Michael Hagen, reporter sportif, et
Marilla Brown, dessinatrice de mode, se marient sur un coup de tête, peu
après leur rencontre. Les heureux époux découvrent assez rapidement
qu'ils n'ont rien en commun. Marilla déteste le milieu de la boxe et
Michael ne supporte pas les relations professionnelles de sa femme.
L'exiguïté de son studio l'a conduit à emménager dans le luxueux
appartement de son épouse. Il s'y sent très vite mal à l'aise.
Vincente Minnelli signe une de ses comédies les plus irrésistibles avec ce charmant Designing Woman.
Le sujet est amené par Helen Rose, célèbre costumière de la MGM et
collaboratrice régulière de Minnelli dont George Wells va tirer un
scénario. L'histoire en conjuguant humour et timing de screwball comedy
et la recherche esthétique de ses comédies musicales. Le scénario est
une merveille dans la description de l'opposition des contraires à
travers le couple formé par Gregory Peck et Lauren Bacall. Si
l'ouverture avec les différents protagonistes se présentant face caméra
annonce des évènements fâcheux, la romance initiale escamote
astucieusement les différences entre le journaliste sportif Michael
Hagen (Gregory Peck) et la dessinatrice de mode Marilla Brown (Lauren
Bacall).
Le cadre idyllique de la Californie ensoleillée offre un
arrière-plan radieux pour s'aimer, le jeu sur les ellipses (le séjour
prolongé de Lauren Bacall qui ne peut plus quitter son homme), le sens
du détail (Lauren Bacall et son appétit dévorant quand elle est
amoureuse) et les idées narratives (la voix-off intérieure en
contrepoint charmant trahissant leur émotion notamment Gregory Peck
devinant les sentiments de Bacall après sa copieuse commande au
restaurant) rendant touchante cette romance express aboutissant à un
mariage improvisé.
Une fois le couple revenu dans son cocon New
Yorkais, Minnelli va reprendre et décupler tous les éléments qui les ont
réunis pour les faire s'affronter. Le déséquilibre sera graduel
notamment par leurs classes sociales opposées, huppée pour Lauren Bacall
et plus populaire avec Gregory Peck. L'appartement encombré de
célibataire de Gregory Peck fait peine face à celui espacé et luxueux de
Lauren Bacall, cette dernière sort horrifiée d'un match de boxe qu'il
commente quand lui s'ennuiera ferme lors d'un de ses interminables
défilé d mode. Quand les amis des uns et des autres cohabitent dans la
même pièce, là encore l'effet comique naît de la partie de poker enfumée
et macho de Peck face à la lecture de pièce de théâtre des amis
artistes de Bacall. Minnelli amène cet entrechoquement des mondes par
son jeu sur l'espace et la caractérisation, les artistes investissant
progressivement la pièce (notamment avec l'excellent personnage de
chorégraphe joué par Jack Cole) tandis que les gens du commun imposent
les personnalités les plus grotesques comme l'attachant boxeur retiré
Maxie Stultz (Mickey Shaughnessy).
L'explosion est pourtant à chaque
fois évitée grâce aux sentiments du couple, en tout cas jusqu’à ce que
la jalousie s’en mêle avec l’ex-petite amie Lori Shannon (Dolores Gray).
La satisfaction et lâcheté ordinaire masculine ainsi que l'acuité
féminine sont brillamment croqué par Minnelli dans ce jeu constant sur
ce qui est pensé et montré. Peck aura beau feindre rencontrer pour la
première fois Lori Shannon, Bacall a tout compris en un regard et une
scène banale devient un génial moment de tension et de gêne. La
psychologie très différente des sexes opposés revêt le même mordant lors
d'un dialogue où Lauren Bacall mène la conversation vers des aveux
possibles de Gregory Peck sur cette ancienne liaison, mas lui pensant au
contraire que ce n'est certainement pas le moment de s'épancher.
Gregory Peck (qui obtint le rôle après le retrait de James Stewart et
Cary Grant initialement envisagés) est excellent dans un registre
comique pas si souvent exploité de sa part, détournant ce qui fait
habituellement le charisme de ses personnages (la présence physique
virile, le flegme, l'éloquence) pour devenir des tares témoignant de son
incompréhension du psychisme féminin. De même Lauren Bacall (qui elle
supplante une Grace Kelly fraîchement princesse ce qui lui vaudra la
phrase She got the prince, I got the part)
égratigne aussi l'image de séductrice glaciale qu'on lui connaît (mais
loin d'être son seul registre), absolument craquante d'imperfection tant
dans le registre énamouré que la jalousie et la mauvaise foi.
La
mise en scène de Minnelli par son audace constante dynamise constamment
le récit. Les trouvailles sont légions, dans le comique immédiat et
franchement tordant (les lendemains de gueule de bois de Gregory Peck où
le moindre bruit devient tonitruant) que dans une sorte de génie pour
l'effet à retardement parfois inattendu ou d'autant plus hilarant parce
qu'on l'a vu venir de loin (Gregory Peck trahi par un chien récalcitrant
et une chaussure trouée). Le moment où Lauren Bacall démaque sa rivale
en reconstituant sa silhouette par le souvenir d'une photo déchirée
relève ainsi du pu génie renforcé par le jeu outré de l'actrice qui
renforce la drôlerie de la scène.
L'intrigue policière bien intégrée à
l'ensemble est néanmoins plus bancale mais elle conduit à un climax très
réussi. Minnelli retrouve ses réflexes de comédie musicale dans la
grande bagarre finale où non content de gérer parfaitement ses gags
(Maxie Stultz boxant alliés comme ennemis sans distinction) il fait de
la joute une véritable chorégraphie qui culmine avec l'arrivée du
virevoltant danseur qui va corriger tout le monde dans un style comique
et martial qui annoncerait presque les facéties d'un Jackie Chan. Un
très bon moment donc, bourré de charme et mené tambour battant.
Dominée par une mère possessive, riche
puritaine de Boston, Charlotte Vale est une jeune femme disgracieuse et
renfermée sur elle-même. Dépressive, elle est soignée par le docteur
Jaquith, célèbre psychiatre. Soutenue par son docteur et sa belle-sœur
Lisa, Charlotte décide, après accord de sa mère, de suivre une analyse
en maison de repos. Trois mois plus tard, Charlotte s’est métamorphosée
en une femme élégante et séduisante. Pour parachever sa transformation
et sa guérison, le docteur Jaquith et Lisa lui organisent une croisière
en Amérique du Sud. Au cours du voyage, elle fait la connaissance de
Jerry Durance, un voyageur solitaire, marié à une femme qui prétexte une
mauvaise santé afin d’éviter que son mari la quitte.
Now, Voyager constitue une sorte d'apogée du règne de Bette Davis à la Warner, un mélodrame et Woman's Picture
poignant et juste. Le film adapte un roman d’Olive Higgins Prouty et
constitue la première production indépendante d'Hal Wallis pour la
Warner. Le producteur hésite au départ entre Irene Dunne, Norma
Shearer, et Ginger Rogers pour incarner l'héroïne, jusqu'à ce que Bette
Davis jette son dévolu sur le rôle. On ne lui refuse rien au sein du
studio à l'époque et elle obtiendra gain de cause après avoir milité
avec force. A l'époque Bette Davis est fortement impliquée dans l'effort
de guerre et est des plus actives pour collecter des fonds, cet
engagement jouant aussi dans le choix de ses rôles avec cette série de
grands mélodrames destinés à distraires les femmes esseulées dont les
époux étaient au front. Captivée par le rôle, son investissement dans Now Voyager
va même plus loin, supervisant autant les éléments (comme la
garde-robe) qui concerne son personnage que le casting de ses
partenaires et leur look. Elle façonnera ainsi l'allure modeste de Paul
Henreid après des premiers essais où elle trouvait les choix pour son
look trop tapageur.
Charlotte (Bette Davis) est une vieille fille
brimée par une mère abusive dont le mal-être rejaillit sur son allure
craintive et négligée (Bette Davis ayant eu la main lourde avec robe de
godiche, lunettes à double foyer et sourcils proéminent). Le docteur
Jaquith (Claude Rains) en charge de soigner sa dépression va lui
redonner confiance au sein de sa clinique, l'embellie mentale se
reflétant sur son physique et pour parachever la thérapie elle fera un
voyage seule en Amérique du Sud. La rencontre avec Jerry Durrance (Paul
Heinreid) va faire de la vieille fille une femme accomplie et amoureuse
au cours du périple, même s'il est marié. Le début du film fait un peu
peur avec l'accoutrement grossier de Bette Davis mais dès que le voyage
en Amérique du Sud se lance, la magie ne s'interrompra plus. Irving
Rapper procède par de constant effet de miroir pour exprimer l'état
d'esprit tourmenté de Charlotte et son rapport au regard des autres.
Cela fonctionnera par le dialogue (les remarques moqueuses de la nièce
qui enfonce Charlotte plus bas que terre dans un champ contre champ
humiliant) ou la narration avec un flashback douloureux où un premier
amour lui est arraché par sa mère. Cela s'exprime aussi visuellement
avec ces mouvements de caméra dévoilant le conscient (le panoramique où
elle regarde son visage élégant et métamorphosé dans le reflet d'une
vitre) et l'inconscient avec les nuits agitées de Charlotte aspirant à
autre chose là aussi passant par un panoramique allant de son lit à la
fenêtre. La plus belle manifestation de ce thème fonctionnera bien sûr
par la romance avec Jerry dont les regards aimant contribuent à
l'épanouissement de Charlotte, Bette Davis au-delà de la transformation
physique s'illuminant littéralement par cet amour naissant.
L'attitude
gauche, le regard fuyant et les airs gênés source d'humiliation au
départ prennent un tour très touchant car s'estompant pour traduire
l'assurance croissante par les sentiments. On a ainsi de très belles
séquences romantiques superbement filmées comme cette nuit brésilienne
toute en tendresse contenue ou cette scène mythique (et maintes fois
copiées comme plus tard dans La Colline de l'adieu (1955) d'Henry King) où Jerry Allume deux cigarettes pour en donner une à Charlotte.
La
dernière partie montrera Charlotte désormais suffisamment forte pour
tenir tête à sa mère (Gladys Cooper génialement détestable et
acariâtre), mener sa vie avec indépendance et exprimer un amour interdit
et impossible en étant capable à son tour d'aider une âme en détresse.
Irving Rapper amène ce glissement avec un lyrisme ténu, sans
dramatisation outrancière (voir le sobre décès de la mère) et tenant son
récit au rythme de l'âme désormais apaisée de Charlotte notamment
ponctué par un final superbe et tout en délicatesse.
Sorti en dvd zone 1 chez Warner et doté de sous-titres français
Jeanne D’Arc est l’avant-dernier
film hollywoodien (le dernier étant Les
Amants du Capricorne d’Alfred Hitchcock) d’Ingrid Bergman avant ses
aventures cinématographiques et sentimentales en Italie aux côtés de Roberto
Rossellini. Même si c’est bien le scandale de cette liaison avec Rossellini qui
provoquera son bannissement d’Hollywood, ce départ arrivait à point nommé tant
Ingrid Bergman accomplissait là un rêve longtemps poursuivit en interprétant à
l’écran la Pucelle d’Orléans. A son arrivée aux Etats-Unis, David O. Selznick lui
fit miroiter en vain cette possibilité lorsqu’il l’engagea pour un contrat de
sept ans mais soi en proie à des difficultés financières, soit par mauvaise
volonté, le projet ne vit jamais le jour. La dimension d’icône religieuse et
historique n’était pas le principal attrait d’Ingrid Bergman pour Jeanne D’Arc
mais plutôt celle féministe voyant à force de volonté une jeune paysanne
illettrée se faire une place emblématique dans un monde d’hommes.
La star en
imaginait un parallèle à son propre parcours où d’une enfance chaotique dans sa
Suède natale elle se hisserait au rang des plus grande stars hollywoodiennes
par son abnégation. Ingrid Bergman avait rongé son frein en interprétant Jeanne
d’Arc sur scène d'après la pièce Joan of
Lorraine de Maxwell Anderson et une fois libérée de son contrat avec David
O. Selznick elle tentera d’en monter une adaptation cinématographique sur son
nom. La société de production Sierra Pictures sera spécialement créée pour l’occasion
et Ingrid Bergman sollicite Victor Fleming à la réalisation, lui qui fut le
premier à la sortir de ses emplois habituels de personnages victime dans Docteur
Jekyll et M. Hyde (1941).
Le scénario (coécrit par Maxwell Anderson lui-même) joue
essentiellement sur la facette de sainte immaculée de Jeanne d’Arc, son
ouverture sur une nuée de cloche puis les vues de fresque religieuse sur fond
de voix-off pieuse annonçant le ton du récit. L’ensemble du film aurait plutôt
tendance à évoquer les atmosphères exaltée que l’on trouve dans le péplum
biblique, pas encore complètement revenu en grâce à Hollywood (ce sera pour la
décennie suivante et les besoin en spectaculaire du cinémascope) mais dont on
retrouve une certaine grandiloquence ici à travers la musique de Hugo Friedhofer gorgée de chœurs célestes ainsi que par le jeu hébété d’une
partie du casting. Il suffirait d’un rien pour que le film cède au kitsch mais
le but de Victor Fleming est justement d’équilibrer le film entre emphase
extatique et facteur humain. C’est paradoxalement par l’illustration de Jeanne
d’Arc que naît cette facette plus fragile qui crée la proximité plutôt que la
distance avec l’icône. Les voix appelant Jeanne vers sa glorieuse destinée n’existent
que par l’émotion qu’elles éveillent chez la jeune fille et c’est sa
détermination à suivre leurs échos qui les rendent réelles.
Tout en affirmant
la piété de son héroïne, Fleming dévoile son courage et son audace dans une
veine intime. Ainsi le contexte géopolitique d’une France à l’agonie ne se
découvre qu’à travers le regard de Jeanne, connaissant son avenir depuis
longtemps sans oser y souscrire (par peur comme par respect de sa famille) et
qui décidée à obéir à l’appel quand elle entendra la situation catastrophique d’Orléans,
dernier bastion français face à l’envahisseur anglais. La parole et la croyance
de celui qui en use fait foi, nul besoin de visions de désolations pour
comprendre que le pays souffre, le tourment et la souffrance de Jeanne est celle de la France.
C’est cette foi ardente permet à Jeanne de faire vaciller la décision d’un
pouvoir corrompu (José Ferrer en Charles VII tour à tour cynique et convaincu),
de susciter le respect d’une armée démobilisée et enfin d’éveiller l’amour de
tout un peuple pour lequel elle ravive l’espoir de jours meilleurs.
Victor Fleming trouve constamment le ton juste entre l’ampleur
croissante de l’aura de Jeanne et le caractère humble de celle-ci. Durant la scène
où elle va à la rencontre de Charles VII, le travelling n’accompagne que son
mouvement parmi les silhouettes anonymes des courtisans jusqu’à la découverte
du souverain. Ce dernier, caché dans l’assemblée comme face à ses responsabilités
envers la France est ainsi mis à nu et ne pourra qu’acquiescer aux désirs de
Jeanne. Un même travelling arrière la figera dans un tableau en mouvement
lorsqu’elle exhortera les soldats à une plus vertu qui fera d’eux une armée
sainte. Cette nature d’emblème divin d’une cause juste s’affirmera avec plus de
force encore durant les scènes de guerre. Jeanne se distingue sur le champ de
bataille par son armure à l’éclat immaculé et portant haut l’étendard, n’ayant
de guerrière que l’allure mais incarnant surtout un symbole galvanisant les
troupes et effrayant l’ennemi.
Le scénario s’écarte des interprétations faisant
de Jeanne une combattante (d'où par exemple l'absence d'un évènement historique capital comme la Bataille de Patay) et privilégie une fois de plus son aura et sa parole,
la simple présence dans ce carnage suffisant à exprimer le courage de cette
frêle jeune femme. Victor Fleming privilégie une esthétique évocatrice plutôt
qu’une vraie grande bataille spectaculaire. Les ciels rougeoyant, les
compositions de plan et cadrages évoquent parfois son Autant en emporte le vent mais accentuent surtout la théâtralité
des évènements en cours dans une approche qui annonce le Excalibur (1981) de John Boorman. Seule le dernier « tableau »
du désintérêt pieux de Jeanne sera perverti lors du couronnement de Charles
VII. Fleming compose une fresque somptueuse avec ce décor d’église
extraordinaire mais cette fois la pureté de Jeanne la perd : tandis qu’elle
se jette aux pieds de son roi, celui-ci envieux n’a d’yeux que pour la foule qui scande
le nom de Jeanne. Les renoncements et trahisons à venir s’annoncent dans ce qui
est pourtant l’apogée de l’épopée de Jeanne.
Après avoir réussi à imposer sa foi à un monde perverti
durant la première partie, Jeanne devra la maintenir vivace lorsqu’elle se
trouvera à la merci de l’ennemi anglais, vendue par les bourguignons. La
dernière partie dépeint ainsi le long et arbitraire procès qui aboutira à la
mise au bûcher de Jeanne. Ce passage est certes intéressant – et suit vraiment fidèlement
la chronologie et le détail des évènements - quant à sa description de la
perversion religieuse sur l’autel de la politique le sujet mais sera traité
avec bien plus d’acuité plus tard avec Les Diables (1971) de Ken Russell. Ce qui intéresse ici c’est toujours Jeanne
qui ne pouvant pas convaincre, doit résister, sûre des convictions et du Dieu
qui l’ont conduite à toute ses épreuves. Fleming avait réussi sous les exploits
à maintenir cette fragilité signe d’espoir et de réserve, et l’émotion n’en
sera que plus forte face à l’oppression physique et psychologique des anglais.
C’est cette fois en la figeant au centre du cadre, en la scrutant en légère
plongée que Fleming lui donne une grandeur à la fois divine et humaine alors qu’elle
est la plus vulnérable. Sa volonté vacille, la faisant redevenir une jeune
fille ayant peur de mourir et perdue dans le silence où l’on abandonnée les
voix. C’est une passionnante et subtile confrontation au doute (que Luc Besson
tentera avec moins de finesse d’exprimer aussi dans sa version où il place
Jeanne face à sa conscience), une mise à l’épreuve qui fera comprendre son rôle
à Jeanne. C’est par son sacrifice qu’elle deviendra une adversaire indestructible,
scrutant l’ennemi du haut des cieux qu’elle s’apprête à rejoindre. Fleming une
fois de plus oscille entre grandiloquence (où les chœurs s’emballent, le peuple
se lamente et les cieux s’entrouvrent) et le visage calme de Jeanne face aux
flammes montantes du bûcher. Cette volonté de grandeur se devine d'ailleurs par la trame fidèle à la grande Histoire mais qui en omet les échecs (la série de défaite de Paris à Compiègne qui conduit à l'arrestation quasiment éludé).
Ni vraiment spectaculaire, ni réellement intimiste, le film
divisera grandement à sa sortie. Ingrid Bergman habitée comme jamais se
montrera déçue par ce film trop longtemps fantasmé mais cela viendra sans doute
plus du souvenir de la romance tumultueuse - et expliquant l’intensité à fleur
de peau de son interprétation - entretenue durant le tournage avec un Victor
Fleming dont ce sera le dernier film - il décède d’une crise cardiaque deux mois
après la sortie. Après une première mitigée, un remontage amputera le film de
40 minutes (il ne sera restauré qu’en 1998) mais rien n’y fera même si
le film ne sera pas un total échec financier. Ingrid Bergman s’affirmera comme
femme libre de ses choix par son aventure avec Roberto Rossellini mais l’association
du public avec son personnage n’en rendra que plus forte la vindicte morale. C’est
pourtant bien par cette dualité entre sainte icône et adolescente chétive qu’elle
offre une des plus fascinantes Jeanne d’Arc de l’histoire du cinéma.
À bord d'un paquebot, des passagers se remémorent leur plus grande histoire d'amour...
The Story of Three Loves
est un charmant film à sketches où se dessine trois visages de l'amour
tour à tour tragique, éphémère, dangereux et rehaussé par le faste de la
MGM dans un somptueux et dépaysant (Londres, Rome et Paris) écrin
romantique.
The Jealous Lover de Gottfried Reinhardt
Charles
Coudray, directeur d'un célèbre corps de ballet et passager d'un
paquebot voguant sur l'océan, revoit sa douloureuse histoire d'amour à
Londres : pourquoi n'a-t-il mis qu'une seule fois en scène son
chef-d'œuvre Astarte ?
Un premier sketch sur lequel plane l'ombre des Chaussons Rouges
(1948) de Michael Powell et Emeric Pressburger. La présence de Moira Shearer
en danseuse étoile contribue bien sûr à l'analogie mais aussi le thème
de l'histoire avec une héroïne déchirée entre sa vocation et une
existence ordinaire. Quand Powell et Pressburger en faisait un enjeu
existentiel, le scénario y ajoute un élément plus concret avec la jeune
Paula Woodward (Moira Shearer) contrainte de renoncer à la danse à cause
d'un problème cardiaque. Assistant nostalgique à un ballet du célèbre
directeur Charles Coudray (James Mason), elle s'attarde pour exécuter
quelques figure après le spectacle et attire l'attention de ce dernier.
Un segment captivant qui sonne comme le rendez-vous manqué entre la muse
et son pygmalion. La romance s'amorce et se conclut tragiquement alors
que les protagonistes se subjuguent mutuellement.
Paula revit à travers
l'intérêt et le regard exalté de Charles, lui faisant la démonstration
de son talent au péril de sa vie. Un don de soi que ressent Charles
captivé et on devine que le lien naissant sera bien lus qu'artistique.
Moira Shearer intense et effectuant chaque pas comme s'il était le
dernier est fabuleuse d'intensité dans le geste et l'interprétation et
Gottfried Reinhardt (fils de Max Reinhard et qui devait en connaître
sans doute un lot sur la mise en valeur scénique) capture magnifiquement
par le montage et sa mise en scène le lien profond se créant entre
regardant et regardée : impossible de s'arrêter pour elle et de
décrocher le regard pour lui. La chorégraphie de Frederick Ashton
exprime bien cette dimension de grâce et de tragédie dans le décor
presque hors du temps de la demeure de James Mason. Malgré le côté
redite en format court des Chaussons Rouges une belle réussite qui frustre même pas sa conclusion abrupte.
Mademoiselle de Vincente Minnelli
Une
gouvernante française, Mademoiselle, se remémore son étrange romance.
La riche famille Clayton Campbell, séjournant à Rome, lui a confié
l'éducation de leur jeune fils Tommy âgé d'une douzaine d'années.
Mademoiselle s'applique à apprendre le français et la poésie à son élève
récalcitrant, mais rêve de rompre son monotone quotidien d'enseignante
ne serait-ce que pour quelques heures. Madame Pennicott, une dame âgée
qui n'est autre qu'une sorcière, a reçu le souhait de Tommy aspirant à
devenir rapidement adulte.
Ce deuxième sketch laisse à Vincente Minnelli la possibilité d'exprimer son attrait pour le conte avec ce Cendrillon
au masculin. Jeune garçon insensible à la douceur et l'âme romantique
de sa gouvernante française Mademoiselle (Leslie Caron), Tommy (Rick
Nelson) n'aspire qu'à devenir adulte pour faire ce qui lui plaît. Une
étrange sorcière (Ethel Barrymore) va exaucer son vœu et une fois adulte
(sous les traits du beau Farley Granger) il va succomber à des émotions
nouvelles en tombant amoureux de Mademoiselle le temps d'une nuit.
Minnelli filme une délicieuse rêverie, pleine d'urgence et de candeur où
une Rome de studio brille de mille feux pour accompagner cette brève
romance. La caméra aérienne et les idées visuelles en pagaille marque la rétine avec ce panoramique dévoilant la transformation de Tommy où le mouvement de grue nous introduisant dans l'histoire. Farley Granger, gauche et dépassé est très attachant, tout
comme une Leslie Caron à croquer de candeur juvénile tandis qu'un
scénario astucieux revisite les motifs de conflit entre l'enfant et sa
gouvernante pour en faire ceux du rapprochement des deux amoureux comme
l'utilisation (et la prononciation) du mot "suspendu" en français. Un
petit bijou là aussi un peu frustrant, une telle histoire avait le
potentiel pour un film à part entière.
Equilibrium de Gottfried Reinhardt
Accoudé
sur une rampe du paquebot, Pierre Narval se souvient de son histoire
d'amour à Paris. Acrobate, il s'est retiré du métier après le décès de
son partenaire au cours d'un numéro de trapèze et dont il se sent
responsable. Il sauve de la noyade Nina Burkhart, une jeune femme
italienne qui a voulu se suicider en se jetant du haut d'un pont.
Un
dernier sketch qui se déleste de l'imagerie féérique des deux
précédents, l'émerveillement venant des prouesses physiques des
protagonistes. Sauvant du suicide la jeune italienne Nina (Pier Angeli),
le trapéziste Pierre Narval (Kirk Douglas) voit en elle la partenaire
idéale à ses numéros. Retiré du métier suite à un drame, il voit en
cette jeune femme dépressive ne craignant pas la mort celle qui ne
cèdera pas à ses émotions dans les airs. Pourtant en se découvrant une
culpabilité commune face à un passé tragique, c'est précisément leurs
sentiments naissants et la confiance qui en découle qui rendra leur duo
fusionnel. Le film est vraiment impressionnant dans ses numéros de
voltige, si Pier Angeli semble constamment doublée par contre Kirk
Douglas (hormis des plans d'ensemble plus lointain et dangereux) donne vraiment de sa
personne avec brio.
Peu d'artifices narratifs ou d'ornement musical
pour ce sketch, Gottfried Reinhardt cherchant à faire partager le
détachement des personnages et décrivant méticuleusement le processus
d'apprentissage du trapèze. L'alchimie entre un intense Kirk Douglas et
une Pier Angeli plus flottante fait passer subtilement l'émotion (la
vraie romance des deux en coulisse se ressentant) qui culmine dans le
lâcher prise d'un ultime numéro vertigineux. Comme les deux autres
segments il y avait matière à un long mais ce sketch bien construit ne
laisse pas le petit sentiment d'inachevé des deux autres. Un beau
film à sketch à l'esthétique chatoyante qui lui vaudra d'ailleurs une
nomination aux Oscars pour sa direction artistique.
Sorti en dvd chez Warner dans la collection Warner Archives sans sous-titres
Eben Adams (Joseph Cotten) est un peintre fauché qui rencontre Jennie
(Jennifer Jones), une petite fille dans Central Park portant des
vêtements d'un autre âge. De mémoire, il fait d'elle un beau croquis qui
impressionne ses marchands d'art. Cela lui inspire un portrait - le
"Portrait Of Jennie". La revoyant grandie, il s'éprend alors de celle
qui semble n'être qu'une apparition appartenant au passé...
Autant en emporte le vent (1939) s’était avéré un triomphe artistique, commercial et personnel grandiose pour David O. Selznick. Le producteur prenait là une éclatante revanche sur l’industrie qui rejeta son père Lewis J. Selznick, célèbre distributeur dont la faillite freina sa progression. Cette volonté de redorer le blason de son nom (auquel il ajouterait ce fameux O. si aristocratique) guiderait David O. Selznick dont le talent allait passer par la MGM, la RKO ou Paramount où il produirait de grands films (King Kong (1933), la première version de Une étoile est née (1937)) tout en dévoilant son goût pour la grande adaptation littéraire et le récit romanesque (Le Marquis de Saint-Evremond (1935) réalisé par Jack Conway et adapté de Dickens, Anna Karenine (1935) de Clarence Brown d’après Tolstoï…). Cette ambition folle et ce gout de la démesure atteindrait donc des sommets avec Autant en emporte le vent où, devenu producteur indépendant avec la Selznick International Pictures, il épuiserait trois réalisateurs (George Cukor, Victor Fleming et Sam Wood) au terme d’un tournage épique mené un le perfectionnisme et la tyrannie d’un général. Vrai auteur du film en définitive, ce succès serait avant tout le sien.
Au terme de cet exploit et après une ultime réussite avec Rebecca (1940) récompensé de l’Oscar du meilleur film, O. Selznick prendra de longs congés pour ne revenir à la production qu’en 1944. Ce retour sera marqué par une seule et unique obsession, réitérer le succès d’Autant en emporte le vent. La force du film reposait sur un équilibre ténu entre la puissance évocatrice du film faisant passer ce romanesque par une imagerie grandiose et l’histoire d’amour tumultueuse dont les surprenants élans de cruautés contredisaient les canons romantiques. Cet équilibre ne serait jamais complètement retrouvé dans ses productions suivantes pour donner nombre de films inclassables. L’atmosphère intimiste des homefront Depuis ton départ (John Cromwell, 1944) et Étranges Vacances (William Dieterle, 1945) se laisse par moment déborder par ce goût de l’emphase (la somptueuse scène de bal du film de Cromwell) et Duel au soleil (King Vidor, 1946) poussera tous les curseurs de la grandiloquence, de la passion brutale et vénéneuse ainsi que de l’érotisme exacerbé dans une épopée pleine de bruit et de fureur - à l’écran comme en coulisse avec là aussi trois réalisateurs exploités puisque William Dieterle et Josef von Sternberg participèrent après le départ de King Vidor - au Technicolor incandescent. O. Selznick y ferait de sa future épouse Jennifer Jones une icône tout en s’attirant les foudres la censure pour un nouveau grand succès.
Si dans Duel au soleil le couple Gregory Peck/Jennifer
Jones décuple les outrances de Rhett Butler/Scarlett O’Hara, un autre
plus apaisé s’esquisse entre Joseph Cotten et Jennifer Jones. L’année
précédente et prêté à la Paramount par O. Selznick, les deux acteurs
avaient été réunis devant la caméra de William Dieterle dans le superbe
mélodrame Love Letters (1945). Obsession amoureuse pour
un personnage irréel/disparu, romantisme tortueux et baigné de
psychanalyse, divers éléments que l’on verra dans Le Portrait de Jennie produit par O. Selznick se retrouvent déjà dans Love Letters. Le producteur apprécie l’alchimie des deux stars (qui s’étaient néanmoins croisées dans Depuis ton départ)
en tant que couple et les exploitera à nouveau de ce registre. Le film
est aussi la découverte du jeu fiévreux et sensuel de Jennifer Jones
alors que ses premiers rôles importants (Le Chant de Bernadette (1943) et Depuis ton départ) ne le laissaient pas deviner et là aussi largement exploité par la suite par O. Selznick et d’autres grand réalisateurs.
Le Portrait de Jennie
adapte le roman éponyme de Robert Nathan paru en 1940, un récit de
fantôme bref et fragile auquel O. Selznick va pourtant conférer la forme
grandiloquente de Duel au Soleil et Autant en emporte le vent. Tout en conservant la dimension psychanalytique de Love Letters,
William Dieterle fait baigner cette ampleur supposé inappropriée pour
le récit intimiste de Robert Nathan à une veine éthérée à souhait. Les
premières images donnent le ton avec une vision céleste et aérienne où
la caméra traverse les nuages avant de nous dévoiler une perspective
irréelle des cieux tandis qu'en voix off sont déclamés ces vers de John
Keats :
Who Knoweth If To Die Be But To Live... And That Called Life By Mortals Be But Death? » Beauty is truth, truth beauty, that is all ye know on earth, and all ye need to know
Cette voix-off lourde de sens et déclamant des questionnements abstraits
sur la relativité du temps prend bientôt les intonations plus humaines
du personnage d’Eben Adams (Joseph Cotten). Peintre sans le sous qui
survit en écoulant péniblement quelques tableaux, il est moins rongé par
cette existence misérable que par l’absence d’âme, de la flamme qui
manque dans ses œuvres à la technique pourtant assurée. Tout change
lorsqu'il fait la rencontre de Jennie (Jennifer Jones), étrange petite
fille dont les références et les vêtements évoquent une autre époque.
L'échange est aussi bref que magique et Jennie après lui avoir fait
promettre de ne pas l'oublier et d'attendre qu'elle grandisse disparaît
mystérieusement de la vue d’Eben Adams mais certainement pas de son
esprit pour alimenter son art. Le film joue ainsi constamment de cette
interrogation, Jennie est-elle une création issue de l'esprit de Cotten
afin de lui donner inconsciemment l'étincelle créatrice ou alors une
réelle apparition surnaturelle ayant traversée le temps, l'espace ou
l'au-delà pour vivre une déroutante passion ? Le mystère reste entier
notamment grâce à l'incroyable réussite esthétique du film.
Tout semble véritablement se dérouler dans un rêve éveillé y compris
dans les séquences dénuées de surnaturel, et lorsque celui-ci se
manifeste l'éblouissement et l'envoûtement se fait constant. Dans son
premier film hollywoodien Le Songe d’une nuit d’été
(1935), William Dieterle avait su le temps de quelques séquences
grandioses dépeindre la bascule dans la féérie au sein de la forêt où se
déroule l’intrigue de Shakespeare. Il réitère l’exploit ici dans un
cadre urbain avec une ville de New York comme on l’a rarement dépeinte
au cinéma - et pour l’essentiel vraiment tourné en extérieur. La ville
semble constituer une dimension parallèle entre le passé dont est issue
Jennie et le présent où l’attend Eben, l’esthétique vaporeuse donnant
l’étrangeté du songe à l’ensemble du récit. Cette volonté se ressent
d’ailleurs avec cette absence de générique inhabituelle à l’époque qui
nous introduit justement à l’histoire avec cette même impression de se
raccrocher à une rêverie en cours.
Chaque moment précédent les
apparitions de Jennie nimbent l’esthétique du film de cette approche de
tableau en mouvement. Lors de première rencontre à Central Park, la nuit
s’éclaire avec l’allure encore enfantine de Jennie qui se distingue au
loin tandis que la caméra est recouverte de tulle qui donne à l’image
une texture de tableau, comme pour imperceptiblement lié à l’art la
nature du personnage.Les entrevues du couple sont nimbées d'une photo
d'un blanc de plus en plus immaculé au fil de l'avancée du récit,
rendant irréel l’urbanité où les apparitions de Jennie forment cette
fois une ombre entêtante focalisant le regard cet éclat aveuglant.
Dieterle conjugue ainsi ces apparitions à l’état d’esprit d’Eben.
Lors de la première rencontre nocturne, elle avait été la lueur dans la
torpeur de son existence tandis que la seconde vision avec cette
silhouette surgissant de la pâleur hivernale semble être une réponse à
l’attente désormais insoutenable d’Eben de la retrouver. Lorsqu’ils se
retrouveront plus tard au couvent où a séjourné Jennie, c’est ce halo
diaphane qui dominera l’imagerie élégiaque du récit, tout s’harmonisant
entre l’âge de Jennie et Eben mais aussi dans cet équilibre entre rêve
et réalité. Joseph August (habitué de Dieterle puisque à l'œuvre sur son
Quasimodo et Tous les biens de la terre)
offre une photo stylisée où à presque chaque plan se ressent un désir
de composer un tableau en mouvement, de marquer la rétine. L’onirisme et
la flamboyance visuelle atteignent leur sommet lorsque Eben cherche
enfin à capturer son amour de Jennie en peinture, la proximité de la
muse et du créateur accompagnant avec grâce la passion amoureuse des
amants.
L'interprétation habitée des deux acteurs joue grandement aussi
sur la puissance émotionnelle du récit, sans quoi la réussite serait
uniquement plastique. Joseph Cotten prolonge ces personnages désabusés deÉtranges Vacancesavec
ce peintre taciturne transfiguré par l’amour et offre l'une de ses
prestation les plus habitées. Et que dire de Jennifer Jones, tour à tour
gamine espiègle, adolescente passionnée et amoureuse transie dont
l’intensité des sentiments contrebalance constamment avec la facette
rêvée que lui confère la mise en image. Jennifer Jones par son
interprétation sensible et étrange fait de l’héroïne une figure aussi
proche que lointaine, aussi charnelle qu’irréelle. La bande-son ponctue
ces aspects enfantins et insaisissables par la comptine issue du livre Where I came from, nobody knows, and where I am going everyone goes.
Brillamment mise en musique par Bernard Herrmann, elle s’intègre
parfaitement au magnifique score d’un Dimitri Tiomkin qui réorchestre
plusieurs pièces musicales de Debussy comme Prélude à l'après-midi d'un faune.
William Dieterle en liant constamment sa mise en scène aux élans de ses
amoureux fait parvient à faire de cette extravagance esthétique un
élément inhérent au récit et pas un élément le rendant hypertrophié. Les
interrogations existentielles de la scène d’ouverture trouvent en somme
des éléments tangibles auxquels se raccrocher avec cette romance
déroutante et à la sophistication des images répond une tonalité apaisée
qui change du tumulte habituel attendu avec une production O. Selznick.
La facette surnaturelle évite les soubresauts relationnels bien humains
mais exacerbés d’Autant en emportele vent et Duel au soleil
mais, figée dans cette béatitude hors du temps la romance est
condamnée. C’est quand cette issue se fera de plus en plus inéluctable
que le film perdra de cette atmosphère flottante.
Cela se fera dans une
démarche paradoxale où Dieterle dépouille les environnements tout en
chargeant primitivement l’image désormais nimbée de teintes de couleur -
August usa d’ailleurs de lentilles de caméra issue du muet. Le souvenir
d’une tempête, d’une île et d’un phare ayant jeté le seul voile
d’inquiétude dans la présence lumineuse de Jennie, Eben va comprendre où
il doit se rendre pour ne pas perdre son aimée. Les éléments se
déchaînent dans un morceau de bravoure où la virtuosité technique est
guidée par une puissance romanesque qui ose enfin le chaos. En tentant
de se confronter au réel, Eben et Jennie réveillent les forces inconnues
qui les ont unis en dépit du temps et de l’au-delà, le destin cherchant
à les séparer se présentant sous la forme d'un titanesque raz de marée.
L’art et l’amour auront été intrinsèquement liés tout au long du récit
par les choix esthétiques du film. C’est cette facette qui, au-delà des
éléments scénaristiques disséminés (l’explication du foulard) donnera sa
véracité à l’histoire. Le portrait de Jennie enfin achevé est magnifié
en Technicolor dans la dernière scène, la fascination et le pouvoir
évocateur qu’il dégage ne pouvant être né d’une émotion bien réelle. La
bizarrerie du film en causera pourtant l’échec à sa sortie, mais
aujourd’hui on peut estimer qu’il trône fièrement dans ce registre de la
romance surnaturelle aux côtés d’un Peter Ibbetson ou Pandora.