Italie, 1938. Lea, une femme du Sud de l'Italie émigrée au Nord, voue un amour excessif à son fils unique, Michele. Elle offre toutes les apparences d'une femme affable, invitant ses voisines à prendre le thé, leur vendant un savon qu'elle fabrique elle-même et qui rend la peau très douce. Mais, derrière cette façade respectable se cache un terrible secret.
Black Journal est une œuvre qui détone dans la filmographie de Mauro Bolognini. Alors certes tout connaisseur de l’œuvre du réalisateur sait qu’elle vaut bien plus que celle de « Visconti du pauvre » auxquels certains le réduisent à cause de son appétence pour la grande adaptation littéraire et du film historique. L’excès et le grotesque peuvent tout à fait s’inviter chez lui mais en faisant sens comme dans l’excellent Vertiges (1975) et son étude du fascisme par le prisme de la folie. Ce sens est plus nébuleux dans cet inclassable Black Journal, comédie noire adaptant de façon fort singulière un fait divers qui agita l‘Italie de la fin des années 30. Entre 1939 et 1940 Leonarda Cianculli est se rend coupable d’une série de meurtre la voyant tuer ses victimes dont elle recyclera les corps en gâteau et savon qu’elle vendra afin de subsister durant la guerre. On suppose également une sorte de rituel magique afin de tromper le sort et d’empêcher son fils d’être enrôlé dans l’armée italienne et possiblement tué au front.
La vraie histoire et tellement folle et sordide que Bolognini prend le parti de l’outrance pour nous la raconter. Lea (Shelley Winters) n’existe que dans ce rôle de mère abusive, étouffant son fils Michele (Antonio Marsina) d’un amour malsain et quasi incestueux. Le malaise s’installe dès leurs retrouvailles dans la nouvelle demeure où le père (Mario Scaccia) semble un intrus pour lequel Lea témoigne une attention froide tandis que l’affection démesurée pour le fils s’exprime par des baisers trop longs et langoureux pour être honnête. Bolognini prend le cliché de la « Mama » italienne (et plus spécifiquement celle aimante et modeste du Nord de l’Italie) pour le pousser dans ses derniers retranchements ambigus. La perte de ce fils est une angoisse latente de Lea avec en toile de fond l’appel de l’armée, mais c’est une peur plus profonde qui vient des nombreuses fausses couches, enfants morts-nés et bébés prématurément décédés qu’elle a eu à subir avant de savourer la présence de Michele. Dès lors Michele ne peut s’épanouir dans une relation amoureuse sans que Lea ne bouillonne de jalousie et elle va radicalement conjurer le sort et les peurs qui l’agitent. La femme ne peut s’incarner qu’à travers son rôle de mère, c’est pourquoi Lea méprise Sandra (Laura Antonelli) la voluptueuse amante de son fils qui représente une figure jeune et sexuée avec laquelle elle ne peut rivaliser. De même son entourage d’amies est constitué de vieilles filles, des femmes dans l’âge mûr qui n’ont jamais enfantées et qui ne représente pas une menace. L’idée folle est de faire jouer ce groupe d’amies par un casting masculin (Max von Sydow, Alberto Lionello et Renato Pozzetto) qui paradoxalement exprime une féminité aux antipodes de la monstruosité que dégage Lea. Ancienne beauté hollywoodienne, Shelley Winters voit son embonpoint traduit de façon ogresque par les choix formels de Bolognini. Les tenues sombres, la silhouette large et les contre-plongées sur son visage déformé par la haine en font une pure figure monstrueuse, le regard fou et prête à bondir. Les amies ne sont des hommes qu’aux yeux du spectateur mais sont supposées être d’authentiques femmes dans le cadre du récit. Néanmoins certains dialogues et situations se font troubles pour créer une forme de connivence avec le spectateur sur la manière dont les voit Lea. Ses élans meurtriers viseront donc ces femmes « qui n’en sont pas » pour l’héroïne du fait de cette incapacité d’enfanter et des sacrifiables pour dompter le destin funeste qui guette son fils. Tous les acteurs interprètent d’ailleurs un double rôle, celui des femmes de l’entourage de Lea mais aussi ceux des figures d’autorités qui contribueront à démasquer et arrêter Lea par la suite. Nous sommes donc dans un pur univers mental signifiant tour à tour par ce choix les instincts morbides mais aussi la culpabilité de Lea, la folie douce qui l’anime. Les scènes de meurtres sont saisissantes, leur amorce baignant dans l’humour noir avant de basculer dans le gore le plus soudain et gore. Le dégoût est certain lorsqu’elle donne à déguster les mets conçus avec les entrailles de ses victimes. Dernier point fort du film, un écrin formel blafard et étouffant avec une photo d’Armando Nannuzzi naviguant entre le blanc, l’ocre et le marron qui nous fait traverser le récit dans un terreau fangeux et oppressant. Un film unique en son genre et une géniale anomalie dans le parcours du talentueux Mauro Bolognini, vraiment à voir.Sorti en dvd zone 2 français chez Rimini
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