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lundi 25 mai 2020

Au-delà du réel - Altered States, Ken Russell (1980)


Edward Jessup, chercheur à l'Université de Cornell, absorbe des hallucinogènes afin d'en étudier les effets. Des fantasmes liés à son enfance l'entraînent dans une quête de son identité. C'est entièrement métamorphosé qu'il ressurgira de cet univers.

La manifestation de l’inconscient est un élément majeur du cinéma de Ken Russell. Pour l’illustrer il ne s’embarrasse pas de retenue ou de subtilité mais endosse toute l’imagerie étrange et incongrue que peut recéler la psyché de ses personnages. C’est particulièrement vrai dans ses biopics de compositeurs dont il traduit les maux et l’inspiration à travers des envolées formelles libres, folles, mais restant intimement référencées au sujet. On pense pour les plus scandaleuses à la vision nazie de Richard Strauss dans Dance of the Seven Veils (1970), à l’homosexualité coupable de Tchaïkovski pour The Music Lovers (1970) ou encore les problèmes de couple et la judéité complexe de Mahler (1974). Altered States constitue un saut dans l’inconnu pour ce traitement de l’inconscient chez Russell puisque dénué de socle culturel et historique (si l’on ajoute Les Diables (1971) contenant son lot d’images folles) sur lequel ancrer ses visions.

Le film est adapté du roman éponyme du scénariste Paddy Chayefsky. Celui-ci pense au départ signer un Docteur Jekyll et Mister Hyde dans le cercle scientifique contemporain avant de s’enticher de son sujet qu’il enrichira après de nombreuses recherches d’une dimension mystique et anthropologique.  Paddy Chayefsky à travers ses nombreux succès au cinéma avait pris l’habitude de collaborer étroitement avec les réalisateurs s’attaquant à ses écrits, et de voir ces derniers à l’écoute de ses suggestions dans des films comme Marty de Delbert Mann (1955), Les Jeux de l'amour et de laguerre et L’Hôpital d’Arthur Hiller (1964 et 1971) ou Network de Sydney Lumet (1976). Cela se passe nettement moins bien ici, d’abord avec Arthur Penn qui quitte le navire pour mésentente et ensuite Ken Russell appelé en catastrophe alors que le casting est arrêté et le tournage imminent. Malgré les prérogatives contractuelles de Paddy Chayefsky qui n’apprécie aucun des choix esthétiques de Russell, la production est trop avancées pour le renvoyer aussi et il gardera la main sur le film tandis que son prestigieux scénariste demandera à être retiré des crédits (c’est sous le pseudonyme de Sidney Aaron qu’on le retrouve au générique). 

Les grands personnages de Ken Russell, et c’est pour cela qu’il aime tant traiter de la figure de l’artiste, sont souvent des êtres en quête d’absolu et de transcendance. Ils surmontent cet appel dans leurs créations (pour le cycle de film de compositeurs donc), la passion amoureuse ou le plaisir charnel (Les Diables ou Women in love (1969) mais ne trouvent la réponse à ce qu’ils cherchent que dans la douleur. Edward Jessup (William Hurt) est de cette trempe, chercheur universitaire qui poursuit justement la nature de l’inconscient en s’enfermant dans un caisson dont l’isolement est supposé lui provoquer sur la longueur des sensations. La vraie vie, qu’elle soit intime auprès de sa femme Emily (Blair Brown), ou professionnelle avec les contraintes administratives et mondaines de l’université, est sans saveur pour lui. Il ne vit que pour remonter la source du mysticisme religieux qui l’habitait enfant. Dès lors Ken Russell entremêle visions psychanalytiques ornées de ce que l’on sait du passé de Jessup dans un traitement expérimental, auquel il ajoute ses propres marottes. La chrétienté dévoyée de Les Diables s’exposent donc dans des postures scandaleuses du Christ, des visions baroques de L’Enfer de Dante se dessinent à coups d’effets sonores et visuels tapageurs, entremêlé à un paganisme typiquement anglais et celte (ce bouc aux yeux multiples).

Malgré cette audace, on reste en terrain connu pour du Ken Russell. Ces premières expériences ne remontent en effet que le fil intime de Jessup, mais la consommation de la drogue rituelle d’une tribu indienne va faire remonter notre héros à l’inconscient même de l’humanité. La barbarie qui le voit massacrer un animal pendant sa transe est un premier indice, et Russell traite dans une approche à la fois psychologique, physiologique et philosophique de notre réaction exposée au berceau de la vie. Le corps de Jessup est marqué par ses voyages en endossant des caractéristiques inexplicables biologiquement. Russell joue tour à tour sur le mystère et des effets plus voyant avec un Jessup régressant à l’homme de Neandertal et errant dans la ville. Après avoir erré si loin, difficile de séparer la réalité de la transe et là aussi le réalisateur oscille entre manifestations graphiques marquées (le corps de Jessup qui mute) et une dimension plus psychanalytique. L’équilibre est ténu entre pyrotechnie un peu vaine et questionnement scientifique et philosophique. On a parfois l’impression que Russell a eu peur de perdre le spectateur avec une approche trop réflexive et c’est dommage. La dernière partie cède à un spectaculaire où disparaît un peu la quête mystique et mythologique pour les effets tapageurs. 

Formellement c’est impressionnant et lorgne sur l’abstraction psychédélique du final de 2001, l’Odyssée de l’espace (1968), et voit Jessup revenir à l’état d’embryon et cellule pour contempler le grand vide de l’essence de l’univers. Une vision terrifiante qui manque de le happer et lui fait comprendre l’importance du monde qui l’entoure et de ceux qu’il aime. Le cheminement est captivant mais trop expédié et noyé sous les effets (le final est vraiment abrupt) qui prennent le pas sur la dimension intime. Cela reste cependant une tentative audacieuse (la Warner Bros de cette époque reste le grand studio le plus aventureux) dont le succès remettra en selle Russell après l’échec de Valentino (1977). L’aventure américaine se poursuivrait avec le tout aussi inclassable Les Jours et les nuits de China Blue (1984). 

Sorti en dvd multizone chez Warner et doté de sous-titres français 

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