Gunji Sadao, oyabun du
clan Hamamura sort de prison après 10 ans de détention causé par ses rivaux du
clan Daito qui dirigent désormais la ville de Yokohama. Avec Ozaki, son ancien
bras droit, et Samejima, les seuls rescapés de son clan, Gunji décide de quitter
la ville et de refonder son clan sur l'île d'Okinawa mais pour cela il va
devoir affronter les gangs déjà en place.
Guerre des gangs à
Okinawa est le premier grand succès de Kinji Fukasaku dans ce qui s’affirmera
comme son genre de prédilection, le film de yakuza. Plus précisément, le film
fait la transition du yakuza eiga
(film de yakuza) et le sous-genre du ninkyo
yakuza. La différence se fait entre l’imagerie chevaleresque des yakuzas
dans leurs premières incarnations cinématographiques vers celles plus réaliste et
démystificatrice qu’amèneront les classiques tels qu’Okita le pourfendeur (1972) et la saga Combat sans codes d’honneur de Kinji Fukasaku. Le Vagabond de Tokyo de Seijun Suzuki (1966) fut un précurseur même
si sa stylisation bariolée le place à part face au réalisme brut qu’amène Guerre des gangs à Okinawa.
Le film se situe à un juste équilibre entre cette dimension
chevaleresque et cette amoralité à venir, le sujet étant même au cœur du récit.
Le début montre ainsi les rescapés du clan Hamamura démantelé suite aux
manigances du clan Daito. Ce dernier incarne un gangstérisme moderne avec des
activités de façades légales les plaçant dans un capitalisme dominant. Le
pouvoir sur les clans ennemis ne se prend plus par la force mais sous forme d’OPA
sauvage où la manipulation et la corruption de la police sont les principales
armes. Dépassés, les derniers membres du clan Hamamura mené Gunji (Kōji Tsuruta)
qui sort de dix ans de prison décident donc de s’exiler de leur fief de Yokohama
vers l’île d’Okinawa. Encore sous occupation américaine, ces terres constituent
le dernier bastion d’un gangstérisme « old school » et symbolisent un
El Dorado à conquérir via les bonnes vieilles méthodes.
Fukasaku n’a ainsi que faire des espaces ensoleillés et de
la mer d’Okinawa pour s’attarder dans les quartiers mal famés, les rues de
plaisirs et les clubs enfumés où les nouveaux venus prennent leurs marques.
Intimidations, démonstrations de forces et brutalités diverses illustrent ainsi
l’ascension du clan Hamamura sur l’île. Le réalisateur s’appuie
particulièrement sur le charisme stoïque de ses interprète et ce jusqu’au
cliché (Gunji ne quitte pas ses lunettes noires, y compris pour faire l’amour)
mais crée des figures fascinantes. Les anciens ennemis peuvent s’associer tel
Gunji et Requin (incarné par le vrai yakuza reconverti acteur Noboru Ando,
sacrément intimidant avec sa balafre de 15 centimètres) monté l’un contre l’autre
dans le passé par le clan Daito et désormais frères d’armes.
C’est même le
respect amené par cette affirmation virile qui peut figer une guerre en statu
quo pacifique, l’escalade de violence entre Gunji et le colosse manchot Yonabal
(Tomisabaru Wakayama, l’inoubliable Itto Ogami de la saga Baby Cart) s’arrêtant net après le cran démontré par notre héros
dans une situation désespérée. Ce sera même un leitmotiv dans les dialogues du
film, « t’as du cran ». Les « vrais » hommes savent se
reconnaître entre eux et vivre dans une relative harmonie malgré leurs activités
criminelles. La vilénie des clans ennemis s’affirment ainsi dans une fourberie
qui refuse le combat et emploi des méthodes déloyale à l’image d’Haderuma (Rin'ichi
Yamamoto), boss local et bien sûr du clan Daito qui va s’inviter sur cette île
d’Okinawa.
Tout au long du film cette existence de conquête et de
violence n’exprime aucun héroïsme mais peu à peu une dimension pathétique et
mélancolique. L’introduction comique du clan Hamamura les montre réduite à des
jobs sans relief ou à une vie de famille ennuyeuse hors du quotidien yakuza. La
vie de yakuza est la seule qui vaille d’être vécue mais ils comprendront
progressivement qu’elle constitue désormais une ère révolue - si elle a même jamais réellement existée. Les frères d’armes
meurent dans l’indifférence et le regret sans que l’objet de la quête ait
semblé valoir le sacrifice. Gunji lui-même fuit le souvenir de son aimée dans
ce tourbillon de violence et Fukasaku laisse poindre l’introspection au milieu
de la furie ambiante (où son style heurté tout en zooms agressifs, caméra à l’épaule
et panoramiques fulgurants fait merveille) quand le personnage se réfugie dans
les bras d’une prostituée à la ressemblance troublante.
Dès lors le combat ne
vaudra que quand il s’agira d’assouvir une vengeance plutôt que conquérir un
pouvoir vain. Le final n’est rien moins qu’une relecture yakuza de celui de La Horde Sauvage (1969), le film
dégageant la même tonalité crépusculaire du classique de Sam Peckinpah. La
conclusion furieuse sonne ainsi le glas d’une certaine image du yakuza. Kinji
Fukasaku pouvait amorcer la révolution du genre avec Combat sans code d’honneur (1972).
Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side
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