Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 15 septembre 2017

Remorques - Jean Grémillon (1941)

A bord du remorqueur le Cyclone, le capitaine André Laurent risque sa vie tous les jours, pour sauver celle des autres. Il est marié à Yvonne, qui souhaite qu'il quitte ce métier. Celle-ci lui cache sa grave maladie. Le capitaine Laurent, doit quitter précipitamment la noce d'un de ses marins pour porter secours au cargo Mirva, laissant sa femme Yvonne et la mariée. Le sauvetage, après quelques péripéties, va réussir et les passagers sont secourus. Au matin, le Cyclone remorque le Mirva. André tombe amoureux de Catherine, la femme du capitaine renégat du Mirva et elle va devenir sa maîtresse.

Jean Grémillon retrouve avec Remorques Jean Gabin, sa star de Gueule d'amour (1937) l'œuvre qui lui permit de relancer sa carrière de réalisateur. Grémillon avait enchaîné ensuite avec le succès de L'Étrange Monsieur Victor. Il pouvait ainsi soumettre à au producteur Raoul Ploquin son désir d'adapter le roman Remorques de Roger Vercel paru en 1935. La production connaîtra moult soubresauts et ce dès l'écriture du scénario. Les premiers jets écrits par Charles Spaak et André Cayatte et Grémillon plutôt fidèle au livre (soi la vengeance d'une femme témoignant contre son époux ayant escroqué des remorqueurs venus à son secours en pleine tempête) déplaisent à Gabin qui convoque Jacques Prévert pour une réécriture plus radicale. C'est une romance tragique qui est désormais au centre du récit, profitant de la réunion du mythique couple de Quai des brumes de Marcel Carné (1938), Jean Gabin/Michèle Morgan. Les ennuis se poursuivent une fois le tournage entamé puisque celui-ci est interrompu par l'entrée dans la Seconde Guerre Mondiale puis l'arrivée en France de l'envahisseur allemand. Le décorateur Alexandre Trauner et le producteur Joseph Lucachevitch (qui a repris le projet suite au retrait de la UFA dont Raoul Ploquin dirigeait la branche française) tous deux juifs quittent Paris et Jean Gabin part rejoindre Michèle Morgan à Hollywood. Grémillon une fois démobilisé termine donc le film comme il peut, renonçant notamment aux extérieurs pour les scènes maritimes filmées en studio et le tournage s'achèvera près de deux ans près le premier clap.

Dans Gueule d'amour, Jean Grémillon déconstruisait le Jean Gabin séducteur en le rendant totalement soumis et vulnérable à l'amour d'une femme indigne qu'incarnait Mireille Balin. Dans Remorques, c'est plutôt le Gabin ouvrier et chef de bande charismatique qui tombe de son piédestal. Avec ce capitaine André Laurent à la tête d'un navire remorqueur et en responsabilité d'un groupe de marin, le mimétisme avec d'autres rôles fameux se fait automatiquement. La locomotive de La Bête humaine (1938) est remplacée par un bateau, le groupe de travailleur de La Belle équipe (1936) par l'équipage de marin dont la subsistance dépend du brio de Gabin. Le film s'ouvre donc sur une scène célébrant cette communion ouvrière à travers le mariage d'un des marins mais exprime aussi les angoisses étouffées de ce dangereux métier pour les couples, l'attention passant des jeunes mariés à André et son épouse Yvonne (Madeleine Renaud) lasse de cette existence.

Une violente tempête vient d'ailleurs interrompre les festivités et André y perdra matériellement face à un navigateur escroc (Jean Marchat) tout en gagnant en tombant amoureux de Catherine (Michèle Morgan), l'épouse de ce dernier. Cette entrée en matière symbolise ainsi l'adrénaline et le renouveau permanent que constituent les périlleux sauvetages pour André, fuyant et repoussant constamment les demandes de son épouse aspirant à une vie plus casanière. Jean Grémillon donne à la fois panache et sens des responsabilités à Gabin, l'assurance en mer du héros se conjuguant à un caractère paternel pour ses hommes sur terre notamment le personnage de mari cocu et raillé qu'incarne Charles Blavette. Ainsi malgré la mélancolie de Madeleine Renaud, le caractère d'André s'équilibre entre sa nature aventureuse et responsable (l'emploi de son équipage dépendant de son maintien en tant que capitaine).

Tout volera en éclat avec la passion d'André pour Catherine. Grémillon amène pourtant ce trouble progressivement, en dépouillant visuellement André de ses responsabilités. Lors de leur première rencontre en plein sauvetage, André rabroue avec gouaille Catherine, tout obnubilé qu'il est par sa tâche et la ramène sans ciller à son époux corrompu qu'il allongera d'ailleurs d'un coup de poing. La rencontre inopinée en tête à tête, la ballade sur une plage déserte puis la visite d'une maison vide déleste André de ce qu'il représente (un capitaine, un ami et un époux) et le laisse démunis face à ce qu'il est aussi : un homme capable d'amour et de désir. Gabin exprime cette vulnérabilité avec une plus grande subtilité que dans Gueule d'amour et Jean Grémillon n'en fait pas cette fois une déchéance impudique pour l'acteur. Les silences, la gouaille virile perdue et l'agressivité inopinée pour masquer l'émergence d'une sensibilité enfouie, Gabin révèle tout cela dans une grande pudeur que Grémillon se charge de magnifier. Les mots qu'il ne sait trouver, Catherine l'incite à les exprimer par le geste en lui susurrant un langoureux embrasse-moi, leur disparition hors-champ puis l'ombre des nuages survolant la plage illustrant l'ellipse de leur étreinte.

En redevenant homme, André laisse aussi son environnement lui échapper, basiquement en ne souciant pas assez vite de sa mission maritime et tragiquement en ne voyant pas la maladie de son épouse. Grémillon crée une sorte de parallèle entre l'épouse et l'amante par la photo d'Armand Thirard. Dans les dernières scènes la photo de Thirard éclaire le visage et le regard de Michèle Morgan dans une chambre pourtant privée d'électricité par la tempête, laissant vibrer la passion tandis que l'ombre de la pièce isole mais affirme aussi le destin impossible de cette union. Dans la scène suivante où Gabin est au chevet de Madeleine Renaud, l'ombre inonde le visage de celle-ci pour révéler un avenir tout aussi impossible mais dans une pulsion de mort. Le final aux accents religieux (que Prévert n'aimait pas) réduit et condamne ainsi Gabin à son seul sacerdoce des mers, et seules ses larmes se mélangeant à la pluie tombante l'autorise encore à révéler ses failles d'homme.

 Sorti en dvd zone 2 français chez Mk2

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