourit à Madame Nikuko, bien qu’il s’agisse aussi d’une adaptation lui offre une latitude plus vaste puisque ne reposant pas des références visuelles d’un manga à respecter. C’est le touchant récit d’une relation mère-fille aux caractères diamétralement opposés. La jeune Kikurin est une préadolescente chétive et introvertie qui a bien du mal à assumer la personnalité et le physique exubérant de sa mère. La scène d’ouverture tout en épure met en parallèle le dépit de Kikurin face au tempérament fantasque de Nikuko en narrant une petite enfance ballotée aux quatre coins du Japon au fil des amours malheureuses de cette mère. Nikuko embrasse la vie avec excès, que ce soit dans ses amours, son appétit féroce ou son physique hors-normes. Les personnages à embonpoint ne sont pas inédits dans l’animation japonaise mais sont rarement les héros et servent souvent de caution comique.

Ayumu Watanabe inscrit certes Nikuko dans des situations loufoques jouant de son physique, mais toujours dans une démarche émotionnelle et thématique forte, jamais pour s’en moquer. Il y a notamment une référence à Mon voisin Totoro où est reprise la composition de plan de la scène d’arrêt de bus, Nikuko remplaçant la créature Totoro. Plus tard une compétition sportive parent-enfant va montrer Nikuko suant et souffrant sur une piste d’athlétisme, mais qui par son astuce et abnégation pour sa fille va remporter la victoire. Nous sommes presque dans une caractérisation versant japonais du cliché de la « mama » italienne, où les formes généreuses sont proportionnelles à l’amour qu’est prêt à offrir le personnage. C’est le sourire bienveillant plutôt que le rire moqueur que susciteront constamment les facéties de Nikuko, jamais complexée par son physique.

C’est un cheminement que doit découvrir Kikurin à un âge où le regard des autres est si important. Les anicroches scolaires nous montre une fillette préférant se fondre dans la masse plutôt que d’imposer un point de vue. Là encore Watanabe nous aura en amont fait ressentir le sentiment d’insécurité suscité par l’enfance tumultueuse de Kikurin, accentuant ce désir d’être acceptée et de ne pas se faire remarquer. L’exemple de sa mère et d’un camarade perclus de tics de faciès vont progressivement la mettre en confiance et l’amener à s’affirmer. Watanabe manifeste la facette excentrique de ses personnages à l’aune de ce qu’ils en assument aux yeux des autres. 

Nikuko à travers le regard de sa fille promène sa silhouette dodue dans de pures envolées d’humour burlesque, les grimaces du garçon surgissent comme de pures anomalies dans des environnements sobre et naturalistes. Enfin Kikurin, laisse entrevoir son monde intérieur tout aussi surréaliste dès qu’elle se trouve seule et traverse la forêt pour rentrer chez elle. Dans ces instants-là Watanabe fait totalement corréler ces espaces intimes avec l’état d’esprit du personnage par ses inserts sur la faune et la flore, l’observation du ciel, et suit par l’image les divagations de la pensée de Kikurin. La fin du film nous apprendra que ces éclats ne passent pas inaperçus aux yeux des autres et lui font partager à sa manière le tempérament excentrique de sa mère. 

Toute cette bienveillance est servie par le soin une nouvelle fois tout particulier qu’apporte le réalisateur au cadre du récit. Il imagine une sorte d’idéal fantasmé de cité portuaire et rurale japonaise faisant un écho réel aux villes ayant inspirées la romancière (un voyage de celle-ci à Ishinomaki et Onagawa avant le tsunami de 2011 étant la source du livre), mais aussi fictionnel avec la référence à Totoro citée plus haut, ou au cycle d’Onomichi de Nobuhiko Obayashi (The Little Girl Who Conquered Time (1983), I are you, you am me (1982), Lonelyheart (1985), Chizuko’s Younger Sister (1991)) croisant aussi surréalisme et récit d’apprentissage au féminin. L’attention est mise pour magnifier ce quotidien et également en donner la vision la plus réaliste et chaleureuse possible. Les nombreuses scènes de repas sont de vrais instants de communion, tant dans la dégustation béate, la préparation (avec la référence explicite à la scène du pain perdu du film Kramer contre Kramer de Robert Benton (1979)) que le photoréalisme alléchant des grillades de viande. Un film tendre, bienveillant et audacieux jusqu’au bout, avec un renversement de perspective final qui ne l’en rend que plus profond.

En salle 

 

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