Jo, une petite
lycéenne un peu gauche, vit à Manchester avec sa mère Helen qui se soucie plus
de trouver un nouvel amant que de s'occuper de sa fille. Un soir que sa mère
l'a mise dehors pour vivre une nouvelle aventure amoureuse, Jo vit une brève
idylle avec un marin noir. Enceinte et abandonnée par sa mère qui s'est mariée,
elle rencontre Geoffrey, jeune homosexuel qui lui propose de vivre à ses côtés.
Mais la mère ne l'entend pas de cette oreille...
Les héros incarnés par Albert Finney dans Samedi soir, dimanche matin (1960) ou
encore Tom Courtenay dans La Solitude du coureur de fond et Billy le menteur (1963) semblent
associer les grandes figures du Free
Cinema a des incarnations uniquement masculines. L’origine littéraire des angry young men du mouvement en découle
effectivement mais celui-ci sut aussi se préoccuper d’une gent féminine tout
aussi étouffée dans le conformisme et déterminisme social de l’Angleterre d’après-guerre.
Là aussi les plus belles réussites cinématographiques s’appuient sur une base
littéraire, notamment la romancière irlandaise Edna O'Brien à travers sa trilogie
des Filles de la campagne dont le
deuxième volet sera adapté en 1964 avec The Girl with green eyes de Desmond Davis dont elle signe le scénario. Elle
poursuivra cette réflexion sur la condition féminine avec le scénario original
de I was happy here (1966) de nouveau
réalisé par Desmond Davis. Cette base féministe se trouve déjà dans A taste of honey film fondateur du Free Cinema où l’on trouve déjà au générique Desmond Davis
encore cadreur et la jeune actrice Rita Tushingham future héroïnes de The Girl with green eyes. Après son
premier film Les Corps sauvages (1958)
adapté de John Osborne, Tony Richardson transpose à nouveau une pièce dirigée
du temps où il travaillait au Royal Court Theatre. Elle fut écrite par Shelagh
Delaney figure majeure du théâtre britannique qui amena ce réalisme cru et
cette contemporanéité dès sa première œuvre A
Taste of Honey, dont le succès en fit une des pièces les plus jouées d’après-guerre.
La pièce fut pour la première fois jouée dans le cadre du Theatre
Workshop, un groupe se caractérisant par autant par le réalisme que l’excentricité
truculente des milieux populaires dépeint. La sinistrose se ressent dans la
durée, dans une précarité stagnante tandis que les désagréments du quotidien
sont acceptés avec un rire gras et désabusé. Ce sera le ressenti dans la
relation aigre et tendre entre Jo (Rita Tushingham) et sa mère Helen (Helen).
Habituée aux pensions de famille sommaire, aux déménagements intempestifs et aux
défilés d’amants de sa mère, Jo vit cette existence chaotique avec une ironie
et résignation, la détresse se traduisant par les bons mots et le visage si
expressif de Rita Tushingham. Le « couple » fille/mère nous amuse
ainsi un temps entre la coquetterie de la beauté fanée Helen et le ton
vindicatif de Jo, jusqu’à ce que cet équilibre soit bouleversé par le nouvel
amour d’Helen, Peter (Robert Stephens). Ce dernier symbolise la figure
masculine rétrograde et machiste (Helen réduite au silence, tâches ménagères et
chantage une fois mariés) suscitant la soumission ou le rejet.
L’affection ne
peut naître qu’entre les rejetés de la société à divers degrés. Le récit donne
donc à voir des communautés peu visibles dans le cinéma anglais à travers la
romance interraciale entre Jo et le marin noir Jimmy (Paul Danquah) et son
amitié avec l’homosexuel Geoffrey (Murray Melvin). Seul un Basil Dearden
laissait voir jusqu’ici cette diversité, mais toujours dans un climat anxiogène
de polar quand Richardson fait de cette promiscuité des « exclus » le
seul rayon de lumière. La beauté formelle peut ainsi surgir de l’environ urbain
sinistre avec l’émergence des sentiments, la photo de Walter Lassally et les
cadres de Richardson offrant plusieurs instants de grâce. Le baiser dans
méandres du bateau ou encore la première fois sur les hauteurs de la ville
amène ainsi un lâcher prise touchant. L’aveu de sa grossesse de Jo à Geoffrey
dans une alcôve illuminée de la ville avec une décharge en arrière-plan définit
également ce décalage entre l’environnement dépressif et la bonté qui le
surmonte.
La différence et l’exclusion latente de chacun nourrit ainsi
une singularité qui par l’entraide permet de se distinguer dans la grisaille.
Tony Richardson transcende le cliché (les attitudes maniérées de Geoffrey),
rend touchante l’excentricité (qui constitue en fait une armure secrète) et défie le déterminisme - la scène où Jo observe un jeune attardé, s'interroge sur une possible déficience héréditaire la guidant vers son malheur. Cette
union des laissés pour compte ne saura pourtant pas tout résoudre comme le moindre
un final doux-amer renvoyant à la situation initiale et un avenir incertain.
Les injustices étouffées et le propos direct du film contribuera à affirmer l’identité
du Free Cinema tout en proposant une vision plus singulière du kitchen sink
drama. Le film rencontrera une reconnaissance majeure – Prix d’interprétation
pour Rita Tushingham et Murray Melvin à Cannes en 1962, meilleur film et
scénario au BAFTA – et marquera durablement la culture anglaise notamment par
le groupe The Smiths dont le texte de la chanson This night i opened my eyes en reprend la trame.
Sorti en dvd zone 2 français chez Doriane Film et ressortira en salle le 18 octobre
Un film magnifique, un de mes préférés du Free Cinéma anglais.
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