En Charente, pendant l'Occupation, Edouard Martin, un quinquagénaire à la vie apparemment paisible est en réalité le chef d'un réseau de résistants.
Le Père tranquille s’inscrit dans une série de trente films produits après la libération, d'août 1944 à la fin de l'année 1946 et dans le but de relancer l’industrie cinématographique française. Ces films sont soumis aux regards du service cinématographique de l'armée et au Comité de Libération du cinéma français. Ces films ont donc forcément une connotation de film de propagande mais ce contexte va permettre à René Clément de signer ses deux premiers long-métrages, après des courts remarqués et avoir été assistant réalisateur sur La Belle et la Bête de Jean Cocteau (1946). Sur ses deux films réalisés coup sur coup, on trouve La Bataille du rail, œuvre emblématique d’une certaine représentation de la résistance à cette période. Le Père tranquille est un peu plus oublié mais est pourtant très original à sa sortie avec le récit de résistance s’entrecroisant à la comédie, soit une approche qu’on ne reverra que dans les années 60 avec notamment La Grande Vadrouille de Gérard Oury. C’est d’ailleurs cette facette qui intéresse Clément dans le scénario de Noël-Noël, ce jeu sur les faux-semblants et le quiproquo qui va courir tout au long de sa filmographie, que ce soit sur le mode sérieux de Plein Soleil (1960) ou celui plus amusé de Quelle joie de vivre (1961).
René Clément va se trouver en partie contraint par le contexte avec une France, comme le déclarera le Général de Gaulle, « toute » résistante ou aspirant l’être. Le français véhément et forcément haineux des « boches » occupants, est ainsi une cible idéale pour le fourbe Jourdan (Marcel Dieudonné), agent allemand se faisant passer pour un capitaine évadé et recrutant les candidats avant de les livrer à la Gestapo. Cette dimension de faux-semblants joue à plein avec ce protagoniste charismatique, gouailleur et sympathique dont la supposée vertu est justement trop visible. C’est tout le contraire d’Edouard Martin (Noël-Noël), agent d’assurance pantouflard et casanier dont le quotidien se résume aux parties de belotte au café avec ses amis et la culture d’orchidées dans sa serre. Ce « père tranquille » est pourtant le chef local de la résistance, échange par radio avec Londres qu’il informe sur les usines allemandes alentours à bombarder. Clément met habilement en parallèle la duplicité de Jourdan fonctionnant sur sa visibilité, et celle de Martin jouant sur son côté ronchon et éteint. La révélation du rôle crucial de Martin est habilement amenée par le réalisateur, une poussière enlevée par sa femme sur son manteau, un retour trop tardif de la belotte, une information sur les parachutages glissée pour rire, constituant autant de petits indices progressifs qui dévoilent son intelligence et sa discrétion. Clément joue constamment sur une fibre émotionnelle et comique avec ce protagoniste truculent. Les dialogues à double-sens joue sur le décalage entre les moqueries de son entourage et le « savoir » bienveillant de Martin qui s’en amuse, dissimulant justement son activité pour protéger sa famille. C’est le cas avec son fils (José Artur) fougueux qui le trouve trop complaisant avec les allemands, ce qui fait alternativement rire ou frémir quand le jeune homme se montrera trop audacieux pour tempérer la supposée couardise de son père. Le ping-pong verbal fonctionne sur une dynamique comique où la mise en scène de Clément introduit la normalité de l’environnement et crée le décalage discret avec le double-jeu de Martin. Une des scènes les plus réussie à ce titre est celle où Martin discute avec ses complices de la manière d’éliminer Jourdan et que son épouse (Claire Olivier) s’impose dans la pièce car celle-ci est mieux chauffée. Deux réalités existent donc dans un même espace et doivent rester étrangère l’une à l’autre par un jeu de dupe, la composition de plan reléguant Madame Martin au fond du cadre. Parfois ces deux réalités, celle insouciante et familiale et l’autre sous tension du résistant, se rejoignent également par un brillant travail de montage et un efficace jeu sur le contrechamp. C’est ainsi que Monique (Nadine Alari) va démasquer son père et l’admirer d’autant plus par la seule observation lors d’un moment très touchant. C’est par cette approche précise que Clément équilibre habilement l’émotion entre mise en scène et mise en valeur du jeu d’acteur. Ce sera une des causes du conflit entre Clément et Noël-Noël qui pensait pouvoir imposer ses vues au jeune réalisateur. D’ailleurs Clément n’ayant pas totalement réussi à poser sa patte selon lui reniera un peu le film par la suite, et choisit d’ailleurs au générique de réduire son travail à « réalisation technique ».Si la paternité est controversée, le résultat est en tout cas très réussi et attachant. Il s’agit d’une véritable photographie de cette France sous occupation, où le quotidien semble normal jusqu’à se que se laisse voir les silhouettes en uniformes allemands, les contrôles inopinés. Les privations diverses constituent un arrière-plan discret et réaliste (la queue à la boucherie évoquant la pénurie) que traverse l’intrigue du film. René Clément sait autant lorgner vers l’ironie à la Lubitsch (les officiers allemands venant visiter la serre de Martin) que le drame le plus sincère avec ces magnifiques retrouvailles père et fils finale. Le Père tranquille est, pour ses quelques défauts mais surtout pour ses nombreuses qualités une œuvre emblématique d’une certaine période du cinéma et de l’histoire française.Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa
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