Une famille recomposée
: un homme marié ailleurs et qui y retourne chaque soir, une femme qui a sept
enfants de lui, la misère et la rudesse à la campagne et l'amour de cette femme
pour ses enfants.
Sandrine Veysset signe un premier film tendre et authentique,
succès inattendu et véritable phénomène à sa sortie. La réussite du film tient
grandement à la personnalité de la réalisatrice au parcours initial pas destiné
au cinéma. Sandrine Veysset suit des études de lettres à Montpellier quand elle
assiste à la construction des décors de Les
Amants du Pont-Neuf de Leos Carax (1991). Captivée elle traîne longuement
sur le plateau au point d’être adoptée par l’équipe et finira par être engagée
comme chauffeur de Leos Carax. Durant leurs trajets elle lui raconte avec
passion ces souvenirs d’enfance à la campagne et celui-ci lui suggère d’en
tirer un récit. L’idée évolue vers un scénario de film et toutes les étoiles s’alignent
miraculeusement pour la novice lorsqu’elle recevra le soutien du producteur Humbert
Balsan. Sandrine Veysset malgré son inexpérience a une idée très précise de ce
qu’elle veut rendre à l’écran et, de la collaboration étroite avec la
directrice photo Hélène Louvart à la
méticulosité des décors ruraux de Jacques Dubus en passant par le réalisme des
travaux fermiers, tout concours à incarner au plus près ses souvenirs.
Le film tire une profonde tendresse d’un contexte difficile.
On y suit une famille dysfonctionnelle vivant au gré des soubresauts d’un père
(Daniel Duval) indigne. C’est un homme marié logeant sa « famille »
illégitime dans des conditions austères, exploitant ses sept enfants sur son
exploitation faisant subir à son épouse (Dominique Reymond) ses crises de
violence et de jalousie. Cette mère aimante et protectrice constitue le soleil
et le rempart à ses vicissitudes. Le scénario est sans trame linéaire si ce n’est
accompagner le quotidien des personnages sur trois saisons. Chacune de ces
saisons permet d’en savoir progressivement un peu plus sur la situation. L’été
qui ouvre le film donne ainsi l’illusion d’une structure familiale classique,
avant que la dureté et les absences du père (qui retourne chaque soir dans son
foyer légitime) fassent comprendre cette cruelle recomposition. Ce sera ensuite
l’automne comme révélateur du caractère réellement néfaste du père, la
perspective étendue avec l’école montrant le ressenti des enfants face aux
autres de cette vie. Enfin l’hiver verra le profond désespoir, des conditions
encore plus difficiles et des idées noires assaillir la mère.
Tout cela pourrait donc être profondément déprimant si le
fil conducteur ne reposait pas sur cet amour indéfectible entre la mère et ses
enfants. Sandrine Veysset n’a de cesse formellement de surmonter la dureté des
situations en capturant la candeur de l’enfance, jouer « au loup » ou
à cache-cache et les rires qui accompagnent faisant oublier la misère ambiante
de ce que l’on a sous les yeux. La complicité mère/enfants irrigue l’écran et l’on
sent le travail de Sandrine Veysset pour la nouer puisqu’elle fit vivre le
casting ensemble bien en amont du tournage pour rendre ce sentiment palpable.
Là encore la construction du film fait merveille, la dévotion de cette mère (et
l’idolâtrie des enfants en retour) se révélant par sa propre enfance
douloureuse en orphelinat.
Ainsi aucune difficulté ne pourra se mettre en
travers de sa progéniture, la dureté ordinaire puis la nature profondément
abjecte du père (le spectre de l’inceste rôde) renforçant cette colère et ce
sentiment protecteur. Dominique Reymond est magnifique, alliant une dimension
aimante et maternelle avec une dureté face à l’adversité mais aussi une
profonde mélancolie en filigrane. Tout cela se résume dans une superbe dernière
séquence de noël où elle réunit sa famille près d’elle. Cette vie difficile qui
pourrait conduire à lâcher prise définitivement sera toujours dépassée tant que
demeure l’espoir de voir se dessiner un sourire sur le visage de ces enfants.
Et parfois il suffit d’une neige tombante le soir de noël pour se raccrocher à
la vie.
Sorti en dvd et bluray chez Carlotta
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