J.J. Abrams est sans conteste un des auteurs les plus
reconnus et populaire de l’entertainment américain des 20 dernières années. Le
couronnement de ce statut eu lieu lorsqu’il reprit les rênes de la plus fameuse
saga de l’histoire du cinéma avec Le Réveil
de la force (2015) où il donnait une suite l’univers de Star Wars. Cependant cette aura de
wonderboy moderne lui est parfois contestée car contrairement à ses modèles
Steven Spielberg ou Georges Lucas, Abrams semble faire toujours reposer ses productions
sur des réussites préexistantes. Cela passe par les archétypes d’un genre avec
l’espionnage de la série Alias, la
reprise d’une franchise pour Mission
Impossible 3 ou Star Trek, la réappropriation d’un
imaginaire avec un Super 8 sous
influence Spielberg ou encore la série Fringe
et son postulat à la X-Files.
L’ouvrage d’Erwan Desbois ne renie pas cette filiation/reprise
inhérente à toute la production d’Abrams, mais y voit une thématique et un
moteur créatif plutôt qu’une paresse de sa part. L’admiration et la déférence à
ses aînés se dessine dans le parcours même d’Abrams, enfant de la balle ayant
longtemps officié dans l’ombre en tant que scénariste et surtout script doctor.
La renommée sera arrivée plus tardivement et d’abord grâce à la télévision.
Chaque œuvre se lance ainsi dans un « à la manière de » avant de
placer cette parenté au cœur même de l’œuvre, par la narration mais également
dans une dimension méta. Se confronter avec harmonie ou dans le conflit à ce
qui nous a précédés, à ce à quoi notre parcours et notre éducation nous
prédestine, telle est la problématique des héros d’Abrams mais aussi de l’auteur
lui-même à travers les modèles qu’il s’approprie. Erwan Desbois illustre ces
mécanismes d’Abrams de façon passionnante en convoquant la philosophie et la notion
de karma dans le cheminement des héros de la série Lost.
Les trouvailles et audaces narratives de la série construisent
ainsi les personnages dans cette dualité entre ce qu’ils furent et ce à quoi ils
peuvent aspirer dans cet espace vierge de l’île où ils peuvent se réinventer
spirituellement. La série Alias avec ses ramifications complexe
dresse la prédestination de Sidney Bristow à son statut d’espionne par ses parents et toute l’œuvre
la verra affronter cet état. Les personnages d’Abrams restent irrémédiablement
humain, sans réelle faculté extraordinaire ni aura d’élu (reflet de la propre
modestie d’Abrams face aux monuments qu’il reprend) et l'accomplissement passe
par une sagesse, une paix avec eux même propre à rétablir une forme d’équilibre
dans leur univers. La colère et le ressentiment envers le passé conduit au
parricide du Réveil de la force, l’expérience
et la sagesse amènent la réconciliation des adultes grâce aux enfants de Super 8. Cette instabilité traverse
toutes ses productions avec l’héritage pesant (pour le capitaine Kirk par
rapport à son père dans Star Trek,
pour le héros de Fringe face à ce
même père, évidemment pour Kylo Ren dans Le Réveil de la force) dont il est difficile de se détacher.
Abrams s’identifie ainsi par ses constantes reprises à la
situation de ses personnages eux aussi sur les traces de leurs aînés. Erwan
Desbois montre bien la manière de plus en plus subtile et personnelle qu’a l’artiste
de faire sien les univers qu’il reprend. Cela passera notamment par des
caractérisations de personnage et des postulats donnant dans l’archétype
identifiable avant de l’emmener ailleurs. Dès lors Abrams s’autorise tout pour
déconstruire ce qu’il a présenté, que ce soit les reset narratifs nombreux
émaillant Alias, l’introduction des
univers parallèles dans Fringe ou
encore les timelines différentes de sa version de Star Trek. Ce dernier est d’ailleurs un bon exemple avec un premier
film revisitant l’univers de Gene Roddenbery par une cohabitation déférente
entre le passé (le Spock originel interprété par Leonard Nimoy) et le présent.
Ce qui fait échapper Abrams au statut de petit malin, c’est l’implication
personnelle et le cœur qu’il met à ses relectures. Erwan Desbois le dépeint de
façon passionnante à travers Super 8
où l’imaginaire Amblin de Steven Spielberg sert à la fois son inventeur mais
aussi la propre enfance d’Abrams qui réalisait tout comme ses jeunes héros des
court-métrages à la manière de son modèle. On peut trouver la démarche parfois
artificielle (Mission Impossible 3 simple épisode d’Alias dopé aux moyens hollywoodiens) ou trop déférente (Le Réveil de la force qui aurait pu tout
réinventer et se contente de rassurer les fans par ses enjeux, personnages et
situations éculés) mais quand cela fonctionne, Abrams se montre le seul capable
de vraiment amener un regard singulier dans le contexte de redite
(remake, reboot, suite et autre spin-off ayant pris le pas sur les créations
originales chez des studios hollywoodien frileux) qui gangrène actuellement le
cinéma américain à grand spectacle. L’analyse dense et précise d’Erwan Erbois donne
en tout cas envie de se replonger dans la galaxie Abrams.
Edité chez Playlist Society
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