Pages

jeudi 30 mai 2024

Tunnel to Summer - Natsu e no Tunnel, Sayonara no Deguchi, Tomohisa Taguchi (2024)


 Selon une légende urbaine, trouver et traverser le mystérieux tunnel d’Urashima offre à celui qui ose s’y aventurer ce qu’il désire de plus cher mais à un prix qui rend l’expérience périlleuse : quelques secondes en son sein se transforment en plusieurs heures dans la vraie vie ! Kaoru, un jeune lycéen, qui a du mal à se remettre de la disparition de sa petite sœur va faire équipe avec Anzu, une jeune fille énigmatique qui lui propose son aide pour tenter l’aventure. Mais qu’attend-elle de lui en échange ? Et que lui restera-t-il, une fois qu'il aura traversé le tunnel ?

Tunnel to Summer est un nouvel avatar plutôt réussi d’un sous-genre dont la fiction japonaise est particulièrement friande, le récit d’apprentissage adolescent teinté de fantastique. Récemment les odyssées de Makoto Shinkai (Your name (2016), Les Enfants du temps (2019), Suzume (2023)) en ont proposé de grandes réussites, mais des œuvres comme Fireworks, Should We See It From the Side or the Bottom? De Shunji Iwai (1993) ou The Little Girl who conquered time de Nobuhiko Obayasahi (1983) – ainsi que leurs variations animées comme La traversée du temps de Mamoru Osoda (2007) adaptant le même roman que le film d’Obayashi, Fireworks (2018) revisitant le film d’Iwai – sont devenues culte par leur capacité à entremêler phénomènes surnaturels et spleen adolescent.

Tunnel to Summer est dans cette lignée, notamment par les nombreuses itérations dont il dispose déjà. A l’origine il s’agit d’un light novel de Mei Hachimoku, publié au Japon en 2019 et qui y a rencontré un grand succès et obtenu de nombreuses récompenses. Le roman bénéficie ensuite d’une adaptation en manga de cinq volumes (publié en France chez Mangetsu) auquel vient donc désormais s’ajouter le film de Tomohisa Taguchi. En plus de ce travail d’adaptation pour les lecteurs, il est difficile sur ce type de récit de passer après les archétypes posés par les œuvres citées plus haut et d’autres creusant le même sillon. On retrouvera donc ici ce cadre rural japonais baigné de mystère, un argument surnaturel jouant sur la dilatation du temps, des adolescents torturés trouvant dans l’aventure une possible échappatoire à leurs maux et la découverte de l’amour.

La force de Tunnel to Summer est de réajuster tout ces motifs à son époque. Le récit se déleste de la grandiloquence d’un Makoto Shinkai (les enjeux restent strictement intimes) et fait le choix d’un contexte social plus réaliste que Firerworks (même si Shunji Iwai se montrera plus âpre dans ses récits adolescents sans fantastique comme All About Lily Chou-chou (2001)), les personnages sont plus explicitement tourmentés que le vernis naïf dont pouvait faire preuve au premier abord Nobuhilo Obayashi. Les deux personnages sont les revers d’une même pièce dissimulant des failles complémentaires. Kaoru porte la culpabilité de la mort accidentelle de sa sœur et traverse son quotidien d’un air éteint, Anzu poursuit l’idéal d’accomplir la réussite artistique qui échappa à son grand-père et affiche au contraire un caractère déterminé qui éclate dès le répondant qu’elle exprime face à une tentative d’harcèlement scolaire.

Kaoru est hanté par un regret du passé, Anzu souhaite enjamber les étapes pour atteindre son objectif futur. Le tunnel est donc une sorte d’espace mental nourrissant leurs espoirs et regrets, un macguffin permettant par la magie davantage que le vécu de réaliser leur rêve. Le réalisateur Tomohisa Taguchi est certes plus connu pour son passage récent sur la suite de Bleach porté par l’action, mais rappelle ici avant tout son travail sur la série Kino's Journey -the Beautiful World (2017) justement portée sur l’introspection, le contemplatif et le sentiment du temps qui passe. La dimension abstraite, onirique et psychanalytique qu’il parvient à conférer aux séquences dans le tunnel est fascinante, y disséminant des éléments personnels et d’autres plus insaisissables. 

La dilatation et le décalage que créent les excursions dans le tunnel avec la temporalité du monde réel expriment cette notion de temps que l’on ne peut surmonter, par la réparation du passé ou le l’ajustement du futur. Davantage que les vertus du tunnel, c’est le temps passé ensemble par Kaoru et Anzu pour en percer les secrets qui leur fera transcender leurs attentes. Tunnel to Summer est donc à la fois une fable sur la peur de grandir et de ce que l’on abandonne de l’enfance (Kaoru), et le sentiment d’étouffement, d’empêchement relatif aux contraintes de cette même enfance (Anzu). En exploitant les possibilités du tunnel de façon inéluctable, le regret des personnages ne se rapportera ainsi plus au passé ou au futur, mais à un présent où ils se retrouveront.

Alors si l’on ne retrouve pas le vertige formel et émotionnel d’un Shinkai, Obayashi ou Iwai, Tomohisa Taguchi inscrit la poésie de sa romance dans la modernité avec cette magnifique utilisation du téléphone portable comme lien fragile avec « l’outre-monde ».  L’émotion est palpable, subtile et feutrée (la rencontre avec la sœur disparue), faisant de cette romance à travers le temps et l’espace une belle réussite.

En salle le 5 juin

mardi 28 mai 2024

Un cœur en hiver - Claude Sautet (1992)

Maxime et Stéphane sont amis et travaillent ensemble dans l'atmosphère feutrée d'un atelier de lutherie. Maxime, marchand de violons, est un homme accompli, actif, sans états d'âme particuliers. Stéphane, luthier, vit dans une retraite, dans un hiver du cœur dont on discerne mal les raisons. Maxime tombe amoureux d'une jeune violoniste, Camille Kessler. Entre les trois personnages se noue une relation complexe.

Un cœur en hiver est un film qui poursuit le travail de réinvention entamé par Claude Sautet dans son film précédent, Quelques jours avec moi (1988). Sautet fut finalement souvent sujet à des périodes de doutes où, se sentant enfermé dans une case (le cinéma de genre avec Classe tous risques (1960) et L'Arme à gauche (1965)) ou étant arrivé au bout d'un cycle (les glorieuses années 70 avec Les Choses de la vie (1970), Max et les ferrailleurs (1971), César et Rosalie (1972), Vincent, François, Paul... et les autres (1974), Mado (1976), Une histoire simple (1978)), il ressentait le besoin de s'éloigner un temps de la réalisation. Cinq ans séparent ainsi L'Arme à gauche de Les Choses de la vie, ou encore Garçon ! (1983) de Quelques jours avec moi. Ce dernier avait marqué une rupture dans la méthode (les nouveaux venus Jacques Fieschi et Jérôme Tonnerre suppléant les fidèles Jean-Loup Dabadie et Claude Neron), le style formel ainsi que la troupe d'acteurs renouvelée avec en tête un Daniel Auteuil et une Sandrine Bonnaire symbole de modernité (même si cet élan était déjà perceptible même si moins radical dans Un Mauvais fils (1980)). Quelques jours avec moi entamait en fait une sorte de trilogie où Sautet revisiterait ses grands thèmes sous une forme plus épurée et intimiste, avec Un cœur en hiver comme pièce centrale et Nelly et Monsieur Arnaud (1995) en belle conclusion.

Un cœur en hiver fonctionne comme une sorte de continuité formelle de Quelques jours avec moi, tout en en étant le contrepoint sur le ton. Cela se ressent notamment dans la différence entre les deux personnages interprétés par Daniel Auteuil. Le Patrick Dewaere de Un Mauvais fils et Auteuil dans Quelques jours avec moi, représentaient de façon différentes les fragilités masculines si souvent observées par Sautet. Les héros des années 70 se montraient incapables d'exposer leurs sentiments car façonnés par une éducation machiste ne les y autorisant pas, masquant leurs failles sous les silences taciturnes (Michel Piccoli le plus souvent) ou une jovialité de façade (Yves Montand). Patrick Dewaere amène sa personnalité d'écorché vif dans Un Mauvais fils tandis qu'Auteuil livre une composition fascinante dans Quelques jours avec moi avec un personnage dont le masque repose au contraire sur l'excentricité, le bousculement des conventions. Sautet poursuivait ainsi son analyse de la masculinité, mais par le prisme de personnalités s'étant construite dans un autre contexte, une génération différente.

Le taiseux et distant Stéphane (Daniel Auteuil) est ainsi l'autre revers de la pièce que représentait Martial dans Quelques jours avec moi, et n'a pas grand-chose à voir avec le silencieux Michel Piccoli des seventies. Le tempérament expansif de Martial était un défi à la bienséance tout autant qu'une précaution, la réserve de Stéphane est de la même nature. C'est une manière de se démarquer, d'attirer l'attention sur lui par cet excès de réserve comme le montrera la scène du dîner où il se refuse à donner une opinion tranchée lors d'une discussion. Un cœur en hiver rejoue et détourne le triangle amoureux de César et Rosalie. Maxime (André Dussolier) semble l'enjoué charismatique prenant le relai de Montand, et Daniel Auteuil reprendre la place de l'effacé Sami Frey. Mais aux codes romantiques (s'effacer au profit de son rival par amour tel Sami Frey) et masculins de l'ancien monde se substitue une démarche plus trouble.

Les hommes de sa génération que filme Sautet durant les années 70 ne sont pas éduqués à manifester leurs sentiments mais restaient lisibles aux autres. Les figures des années 80, plus enclines à l'introspection,se perdent dans le poids des apparences. Sautet souligne le caractère manipulateur de Stéphane qui ne peut essayer de séduire Camille (Emmanuelle Béart) qu'en pensant la manipuler. Sa réserve trouble et attire la jeune femme, et lui croit contrôler la situation par ses attitudes ambiguës mais Sautet s'attarde suffisamment longuement sur les regards d'Auteuil pour que la notion de calcul s'estompe. Son attitude fuyante trouble Camille mais révèle aussi son trouble malgré lui, et Daniel Auteuil est aussi subtil qu'impressionnant pour faire passer ces nuances. Ce qu'il n'ose exprimer se révèle paradoxalement quand il se montre le plus mutique. Il n'est pas froid comme il pense l'être, mais pétrifié. Il n'est pas un handicapé sentimental comme il l'exprime presque fièrement, mais un homme qui s'égare en se posant trop de questions. 

Sautet estompe la dimension sociale présente dans plusieurs de ses films des années 70 et 80 pour ne pas faire reposer les failles de Stéphane sur un contexte, mais plutôt les rendre opaque. Pas de traumatisme d'enfance à chercher, c'est davantage dans la méticulosité du personnage dans son travail de luthier qu'il faut chercher une part des raisons de son écart du monde et des sentiments. Le vase-clos du milieu observé, la récurrence des lieux arpentés par les personnages (l'atelier, le restaurant sorte de "cantine" des musiciens, les studios d'enregistrement) sont une expression implicite de la prison dans laquelle s'est cloitré Stéphane. Emmanuelle Béart offre un pendant ardent et passionné qui perverti la fonction de ces lieux et par extension la fermeture de Stéphane, c'est par elle (et le couple vieillissant Myriam Boyer/Maurice Garrel) qu'on sort de ce cadre et des conventions qui le guide. L'exercice est assez envoutant et évite brillamment le risque de froideur, pour atteindre en définitive une touchante mélancolie. Les longs regards d'attente, d'amour et d'incompréhension de Camille tout au long du film rencontrent enfin celui de Stéphane lors de la dernière scène, mais cette fois uniquement pour exprimer le regret de ce qui aurait pu être.

Sorti en bluray chez StudioCanal

dimanche 26 mai 2024

L'Homme qui voulait savoir - Spoorloos, George Sluizer (1988)

Sur la route des vacances, Rex et Saskia s'arrêtent sur une aire d'autoroute. L'homme s'éloigne du véhicule pendant quelques minutes. A son retour, sa compagne a disparu. Fou de douleur, il renonce à sa vie professionnelle et sociale pour se consacrer exclusivement à la recherche de la disparue. Après trois années d'une quête infructueuse, il reçoit une étrange carte postale, dont l'auteur prétend connaître la vérité sur la disparition...

L’Homme qui voulait savoir est un véritable film culte, une « proposition » de thriller unique en son genre. Il s’agit de l’œuvre la plus connue de George Sluizer, à la carrière déjà conséquente avant de signer ce titre qui le ferait passer à la postérité. Il s’agit de l’adaptation Het Gouden Ei (L'Œuf d'Or) de Tim Krabbé publié en 1984. Sluizer était devenu ami avec l’auteur après avoir réalisé Red Desert Penitentiary (1985), documentaire adaptant une série d’articles de Krabbé écris quand il arpentait les Etats-Unis en tant que journaliste. Krabbé va consulter George Sluizer, francophile, durant l’écriture de Het Gouden Ei afin d’avoir des renseignements logistiques sur la France où se déroule l’intrigue. Sluizer aura ainsi accès en amont aux premiers chapitres et, captivé, en achète aussitôt les droits en vue d’une adaptation. L’écriture du scénario se fera en commun avant que des désaccords amènent Sluizer à prendre seul les rênes.

Le titre original néerlandais Spoorlos et sa traduction anglaise The Vanishing appuient sur la dimension de suspense introduit par le postulat du film. Cependant le titre français L’Homme qui voulait savoir semble davantage cerner les réels enjeux du récit, plus sous-terrain. En effet la disparition insoluble d’un protagoniste et la quête de son sort ont déjà fait l’objet de films notables, notamment le Hitchcock d’Une femme disparait (1938) ou encore Psychose (1960). D’ailleurs Sluizer condense le développement de ces deux classiques, en condensant la résolution de l’énigme de la disparition tout en nous faisant accompagner les pas et la psychologie du coupable. Dans les années suivantes un film comme Breakdown de Jonathan Mostow (1997) semble également lorgner sur les prémices de L’Homme qui voulait savoir mais débouche sur une tension efficace mais classique.

L’intérêt de ce titre français est donc là, sur la nature de l’homme qui voulait savoir. D’un côté il y a le savoir obsessionnel, sentimental et déchirant de Rex (Gene Bervoets), inconsolable depuis la perte inexpliquée de sa compagne Saskia (Johanna ter Steege) sur les routes de France durant leurs vacances. De l’autre il y a le savoir froid et pragmatique par lequel le faussement respectable Raymond Lemorne (Bernard-Pierre Donnadieu parfait de duplicité et d'ambiguïté) souhaite tester ses limites en enlevant une femme. Les deux régimes narratifs et formels mis en place par George Sluizer obéissent à cette logique. La première partie déploie dans un mélange de mysticisme (le rêve « prémonitoire » de Saskia) et de drame conjugal ce qui nourrira la meurtrissure et l’obsession de Rex.

Un comportement mufle de Rex amène une situation où il « abandonnera » Saskia et ressentira une première fois la peur de l’avoir perdue, et la retrouvera comme dans un rêve en sortie d’un tunnel routier, comme pour préfigurer la chimère que sera son retour après sa disparition définitive. George Sluizer creuse ce sillon sentimental tout en déployant une atmosphère paranoïaque où à la manière du Blow-up d’Antonioni, on cherchera insidieusement le danger imminent dans le panorama familier du fourmillement d’un arrêt d’autoroute.

A l’inverse, c’est le méthodisme glacial de Lemorne avant de se « jeter à l’eau » qui suscite l’angoisse. Testant son pouvoir de conviction pour attirer les femmes dans ses filets, expérimentant sur lui-même la longueur des effets du somnifère, mettant en scène des situations susceptible de créer une promiscuité, ses instincts meurtriers repose davantage sur le défi que la pulsion. C’est un scientifique expérimentant le crime comme une équation, une formule à résoudre. Les deux personnages représentent les deux versants d’une forme différente de folie. Celle à vif et émotionnelle de Rex l’amène à s’aliéner son entourage et ne plus dédier ses pensées qu’à la réunion de ce chaînon manquant intime, au risque de sa vie. La démence déshumanisée de Lemorne lui fait parfaitement équilibrer sa vie sociale et familiale avec ses méfaits, et les fait même cohabiter comme le montrera la saisissante dernière scène.

Tout est clair, calculé et d’autant plus terrifiant dans le cheminement de Lemorne, tout est irrationnel, déchirant et illogique dans celui de Rex. Tous deux se rejoignent cependant dans le facteur du hasard et du destin qui accélère la réussite de l’un (la victime « s’offrant » à Lemorne alors que ses manigances savantes y ont échoué) et la perte de l’autre quand les sentiments et l’acharnement de Rex ne suffiront pas à sauver Saskia. En détournant de cette manière les codes du thriller, George Sluizer parvient à un étonnant cocktail d’imprévisible et d’inéluctable, notamment par la rencontre et les confidences inattendues entre le bourreau et sa victime. Le film va gagner une aura culte en traversant les festivals, suscitant l’admiration profonde d’un certain Stanley Kubrick qui y voyait un des films les plus terrifiants qu’il ait vu. 

Sorti en bluray chez Sidonis et ressortie en salle le 5 juin


vendredi 24 mai 2024

Ginger Snaps : Résurrection - Ginger Snaps 2: Unleashed, Brett Sullivan (2004)

La sœur de Ginger, Brigitte, devenue loup-garou à son tour, doit trouver un remède à sa soif de sang avant la prochaine pleine lune. En attendant elle reste à l'écart des autres loups-garous en se cachant dans un centre de désintoxication.

Ginger Snaps (2000) s’était avéré une belle réussite de teen movie fantastique, entremêlant avec brio son argument fantastique lycanthrope aux questionnements du récit d’apprentissage. Le succès et l’accueil critique favorable devait susciter une inévitable suite, où John Fawcett seulement producteur cède sa place à Brett Sullivan. Ce second volet parvient à trouver son identité, en offrant un prolongement et contrepoint intéressant de son prédécesseur. 

Ginger Snaps s’était conclu dans la douleur, avec la séparation définitive de Brigitte (Emily Perkins) et sa sœur Ginger, morte en cédant complètement aux bas-instincts de sa condition de loup-garou. Nous retrouvons désormais une Brigitte en fuite, contaminée à la fin du premier film par le sang de Ginger et menacé de se métamorphoser à son tour. Le remède découvert dans Ginger Snaps ne faisait que retarder le processus, et notre héroïne est en proie aux tourments physiques et psychiques les plus douloureux dans sa cure. Ginger (Katharine Isabelle) lui apparaît en vision pour l’inciter à basculer dans sa part animale, et le remède s’il ralenti la mutation la laisse en revanche dans une grande faiblesse. Toute la mise en scène et les analogies associe ainsi cette cure lycanthrope à la drogue, élément concrétisé par l’intrigue voyant Brigitte placée dans un centre de désintoxication.

class="MsoNormal">L’addiction ne vient cependant pas de l’élément extérieur que l’on s’injecte, mais de la mutation intérieure éveillant une soif de l’autre, graduant du désir sexuel vers la chair à dévorer. Dans Ginger Snaps, on observait cette transformation du point de vue de Bridget voyant la déchéance de sa sœur, et cette fois le phénomène se vit davantage de façon subjective. Ginger Snaps faisait de cette mue quelque chose d’à la fois effrayant et excitant, dans une parfaite analogie du vécu d’une adolescente voyant son corps changer pour passer de l’enfant à la femme. Cette fois la dimension de huis-clos, de prison physique et mentale que constitue ce corps changeant, renforce la métaphore de la drogue. Brigitte se trouve prostrée dans son lit, le corps tremblant et le teint blafard, en proie à des hallucinations cauchemardesques dans lesquelles le spectre de sa sœur la tourmente. La photo de Henry Less et Gavin Smith se déleste des teintes automnales du premier film pour cette fois donner dans une grisaille clinique étouffante. Si Ginger Snaps rejoignait le Hurlements de Joe Dante (1981) dans l’interprétation jouissive de la lycanthropie vue comme un sentiment de toute puissance libérant les inhibitions, il s’agit cette fois d’une lutte pour préserver son humanité. Brigitte a l’exemple des autres pensionnaires du centre qui s’abandonnent clandestinement à leurs addictions, et dans les moments de manques laissent éclater leur part la plus sombre.

L’autre élément offrant à miroir inversé passionnant de Ginger Snaps est le thème de la fratrie. Après la fratrie fusionnelle dont les liens se distendait du premier film, l’idée est cette fois d’en reconstituer une. La rupture entre Ginger et Brigitte est à la fois tragique car amenée par l’inéluctable transformation en loup-garou, mais symboliquement nécessaire pour signifier le chemin et la construction d’une identité propre pour chacune. Après avoir été la cadette poursuivant le modèle inaccessible de son aînée, les rôles s’inversent pour Brigitte lorsqu’elle prendra sous son aile la jeune Ghost (Tatiana Maslany), jeune pensionnaire du centre. C’est cette dernière qui après avoir trouvé cette famille de substitution, voudra à n’importe quel prix maintenir ce lien fragile. Les situations rapprochent progressivement les deux personnages, mais le cadre inquiétant du centre et la passion de Ghost pour l’imagerie du conte préfigure un tournant qui sera forcément tragique. Tatiana Maslany excelle à traduire l’ambiguïté de cette jeune fille en quête d’affection.

Hormis la lutte de Brigitte contre son changement, l’élément loup-garou s’intègre moins fluidement que dans le précédent film avec cette menace extérieur d’un autre lycanthrope. Cela semble un prétexte pour introduire le huis-clos et déployer les névroses des protagonistes. La créature semble d’ailleurs plus conventionnelle dans son look (lorgnant un peu trop sur les lycans de Underworld, saga fantastique contemporaine et populaire) que celle de Ginger Snaps, assez fascinante dans son mélange de bestialité et de féminité/humanité encore devinable en surface, dans les regards. Néanmoins le côté plus psychologique et introspectif, moins balisé par les codes du teen movie, fait de cette suite davantage qu’une redite, mais une réussite à part entière. Un troisième volet sous forme de préquel allait sortir la même année, et réunir plus durablement le beau duo Katharine Isabelle/Emily Perkins.

Sorti en dvd chez TF1 Vidéo et disponible en streaming sur MyCanal