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dimanche 5 juin 2022

Monsieur Ripois - René Clément (1954)


 André Ripois, un Français installé à Londres depuis peu, a épousé Catherine, une riche jeune femme. Au cours d'un séjour à la campagne, il essaie de séduire Patricia, une amie de sa femme. Mais Catherine, fatiguée des infidélités d'André, part pour Edimbourg préparer leur divorce. En son absence, Ripois invite Patricia à dîner. Pour la conquérir, il invente un jeu subtil : il lui raconte sa vie et, surtout, ses différents échecs sentimentaux...

Gérard Philipe fut LA star masculine du cinéma français des années 50, et y su incarner tous les visages de la séduction du jeune premier. Fougueux, torturé et romantique dans Le Diable au corps (Claude Autant-Lara (1947)) ou La Chartreuse de Parme (Christian-Jaque (1946)), espiègle et bondissant en Fanfan la tulipe (Christian-Jaque (1952)), doux-rêveur mélancolique avec Juliette ou la clé des songes (Marcel Carné (1951)) et Les Belles de nuit (René Clair (1952)), Gérard Philipe endosse le romantisme de son visage le plus lumineux au plus sombre. Une de ses interprétations les plus mémorables de l’époque viendra en 1955 dans Les Grandes Manœuvres de René Clair, où il trouve dans un même rôle l’image la plus désinvolte, incarnée et finalement tragique du séducteur. Avant le chef d’œuvre de René Clair, Gérard Philipe trouvait l’année précédente dans Monsieur Ripois le miroir inversé de ce rôle. 

René Clément adapte là le roman Monsieur Ripois et la Némésis de Louis Hémon, publié en 1950. Le réalisateur retrouve ici son leitmotiv du protagoniste double, qu’il soit héroïque (Le Père tranquille (1946)), ambitieux (Plein soleil (1960)) ou en construction (Quelle joie de vivre (1961)). Si Alain Delon notamment amenait une facette anxieuse à ce motif du double, Gérard Philipe déploie tout un panel de sa persona cinématographique dépeinte plus haut. Il révèle du moins, comme un leurre, l’aspect le plus attrayant et attendrissant pour les femmes de cet André Ripois. Lancé dans une énième tentative de séduction auprès de Patricia (Natasha Parry), meilleure amie de son épouse Catherine (Valerie Hobson), André décide de s’attirer ses faveurs par une transparence de façade sur son passé et ses faiblesses. Dans la narration au présent, René Clément revêt André de tous les contours du french lover tels que les rôles et la renommée internationale de Gérard Philipe en ont habitué le public. Cependant, on remarquera qu’André ne dévoile à chaque fois qu’un substitut sans panache de cette aura, échouant par conflit d’agenda auprès de sa jolie voisine, se heurtant à la résistance de Patricia et ne suscitant plus que la lassitude de Catherine. 

Lorsque la narration en flashback s’amorce, le contraste entre le cadre londonien et l’identité française d’André est supposée mettre en valeur sa singularité, mais il n’en sera rien. Les conquêtes se font et se défont par intérêt superficiel, par la duperie, et en ayant à chaque fois davantage donné que reçu. Aucune des femmes ne représentent un défi servant l’égo du séducteur, mais avant tout sa situation matérielle. De plus, c’est davantage la pitié (et non pas la vulnérabilité qui pourrait représenter une qualité) plutôt que l’éclat qui provoque les différents rapprochements amoureux. Notre héros dégringole d’ailleurs à chaque fois un peu plus dans ce qu’il a à gagner de sa proie, et dans le statut social de celle-ci. On passe de la supérieur hiérarchique Anne (Margaret Johnston), à Norah (Joan Greenwood) puis la prostituée exilée Marcelle (Germaine Montero) dont il se montre incapable de combler même superficiellement les attentes et manques qu’elles placent en lui. La solitude d’Anne, les rêves de Norah, le mal du pays de Marcelle, André tout à son égocentrisme n’y apporte aucun remède une fois parvenu à ses fins. 

René Clément permet à son héros de séduire et d’émouvoir des femmes perdues, mais le confronte à sa triste banalité lorsqu’il se heurte au réel. C’est tout l’intérêt des scènes parfois quasi documentaire lors des déambulations urbaines dans les rues londoniennes. Le réalisateur expose André à sa vacuité lorsqu’il suit sans but les jolies filles/proies qui l’attirent, sa fatuité dans ses méthodes d’approches et surtout sa petitesse dans son inaptitude à dompter cet environnement. André échoue dans la « drague » de rue sauf en employant des artifices lâches, et cette perdition urbaine se prolonge lorsqu’il se montre incapable de trouver un nouvel emploi puis de survivre sans un toit sur la tête. Ironique, René Clément en jouant de l’ellipse laisse croire que l’expérience de clochard d’André s’étale sur un temps long avant que la voix-off nous révèle qu’il ne s’est écoulé que deux jours, après lesquels il est déjà au bord du précipice.

Tout cela devrait contribuer à nous rendre le personnage profondément antipathique, et c’est effectivement le cas lors des moments où il fait preuve de la plus grande bassesse. Mais c’est là tout l’intérêt d’avoir Gérard Philipe dans le rôle principal, tout le passif qu’il amène avec lui, même dévoyé, le rend malgré tout touchant et précisément dans cette incapacité à le représenter. C’est ce qu’entrevoient celles qui l’ont pourtant démasqué, Catherine et Patricia, mais qui ne pourront s’empêcher d’être émue par lui. René Clément en montre une dimension caustique lorsque André expose avec humour son inculture à Catherine, ou avec une sincérité factice sa fragilité à Patricia. Aucune n’est dupe mais en leur for intérieur pensent et espèrent qu’auprès d’elles, André ne sera plus l’esquisse mais la concrétisation de cet idéal romantique. C’est toute l’ironie de la conclusion où un calcul de plus sera interprété comme le grand geste sentimental et tragique tant attendu. Monsieur Ripois est une œuvre passionnante qui cristallise à merveille les thèmes de René Clément à l’aune de la personnalité de Gérard Philipe. 

Ressortie en salle le 8 juin

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