Pages

dimanche 18 septembre 2011

The Lovers - Leung juk, Tsui Hark (1994)


Un haut fonctionnaire de la cour impériale rentre pour annoncer à sa femme qu'il compte marier leur fille unique, Chuk Ying-toi, à un des héritiers de la famille Ma. Afin d'assurer ce mariage, il fait passer à cette dernière un examen sur l'art, mais il comprend très vite que sa fille est incapable de jouer de la lyre, de rédiger ou de réciter un poème. La mère de Ying-Tai décide alors de l'envoyer au collège Sung Yee afin de parfaire son éducation, pendant trois ans, mais pour ce faire, la fille doit se travestir en garçon pour apprendre dans ce collège non-mixte. Après avoir été reçue par la Directrice de l'école, elle rejoint la bibliothèque, où elle s'apprête à dormir mais elle fait la rencontre du jeune Leung Shan-Pak qui ignore que Ying-Toi est une fille...

Tsui Hark réalisait avec The Lovers un de ses chef d'oeuvres avec lequel il arrivait au bout d'une réflexion qui avait cours depuis le début de sa carrière. Cinéaste rebelle en quête d'innovation et d'expérimentation, Tsui Hark a toujours eu une relation de fascination /répulsion avec la tradition et le folklore cinématographique de Hong Kong. En tant que spectateur, ils lui évoquent de merveilleux et nostalgiques souvenirs d’enfance mais comme artiste, ils représentent des icônes qu’il se doit de déboulonner. Avec trois premiers films brillant mais trop extrêmes (Butterfly Murders, Histoire de cannibales et L'Enfer des Armes) il rencontra des échecs publics retentissant. Comprenant son erreur il réalisera alors ses plus beaux films et obtiendra ses plus grands succès lorsqu’il parviendra à équilibrer ses velléités modernistes et le classicisme local. L’exemple le plus fameux reste la série des Il était une fois en Chine à travers laquelle il redéfinissait le héros chinois Wong Fei Hung.


Mais ses films les plus fascinants reste ceux où il se confronte aux contes traditionnels chinois pour les réinventer et les transcender à la fois comme Histoire de fantômes Chinois (nouvelle chinoise du XVIIe de Pu Song Lin dont il produisit l'adaptation à succès 1987), Green Snake (transposition du conte traditionnel chinois Madam White Snake) et donc The Lovers qui concluait cette trilogie.Avec The Lovers, Tsui Hark se frotte à un autre monument en adaptant la légende des « Amants papillons » en 1994. Les amours de Leung Shan-Pak et Chuk Ying-Toi, datés du IXe siècle constituent rien de moins que le Roméo et Juliette chinois.

 The Lovers est sans doute la plus équilibrée des relectures de contes traditionnels de Tsui Hark, malgré le risque énorme que représentait l’angle qu'il choisit pour sa version. L’élément déclencheur du récit vient d’un travestissement, Chuk Ying-Toi étant contrainte de se déguiser en garçon pour intégrer l’Ecole de futurs lettrés, alors encore interdite aux femmes. Le récit classique évitait d’aborder frontalement l’aspect tendancieux bien présent, puisque Leung Shan-Pak se découvre une attirance pour la jeune fille sans connaître son sexe réel. The Love Eterne de Li Han Hsiang (sorti en 1963), version filmée du conte la plus connue jusque-là, abordait déjà involontairement cette ambiguïté. Dans la grande tradition du cinéma classique cantonais d’alors privilégiant les stars féminines, les rôles des amants papillons étaient joués par deux femmes (une femme jouant un homme étant une convention parfaitement assimilée par le public chinois) ornant le film d’élans saphiques inattendus, surtout par la présence de Betty Lo Ti considérée comme la beauté chinoise classique.

Si l’homosexualité féminine peut être vaguement synonyme d’érotisme soft (et donnant un chef-d’œuvre du wu xia pian -film de sabre chinois- avec Intimate Confession of Chinese Courtesan de Chu Yuan en 1972), il en va tout autrement pour son versant masculin, véritable tabou chez le public cantonais. Alors que Wong Kar Wai à la même période transgresse l’interdit avec son Happy Together, Tsui Hark s’engouffre dans la facette trouble du conte pour l’accommoder à sa mesure. Bien qu’il soit accoutumé aux personnages androgynes (le plus fameux étant l’Invincible Asia jouée par Ling Chin Hsia dans Swordsman 2), il s’était montré peu à l’aise avec le thème jusqu’ici (la troupe de théâtre masculine très efféminée de Peking Opera Blues semble grossièrement comique). Bien que The Lovers ne soit pas dépourvu de ce genre d’éléments (le camarade de classe constamment qualifié de « douteux » par les autres), Tsui Hark fait preuve d’une subtilité et d’un aplomb étonnants, en faisant céder Leung Shan-pak (dont le désir se fait de plus en plus coupable) à sa passion pour Chuk Ying-Toi avant même de connaître son identité féminine. Un beau tour de force qui malmène la légende tout en la faisant retomber dans sa veine classique connue de tous. 

Tsui Hark respecte ainsi la trame originale, tout en maintenant constamment ce double niveau de lecture, sans appuyer outre mesure. Le spectateur intègrera d’ailleurs rapidement cette facette pour ne plus y prêter attention, l’histoire d’amour dépeinte ici étant certainement parmi les plus vibrantes jamais racontées. Les deux jeunes acteurs Charlie Young et Nicky Wu trouvent là les rôles de leur vie, touchants et drôles à la fois dans l’amitié puis l’amour les unissant progressivement. La première partie dans l’école dévoile de purs moments de charme et d’émotion à travers l’entraide mutuelle de Leung Shan-Pak et Chuk Ying-Toi. Tsui Hark distille ses thèmes sociaux par l’un (Leung Shan-Pak étudiant pauvre devant travailler pour payer ses études) et ses penchants féministes chez l’autre, par la fragilité mêlée de volonté d’émancipation de Charlie Young, prisonnière des carcans de la toute puissance masculine incarnée par le père tyrannique. L’univers bariolé de Green Snake laisse place à une reproduction idéalisée et magnifiée des décors studio de la Shaw Brothers, Tsui Hark en cinéphile averti s’inspirant visuellement du film de Li Han Hsiang. La perfection absolue après laquelle il court depuis des années sera atteinte à deux reprises dans The Lovers. Chuk Ying-Toi, punie par un professeur est contrainte de porter sa lyre les bras levés jusqu’au coucher du soleil. Ses forces l’abandonnent quand Leung Shan-Pak empoigne son instrument pour lui jouer une douce mélodie afin de la soutenir.

 Cette chanson n’est autre que le thème de l’opéra de 1958 inspiré des Amants papillons, un des thèmes musicaux les plus connus en Chine. Par la sublime réorchestration de James Wong (auteur d’une musique exceptionnelle une nouvelle fois), la fusion entre passé et présent, tradition et modernité est réalisée. Au début du film, Leung Shan-Pak est accusé par un professeur de manquer de grâce dans son jeu, car il n’est jamais tombé amoureux. Cette fois, ses sentiments s’élèvent au firmament des notes magiques qu’égrènent son instrument, ravivant les forces de Chuk Ying-Toi, alors qu’un montage alterné illustre la fusion s’opérant entre eux.

 Le deuxième très grand moment arrive lors de la dernière séquence. La dernière demi-heure aura vu la séparation inéluctable du couple par leur famille, Leung Shan-Pak venant d’une famille trop pauvre pour espérer épouser Chuk Ying-Toi. Des circonstances tragiques vont conduire à la mort de Leung Shan-Pak et au mariage forcé de celle-ci. Le cortège de mariage passant devant la tombe de Leung Shan-Pak, Chuk Ying-Toi décide de lui rendre un dernier hommage. C’est alors que les éléments se déchaînent, faisant tomber la mariée dans la tombe et réunissant les Amants papillons pour l’éternité. Totalement délesté de son côté frénétique et faisant ici preuve d’une approche contemplative admirable, Tsui Hark offre dans ce dernier instant un idéal de pur cinéma en nous délivrant un flot d’émotions bouleversantes par la seule force de l’image.

 Un des plus beaux films que le cinéma de Hong Kong nous ait offert, dont Tsui Hark réalisera l’exact inverse l’année suivante avec le barbare The Blade, non sans avoir entre temps réuni son couple vedette une seconde fois dans l’étourdissant Dans la nuit des temps, où leur alchimie fera à nouveau merveille.

Sorti en dvd zone 2 français chez HK Video

Extrait

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire