Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

samedi 30 septembre 2017

Barberousse - Akahige, Akira Kurosawa (1965)


Etudiant en médecine formé aux méthodes hollandaises et promis à un poste à la cour, le jeune Yasumoto se retrouve dans un dispensaire pour ce qu’il croit être une simple visite. C’est pourtant là qu’il poursuivra sa formation, guidé par Barberousse, un médecin idéaliste luttant contre la misère et l’ignorance.

Barberousse est un film pensé par Akira Kurosawa comme une œuvre somme de sa vision du monde. Le film constitue son ultime incursion dans le jidai-geki avant longtemps (avec Kagemusha quinze ans plus tard), et marque la fin d’un cycle avec un dernier projet pharaonique pour la Toho et la fin de sa collaboration avec Toshiro Mifune. Barberousse s’inscrit dans un cycle de la misère initié par L’Ange ivre (1948), Les Bas-fonds (1957) et qui se poursuivra avec Dode’s Kaden (1970). Kurosawa adapte pour la seconde fois (après Sanjuro (1962)) Shūgorō Yamamoto avec son roman Akahige shinryotan paru en 1958. Le récit évoque donc le quotidien d’un vrai dispensaire pour pauvre ayant existé durant l’ère Edo. Des moyens pharaonique, un tournage de près de deux ans et une reconstitution historique maniaque de Kurosawa (reproduction à l’identique du dispensaire, de l’agencement de ses pièces et du rangement de ses médicaments, construction d’un quartier entier de la ville) seront paradoxalement au service d’un film profondément intimiste. On suivra le cheminement du jeune médecin Yasumoto (Yūzō Kayama) au contact de l’expérimenté Barberousse (Toshiro Mifune).

Le propos de Kurosawa n’est pas de nous apprendre à voir la pauvreté, mais de voir les destinées tragiques et les être qui s’illustrent sous le vernis misérable. La scène d’ouverture où Yasumoto visite contraint le dispensaire est parfaitement à propos, le personnage ne voyant que crasse, odeurs nauséabondes et conditions insalubres plutôt que ceux qui les subissent. Tout le parcours initiatique de Yasumoto consistera à surmonter ses propres fêlures (une ambition contrariée et une déception amoureuse) pour la mettre au service des pauvres dont la douleur finira enfin par éveiller son empathie humaine, et donc sa vocation de médecin. Kurosawa expose le personnage sacrificiel de Sahachi (Tsutomu Yamazaki), mourant au service des autres justement pour dépasser la tragédie de son existence qui se révèlera en flashback. L’expression de ces maux passe par les mots et se ressentent à travers le regard changeant de Yasumoto. 

La misère se raconte par ceux qui la vivent et Kurosawa orchestre tour à tour un flashback crépusculaire narré en voix-off par Sahachi, le silence étouffé d’un vieillard mourant et le récit bouleversant de sa fille. Kurosawa alterne le mélodrame ample et marqué par le destin pour le flashback (le tremblement de terre qui scelle le bonheur du couple), le cauchemar claustrophobe pour le dernier râle du vieillard et une mise en scène très étudiée alterne gros plan et plan d’ensemble pour les confessions de la fille. Ainsi s’affirme l’expression d’une misère dont la nature dépasse la simple dégradation physique ou le manque d’hygiène, et la mise en scène appuie constamment le regard de plus en plus impliqué de Yasumoto. Ce n’est donc qu’au bout d’une heure et demie que le disciple semble prêt à apprendre du maître (Kurosawa contrairement à L’Ange ivre endosse d’ailleurs le regard du disciple plutôt que le mentor) et endosse l’uniforme du dispensaire.

Barberousse est un passeur, un pivot et un idéal de dévotion suscitant l’admiration de Yasumoto. Ce personnage trop parfait sera la source de la rupture entre Kurosawa et Mifune en plus de bisbille financières puisque Mifune endetté ne peut rien tourner d’autre sur le tournage marathon et ne pouvant raser sa barbe. Le scénario a beau conférer à Barberousse quelques failles et actes répréhensibles (toujours pour la bonne cause malgré tout), l’interprétation bougonne mais toujours stoïque de l’acteur en fait une figure héroïque inaccessible. Cela donne cependant quelques moments jubilatoire quand Mifune nous rappelle son passif martial quand il corrigera une dizaine de voyous pour extirper une fillette d’une maison close. La tirade qui précède la mémorable raclée (Je suis docteur. Je ne vais pas vous tuer. Mais je risque de briser quelques os.) nous ramène à la truculence de Sanjuro tandis que la séquence magnifie la puissance de Mifune par la caméra en mouvement et le bruitage décuplé des os brisés. La bonté innée de Barberousse lui confère une hauteur moins immédiatement touchante que les autres protagonistes même si le charisme de Toshiro Mifune en fait une de ses interprétations les plus mémorables. L’émotion naîtra toujours de cette transformation des fêlures en énergie à consacrer aux autres, notamment celui de la jeune Otoyo (Terumi Niki) arrachée aux maltraitances d’une mère maquerelle. 

La fillette est tout d’abord un mur que Barberousse et Yasumoto amadouent avec patience et à nouveau son éveil nait de cette alternance entre ampleur et intimisme de Kurosawa. L’intime naît d’une belle idée formelle (le regard d’Otoyo brillant dans l’obscurité comme une humanité retrouvée), du quotidien et de la proximité (le montage jouant du contact visuel craintif puis complice) quand elle sera au chevet de Yasumoto malade. Cette conscience se mettra à son tour au service du monde qui l’entoure et Kurosawa endosse la pauvreté au-delà des murs du dispensaire quand Otoyo se liera d’amitié avec le garçonnet pauvre Petit rat. Cette bienveillance contagieuse concerne l’ensemble des personnages secondaires pour des instants très attachants (les servantes remplissant pudiquement l’assiette d’Otoyo car sachant que les restes iront à son ami) et s’incarne dans ce cri final dans le puits, une supplique à l’univers pour moins de souffrance dans ce monde. Akira Kurosawa signe tout simplement là un chef d’œuvre d’humanisme.

Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Wild Side 

 

1 commentaire:

  1. Great movie by Kuroswa... May I share an Interview with Akira Kurosawa (imaginary) http://stenote.blogspot.com/2018/04/an-interview-with-akira.html

    RépondreSupprimer