Nicolas, onze ans, vit
avec sa mère dans un village isolé au bord de l’océan, peuplé uniquement de
femmes et de garçons de son âge. Dans un hôpital qui surplombe la mer, tous les
enfants reçoivent un mystérieux traitement. Nicolas est le seul à se
questionner. Il a l’impression que sa mère lui ment et il voudrait savoir ce
qu’elle fait la nuit sur la plage avec les autres femmes. Au cours des étranges
et inquiétantes découvertes qu’il fera, Nicolas trouvera une alliée inattendue
en la personne d’une jeune infirmière de l’hôpital…
Onze ans après le troublant Innocence, Lucile Hadzihalilovic signait enfin son second film avec
Évolution pour un résultat tout aussi
fascinant. Tout comme dans Innocence la
réalisatrice dépeint un espace isolé et abstrait où vivent des enfants, cadre
servant une nouvelle fois une métaphore sur la puberté et le passage à l’âge
adulte. Innocence en transposant la
nouvelle de Frank Wedekind de 1888 aux années 60 se référait ainsi à la propre
enfance de Lucile Hadzihalilovic. La préciosité des environnements, le
fétichisme sur les uniformes des fillettes, leurs jeux et activités relevait
donc de ce souvenir tout en l’emmenant vers un mystère plus trouble. Évolution naît également d’un souvenir d’enfance
marquant pour la réalisatrice, le séjour à l’hôpital et l’opération de l’appendicite
qui subit à l’âge de onze ans (âge clé dans ses deux films). Cette première expérience d’un corps touché,
manipulé et « ouvert » par des étrangers irrigue le film sur
différents points.
Évolution dans
cette idée du rapport aux corps est un film plus organique et sensoriel qu’Innocence. Ce sera le cas tout d’abord
par son environnement avec cette île isolée et hors du temps, la photographie
de Manuel Dacosse donnant à la mer, sa faune et ses falaises des contours qui
semblent presque ceux d’une autre planète ou d’un univers parallèle. Il en va
de même pour le cadre hospitalier où de même choix formels marqués en font un
espace à la fois réaliste et cauchemardesque, la blancheur clinique des
uniformes d’infirmières contrebalançant avec la texture verte oppressante des
murs, les chairs à vif alternant avec les instruments médicaux vu comme des
objets de tortures. Tout cela est amené progressivement dans ces lieux étranges
où des jeunes garçons sont surveillés plus qu’élevés par des femmes/nymphes à l’allure
uniforme et au teint pâle. L’aspect médical inquiétant est amené par les repas
informes et le traitement que doivent suivre les enfants déambulant sans but
sur cette île. Le héros Nicolas (Max Brebant) est pourtant méfiant est alerté
par les mœurs curieuses de ces mères/geôlières à la bienveillance inquiétante.
Tous ces questionnements se manifestent par l’image, le
spectateur constant les dysfonctionnements avec son personnage principal et
ceux-ci se révélant en situation et sans dialogues explicatifs. Les visions
étranges (le cadavre sous-marin, l’étoile de mer au mouvement incertain), la
répétitivité des situations (l’instance des femmes à faire suivre le traitement
aux enfants) et la caractérisation des femmes (qui hormis Julie Parmentier et
Roxane Duran semblent constituer une entité uniforme) distillent peu à peu
cette inquiétude. Lorsque les garçons exprimeront une curiosité et indépendance
inhérente à leur âge et transformation qui en découle, ils seront isolés et
enfermés à l’hôpital car désormais mûrs à endosser leur « fonction »
biologique. Cette dimension organique est donc corporellement intrusive et
traumatisante pour les enfants et Lucile Hadzihalilovic multiplie les visions
de chairs malmenées de façons froide ou à vif. C’est une souillure qui inverse
également les genres et altère la notion d’humanité en rendant universels des
maux plus spécifiquement féminins de façon inquiétante.
L’autre intérêt du film est d’opposer cette notion organique
à celle de l’intellect et du libre-arbitre. Cela s’incarne dans les deux figures
féminines avec la « mère » (Julie-Marie Parmentier) froid
prolongement de ce monde ou les individus et les chairs s’entremêlent dans une
même agression. A l’inverse Stella (Roxane Duran) se montre curieuse de l’imaginaire
de Nicolas à travers ces dessins, le stimule et l’extrait de cette neutralité
oppressante. Dès lors Lucile Hadzihalilovic alterne l’imagerie clinique et
uniforme des enfants cobaye avec des séquences poétiques où Nicolas s’évade
avec Stella dans des créations envoutantes rattachées à ce monde sous-marin.
Les compositions de plans majestueuses isolent Stella et
Nicolas, les lents mouvements de caméra les accompagnent dans leurs
pérégrinations marines et la réalisatrice capture une tendresse ambigüe
synonyme de premiers émois érotiques. C’est une proposition de cinéma
fantastique à la fois exigeante et laissant libre cours à l’attention et l’imaginaire
du spectateur, y compris dans une conclusion muette absolument magnifique. Une
continuité et un renouvellement passion des pistes amorcées dans Innocence. On
espère ne pas avoir à attendre encore onze ans pour le prochain film de la
talentueuse Lucile Hadzihalilovic.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Potemkine
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