Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Sensaku quitte les montagnes de Hokkaido pour
retrouver sa fiancée Kuriko. Sa quête le conduit à une étrange boîte de
nuit, où sont organisés des combats et où se produit la belle chanteuse
d’opéra Yoshino. Le patron du club ne dévoilera où se trouve Kuriko que
si Sensaku accepte de combattre.
Shinji Somai livre un de ses films les plus libres et singuliers avec ce Luminous woman.
Le film oscille entre naturalisme et stylisation, mélodrame et farce
tout parvenant à maintenir une unité de ton reposant sur la mise en
scène de Somai et le charisme de ses personnages. La scène d'ouverture
donne le ton avec ce paysage postapocalyptique où surgit le rustre
Sensaku (Keiji Mutō) qui va se trouver face au spectacle improbable d'un
joueur de piano et d'une cantatrice chantant dans ce cadre en
désolation. Le filmage en longue focale, la photo aux étranges teintes
mauves nous font baigner dans une forme d'onirisme avant que la réalité
du cadre et des personnages se révèlent.
Ils se trouvent dans une
décharge aux portes de Tokyo où Sensaku se rend depuis son Hokkaido
natal pour retrouver sa fiancée Kiruko (Narumi Yasuda). Celle-ci est
partie étudier dans la capitale afin d'acquérir des connaissances en
agriculture qui permettront d'améliorer les conditions de vie de leur
village. Pour les provinciaux naïfs Tokyo est un lieu de tous les
possibles et de découverte mais qui va révéler son envers oppressant
pour les protagonistes. Cet envers est représenté par un personnage de
mentor maléfique incarné par Kei Suma. Il convainc Sensaku de participer
à des combats clandestins en échange de l'information du lieu où il
pourra retrouver Kiruko, il tient cette dernière sous sa coupe en
l'ayant avilie dans le sexe et la drogue, et enfin il cherche à
exploiter les talents vocaux de la jeune cantatrice déchue Yoshino
(Michiru Akiyoshi).
Chaque personnage fonctionne dans une forme d'excès et d'emphase pour
accentuer les ruptures de ton du film. Le décalage comique est de mise
face aux manières rustre, l'allure de colosse et la naïveté de Sensaku
dans ce cadre urbain impitoyable. L'allure douce et innocente de Kiruko
est contrebalancée par la fange dans laquelle elle s'abandonne tandis
que l'élégance froide de Yoshino s'éteint lorsqu'elle se trouve
désormais démunie incapable d'exploiter son don vocal. Le décor est un
élément essentiel aussi dans sa veine baroque comme réaliste. Celui de
la boite de nuit où se déroule les combats est incroyable avec son
opposition de style entre arène de combat, éléments de cirque et un
arrière-plan donnant un tour plus opératique dans les séquences de chant
et accentuant la théâtralité des situations. La photo gorgée de filtre
de couleurs (bleu, mauves) donne un aspect halluciné à l'urbanité de
Tokyo tout en ayant une forte portée réaliste, on le ressent notamment à
travers les réactions des passants (qui ne semblent pas être des
figurants) face à l'improbable allure campagnarde de Sensaku lorsqu'il
déambule dans la ville.
Ce versant excentrique et maléfique de Tokyo
semble happer la force de Sensaku, la candeur de Kiruko et le talent de
Yoshino après en avoir brisé d'autres auparavant comme le personnage de
l'ancien pêcheur (Hide Demon) venu lui aussi par le passé retrouver sa
compagne et qui s'est depuis perdu dans la toxicité de la ville. Shinji
Somai traduit cette transformation par le grotesque mais à l'incroyable
portée dramatique lorsque Sensaku défie sur le ring Kei Suma et que
celui-ci, par le seul ascendant psychologique lamine et humilie le
colosse qui a tout perdu, son honneur et sa fiancée. Keiji Muto est
livre une prestation incroyable, force de la nature en quête d'affection
mais finalement si seul et vulnérable. Somai étire jusqu'à rendre le
comique et le ridicule totalement dramatique ses séquences les plus
outrées comme le plan-séquence où Sensaku se montre insistant à demander
à une inconnue de l'épouser. Cette insistance désespérée finit par
traduire la détresse du personnage après les prémices rigolardes de la
scène et déleste Sensaku de tout le côté bouffon et grotesque qu'on
aurait eu très tort de lui attribuer.
Shinji Somai sait aussi se montrer plus sobre pour exprimer la flamme
qui agite ses personnages plus discrets. Yoshino émue par le sort de
Sensaku tombe peu à peu amoureuse de lui et en ravivant ce type de
sentiment en elle retrouve progressivement ses talents de cantatrice. Il
y a très certainement un rapprochement à faire (pour les connaisseurs
d'opéra) entre le choix de ses chansons (dont une récurrente sur le vent
à plusieurs moment clés) et les émotions qui bouillonnent en elle, et
Somai orchestre de magnifique moments sensuels et romantiques entre
Sensaku et Yoshino notamment celle de la piscine aussi tendre que
ludique. La qualité et le défaut du film repose aussi si son art de la
digression qui donne de vrais instants de grâce mais aussi pas mal de
longueurs (vu le film dans sa version longue en plus) que Somai
transcende heureusement par sa mise en scène où les trouvailles
formelles sont nombreuses.
Pour l'approche psychologique on a notamment
une discussion téléphonique entre Kiruko et Yoshino qui façonne un
incroyable dispositif où la seconde interlocutrice apparait
progressivement en arrière-plan dans une composition de plan qui allie
les environnements des deux héroïnes. Un plan-séquence dans une cabane
en bois battue par les vents en pleine nuit semble calquer ses
mouvements sur la brise pour un pur moment mystique. Enfin le plan final
est une merveille d'imagerie pastorale apaisée après tous les malheurs
auxquels on a assisté, et où la voix de Yoshino entre en hamonie avec la
nature plutôt que des environnements superficiels. Un magnifique opus
de Shinji Somai, déroutant, original et constamment captivant.
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