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dimanche 30 avril 2017

Sur la piste des Comanches - Fort Dobbs, Gordon Douglas (1958)

Gar Davis, poursuivi par la loi, traverse le territoire comanche. Trouvant un cadavre, il s'empare de sa veste et réussit ainsi à se dérober. Sa fuite le conduit dans un ranch où il fait la connaissance de Celia Gray et de son enfant. Ce qu'il ignore, c'est que le mort qu'il vient de détrousser était le mari de son hôtesse…

Fort Dobbs est un western typique de l'approche du scénariste Burt Kennedy qui l'écrit entre les sommets du légendaire cycle Bud Boetticher/Randolph Scott - Sept hommes à abattre (1956), L'Homme de l'Arizona (1957), Decision at sundown (1957), L'Aventurier du Texas (1958), La Chevauchée de la vengeance (1959) et Comanche Station (1960). On en retrouve donc forcément plusieurs éléments, construction reposant sur le voyage/course poursuite et cohabitation forcée, héros taciturne et ambigu, antagoniste gouailleur et libidineux, tension sexuelle sous-jacente... Mais alors que les pourtant déjà très concis films de Boetticher laissaient malgré tout une certaine place à la mélancolie (tant par les conclusions douces-amères que par l'interprétation de Randolph Scott), Sur la piste des Comanches va plus loin en adoptant totalement le point de sec et efficace de son héros.

 
Les non-dits chers à Burt Kennedy (les actions des personnages servant leurs vraie nature plus ce que le point de départ donne à voir) fonctionnent donc à plein avec cette ouverture illustrant la brutalité et la détermination de Gar Davis (Clint Walker). On ne saura rien de plus que sa recherche d'un homme dont il souhaite se venger, la raison restant obscure et ladite vengeance restant en hors-champs. Sa manière habile et froidement rationnelle de se débarrasser de ses poursuivants complète le tableau, un échange de veste avec un cadavre victime des comanches le faisant passer pour mort. Le physique massif de Clint Walker (1m98, visage carré et regard glacial) ajoute encore à cette idée et l'ensemble du film tout dévoué à son efficacité n'aura de cesse par petites touches de l'humaniser. Point de dialogues explicatifs, de psychologie ou de lamentations cependant, tout se révèle par l'action et le mouvement. Le tueur froid qu'on a cru deviner détourne ainsi sa cavale pour sauver Celia Gray (Virginia Mayo) et son fils menacés en territoire comanche. Alors que le regard du spectateur se fait plus bienveillant pour Davis à l'inverse la méfiance nait dans celui de ces compagnons de route à la suite d'un rebondissement habile.

 
Ce qui va les lier malgré eux, c'est la menace comanche que Gordon Douglas filme avec une efficacité redoutable. La tension reposera à la fois sur l'attente (la fuite dans la ferme, le calme fébrile avant la bataille lors du final au fort) et le mouvement, Douglas alternant avec brio statisme savamment calculé et action débridée. Les dialogues lourds de sens (lorsque Davis évoque le sort que les comanches réservent aux femmes à Virginia Mayo), la menace désincarnée des comanches (des silhouettes éloignées et inquiétantes ou de simple visages haineux) et la brutalité des morceaux de bravoure suffisent à distiller un suspense qui ne se relâchera jamais. Les explosions de violences sont aussi efficaces qu'inventives (ces nombreux panoramiques accompagnant la trajectoire meurtrières des flèches comanches lors du siège final) et adoptant toujours le point de vue apeuré des personnages (ce semblant de caméra subjective lors de la scène où Davis guette à la ferme). Douglas sait également maintenir ce sentiment lors d'un instants plus calme, la caractérisation inquiétante de Brian Keith (sur le modèle du Lee Marvin de Sept hommes à abattre) fonctionnant avec une simple ligne de dialogue :

Gar (Clint Walker) : « Tu continues à tuer ? »
Clett (Brian Keith) : « Je suis toujours vivant ! »

La relation trouble entre Walker et Virginia Mayo contribue également à la richesse du récit. Le soupçon et la haine de Mayo ne s'exprimera jamais aussi fortement qu'après avoir ressenti une attirance coupable pour Davis. La révélation bouleversant leurs rapports se fait après un sauvetage héroïque de celui-ci, dans un moment le montrant au sommet de sa virilité (Walker imposant et torse nue, habitude prise sur la série tv Cheyenne qui l'a fait connaître) et après qu'elle ait compris qu'il l'avait vu nue. La haine et le refus de laisser le bénéfice du doute à Davis se conjugue certainement ainsi au refoulement d'un désir inattendu. L'écriture habile de Burt Kennedy n'empêche donc pas un traitement intéressant tout en nous offrant une avalanche de péripéties et de rebondissements pour un spectacle alerte et captivant.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

jeudi 27 avril 2017

James Cameron, l'odyssée d'un cinéaste - David Fakrikian

Le journaliste David Fakrikian signe ici la premier vrai ouvrage français consacré à James Cameron (d’autres livre existaient mais toujours centré sur une œuvre en particulier comme Terminator et Titanic). C’est assez étonnant au vu de la popularité de sa filmographie mais témoigne du statut singulier du réalisateur, partageant le flair grand public et la capacité d’évasion d’un Spielberg avec une vraie aura de démiurge obstiné et perfectionniste à la Kubrick. Grand fan de Cameron, David Fakrikian aura au fil des années accumulé une documentation considérable sur lui et l’ensemble du livre est parcouru d’interviews diverses de l’intéressé et de ses collaborateurs. Cependant il s’agira toujours de documents issus de la période de sortie des films pour éviter le révisionnisme de rigueur qui se fait toujours avec le temps. Ces éléments entrecoupent une vraie biographie où se dessinent la personnalité de James Cameron, la singularité formelle et narrative de son cinéma ainsi que quelques savoureuses anecdotes de tournages et quelques révélations sur les coulisses hollywoodiennes.

L’auteur cerne précisément les deux facettes de Cameron cinéaste : l’artiste et l’ingénieur. Cela tient aux origines modestes de Cameron dont l’imaginaire se façonne dans la lecture des comics, roman de science-fiction et séries telles que La Quatrième dimension ou Au-delà du réel. A cette époque deux films seront un véritable choc pour lui : 2001 l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick (1968) le captive par son spectacle exigeant et ses images inédites tandis que Docteur Jivago de David Lean (1965) éveille son gout du romanesque. Dès lors James Cameron rêve de devenir cinéaste mais ses maigres moyens ne lui permettent pas l’inscription dans une école de cinéma et marié très jeune, il doit entrer dans la vie active où il occupera divers métiers ouvrier. Il ne se résout pourtant pas à renoncer à ses ambitions et fera son apprentissage en pur autodidacte, écumant les bibliothèques où il s’abreuve d’ouvrages techniques. Ces visions d’artiste se conjuguent donc constamment à une réflexion artisanale où il devra acquérir toutes les compétences techniques pour raconter ses histoires. Son impressionnant premier court-métrage Xenogenesis (1978) en plus d’être un pur condensé de son œuvre à venir, témoigne de cette approche. Il se trouve incapable de savoir utiliser la caméra 35 mm empruntée pour le tournage et pour comprendre son fonctionnement il va la démonter entièrement. Le côté risque-tout du cinéaste s’exprime également déjà puisqu’il n’hésite pas à dilapider les économies du ménage pour parvenir aux effets qu’il souhaite pour le film.

Fort de cette carte de visite, il s’immisce dans l’écurie de Roger Corman et son savoir-faire et autorité naturelle l’amène bientôt à se charger des effets des Mercenaires de l’espace ou plus tard New York 1997 (1981) de John Carpenter. Cette école de la débrouille servira grandement Terminator (1984), simple série B dont la facture parait si impressionnante que le film semble avoir couté trois fois son budget. Là encore le défi technique n’oublie jamais l’émotion, l’adrénaline, la brutalité et l’énergie de l’ensemble servant une poignante histoire d’amour. Le caractère buté et prolo de James Cameron s’avère une vrai force, tant dans l’approche faussement simpliste de ces histoires (où le cœur féminin et l’émotion dépassent toujours les genres typiquement masculins qu’il aborde) que dans une exigence qu’il doit satisfaire à tout prix. Si cela sera source de déconvenue avec le faux départ que constitue le ratage Piranha 2 : Les Tueurs volants (1981) – où il est dépossédé du film par le producteur avec cette anecdote légendaire le voyant forcé la porte de la salle de montage pour remonter le film alors qu’l a déjà été renvoyé – ce sera un atout pour un combat acharné face à ses producteurs et une inimitié de ses équipes desquels il exige le maximum – mais qu’il s’impose aussi toujours à lui-même. La jungle hollywoodienne demande pourtant cela au vu de certaines coulisses peu reluisantes dévoilées, que ce soit la promotion bâclée qui atténue le succès surprise du film où la fourberie du roublard auteur de SF Harlan Ellison qui parvient à être crédité à cause d’un supposé plagiat et touchera des droits juteux.

David Fakrikian dépeint en détail le style Cameron et en particulier cette fameuse règle du triple climax qui donne ce crescendo si intense à ses conclusions et qui s’affirme dès Terminator puis se retrouvera dans chacun de ses films. L’entourage du réalisateur est largement abordé aussi notamment Mike Cameron, inventeur de génie prêt à surmonter tous les écueils techniques que rencontre son frère. Le portrait que fait Fakrikian de James Cameron est celui d’un outsider acharné, pendant longtemps sous-estimé (y compris étrangement par la communauté geek des 80’s) mais dont le gout du risque est le plus souvent récompensé par les succès immenses de ses films. Ayant prématurément atteint le statut de wonder boy hollywoodien après le succès de Aliens (formidable suite au classique de Ridley Scott devenu un spectacle guerrier féministe), l’ambition de Cameron ne sera plus de surmonter des défis techniques limités par les moyens financiers, mais au contraire s’en créer de nouveaux grâce au budget désormais considérable dont il peut disposer.

Cela l’emmène donc vers le tournage sous-marin et épique d’Abyss (1989) où tout est à inventer : des caméras étanches pouvant filmer sous l’eau, des micros permettant aux acteurs de déclamer distinctement leur texte dans leur combinaison de plongée, les premières images numériques avec la fameuse colonne d’eau métamorphe révélant les extraterrestres. L’auteur se délecte d’anecdotes diverses sur la tyrannie de Cameron prenant cependant tous les risques dont un moment marquant où il manque de se noyer, un exécutif du studio ayant la mauvaise idée de venir demander des comptes alors qu’il retrouve à peine des couleur – le malheureux cadre sera jeté à l’eau par Cameron et ne pointera plus le bout de son nez. Fakrikian semble plus privilégier la facette musclée de Cameron et se montre assez sévère dans le livre avec Abyss alors que celui-ci constitue certainement (notamment dans sa version longue) le chef d’œuvre du réalisateur, mais malheureusement aussi son seul échec commercial.

Si le réalisateur peut encore conjuguer budget mastodontes avec les cadences des série B des débuts (le récit de l’écriture et du tournage éclair de Terminator 2 (1991) lucrativement prévendu et à la date de sortie immuable), Cameron devient pourtant désormais un une sorte de maniaque à l’image de son mentor Kubrick explosant budget et délais avec le plus mineur True Lies (1994) et surtout avec l’immense Titanic (1998). Là encore l’auteur fait le lien judicieux entre le côté grand architecte et peintre de l’intime de Cameron qui assume cette fois pleinement sa veine romanesque. On regrettera peut être que pour ce film Fakrikian s’arrête principalement sur la partie technique et le tournage rocambolesque (la description restant passionnante, notamment concernant l’astuce de Cameron qui sous la mégalomanie retrouve des idées économes en faisant construire une seul moitié de bateau et inversant les images, et les tenues des figurants pour les passages se déroulant de l’autre côté) pas plus sur l’émotion et le sens du spectacle du film en lui-même.

On aurait par exemple aimé en savoir plus sur son rapport avec le duo Leonardo Di Caprio/Kate Winslet si assorti et attachant, alors que sa relation avec Arnold Schwarzenegger est plutôt bien abordée. Par contre l’analyse reste judicieuse en reprenant l’idée du triple climax, la schizophrénie de Cameron déployant des moyens monumentaux pour paradoxalement toujours dénoncer cette technologie dans ses films et surtout la démonstration brillante où il fait de Titanic une sorte de remake romanesque de Terminator. De plus le côté aventurier kamikaze passionné et désintéréssé du réalisateur s'affirme encore plus ici, le voyant renoncer à son salaire (tout comme ce fut le cas sur Abyss) après les dépassements (mais grassement rattrapé en royalties après le triomphe au box-office) et qui au final aura le plus souvent négligé de constituer un empire à la Spielberg (l'excellent Strange Days (1995) de Katrhyrn Bigelow qu'il écrit et produit) pour poursuivre avec acharnement ses propres projets.

Production plus récente oblige (et tournage ultra secret) le livre se montre plus succinct sur le retour triomphal que constitua Avatar même si tout le livre dépeint en filigrane un projet en gestation depuis les années 80 et qui conjugue tout ce qui motive Cameron et ses aficionados : innovation techniques avec la motion-capture et la démocratisation de la 3D, romance et spectacle flamboyant au service d’un récit primitif d’une efficacité éblouissante. On aura aussi quelques développements sur la galaxie Cameron notamment l’alter-ego que sera son ex-épouse Kathryn Bigelow et un développement intéressant sur les multiples montages existants (et plus ou moins pertinent) des films du réalisateur. Un ouvrage captivant donc, écrit dans un style percutant à l’image du réalisateur et où on sent la vraie passion de David Fakrikian allant sans retenue dans le vrai dithyrambe pour exprimer son point de vue.

Paru aux éditions Fantask

Et en prime le premier court métrage de James Cameron, Xenogenesis 

mercredi 26 avril 2017

The Angry Silence - Guy Green (1960)

Tom Curtis (Richard Attenborough) est ouvrier dans une usine du nord de l’Angleterre père de deux enfants, avec un troisième en route. Quand une grève éclate, il décide de ne pas suivre le mouvement et de continuer à travailler. Les pressions se font de plus en plus fortes, et sa famille est mise en danger, mais au lieu de céder, Tom persévère. Une fois la grève terminée, il doit faire face à l’isolement et au silence imposé par ses collègues. Les média attirent alors l’attention sur la situation de Tom. Mais cela ne fait qu’empirer les choses.

The Angry Silence est la première production Beaver film, la société fondée par Richard Attenborough et Bryan Forbes d'où sortiront nombres de grandes réussites anglaises des années 60 réalisée par tous deux : Le vent garde son secret (1961), La Chambre indiscrète (1962), Le Rideau de brume (1964), Oh! What a Lovely War (1969)... The Angry Silence s'avère une sorte de pendant sérieux et dramatique de I’m all right Jack (1959) des frères Boulting, virulente satire qui dénonçait les petit arrangements et la corruption du monde de l'entreprise et des syndicats. C'est également le propos du film de Guy Green qui transcende toute idéologie pour un constat virulent.

Le suivisme et un certain obscurantisme militant se révèle ainsi dans une usine du nord de l'Angleterre. Un agent extérieur (Robert Burke) aux motifs nébuleux s'immisce ainsi auprès du délégué syndical (Bernard Lee) pour semer la discorde au sein de l'entreprise. Guy Green présente au départ l'usine comme un espace convivial et de camaraderie, du moins tant que l'on en reste du point de vue des ouvriers. Les angoisses économique semblent pouvoir se résoudre par le travail (Tom Curtis (Richard Attenborough) et l'annonce de la troisième grossesse de sa femme), les amours plus ou moins sérieuses se nouent avec les jolies ouvrières qu'on tente maladroitement de séduire pour Joe Wallace (Michael Craig également coscénariste du film) et côté loisir un tour au pub après une journée de labeur ou football le weekend semblent constituer une évasion satisfaisante pour ces gens simples.

Les quelques désaccords entre le délégué syndical et la direction (le manque de protection sur les machines sont bien là, mais leur résolution semblent plus reposer sur un jeu de pouvoir que sur un vrai souci du bien collectif. Ainsi une grève est décidée sans que l'on ait ressenti une réelle oppression patronale et surtout sans un début de négociation qui aurait éventuellement avortée. Richard Attenborough souhaitait dénoncer le rôle discutable que pouvait exercer des agents extérieur d'extrême gauche pour exacerber les conflits sociaux, ce que semble être le personnage manipulateur de Robert Burke qui fait grimper la tension sans que la branche syndicale officielle ait pu intervenir.

La tradition amène donc le lancement d'une grève machinalement votée par les ouvriers sans qu'ils n'en comprennent réellement le motif. Tous sauf Tom Curtis, autant motivé par sa situation familiale précaire qu'une conscience individuelle dont sont dénués ses collègues. Dès lors la cause n'a plus d'importance, seule compte la soumission de celui qui a osé sortir du rang. La violence se fait furtive, qu'elle soit concrète avec une réelle intimidation physique, psychologique et sociale avec l'ignorance et la mise au ban de Curtis et au final vraiment malveillante quand les actes nocifs sortent du cadre d l'usine et touche la famille du héros. La mise en scène de Guy Green brille à traduire cet isolement du personnage. Son individualité face à la meute est de plus en plus marquée, notamment lorsque sa silhouette traverse stoïquement les rangs de grévistes pour se rendre à l'usine déserte. Lorsque le travail reprendra, les compositions le mettent en avant plan dans les couloirs parcourus de machines. Lors d'une scène marquante le réfectoire lieu de cette camaraderie initiale prend des allures de cirque grotesque et hypocrite par un jeu sur les plongées, les gros plans monstrueux sur les visages ouvriers décérébrés.

Cette vision sera celle qui provoquera un hurlement de rage de Curtis envers ses anciens amis lui apparaissant sous leur vrai jour. Le propos sera encore plus virulent lorsque la situation prendra de l'ampleur pour attirer les médias, les ouvriers interrogés étant incapables de donner de motifs concrets à l'ostracisation de leur collègue si ce n'est d'avoir exprimé une opinion individuelle. Richard Attenborough livre une très grande prestation, sensible et puissante pour incarner cet homme simple dépassé par ses choix. La droiture et l'intensité de la conviction passe par ce jeu de plus en plus fiévreux et habité, le reste du casting n'étant pas en reste notamment Michael Craig en mouton culpabilisant, Bernard Lee en syndicaliste détestable et Geoffrey Keen en superviseur résistant à la pression - Pier Angeli très touchante également et on croise un Oliver Reed débutant. Le film fut accusé d'être antigrève mais finalement les patrons sont tout autant fustigés, s'accommodant de cette loi du silence et livrant en pâture Curtis pour ne pas perturber leurs affaires en cours. Richard Attenborough membre du parti travailliste n'a donc pas un propos réellement politique mais dénonce la meute instrumentalisée pour célébrer l'individu dont l'ultime rempart reposera plus sur son foyer que l'idéologie.

Néanmoins le propos du film fut parfois mal perçu, manquant d'être interdit au Pays de Galles par le syndicat des mineurs mais Attenborough se rendra sur place pour leur projeter le film afin d'en faire comprendre le vrai sens. Un vrai grand film dont propos audacieux (le final est particulièrement sombre et rageur) lui vaudra une nomination à l'Oscar du meilleur scénario.

Sorti en bluray et dvd zone 2 anglais chez StudioCanal, dot de sous-titres anglais 

Extrait

lundi 24 avril 2017

Après la tempête - Umi yori mo Mada Fukaku, Hirokazu Kore-eda (2017)

Malgré un début de carrière d’écrivain prometteur, Ryota accumule les désillusions. Divorcé de Kyoko, il gaspille le peu d’argent que lui rapporte son travail de détective privé en jouant aux courses, jusqu’à ne plus pouvoir payer la pension alimentaire de son fils de 11 ans, Shingo. A présent, Ryota tente de regagner la confiance des siens et de se faire une place dans la vie de son fils. Cela semble bien mal parti jusqu’au jour où un typhon contraint toute la famille à passer une nuit ensemble…

Après la tempête s’inscrit dans le veine récente de Kore-eda, cette approche subtile où la langueur doucereuse masquait des sujets profond tel que le deuil, la filiation ou les familles recomposées dans I wish (2011), Tel père, tel fils (2013) et Notre petite sœur (2015). Ce ton s’avère très différent de la noirceur plus marquée qui fit la renommée du réalisateur avec le magnifique Nobody knows (2004) ou Air Doll (2009). On peut situer la transition avec le merveilleux Still walking (2008) dont Après la tempête reprend en partie la structure avec un huis-clos servant de révélateur et catharsis à des rancœurs familiales trop longtemps enfouies. 

C’est une œuvre très personnelle pour le réalisateur dont le postulat part d’une situation qu’il a vécue. En 2001 alors qu’il vient de perdre son père, Kore-eda voit sa mère retourner habiter en HLM. Le fait de ne pouvoir lui prodiguer un logement plus décent l’amènera à une profonde remise en question sur sa propre situation à ce stade de sa vie. Ryota (Abe Hiroshi) héros du film et double filmique du réalisateur se trouve donc dans la même impasse. Ecrivain raté et fraîchement divorcé, il végète dans un emploi de détective privé, se perd dans les jeux d’argent et peine une payer la pension alimentaire à son épouse. La scène d’ouverture est typique du cinéma de Kore-eda. On y voit mère et fille cuisiner joyeusement tout en discutant du deuil paternel récent, et surtout ce frère/fils dont elle désespère de voir se stabiliser et arriver à maturité. Une introduction très littéraire dans l’idée avec cette manière de présenter le personnage principal par la voix d’autres protagonistes. C’est aussi typique du style du réalisateur où un moment tendre et anodin révèle sans appuyer outre mesure les enjeux du récit, mais aussi la tendresse qui lie les personnages.

La première partie amusée et mélancolique accompagne ainsi les errances de Ryota où chaque regard l’interroge quant à son instabilité. Regard agacé pour son ex épouse Kyoko (Mari Yoko), incertain pour son jeune fils Shingo (Taiyo Yoshizawa), aimant et résigné pour la sœur et la mère (Kilin Kiki habituée du cinéaste). Tout cela renvoie Ryota à ces manques tandis que le regard de son jeune collègue de l’agence de détective lui rappellera ce moment où il s’est détourné de l’image de celui qu’il aspirait à être. La profondeur de ces questionnement se conjugue à un ton étonnamment badin (les piques échangées entre frère et sœurs) et des situations amusantes, que ce soit les magouilles pathétiques de Ryota où la filature de son ex qui aspire à refaire sa vie. Le parallèle entre l’inconstance du héros, la mélancolie et bonhomie de sa mère ainsi que la volonté de changement de l’épouse tisse trois fils narratifs en apparence flottant mais qui nous conduisent logiquement au huis-clos de la dernière partie. Un typhon oblige les protagonistes à cohabiter, se parler et surmonter leur situation. 

Still walking sur une structure voisine rendait la réunion conflictuelle par le poids des rancœurs et douleurs du passé, entre deuil non surmontés, non-dits et déception. Après la tempête est une œuvre plus lumineuse où à la promiscuité forcée servira à redéfinir l’avenir. Ce ne seront pas des blessures à panser mais une nouvelle réalité à enfin accepter. Kore-eda par des moments isolés amenés avec justesse confronte tous les personnages et les amène à mutuellement s’ouvrir. La plus touchante est une fois de plus la truculente Kilin Kiki, roublarde dans ses tentatives de rapprocher à nouveau son fils et sa belle-fille. 

Son âge mûr l’amène néanmoins à accepter placidement les faits, l’affection intacte surmontant la nouvelle donne comme le montrera un bel échange avec Kyoko. La discussion sera plus rude dans le couple séparé tandis que les liens avec le fils peuvent prendre un tour moins superficiel. Le typhon à l’extérieur n’est pas une métaphore de destruction mais de renouveau, une scène où père et fils s’y confronte étant même un des instants les plus touchant du film. Kore-eda avec ces quartiers populaires et barres d’immeubles HLM donne d’ailleurs à voir un Japon différent qui contribue à l’atmosphère et au ton particulier du film. Alors que dans Still walking les vérités dites apaisait les maux passés mais n’éclairait pas forcément le futur, Après la tempête par son épilogue doux et hésitant fait croire à des lendemains certes différents mais paisibles.

En salle 

vendredi 21 avril 2017

Les Clés du royaume - The Keys of the Kingdom, John M. Stahl (1944)


Un prêtre catholique écossais, l'abbé Chisholm, aux idées peu conventionnelles dans l'Angleterre divisée entre diverses confessions, est envoyé en Chine, où il se refuse à convertir les Chinois à coup d'argent et de pression, mais par le seul rayonnement de son témoignage. Il traverse des années de guerre, d'épidémies et de disette, et gagne la confiance des habitants, ainsi que celle des trois religieuses européennes qui sont envoyées pour l'aider, après la méfiance des débuts.

Les Clés du royaume s’inscrit dans un courant porté sur le « biopic » religieux alors en vogue au sein de la Fox. Un créneau lucratif et synonyme de prestigieuse récompenses, avec notamment un Oscar du meilleur acteur pour Bing Crosby grâce La Route semée d’étoiles de Leo McCarey (1944) et son seul Oscar de la meilleure actrice pour Jennifer Jones sur Le Chant de Bernadette de Henry King (1943). Ce qui sauve ces entreprises des bons sentiments et de l’académisme inévitable, c’est éventuellement un regard de cinéaste singulier et surtout une prestation emphatique de l’acteur incarnant la figure religieuse – deux qualités qu’on trouve notamment avec la prestation habitée de Jennifer Jones et la mise en scène inspirée d’Henry King. C’est donc la démarche des Clés du Royaume, deuxième film de Gregory Peck et premier rôle majeur pour l’acteur. Même si les exceptions sont nombreuses - Duel au soleil (1946) de King Vidor en tête - Gregory Peck aura souvent incarné aux yeux du public une figure de sagesse et de droiture, ou du moins qui aspire à l’être. Cette identité filmique se forge donc dès ces débuts à travers le personnage de ce prêtre en constante construction intime.

Dès le début du film, l’abbé Chisholm (Gregory Peck) vieillissant semble en marge des codes ecclésiastiques de par ses idées peu conventionnelles et heurte les préceptes du cardinal venu le superviser. La narration en flashback dépeint donc son parcours depuis l’enfance et le phénomène qu’il constitue dans un monde binaire. Fils d’un père catholique – ce qui était le cas d’A.J. Cronin l’auteur du roman qu’adapte le film -, dans l’Ecosse protestante, il perdra tragiquement ses deux parents pour justement cette guerre de religion. Dès lors Chisholm semble constamment arborer une distance, entre hauteur et hésitation face au monde qui l’entoure. On voit déjà la stature imposante et le charisme simple de Gregory Peck se révéler, mais associé à une gaucherie juvénile qui participe à l’indécision de son personnage. Animé de la vocation religieuse tout en étant amoureux de son amie d’enfance, Chisholm semble constamment incertain dans une société figée. C’est dans une contrée loin de ces clivages qu’il va s’accomplir, cette Chine où il est envoyé en mission.  Même si l’on regrettera l’absence de vraie caractérisation fouillée des personnages chinois, tous sont respectueusement présentés et servent la justesse du regard de Chisholm.

Chaque interaction avec les locaux sert ainsi dans l’immédiat ou à plus long terme l’absence de dogmatisme du héros dans l’exercice de sa religion. Face à deux « fidèles » dont la foi ne tient qu’à une possible rémunération, ce sera le rejet de sa part. Lorsqu’un mandarin dont il a soigné le fils veut se convertir par simple reconnaissance, ce sera également un refus poli. Tout comme sa vocation de prêtre sera un perpétuel apprentissage, il attend un même cheminement vers la fois de ses interlocuteurs. C’est cet équilibre entre la modestie du personnage et l’aura de Gregory Peck qui amène les moments les plus intéressants du film. Lorsque cet héroïsme quitte la sphère intime, le ton se fait nettement plus convenu notamment lorsque Chisholm est pris entre deux feux lors d’une guerre politique locale. 

On sent comme une manière forcée d’ajouter une péripétie plus spectaculaire où le subtil sauveur d’âmes doit devenir un héros d’action parce que tout de même, il s’agit de capitaliser un minimum sur le physique imposant de Gregory Peck.  La vraie émotion naît lorsque s’élève au-dessus du dogme aveugle pour simplement exprimer la bonté et la compréhension de l’homme juste. La magnifique scène de mort de son ami Willie Tulloch (truculent Thomas Mitchell), incorrigible et rigolard athée en témoigne : plutôt que soutirer un ultime salut et une conversion du mourant, Chisholm le laisse s’éteindre paisiblement sans forcer ses conviction.

Le parallèle avec le cardinal plus pédant joué par Vincent Price jouera aussi, la modestie et la dévotion de Chisholm exprimant un plus bel idéal de religion que celle embourgeoisée de cet alter-ego. Cela reste tout de même assez caricatural et c’est une nouvelle fois sur le long terme et la relation avec la nonne Maria-Veronica que s’exprimera le clivage de classe finalement en cours au sein de l’église. La conversion selon Chisolm se fait ainsi en se mêlant humainement aux autochtones, la dévotion et le travail en commun en faisant un modèle auquel ressembler et suscitant la curiosité de son culte. La nonne exprime une église hautaine, froide et inquisitrice cherchant à imposer plutôt qu’intéresser à la religion. 

La narration prend ainsi le temps des années, des épreuves et de la maturité pour rapprocher les deux personnages. Si John Stahl se fait plus illustrateur qu’auteur – et loin de la vraie flamboyance et intensité de ses grands mélodrames des années trente – son talent à capturer l’intime rester intact et la sobriété de son approche correspond finalement à celle de son héros. Une jolie odyssée donc – qu’on aurait peut-être aimé plus exotique, cette Chine de studio étant assez terne – et la première marche vers les sommets d’une des plus grandes stars hollywoodienne. 

Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez ESC 

mercredi 19 avril 2017

La Septième Victime - The Seventh Victim, Mark Robson (1943)


Mary Gibson recherche sa sœur Jacqueline disparue mystérieusement à Greenwich Village. Son enquête la mène à une secte satanique.

La Septième Victime est le quatrième film de l’orientation initiée par le producteur Val Lewton vers l’horreur suggestive au sein du studio RKO - La Féline (1942), Vaudou (1943) et L’Homme-léopard (1943) de Jacques Tourneur ayant précédé. Cette nouvelle direction vampirise ainsi désormais tous les projets, ce qui n’est pas sans conséquence sur certains films comme justement La Septième Victime. Le script initial de Charles O'Neal est une simple enquête à mystère où une jeune orpheline est impliquée dans un meurtre et la cible d’un serial-killer dont elle risque d’être la septième victime. Par la suite une seconde mouture voit le jour écrite par DeWitt Bodeen marqué par sa réelle rencontre avec un groupe d’adorateurs de Satan à New York. Cet élément est bien évidemment ajouté au script ce qui entraîne une certaine schizophrénie et plusieurs incohérences dans le ton et déroulement du film.

L’enquête de la jeune Mary (Kim Hunter) pour retrouver sa sœur disparue oscille donc entre les différentes directions contradictoires. La naïveté de l’héroïne se confronte ainsi à un mystère opaque, à des rencontres étranges et une oppressante cité new yorkaise. On reste cependant dans le « murder mystery » convenu jusqu’à une fabuleuse scène convoquant les ténèbres indicibles, une pièce dissimulée dans un corridor sombre abritant la mort. La marque des productions Newton en somme et que Mark Robson (dont c’est le premier film après avoir été monteur notamment sur Citizen Kane) amène avec un sens du timing éblouissant.   

C’est la qualité majeure du film, ce sens de l’atmosphère notamment quand se révèle l’identité des satanistes, quidam ordinaires dont l’aura maléfique se révèle par un réel soudain altéré. Les environnements urbains et domestiques quelconques prennent une tournure menaçante par les cadrages de Mark Robson et la photo de Nicholas Musuraca qui rend tous visages précédemment amicaux soudainement malfaisant. On peut deviner une influence du film sur le Rosemary’s Baby de Roman Polanski dans cette manière d’inscrire le possible surnaturel ou le déséquilibre mental dans le quotidien, de poser un malaise insaisissable. 

Mais malheureusement sous le brio formel reste toujours ce problème d’écriture maladroite. Certaines storylines sont lancées sans trouver de conclusion satisfaisantes (la romance possible entre Mary et le poète), les points de vue basculent brutalement (après avoir accompagnée Mary tout le film la narration se concentre soudainement sur Jacqueline dans la dernière partie) et les revirements improbables déroutent tel ce discours moralisateur de Tom Conway qui sème le remords chez les satanistes… C’est vraiment regrettable car même dans cette confusion il y a pas mal d’idées audacieuse et étranges (l’employée de Jacqueline dont on peut soupçonner un amour lesbien, la voisine mourante) mais n’allant pas au bout de leurs idées. Reste donc un film très imparfait mais à l’influence immense dans les orientations futures du cinéma fantastique.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner