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lundi 9 avril 2018

L'Île aux chiens - Isle of Dogs, Wes Anderson (2018)


 En raison d’une épidémie de grippe canine, le maire de Megasaki ordonne la mise en quarantaine de tous les chiens de la ville, envoyés sur une île qui devient alors l’Ile aux Chiens. Le jeune Atari, 12 ans, vole un avion et se rend sur l’île pour rechercher son fidèle compagnon, Spots. Aidé par une bande de cinq chiens intrépides et attachants, il découvre une conspiration qui menace la ville.

L’île aux chiens est la seconde incursion de Wes Anderson dans le cinéma d’animation et la technique stop-motion après Fantastic Mr Fox (2009). Ce film avait constitué une vraie révolution pour le réalisateur, son sens du détail et fétichisme des objets et décors y gagnant en mouvement tout en perpétuant ses personnages d’homme-enfant irrésistible. Cette dimension cartoonesque irriguerait l’esthétique et les péripéties du merveilleux Moonrise Kingdom (2012) dont l’appel à l’aventure étendrait l’horizon du cinéaste cosy qu’était jusque-là Wes Anderson (l’odyssée de La Vie Aquatique (2004) avec l’artificialité assumée de ses fonds marins). Cette ouverture trouverait sa plénitude dans The Grand Budapest Hotel (2014) avec une ampleur se faisant temporelle et historique dans cette Europe de la Mitteleuropa où Anderson mêlerait sa préciosité formelle, ce dynamisme de l’animation et une profonde mélancolie du temps qui passe. L’île aux chiens retrouve formellement et thématiquement cette veine épique et politique pour une nouvelle grande réussite.

Dans un Japon alternatif, le maire d’une ville décide d’exiler en raison d’une mystérieuse grippe canine tous les chiens sur une île dépotoir. Le héros-enfant fuyant typique de Wes Anderson s’incarne ainsi à travers le jeune Atari qui va entamer une folle odyssée pour retrouver son chien Spots, premier déporté sur l’île. Tout le film exprime une forme de schizophrénie entre l’inné et l’acquis, la civilisation et le naturel, que ce soit à travers les choix visuels/narratif d’Anderson et les interactions entre les personnages. La maniaquerie du réalisateur (parfaitement à son aise dans l’exigence de la stop-motion) pourrait ainsi jurer avec la liberté attendue dans un grand film d’aventure. Cet équilibre entre la maîtrise et l’abandon est au cœur du film. Cela passe notamment par la langue avec le parti pris de faire s’exprimer les humains en japonais et les chiens en anglais. 

La facette saccadée et heurtée que peut avoir la langue japonaise rend ainsi les humains plus inquiétants (le maire de la ville est ses déclamations agressive) ou du moins perturbé (Atari enfant qui a frôlé la mort et qui passe le film avec un morceau de métal dans le crâne) que les chiens s’exprimant dans un anglais précieux. La rigoureuse géométrie urbaine de la cité de Megasaki dissimule ainsi des hommes haineux nourrissant ou se laissant guider par une haine de « l’autre » représenté par les chiens. Anderson revêt cette haine d’une dimension légendaire et ancestrale dans un magnifique prologue, mais également bien contemporaine avec une population de mouton prête à céder à la peur à coup de désinformation. A l’inverse les chiens sont caractérisés sans négliger leurs profonds instincts animaliers (la scène d’ouverture où ils s’affrontent pour une maigre pitance) mais apparaissent comme plus purs et bienveillants.

La langue est trompeuse chez les humains adultes où elle est pourtant souvent traduite par une interprète et/ou sous-titrée. La pureté des sentiments domine dans le rapport d’Atari aux chiens où se noue une forme de compréhension naturelle, Anderson faisant confiance à la seule image et langage corporel pour traduire l’idée au spectateur jamais dérangé par le japonais. Ce sera d’autant plus frappant dans l’amitié qui va se nouer entre Atari et Chief, chien errant plus réfractaire à l’homme que ses acolytes qui ont été animaux domestique. Tout le processus d’apprivoisement mutuel semble faussement reproduire un schéma dominant/dominé entre le chien et l’enfant mais traduit cependant leur solitude mutuelle et besoin d’affection. 

Atari lance ainsi un objet que Chief doit rapporter mais ce dernier peu au fait de ces pratiques s’y refuse et laissera plus tard l’enfant à son sort. Le geste de l’enfant relevait plus d’une volonté de rapprochement avec l’animal que de soumission, le retour de Chief amenant à une vraie démonstration d’amour quand il lui donnera le bain. L’île aux chiens est un lieu d’exil et de cauchemar, mais aussi un espace délesté de l’hypocrisie de la civilisation où l’on s’échappe à l’image des jeunes fugitifs amoureux de Moonrise Kingdom.

Cette émotion à fleur de peau exprime donc une liberté où l’abandon relève d’un décalage amusé (le nuage que forment les bagarres selon une pure convention de cartoon) et d’écarts gore surprenant. Toute la dichotomie d’Anderson entre maîtrise et anarchie se trouve là, notamment dans l’inspiration visuelle japonaise. La précision lente et la symétrie des cadrages rappellent le cinéma d’Ozu, la progression du récit au fil des rencontres vers un grand tout épique rappelle le Kurosawa de La Forteresse cachée (1958), sans parler des clins d’œil à la peinture japonaise avec cette fresque canine qui revisite l’art d’Hokusai. 

L’ampleur progressive de l’espace lorgne sur la tradition des estampes naturelles de paysage notamment dans un magnifique plan d’ensemble où Atari monte sur Chief pour scruter l’horizon  dans un ciel couchant. Tout cela vient se percuter à une influence plus occidentale où les décors modernes rappellent la folie de certaines créations de Ken Adam pour les James Bond ou Kubrick, mais également un sens étourdissant de la montée de suspense (Atari et ses acolytes encerclé par l’armée et les chiens robots menaçants) lorgnant sur Brian De Palma. 

Wes Anderson sous ses élans acidulés livre donc un récit étonnamment engagé, la métaphore entre les migrants et les chiens étant évidente sans en rester à cette seule interprétation puisque l’ombre du traumatisant The Plague Dogs de Martin Rosen (1982) plane quand les maltraitances scientifiques aux animaux sont évoquées. Tout comme cette dichotomie anarchie/maîtrise est un tout dans la personnalité de Wes Anderson, il évite au final un regard unidimensionnel dans l’univers qu’il dépeint. Une forme de naïveté lui permet de voir la possibilité de surmonter cette tradition de la haine lors du final, mais également une transmission de ce lien affectif et domestique qui lie le chien à son maître enfin réunis. La révolution canine ne vise pas la vengeance mais les retrouvailles avec l'homme. Une fable foisonnante, touchante et ludique pour une grande réussite de plus de Wes Anderson.

En salle 

jeudi 5 avril 2018

L'Amour d'une femme - Jean Grémillon (1953)

Marie, un jeune médecin, remplace sur l’île d’Ouessant, le vieux praticien qui prend sa retraite. Malgré les préjugés des insulaires, elle parvient à se faire accepter. Elle noue des liens d'amitié avec l'institutrice, également proche de la retraite, Germaine Leblanc. André, un ingénieur installé provisoirement sur l'île pour un chantier, tombe amoureux d'elle. D'abord réticente, elle sort avec lui, au risque de compromettre sa réputation. Il la demande en mariage, mais exige qu'elle renonce pour cela à son métier.

L'Amour d'une femme est le dernier film d'un Jean Grémillon qui ne retrouvera l'occasion de passer derrière la caméra que le temps de trois courts-métrages documentaires par la suite. Il s'agit d'un scénario original de Grémillon coécrit avec René Fallet et René Wheeler et le réalisateur y offre une sorte de condensé épuré de ses grands films des années 40. Dans nombre de films de Grémillon, il est question de romances contrariées par un clivage social (le couple de Gueule d'amour (1938)) ou un conflit moral (la relation adultère de Remorques (1941)) pouvant s'exacerber dans le cadre de communauté isolées telles que la province minière de Lumière d'été (1943) ou celle portuaire de Pattes blanches (1949). On retrouve tout cela ici mais dans une forme d'épure dénuée des tics d'écriture du réalisme poétique ou de la "qualité française" des années cinquante. Point de personnages tourmentés, de construction dramatique tirant vers une noirceur attendue ou de grand final soufflant un romanesque ténébreux. Grémillon offre ici une sorte de pendant lumineux de Pattes blanches où l'élément féminin extérieur est source d'apaisement sans totalement perdre sa nature sacrificielle.

Marie (Micheline Presle) est une femme médecin venue officier sur l'île d'Ouessant. On évite le cliché de la communauté isolée, rugueuse et méfiante (si ce n'est une plaisanterie dont sera victime Marie) puisqu'après avoir montré ses compétences en sauvant une petite fille, Marie est rapidement adoptée par les habitants. L'isolement se ressentira plutôt à travers l'avenir qui se pose à elle en exerçant sa profession sur le long terme dans cet environnement loin de tout. Elle aura notamment l'exemple de son prédécesseur le docteur Morel (Robert Naly) repartant vieillard et usé après trente ans de bons et loyaux service. Le plus significatif sera cependant celui de l'institutrice Germaine Leblanc (Gaby Morlay) prochainement amenée à quitter ses fonctions célibataire et sans enfants si ce n'est ceux qu'elle a accompagné dans leur éducation durant toutes ces années. Lorsque Marie tombera amoureuse d'André (Massimo Girotti) un ingénieur de passage sur l'île le temps de son chantier, le conflit entre son sacerdoce et ses aspirations de femme va la tirailler.

Grémillon oppose tout au long du film la satisfaction commune de Marie et ses patients avec celle intime ressenti au contact d'André. C'est le motif de son refus initial puis la raison d'un premier rendez-vous manqué. L'enchaînement des scènes obéit à ce doute permanent, la méticulosité attentive qui voit Marie sauver une fillette fiévreuse étant suivie d'une magnifique scène de rencontre nocturne où le rapprochement se fait avec André. Quand elle s'abandonnera trop intensément à son amour, un montage alterné la trahira avec le décès d'un personnage emblématique. Micheline Presle apaisée et le sentiment du devoir rempli après un bienfait au service de la communauté oppose un jeu plus à fleur de peau et ardent dans les bras de Massimo Girotti. L'assurance de son métier, savoir et l'attente des autres à son égard lui confère une autorité naturelle (la haletante scène d'opération de la dernière partie) qui s'estompe quand il est question de ses propres sentiments et du choix de suivre André qui veut d'une épouse traditionnelle. Il y a également de la part du réalisateur un jeu sur l'espace où il se plait à fondre Marie de façon très différente selon les moments.

L'isolement positif ou négatif se ressent dans les grands espaces, la rencontre en plein jour des amoureux s'amorçant dans un plan large où ils semblent seuls au monde alors que le village poursuit son activité autour d'eux. A l'inverse nombre de scènes d'intérieur tissent la communion de l'héroïne avec les locaux conquis par son abnégation et les amènent à l'adopter. La mère anxieuse de la petite fille malade l'observe ainsi puis la remercie chaleureusement dans l'exiguïté de sa maison puis le sauvetage final sera suivi d'une grande beuverie au bar de l'île où Marie se fond parmi les joyeux buveurs qui l'ont adoubée. Les deux scènes d'enterrements du film illustrent ce côté à la fois dedans et en dehors de Marie, la pittoresque de la première parade funéraire s'observant avec la curiosité de la nouvelle arrivante alors que la douleur de la seconde se ressent avec le sentiment d'appartenance à ce monde - mais aussi le désir de le fuir en étant ainsi crûment exposé à sa solitude.

Tout cela s'exprime dans une veine intimiste et dénuée de toute flamboyance ou dramatisation forcée, la tonalité intimiste dominant l'ensemble si ce n'est dans la façon dont Grémillon magnifie cette espace naturel et la beauté de ces acteurs (la photo de Louis Page prend le même soin à mettre en valeur nature et décor que le moindre gros plan chargé d'amour de Micheline Presle). Cela passe aussi par la subtilité d'écriture des personnages. Massimo Girotti est très loin du rustre machiste italien et hésite toujours entre volonté d'imposer son amour et culpabilité pour les même raisons dont il voit bien la façon dont il freinera la destinée de Marie. Micheline Presle quant à elle oscille entre farouche indépendance et romance éperdue, le tout se ressentant le plus souvent dans son jeu plutôt que des dialogues qui surlignerait inutilement.

C'est d'ailleurs sans un mot et sur un gros plan de son visage et de ses yeux embués de larmes que se conclut le film (rappelant la magistrale conclusion de Remorques avec le même effet sur Jean Gabin), dans un sentiment incertain entre la responsabilité et la résignation. Magnifique film où l'on regrettera juste le doublage de Massimo Girotti (le doubleur ayant une voix bien moins imposante) qui parlait pourtant bien français - arrivé en France une heure avant le premier clap, il n'aura pas eu les quelques jours pour le rafraîchir d'où la solution fâcheuse du doublage. Belle conclusion mais échec cinglant en salle pour Jean Grémillon dont la carrière ne se relèvera pas.

Sorti en dvd zone 2 français chez Gaumont et surtout dans un magnfique bluray anglais chez Arrow 

 Extrait

 

mardi 3 avril 2018

High Fidelity - Stephen Frears (2000)

Rob Gordon tient à Chicago une boutique de disques fréquentée par des amateurs de vinyles, d'albums rares et ésotériques des années soixante et soixante-dix. Sa vie entière est placée sous le signe de la pop. C'est en elle qu'il puise le courage d'affronter le quotidien, c'est elle qui l'accompagne depuis toujours dans ses tribulations sentimentales et donne un sens à son existence. Après avoir enduré moult ruptures, Rob est une fois de plus plaqué. Il s'efforce de comprendre les raisons de ce nouvel échec. Il décide de relancer ses ex pour trouver la clé de l'énigme.

Stephen Frears adapte avec High Fidelity le cultissime roman éponyme de Nick Hornby. Deuxième livre d'Hornby, High Fidelity forme avec Carton jaune et À propos d'un gamin une sorte de trilogie sur l'immaturité du trentenaire masculin. Avec Carton jaune (qui connaîtra deux adaptations) et High Fidelity, Hornby centrait une partie des problèmes de ses héros autour de leurs passions pour le football et la musique qui sont également celles de l'auteur et revêtent donc une grande part autobiographique. Stephen Frears avait apprécié le livre sans en être non plus un grand admirateur et c'est grâce à la volonté de John Cusack et du scénariste D.V. DeVincentis, tous deux dingues de musiques, que le projet verra jour.

Le film perd un peu de la spécificité du livre en transposant l'intrigue de l'Angleterre aux Etats-Unis et plus précisément de Londres à Chicago. La grisaille londonienne sied mieux au moment de spleen de Rob (John Cusack) et malgré une volonté évidente de montrer un Chicago plus interlope (une seule séquence révèle réellement l'urbanité de la ville) on ressent tout de même qu'un certain esprit s'est perdu en route. De ce choix découle aussi une bande-son chiadée (The Velvet Underground, Bruce Springsteen, Aretha Franklin) mais plus attendue et moins au centre du récit (le légendaire passage où Rob se trouve face une épouse aigrie bradant la collection de rêve de son mari volage sera tournée mais coupée au montage). Stephen Frears ne parvient pas à traduire par un film réellement "musical" le côté obsessionnel de son héros (les fameux tops 5 musicaux divers et variés du livre sont amenés de façon quelconque ne suscitant pas la même jubilation que pour le lecteur mélomane) et s'appuie plutôt sur l'étude de caractère à travers la géniale interprétation de John Cusack.

L'acteur offre un hilarant patchwork de tares masculines en se montrant tour à tour jaloux, de mauvaise foi, imbu de lui-même ou pathétique d'auto-apitoiement. Le fil rouge sera le souvenir de ses cinq plus douloureuses ruptures pour atténuer celle de sa plus récente avec Laura (Iben Hjejle) dont il peine à se remettre. Montage dynamique et astucieux accompagne des monologues rompant le quatrième mur pour dresser le caractère autocentré de Rob dont la passion musicale aura toujours constitué un refuge/prétexte face à la réalité (la manie de reclasser ses vinyles après une rupture amoureuse) et empêché d'avancer.

Frears met au cœur du récit cet aspect en interrogeant l'obsession musicale de Rob comme cause ou conséquence de ses déboires, les moments embarrassants avec Laura se conjuguant aux hilarantes scènes en magasin avec les deux acolytes Dick (Todd Louiso) et Barry (Jack Black révélation du film qui comporte ce degré de folie et d'outrance qui manque au reste). Là encore la dimension musicale reste en surface et prétexte comique quand tous les moments intimistes fonctionnent parfaitement, l'agitation de John Cusack étant contrebalancée par la résignation silencieuse d'une excellente Iben Hjejle.

L'universalité recherchée par Frears en fait un modèle de comédie romantique subtile mais fait perdre une partie de l'humour et du sens du rythme inhérent à la geekerie musicale (malgré quelques éléments comme la compilation cassette) contenue dans l'écriture de Nick Hornby. Un film attachant et agréable mais à l'identité moins forte que son modèle papier (Carton jaune (1997) sur un scénario de Nick Hornby était plus équilibré entre l'intime et univers des footeux) pour toucher au plus grand nombre. Détail amusant alors que le contexte du film tendait à être désuet les années suivantes, il redevient vivace avec le nouvel essor du vinyle et l'objet physique.

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Touchstone et le roman est édité aux éditions 10/18 

lundi 2 avril 2018

La Pièce maudite - The Brasher Doubloon, John Brahm (1947)


Le détective privé Philip Marlowe est engagé par une riche veuve, Elizabeth Murdock, pour trouver une pièce de collection connue du nom de Brasher Doubloon. Marlow se retrouve au milieu d'une affaire bien plus compliquée, avec chantage et meurtre, qui l'oblige à côtoyer un nombre d'étranges individus. Ceci inclus Merle Davis, la secrétaire plutôt dérangée de Mme Murdock, le rôle de cette dernière étant beaucoup plus sinistre qu'il parait.

Les années 40 sont la période faste de la carrière de John Brahm qui signera ses plus belles réussites à la Fox. Le réalisateur s’inscrit dans les grands genres en vogue de la période tout en se les appropriant par sa virtuosité formelle. Jack l’éventreur (1944) et Hangover Square (1945) surfent sur le courant du thriller et de l’épouvante gothique, Le Médaillon (1946) sur le film noir psychanalytique tandis que Singapour (1947) figure parmi les variations réussies de Casablanca (1942). Avec La Pièce maudite, c’est donc l’occasion pour Brahm d’adapter le célèbre détective privé de Raymond Chandler, Philip Marlowe. Il s’agit déjà la de la sixième aventures cinématographique de Marlowe, la plus mémorable et l’interprétation la plus marquante du personnage demeurant celle d’Humphrey Bogart dans Le Grand Sommeil d’Howard Hawks (1946). L’univers de Raymond Chandler se prête particulièrement bien aux audacieuses variations sur le même thème, qu’elles soient narratives avec la tortueuse intrigue de Le Grand Sommeil, stylisée pour La Dame du lac et sa caméra subjective (1947) ou encore la modernisation désabusée de Le Privé (1973). 

On pouvait espérer que John Brahm s’approprie à son tour le personnage de façon mémorable mais le film reste finalement assez sage. Le film adapte le roman La Grande Fenêtre (une première adaptation avec Lloyd Nolan en Marlowe fut produite en 1942) et déroule sans trop de surprise le programme attendu. L’intrigue nébuleuse voit Marlowe (George Montgomery) engagé pour retrouver une pièce de collection dérobée à une riche veuve. Le culte de du secret de sa commanditaire n’a d’égale que les rencontres dangereuses et inattendues que lui réserve son enquête. Conscient de ses zones d’ombres, Marlowe ne l’accepte que sous le charme de Merle Davis (Nancy Guild), la charmante et très torturée secrétaire de Mme Murdock. La résolution fera preuve d’une vraie originalité avec son mystère résolu dans les rushes d’un film amateur mais tout ce qui précède aura été fort poussif. 

Les indices et les situations peinent à distiller l’aura d’étrangeté qui auraient pu captiver malgré l’intrigue un peu lâche et visuellement John Brahm se montre trop sobre. Quelques fulgurances laissent éclater ses élans gothiques (la scène nocturnes où Marlowe s’introduit chez Mme Murdock) et la mise en scène se fait percutante lors des scènes de bagarres mais dans l’ensemble ni l’histoire ni l’approche formelle ne suscitera de surprise. Néanmoins il faut saluer l’interprétation pleine de panache de George Montgomery, moins glaciale et pince-sans-rire qu’un Bogart mais tout en arrogance rieuse et juvénile qui fonctionne très bien. La tension érotique entre lui et la troublante Nancy Guild offre les quelques sorties de route qui manquent au film qui donne plus dans la série B sage. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Rimini