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mercredi 4 janvier 2023

Eros - Michelangelo Antonioni, Steven Soderbergh et Wong Kar-wai (2004)

Le Périlleux enchaînement des choses de Michelangelo Antonioni

Christopher et Cloe, un couple qui s'ennuie, passent leurs vacances près d'un lac en Toscane. Dans un restaurant sur la plage, ils rencontrent un très belle jeune femme, Linda. Cette dernière leur explique où elle vit : dans une tour médiévale. Elle invite le couple à s'y rendre.

Équilibre de Steven Soderbergh

En 1955, Nick Penrose travaille dans la publicité. Il subit une énorme pression au travail. Il raconte à son psychiatre, le Dr. Pearl, qu'il fait un rêve récurrent dans lequel il voit une belle femme nue dans son appartement.

La Main de Wong Kar Wai

À Hong Kong, dans les années 1960, un long flashforward montre la relation liant une prostituée et son tailleur, ainsi que la cruelle descente de la prostituée vers une mort certaine.

Eros est un film à sketches ayant pour thème central l’érotisme. C’est un projet à l’initiative du producteur français Stéphane Tchalgadjieff souhaitant réunir autour de Michelangelo Antonioni des réalisateurs contemporain familiers et admirateurs de son œuvre. Choix initial de la production, Pedro Almodovar pris sur le tournage de La Mauvaise éducation devra finalement se désister au profit de Steven Soderbergh qui avait clamé que Le Désert rouge d’Antonioni était un de ses films favoris. Antonioni est vraiment le fil rouge des trois récits puisque tous sont plus ou moins inspiré du recueil de nouvelle Ce bowling sur le Tibre publié en 1985, et duquel était déjà tiré Par-delà les nuages (1995), dernier long-métrage du cinéaste.

L’esthétique et les thèmes des trois réalisateurs se retrouve de manière marquée sur les trois sketches, mais pas forcément pour une grande réussite. Le Périlleux enchaînement des choses, segment d’Antonioni, reprend ainsi le principe d’incommunicabilité dans le couple sur fond d’errance physique et existentielle au cœur de certains de ses chefs d’œuvres comme La Nuit (1961), L’éclipse (1962) ou Le Désert rouge (1964). Mais alors que le réalisateur avait si bien su faire évoluer son style et fondre ses obsessions aux mouvements artistiques et soubresauts socio-politique de son époque dans Blow-up (1966), Zabriskie Point (1970) et Profession : reporter (1975), l’ensemble tourne à vide ici. Les protagonistes sont creux et sans charisme, leurs tourments sonnent faux et l’érotisme, certes appuyé, sert plus de cache-misère que de véritable moteur à l’intrigue. On pardonnera volontiers à un Antonioni ayant alors dépassé les 90 ans et qui s’offre un dernier tour de piste pas à la hauteur de ses chefs d’œuvre mais pas déshonorant non plus.

Équilibre, le segment de Steven Soderbergh, se situe à un moment clé de la carrière du cinéaste américain. Longtemps un électron libre incompris du paysage hollywoodien, Soderbergh sort alors d’un carré d’as qui l’a vu mettre dans sa poche le public, la critique et Oscars : Hors d’atteinte (1998), Erin Brockovich (2000), Traffic (2000) et Ocean’s Eleven (2001). Ce confort ne sied pas à l’expérimentateur qu’est Soderbergh qui va détricoter ce statut dans des films inclassables comme la satire Full Frontal (2002) et Solaris (2003), nouvelle adaptation du roman de Stanislaw Lem après le classique d’Andrei Tarkovski.

Autant dire qu’il ne s’acquitte pas docilement à l’argument érotique, posant ici ses velléités chichiteuse (la bascule du noir et blanc à la couleur), son plaisir du sabordage ironique (le psychanalyste joué par Alan Arkin vivant sa propre expérience érotique amusée en contrepoint de celle torturée de son patient Robert Downey jr) mais non dénué d’un vrai pouvoir de fascination. Les scènes de rêves et la perte de repère dans les niveaux de réalité, la gamme chromatique bleue et cette figure féminine évanescente offrent de courts instants de suspension intéressant. Cependant si Soderbergh à son meilleur est tout à fait capable de mêler vertige des sens et questionnement intime comme dans Sexe, mensonge et vidéo (1989), on est plus proche de l’exercice de style un peu vain ici.

Le chef d’œuvre a été gardé pour la fin avec le sketch La Main de Wong Kar Wai. Dans le Hong Kong des années 60, le jeune tailleur Zhang (Chang Chen) vit un amour chaste et silencieux pour une de ses clientes, la prostituée Mademoiselle Hua (Gong Li). Le film fut tourné en parallèle du marathon que fut le tournage de 2046 (2004) et il n’est pas étonnant d’en retrouver une partie du casting avec Gong Li et Chang Chen. L’ensemble apparaît d’ailleurs comme un véritable appendice de In the Mood for Love (2000) et 2046 avec ce cadre des années 60, cette ambiance faite de désirs étouffés et de non-dit. L’érotisme y est tout d’abord une affaire de pouvoir lorsque Mademoiselle Hua au sommet de sa beauté et de son pouvoir soumet le jeune et inexpérimenté (en femme comme en confection de robe) Zhang d’un touché rectal. 

L’expérience scelle la passion de ce dernier pour sa cliente dont il observe et écoute les amours à distance à chacune de ses visites, et se fait le témoin de sa déchéance sociale. Gong Li est absolument sublime de beauté hautaine d’abord, puis de vulnérabilité en ayant joué avec le feu entre son gigolo et son bienfaiteur nanti pour finalement tout perdre. Les différentes ellipses marquant sa chute la voient regarder progressivement d’un œil différent ce tailleur bienveillant venu prendre les mesures de robes qu’elle ne peut plus se payer. La mélancolie, les regrets de ce qui aurait pu être et la retenue de l’ensemble en font une sorte de quintessence du Wong Kar Wai première manière, mais annonce aussi le spleen de The Grandmaster (2013). Lorsque l’attrait entre Zhang et Mademoiselle Hua est enfin « consommé », ce sont les ultimes feux d’une passion avorté plus que l’érotisme en soit qui domine, et le mélo plutôt que l’excitation qui étreint le spectateur. La Main est un véritable trésor presque caché au sein de la filmographie de Wong kar Wai, et qui justifie à lui seul la vision d’Eros.

Sorti en bluray français chez Spectrum

 
 

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