Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 18 mars 2021

L'Ange de la vengeance - Ms .45, Abel Ferrara (1981)

Une jeune femme, violée deux fois le même jour, décide la nuit venue de parcourir les rues sombres de New York en tuant de son calibre 45 tous les hommes qui l'approchent.

Après avoir navigué dans le cinéma underground, réalisé quelques court-métrages et même flirté avec le porno, Abel Ferrara se faisait enfin remarquer avec le film d’horreur Driller Killer (1979). Ce film tourné à l’économie durant les week-ends fut conçu dans une pure volonté opportuniste afin de surfer sur le sillon d’horreur crapoteuse initiée par Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper (1974). Cependant l’esthétique singulière et les visions d’un New York comme on l’avait rarement vu firent remarquer le film, et notamment par un William Friedkin impressionné qui recommanda Ferrara à Warner. L’Ange de la vengeance sera donc sa première production professionnelle et qui lancera définitivement sa carrière de réalisateur.

Au premier abord, le film semble tout comme Driller Killer une production opportuniste lorgnant sur le sous-genre douteux du rape and revenge, flattant les bas-instincts violent et libidineux malgré certaines œuvres à l’âpreté et ambiguïté marquante comme Day of the Woman de Meir Zarchi (1978) ou La Proie de l’auto-stop de Pasquale Festa Campanile (1977). Dans sa construction, le film obéit effectivement aux codes du rape and revenge mais le traitement de Ferrara détone complètement face à la dimension crapoteuse et cathartique du genre. La mise en scène adopte le caractère effacé (on distingue à peine sa silhouette en fond de cadre lors de l’ouverture à l’atelier de couture, elle marche en retrait de ses collègues à la sortie du travail) et apeuré de son héroïne Thama (Zoë Lund). 

Une des premières scènes voyant Thama et ses collègues marcher dans la rue, reluquées et lourdement haranguées par les hommes alentours nous signifie un monde extérieur hostile pour les femmes. Cependant quand ses congénères semblent avoir le caractère et le répondant pour en faire abstraction, Thama dans ses attitudes, l’allure godiche de ses tenues vestimentaires, semble constamment apeurée face à son environnement. Son handicap (elle est muette) l’expose plus à l’agressivité voire le paternalisme envahissant des autres (le patron de l’atelier, la voisine…) et cette vulnérabilité est parfaitement visible et exploitable par les prédateurs de tout bords. 

Thama va subir une terrible double agression qui va amener une rupture psychologique dans son rapport au monde. Ferra filme les deux traumatisantes agression dans une approche qui reflètera les failles futures de Thama. La première est fugace, brutale et furtive à l’abri d’une ruelle déserte. La seconde est lente, insoutenable et se déroule dans l’intimité de l’appartement de Thama. D’un côté se confirme et s’exacerbe la menace de l’extérieur, et de l’autre le foyer n’est pas un refuge mais le lieu où l’on s’enlise dans les idées noires. Cependant l’issue vengeresse de la seconde agression et le trophée acquis avec ce revolver va faire le lien entre l’intérieur et l’extérieur. Thama avec cette arme gagne d’abord un sentiment de sécurité et une confiance qui fera se liant entre l’intime et l’image qu’elle expose d’elle. Avant cela, Ferrara se livre à une étude psychologique quasi clinique de la meurtrissure que constitue un viol. Il use des codes du film de genre à des fins mentales (le jump-scare lorsque Thama voudra se dévêtir devant son miroir) et s’appuie sur la présence fébrile et à fleur de peau de Zoë Lund (la nature insupportable du moindre contact physique).

Cette hostilité latente de l’autre est représentée par la figure masculine uniquement vue sous le prisme de l’agresseur. Ferrara endosse le point de vue fébrile de son héroïne dont la catharsis s’exprimera, d’abord accidentellement, puis de façon recherchée, par la vengeance. Tous les hommes, du dragueur insistant au mac violent puis au quidam anonyme sont des menaces potentielles qu’il faut éliminer à coup de 45. Le mal-être qu'elle ne peut exprimer par le verbe tonnera à travers le canon de son revolver. Cela libère en Thama une féminité qui servira non pas à rééquilibrer ce rapport aux hommes mais à les châtier tous autant qu’ils sont. Ferrara passe d’un New York sordide, réaliste et dangereux à une cité aussi stylisée que l’allure glamour de son héroïne. La bande-son jusque-là neurasthénique s’orne de rythmiques disco, les ruelles se font plus bariolées et colorées (un passage dans Chinatown qui annonce China Girl (1987)), les protagonistes rencontrés deviennent plus pittoresques (ce gang tout droit échappé de Les Guerriers de la Nuit de Walter Hill, le cheikh en limousine). 

On a l’impression d’être dans un fantasme de toute puissance où Thama devient une super héroïne endossant son costume d’ange de la vengeance la nuit venue. Il n’est ainsi pas étonnant que le climax du film intervienne alors qu’elle arbore l’uniforme très iconique d’une religieuse sexy. Ferrara aura illustré cette mue, et finalement déshumanisation par étape, au gré des portions de corps humain de son agresseur que Thama aura disséminée dans la ville. Ferrara transcende les attentes putassières du genre auquel il s’attaque en exposant autant les failles que la force de son héroïne qui s’entremêlent et la mènent à sa destruction. Captivant et porté par une sacrée révélation en la personne de Zoë Lund encore à peine âgée de dix-sept ans. 

Sorti en bluray et dvd zone  français chez ESC


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