New York, début des
années 1930. John et Mary Sims, pauvres et chômeurs, héritent d'une ferme
abandonnée. John, dépourvu de connaissances en agriculture, rencontre un paysan
chassé du Minnesota et lui propose de venir travailler avec lui. Plus tard, à
l'aide de panneaux, il invite d'autres personnes sans travail à mettre en
commun leurs compétences techniques ou professionnelles. Une coopérative est
alors fondée. Bientôt, chaque famille possède sa propre maison.
Tout au long de sa filmographie, King Vidor aura célébré des
personnages manifestant leur indépendance en s’affranchissant des contraintes
de leur environnement. Cette démarche s’affirme par l’intégrité artistique face
au conformisme dans Le Rebelle (1949)
- où Vidor transcende l’idéologie objectiviste du roman d’Aynd Rand -,
l’indépendance de la métisse Jennifer Jones dans le monde machiste et raciste
de Duel au soleil (1946) ou
l’ambition démesuré de l’entrepreneur migrant de Une romance américaine (1944). Dans ces films Vidor développe cette
idée dans un dessein individuel mais se montre tout autant capable d’embrasser
le collectif notamment dans le sacrifice final de la mère héroïque
qu’interprète Barbara Stanwyck dans Stella Dallas (1937). Les tourments de l’individu servent ainsi à dresser un
regard plus vaste sur une communauté et révéler un propos social dans La Foule (1928), un des chefs d’œuvre de
King Vidor. En ce milieu des années 30, le peuple américain subit encore de
plein fouet la récession économique et Vidor estime que les studios avec leurs
productions luxueuses ne rendent pas suffisamment compte de la situation - même
si la Warner fait exception avec de nombreux films Pré-Code assez radicaux. C’est
en lisant un article de journal évoquant la reconversion et la coopérative de
quidams - unissant leurs forces dans l’exploitation fermière - que Vidor trouve
matière à témoigner de cette réalité du pays avec Notre pain quotidien. Il démarche alors la MGM mais Irving Thalberg
se rétracte après avoir validé le projet dans un premier temps. Exalté par son
sujet, Vidor parvient à signer un accord avec la United Artist de Charlie
Chaplin et décide de financer la reste du budget par lui-même. Il va se heurter
à la frilosité des banquiers effarés du portrait peu reluisant qu’il fait d’eux
– lors d’une scène de saisie par de ferme par le shérif – et fidèle à sa vision
va refuser tout compromis. Le risque est ainsi maximal pour Vidor qui
hypothèque sa maison et ses biens pour réunir les 150 000 dollars nécessaire.
Notre pain quotidien
se veut une suite de La Foule dont il
reprend le couple de héros John et Mary Sims (désormais interprétés par Tom
Keene et Karen Morley). Leur amour reste intact mais leur situation tout aussi
précaire comme le montrera la scène d’ouverture où ils esquivent un
propriétaire récalcitrant. Vidor associe l’espace urbain à une solitude qui isole
les individus dans ce dénuement insurmontable. La séquence assez triviale où
John troque une guitare contre un poulet malingre avec l’épicier exprime
pourtant déjà la direction du récit. L’échange du repas du soir contre un motif
d’amusement musical amène l’idée d’une possible transmission et entraide, mais
qui ne peut en rester qu’à des proportions quelconques à l’échelle de la ville
qui vise à souffrir de sa pauvreté à l’écart, dans l’intimité des appartements.
La fraternité ne peut renaître que par le déplacement à la campagne où les
complexes s’estompent pour celui dans le besoin, tout comme les scrupules pour
celui disposé à apporter son aide.
Tels les pionniers d’antan, le ciel et la
terre s’offrent à tous pour peu que chacun soit prêt à partager les efforts. La
mise en scène, le découpage et les compositions de plan de Vidor ne cesse alors
d’aller de l’isolement à un collectif de plus en plus grand. Ce sera tout d’abord
le rapprochement rassurant des couches de fortune de Mary et John lors de leur
arrivée à la ferme, John venant calmer les peurs nocturnes de son épouse dans
ces nouveaux lieux. On voit une même bascule entre les plans larges où John
empoté tente de d’exploiter son champ avec une pelle puis dans un même cadrage
désormais Chris (John Qualen) l’aidant et lui montrant comment s’y prendre avec
une charrue. Enfin il y a ce moment où John et Mary font face à leur maigre
pitance dans leur ferme et que Chris qu’ils ont accueilli sur leurs terres
vient les inviter à déguster un lapin. On quitte l’intérieur de la maison pour
un plan d’ensemble où tous se régalent dans une belle fraternité, les
panoramiques passant d’un visage rieur et satisfait l’autre. Chaque action positive et
désintéressée aura conduit à une autre – John aidant Chris à changer sa roue,
celui-ci à travailler son champ et ainsi de suite… - pour leur faire comprendre
que l’union des âmes de bonnes volontés pourrait se poursuivre à plus grande
échelle.
La communauté étend les perspectives d’avenir et
littéralement l’espace, faisant passer le film des environnements urbains
étriqués à des visions quasi biblique d’une terre promise où la plantation de
maïs s’étend à perte de vue. Vidor fait d’une nécessité une utopie collective
et fraternelle à juste distance entre l’emphase et l’intime. La grandiloquence
est ainsi toujours contrebalancée par les personnalités truculentes rencontrées.
John Sims est un leader naïf, volontaire et attachant, la truculence de Chris
ou encore le colosse au cœur d’or Louie (Addison Richards). C’est lorsque l’individualisme
se manifeste que les difficultés semblent ressurgir, l’arrivée de la belle
Sally (Barbara Pepper) coïncide avec une sécheresse menaçant la récolte. L’allure
apprêtée de Sally la distingue de la rudesse négligée des travailleurs, l’isolement
et la conscience d’elle-même au détriment du collectif se révélant par l’image.
Alors que tous les protagonistes sont caractérisés dans l’effort, c’est la
langueur avec laquelle elle écoute son tourne-disque - après le décès de son
père – que se laisse entrevoir son égoïsme. Le « je » reprends ses
droits au détriment du « nous » de manière contagieuse à travers la
séduction de Sally envers John soudain las de cette aventure collective. King
Vidor traduit le conflit de cette dichotomie entre le « je » et le « nous »
durant cette scène où John arpente déconfit la ferme, scruté par le regard
aussi accusateur que déçu de ses compagnons.
Pour réussir l’idée n’est donc plus seulement de réunir les
âmes de bonne volonté, mais de leur inoculer à nouveau ce sens du bonheur
collectif par l’effort. Dès lors Vidor au lieu d’accumuler les silhouettes
comme dans la première partie du film, les cadre d’emblée en tant qu’entité. Ce
n’est plus seulement leur réunion qui fera la force du projet, mais la foi qui
doit tous à nouveau les traverser. Lorsque John revient vers eux, le doute
domine avant qu’un, puis deux et l’ensemble du groupe se décide le suivre pour sauver la récolte. Vidor suit
chaque visage progressivement convaincu d’un court panoramique sur leur visage
pour suivre le cheminement de cette croyance qui semblait juste une évidence de
nécessité au début du film. Tous ont entrevu le bonheur et souhaite désormais
le préserver, tous ensemble.
Vidor nous offre en conclusion une véritable
symphonie du labeur, avec ces coups pioches donnés dans un même mouvement – qui
anticipe celui des rotatives de An
American Romance - où le groupe ne fait plus qu’un. L’arrivée salvatrice de
l’eau irriguent les terres et purifient les cœurs, Vidor excellant à croiser ferveur religieuse et le bonheur simple à échelle humaine par ces joyeuses danses.
Un grand film qui participe à l’éveil d’une conscience de gauche au sein du
cinéma classique américain.
Sorti en dvd chez Lobster et ressortie en salle le 18 octobre
Quel film magnifique ! L'arrivée de l'eau face à l'écran est une image qui a marqué mon adolescence. Etonnant que Vidor n'ait pas eu de problème, plus tard, au moment de la chasse au sorcières et du maccarthysme. Après tout, ce qu'il décrit ici, c'est quasiment un kolhoze.
RépondreSupprimerC'est vrai qu'il aurait pu être inquiété mais finalement à l'époque de la chasse au sorcière son plus gros succès est "Le Rebelle" qui peut être interprété comme un pur film d'individualiste capitaliste - même si c'est loin de n'être que ça le fond anticommuniste dû à Ayn Rand est bien là - donc il n'y avait plus trop de quoi le soupçonner de sympathie communiste à ce moment là.
SupprimerExact. Mais souvent, les cinglés de la Red Scare avaient besoin de moins que ça.
SupprimerAyn Rand, pas mauvais écrivain au demeurant, osait dire très sérieusement qu'on savait si un film était de propagande communiste dès lors qu'on y voyait des Russes sourire ! Car un Soviétique ne pouvait pas sourire...
Pas sûr que le seul "Rebelle" pouvait dédouaner son auteur face à cette hystérie collective. Mais "Une Romance américaine" sûrement que oui. Et surtout "Comrade X".
Bonsoir. Trés beau film en effet revu il y a quelques mois. Film exemplaire sur la fraternité, la solidarité. la séquence finale sur l'arrivée de l'eau et anthologique. Un des premiers Vidor que j'ai vu.
RépondreSupprimerLa scène finale est en effet très belle. Mais pour le reste, que de naïvetés, de dialogues creux, de bizzareries au montage, d'incongruïtés de scénario ! Pas de communisme, non : car il y a un leader omniscient, et tout le monde prie Dieu (cf. le titre du film).
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