Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 25 mars 2012

Revanche - Götz Spielmann (2009)



Dans le "quartier rouge" de Vienne, Alex, employé d'un bordel, et Tamara, sa copine ukrainienne et prostituée dans ce même établissement, aimeraient changer de vie, mais il leur faut de l'argent. Alex met au point un plan pour braquer une banque dans un petit village rural. Tamara insiste pour l'accompagner. Alors que les deux amants tentent de prendre la fuite avec le butin, un policier, Robert, tire sur la voiture et tue Tamara. Brisé par le chagrin, Alex abandonne la voiture avec le corps de sa compagne et se cache dans la ferme de son grand-père. Mais la ferme voisine n'est autre que celle de Robert et de sa femme, Susanne. Rongé par la douleur et la haine, Alex prépare sa revanche...


A la vue du pitch et du titre, on peut se demander ce qui a pu valoir au film sa nomination à l’Oscar du meilleur film en 2009. Au mieux, Spielmann semble nous proposer un thriller vengeur intense et efficace, et pour le pire tomber dans la manipulation grotesque de son compatriote Michael Haneke. Loin de ses deux options, Götz Spielmann va bouleverser les attentes par des choix surprenants.

La question reste cependant entière dans une remarquable première partie mettant en parallèle les paumés magnifiques que sont Alex et Tamara, et Robert, flic rangé au quotidien morne et en mal de sensation. L’amour intense de Alex et Tamara est filmé dans toute sa fièvre et son désespoir dans le sordide quartier rouge de Vienne, l’existence terne de Robert dans toute sa platitude et son ennui (malgré des pistes habilement amenées, comme l’absence d’enfant). Le crescendo dramatique est ainsi parfaitement conduit, jusqu’à la confrontation fatidique lors de l’acte désespéré des amants pour accéder à une vie meilleure.

Le traitement distant, presque extérieur, de la mort de Tamara (renforçant sa puissance émotionnelle), annonce la tournure méditative que va prendre le récit, contournant le pur récit de vengeance attendu. La facilité scénaristique apparente, qui voit l’agresseur et l’agressé faire voisinage à leur insu, va ainsi tourner en faveur du traitement voulu par Spielmann.

Le rythme se ralentit, Spielmann répète les séquences essentielles (Alex et sa proie dans les bois), anodines (les divers travaux de ferme effectués jusqu’à l’usure), ou tendres (le grand-père retrouvant les joies de l’accordéon), et adopte un ton contemplatif s’attardant longuement sur la nature ambiante, qui n’est pas sans évoquer Terence Malick.

Ce parti pris marque la cassure que la mort de Tamara a provoqué chez les deux personnages, le vide immense et la douleur chez Alex, une terrible culpabilité pour Robert, et le film s’arrête tel leurs vies suite au drame. Les longues plages contemplatives exprimant ainsi le questionnement intérieur des personnages, l’un pour l’acte commis, l’autre pour celui qu’il s’apprête à commettre.

La seule vraie concession à la dramaturgie plus conventionnelle est la liaison entre Alex et la femme de Robert, certes facile mais suffisamment bien traitée et jouée (excellente Ursulla Strauss) pour susciter l’intérêt. Elle a également pour but de ramener les héros dans le monde réel, en faisant retrouver son humanité à Alex et redonner goût à la vie, pour Robert, avec sa paternité. Le respect de soi retrouvé de l’un, et la responsabilité assumée de l’autre, font ainsi tourner court le face à face final entre les deux, une phrase cinglante les ramenant dos à dos. Un très beau film et une belle leçon de maîtrise, prouvant que la plus prévisible et éculée des histoires peut mener à des chemins inattendus.

Sorti en dvd zone 2 français chez MK2


vendredi 23 mars 2012

Captain Boycott - Frank Launder (1947)


L'histoire authentique d'un hobereau britannique qui souleva contre lui la population de son village. Son nom est lié pour la postérité à l'action du...boycott.

Frank Launder ici sans son acolyte Sidney Gilliat signait un de ses tous meilleurs films en plus d'offrir à Stewart Granger un de ses rôles les plus intéressants. Le film s'inspire de l'histoire authentique de Charles Boycott, riche propriétaire terrien britannique du XIXe siècle qui par ses maltraitances souleva contre lui la population du comté de Mayo en Irlande. En refusant de se plier à ses ordres et en l'isolant les fermiers réussirent à le ruiner donnant désormais à ce type d'action le nom de sa première et célèbre victime, le boycott.

Frank Launder dépeint ainsi autour de cet évènement historique une intrigue et des personnages fictionnel dont l'évolution et le cheminement sont profondément rattaché à ce contexte. Plus précisément, toutes actions et questionnements du film tournent autour de la façon dont les villageois vont opter pour ce mode de rébellion inédit. Le début nous montre ainsi cette région rurale comme une poudrière en puissance à travers quelques scénettes dont une où l'instituteur du village harangue ses tout jeunes écoliers à aimer leur terre et se battre pour elle.

La tension est palpable à travers la tyrannie du Capitaine Boycott (Cecil Parker) ancien militaire peu enclin à négocier et adepte de l'expulsion sauvage pour les malheureux ayant des traites de retard. Dans ce contexte on contraste des comportements contrastés. D'un côté les chantres d'un soulèvement par les armes menés par Hugh Davin (Stewart Granger), les indifférents habitués à plier et désormais préoccupés par leur seule personne avec le personnage de Kathleen Ryan et enfin les leaders visionnaires qui instaure l'idée du boycott pour une courte mais mémorable apparition de Robert Donat (dans une remarquable scène où sa verve stoppe les velléités de Granger venu l'humilier pour sa mollesse).

Les deux premières alternatives sont intelligemment dénoncées par le script, entre la pénurie d'arme rendant toute rébellion violente impossible et surtout une très touchante Kathleen Ryan dont le passé douloureux renferme sur elle-même quitte à se mettre tout le village à dos lorsqu'elle reprend sans états d'âmes une ferme dont un des locaux a été expulsé. C'est à son contact que la position de Stewart Granger évolue et se fait plus nuancé.

Toute la complexité du problème est abordée par Launder qui multiplie les cruelles scènes d'injustice plaçant le spectateur dans la même position que les villageois et attendant donc l'explosion. Lorsque celle-ci intervient lors du final, elle souffle le chaud et le froid avec une impressionnante scène d'émeute dans un hippodrome où Boycott est enfin puni mais s'avère une impasse quand l'hystérie collective cause la mort d'innocents. A l'inverse le boycott et le rapport de force s'instaurant entre le patron et les grévistes s'avère bien plus efficace et dépeint avec détail et un vrai brio narratif par Launder : les répercussions dans les journaux britannique de cette action isolée, l'intervention des militaires, la corruption des journalistes, les travailleurs agricoles mercenaires... Le casting est absolument remarquable et contribue à la parfaite illustration des idées.

Stewart Granger en aspirant rebelle ramené à la raison par l'amour est remarquable, tout comme Alastair Sim (habitué des productions de Launder et Sidney Gilliat) en prêtre bienveillant calmant les ardeurs mais aussi l'ensemble des acteurs jouant les villageois avec authenticité. Launder n'a pas tout à fait la maîtrise de son partenaire Sidney Gilliat et sa mise en scène est purement illustrative mais soignée dans la vision des paysages ruraux plutôt agréables. Intelligent et bien mené, très bon film.

Sorti en dvd zone 2 anglais chez ITV dans le coffret consacré à Stewart Granger


jeudi 22 mars 2012

Christmas in July - Preston Sturges (1940)



Un jeune homme, Jimmy MacDonald, a participé à un concours de slogans organisé par une marque de café et espère gagner un des prix, le premier étant de 25 000$. Ses collègues décident de lui faire une farce en lui faisant croire qu'il a gagné le concours. Jimmy décide d'acheter plein de cadeaux pour sa famille dont le premier sera une bague pour sa fiancée Betty Casey.


Preston Sturges réalisait avec Christmas in July un de ses films les plus ouvertement touchant, lui qui avait l’habitude de ne dévoiler sa sensibilité que par intermittence (la dernière partie des Voyages de Sullivan, le dilemme du héros de Hail the conquering hero) sous une loufoquerie toujours plus prononcée. Cette émotion si ouvertement révélée, il faut la chercher dans les origines d’un projet que Sturges s’efforça de mener à bien. Le film est au départ une pièce de théâtre, A Cup of Coffee écrite en 1931 par Preston Sturges mais jamais jouée sur scène (si ce n’est des lustres plus tard en 1988). Flairant le potentiel de l’histoire, Universal tente de transposer celle-ci au cinéma et Sturges encore scénariste entrevoit presque la possibilité de passer enfin derrière la caméra mais là encore le projet s’enlise.

La suite est plus connue : scénariste vedette au sein de la Paramount, il devient le premier de sa profession à Hollywood à passer réalisateur (ouvrant la voie à un Wilder dans la même situation) grâce au succès immense de Gouverneur malgré lui (1940). Désormais tout puissant grâce à ce hit, Sturges oblige la Paramount à racheter son script à Universal et pourra enfin mettre en scène cette histoire qui lui tient tant à cœur pour son second film.

Comme d'habitude avec ce raconteur d’histoires, un pitch qui repose sur une idée redoutable. On a ainsi un couple de héros diablement attachant formé par un Dick Powell aspirant publicitaire ambitieux en attente du coup de pouce qui lui donnera enfin sa chance et sa fiancée aimante et le soutenant en toutes circonstances jouées par la charmante Ellen Drew. La tendresse avec laquelle Sturges les dépeint, ainsi que leur entourage évoque la description des braves gens simple du Lubitsch de The Shop around the corner. La belle première scène des amoureux sur le toit alors que les voisin râlent alentour dépeint en quelques minutes leurs rapports et leurs attachements par la grâce de l’écriture de Sturges et de l’alchimie des deux acteurs.

Du coup quand intervient le quiproquo où ils se croient riche, on ressent constamment une petite pointe de tristesse face à leur emballement pour cette embellie factice. Sturges a tellement bien fait exister ces personnages et fait partager leurs espoirs qu'il ne peut tourner à réellement à la farce et au grotesque leur fausse réussite.

C'est donc les personnages secondaires qui assurent la part de délire cartoonesque et survolté dont le jury du concours de slogan tordant ou encore un Raymond Malburn cabotin en donateur à la poursuite de son chèque. Sous couvert d'humour le scénario dresse un portrait grinçant de l'hypocrisie suscitée par la réussite par cette vision de comportements changeant d'une minute à l'autre durant tout le film envers Dick Powell selon qu'on le croit en réussite ou pas. La séquence la plus manifeste étant son patron se mettant à débiner ses slogans qu'il adorait un instant auparavant quand il le croyait vainqueur du concours.

Le cynisme de The Great McGinty n’est pas loin et il y avait certainement moyen de tirer vers encore plus de noirceur vu la tournure de la situation. Sturges préfèrera réserver un sort plus honorable à ses héros, voire plus avec une astucieuse et attendue pirouette finale. Même si on vante souvent Sturges pour ses concepts alambiqués et inventifs dans la comédie, il faisait déjà ici la preuve de l’émotion dont il était capable. On en aurait la démonstration quelques années plus tard avec The Great Moment, son plus beau film et son plus grand échec à la fois.

Disponible dans le coffret zone 1 consacré à Preston Sturges et doté de sous titres français. Pour les anglophones, ce même coffret est trouvable sur amazon pour 20 euros à peine avec uniquement des sous titres anglais. Sorti aussi en zone 2 français chez Bac Film.

mercredi 21 mars 2012

Ma femme est une sorcière - I Married a Witch, René Clair (1942)


Au XVIIe siècle, une sorcière et son père sont condamnés au bûcher par Jonathan Wooley, geste funeste car une malédiction est jetée à travers les siècles sur les héritiers de Wooley. Trois siècles plus tard, Wallace Wooley s'apprête à épouser Estelle Masterson.

Deuxième film américain de René Clair, I Married a Witch sans égaler les hauteurs de ses films des années 30, s'affirmait comme le premier grand succès du cinéaste ans son nouvel environnement après La Belle Ensorceleuse où la collaboration avec Marlène Dietrich fut compliquée. Là il parvient merveilleusement à mêler sa veine poétique et décalée aux codes de la screwball comey. Le script mêlant romance et surnaturel permet ainsi au réalisateur de donner libre cours à son imaginaire à travers cette drôle d'histoire d'amour entre une sorcière et le descendant de son bourreau à qui elle avait jeté une malédiction jetant le malheur sur les mariages de sa famille.

Clair amène dès l'ouverture une ironie comique et un rythme mêlant touche typique de la comédie américaine en vogue à la Preston Sturges (ami de René Clair à Hollywood et qui lui a peut-être recommandé Veronica Lake dirigée dans Les Voyages de Sullivan) lors de cette vente de pop-corn aux spectateurs du bûcher au XVIIe. L'illustration de la malédiction conjugale à travers les époques, tout en mouvement et montage inventif dans une approche essentiellement visuelle semble quant à elle faire le lien avec les travaux antérieurs de René Clair.

Tout le film fonctionne sur cet habile décalage, que ce soit à travers le script où les idées de mise en scène du réalisateur. Le cadre solidement réaliste de la politique et des élections de gouverneur est ainsi progressivement dynamité par l'irruption du fantastique, l'univers des sorciers et les manifestations de leurs pouvoirs. Pour le héros Wallace Wooley (Fredric March), c'est un avenir tout tracé avec fiancée revêche (Susan Hayward géniale en mégère en puissance) et carrière politique ambitieuse qui est balayée par l'imprévisible Jennifer (Veronica Lake). Auréolée des aptitudes hors-normes de son personnage, Veronica Lake ajoute encore à la dimension surréaliste du film puisque cette enquiquineuse charmante typique de la screwball comedy va s'en avérer d'autant plus envahissante.

On la découvre nue dans la fumée d'un incendie, elle apparaît/ disparaît à sa guise dans l'existence de Wallace en défiant toute les règles de la bienséance et Veronica Lake mêle à merveille charme mutin (aussi affolante nue sous sa fourrure que dans les grandes robes sombres qui lui sied parfaitement), présence érotique et innocence enfantine de celle pour qui tout est permis. Les scènes de séduction n'en sont que plus savoureuses notamment celle où en un panoramique et quelques tours d'aiguille sur l'horloge Fredric March passe de réticent à amoureux transi. La géniale séquence de mariage avorté et sa simili Castafiore toujours à contretemps des évènements est également sources de nombreux rires.

Ce va et vient entre sérieux et distance se joue bien sûr dans la nature de l'histoire d'amour, au départ guidée par la vengeance puis par des éléments artificiels (le philtre d'amour) avant un final tout en candeur où les sentiments transcende même les sortilèges. Ce retour au réel crée le romantisme dans un ton à la fois rétrograde (Jennifer renonçant à sa séduction agressive pour essayer d'être la parfaite ménagère) mais surtout humain puisque c'est en abandonnant les artifices que Jennifer se désinhibe et découvre finalement l'amour. Une mélancolie brève mais inattendue se dévoilent donc dans les dernières minutes (avec de jolie vision comme notre couple enlacé près de l'arbre maudit dans un superbe décor studio) où les amoureux se perdent et se retrouvent.

Entre temps, René Clair aura fait preuve d'une inventivité constante distiller la féérie burlesque de l'ensemble, que ce soit les esprits sous formes de nuages des sorciers fraîchement libérés où ce taxi survolant la ville. Le film n'est pas parfait loin de là (rythme un peu décousu et pas mal e moment de creux et des personnages secondaires sous exploités hormis le père joué par Cecil Kellaway) mais procure un charme certain. Ce sera une des grandes sources d'inspiration (avec L'Adorable Voisine de Richard Quine) de la célèbre série Ma Sorcière bien-aimée.


Sorti en dvd zone 2 français chez Studio Canal

mardi 20 mars 2012

Le Royaume de Ga'hoole : La Légende des gardiens - Legend of the Guardians: The Owls of Ga'Hoole, Zack Snyder (2010)


Une jeune chouette nommée Soren, est capturée avec son frère et emmenée à Saint-Aegolius, la pension pour chouettes orphelines, où ils rencontrent d'autres hiboux et chouettes enlevés par les gardes de l'orphelinat. Avec son amie Gylfie, une chevêchette elfe, et l'aide de Scrogne, il tente de s'échapper du terrible orphelinat. Guidés par les légendes qui ont bercé leur enfance, tout deux sillonnent les Royaumes pour trouver le Grand Arbre de Ga'hoole où résident les nobles Gardiens de Ga'Hoole, une bande de mythiques guerriers ailés qui avait mené une grande bataille pour sauver la communauté des chouettes des Sangs Purs.

Pas forcément identifiable du grand public dans la masse de réalisateur de blockbusters récents, plutôt apprécié des studios grâce à quelques succès très rentables, Zack Snyder provoque en revanche de sacrés remous dans la plus souterraine communauté geek. Adulé par les uns, méprisé par les autres, on ne compte plus les débats enflammés sur les forums cinéma ou dans les milieux consacrés. Il faut dire que le bougre donne souvent le bâton pour se faire battre en s’attaquant systématiquement aux icônes de cette culture et ce, dans chacun de ses films. Le pire étant la réussite insolente avec laquelle il s’en sort. Les raisons de cette relation amour/haine et du brio des films ne tient finalement qu’à une chose : sa personnalité.

Avec son premier film L’Armée des Morts, il transforme l’allégorie politique sous-jacente du Zombie de Romero en ébouriffant numéro de montagnes russes à l’efficacité redoutable, que certains n’hésitent pas à préférer à l’original. Pour 300, il parvient presque à étouffer les relents nauséabonds du comics de Frank Miller dans un péplum atypique (dont une méthode de tournage sur fond vert donnant une esthétique inédite) à la furie barbare et épique galvanisante. Le tour de force est encore plus grand pour son adaptation de Watchmen. Tout en respectant la tonalité désenchantée et démystificatrice des super héros de l’œuvre d’Alan Moore, il en produit dans le même temps l’exact contraire en les icônisant à outrance, magnifiant leurs actions et postures à coups de ralentis et de cadrages dynamiques. La facette torturée des personnages (dénués de super pouvoirs chez Alan Moore) n’empêchait pas Snyder de leur donner une image de dieux vivants cohérente avec son 300.

C’est donc la nature profonde de ces trois grandes réussites qui pose légèrement problème avec ce nouveau film fort étonnant. Alors que Snyder semblait à chaque fois s’atteler à des projets qu’on (ses détracteurs surtout) estimait trop ambitieux pour lui (Watchmen ne fut-il pas envisagé par Terry Gilliam au débuts des années 90 ?), ce Royaume de G’Hoole sorti du défi technique du film d’animation en 3D (une première pour Snyder) ne dégage pas la même portée. Adapté d’une série de romans pour enfants de Kathryn Lasky, la trame de La Légende des Gardiens ne dégage guère d’originalité (sorti du fait d’avoir des hiboux comme protagonistes) ou tout du moins Snyder ne parvient pas vraiment à en tirer la substantifique moelle qu’on devine présente dans les écrits.

Jeune héros rêveur à la Luke Skywalker, fasciné par le mythe des hiboux gardiens (Jedi) et qui souhaite vivre la grande aventure, antagonisme fraternel, rite d’apprentissage, soit toute une série de figures typiques du récit d’initiation et d’aventure qui ne sort guère du lot. Snyder oscille entre la copie tiède (l’arrivée chez les Gardiens évoquant celle des hobbits chez les elfes dans La Communauté de l’Anneau, voire la découverte de la faune d’Avatar) et réelles fautes de goût, entre les acolytes agaçants du héros Soren ou encore une affreuse chanson pop FM accompagnant une ellipse musicale légère à la Disney. Dans l’ensemble Snyder prouve définitivement qu’il n’a pas le sens du merveilleux d’un Spielberg ou d’un Jackson et se rate grandement lorsqu’il (même si la tentative est louable) tente de donner dans la pure fantasy pour enfant.

La série récente des Narnia est bien plus convaincante à ce niveau. On s’accrochera donc pour un temps à la réelle réussite esthétique en partie due au studio Animal Logic (à la base du merveilleux Happy Feet de George Miller). Les chouettes sont incroyables d’expressivité (les séquences d’envol sont particulièrement envoûtantes, accentuées par une 3D bluffante), les décors enchanteurs et la photo somptueuse.

Le brutal réveil de l’incroyable dernier tiers n’en sera donc que plus foudroyant tant Snyder semble soudain reprendre les rênes de son film. La cohérence thématique de 300 et Watchmen se dévoile soudain lorsque le héros Soren se retrouve confronté à la réalité en rencontrant le héros quelque peu dépenaillé des histoires de son enfance, loin de la figure fantasmée. La confrontation entre le mythe et sa réalité puis sa transcendance sont au cœur des thématiques de Snyder.

300 se présentait ainsi sous la forme d'un récit rapporté par un Spartiate avant une autre grande bataille pour galvaniser les troupes (justifiant ou du moins expliquant le côté outrancier ayant suscité les accusations de fascisme). Révélant toujours ses personnages au coeur du combat, Snyder délivre ici une conclusion épique fabuleuse, dont la noirceur dépasse soudainement le cadre du film pour enfants. L’aura mythologique si chère à Snyder zèbre l’écran à plusieurs reprises lors des affrontements hargneux entre les volatiles.

Les figures typiques du réalisateur reprennent alors leur droit à travers les ralentis/arrêts sur image magnifiant l’aspect guerrier et héroïque des bons ou menaçant et inquiétant des méchants. A ce titre, on peut souligner le fabuleux doublage de Helen Mirren en reine Nyra manipulatrice et odieuse à souhait, mais on en attendait par moins de la fée Morgane d'Excalibur. Le climax est probablement atteint lorsque le jeune Soren survole les flammes, sur fond de The Host of seraphim de Dead Can Dance, le film atteignant une grâce qu’on envisageait pas lors de la première moitié consensuelle.

L'insuccès du film semble confirmer les constats de ce Royaume de Ga’Hoole. Contrairement à l’impression puérile et décérébrée qu’on lui attribue, Zack Snyder n’est donc pas un simple faiseur de studio et quand il tente de se plier à un projet plutôt que l’inverse, ça ne fonctionne pas complètement. Les défauts du film ne font paradoxalement que confirmer les qualités du réalisateur et certaines de ses thématiques récurrentes.

Le questionnement des moeurs fascisantes des spartiates de 300 trouve son écho ici avec l'enrôlement forcé des chouettes dans un audacieux parallèle à celui des jeunesses hitlériennes avec une noirceur fort éloignée du film pour enfant annoncé. Dans le récent et fascinant Sucker Punch (dont on reparle vite ici) c'est en cherchant à échapper à une lobotomie que l'héroïne portera haut son insoumission et sa quête de liberté. Derrière la machinerie du blockbuster et du produit commercial se dissimule donc réellement un auteur bien plus intéressant et complexe qu'il n'y parait. Et oui.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner.

lundi 19 mars 2012

Les Affranchis - Goodfellas, Martin Scorsese (1990)


Né en 1943 de père irlandais et de mère sicilienne, Henry Hill a découvert sa vocation très précocement : il sera gangster. Adopté par James Conway, un des pontes de la mafia, il se fera vite un nom en suivant la voie classique des hold-up et des règlements de comptes...

Goodfellas signifia à sa sortie un magistral retour au premier plan pour Martin Scorsese après une décennie difficile. Les années 80 du réalisateur regorgent de films brillants mais qui ne rencontrèrent pas l’impact escompté pour diverses raisons. Raging Bull constitua une catharsis intense pour Scorsese dont l’autodestruction d’alors répondait parfaitement à celle du boxeur Jake La Motta. Seulement le film était déjà un vestige du Nouvel Hollywood des 70’s déjà révolues et malgré la critique dithyrambique et l’Oscar du meilleur acteur pour De Niro ce fut un échec commercial. Par la suite la puissante diatribe contre le monde du spectacle de La Valse des Pantins resterait incomprise, malgré une mise en scène brillante La Couleur de l’Argent ne dépasserait l’excellent divertissement. Idem pour l'apocalyptique exercice de style After Hours et le polémique et incompris La Dernière Tentation du Christ. Avec Les Affranchis, Scorsese revenu de ces différentes expériences retrouve un terrain qu’il connaît bien pour l’avoir abordé dans Mean Streets, chroniques de petites frappes de Little Italy. Scorsese ne prévoyait pas de revenir au film de gangster avant de tomber le livre Wiseguys, écrit par le journaliste criminel Nicolas Pileggi. La richesse du matériau inspiré de faits réels lui offre donc l’occasion de d’approfondir le sillon de Mean Streets pour ce qui est probablement le plus grand film de gangster des 30 dernières années.

Un générique hypnotique de Saul Bass, les ombres alternent avec l’image de trois hommes en voiture. Un bruit dans le coffre les incite à s’arrêter. Ils ouvrent le coffre où on découvre un homme bâillonné, ensanglanté mais toujours vivant. Plus pour longtemps après la sauvagerie avec laquelle nos protagonistes l’achèvent. La caméra laisse découvrir le visage du plus jeune et séduisant d’entre lorsqu’il referme le coffre quand tonne en voix off cette tirade fière et cinglante :

As far back as I can remember, I always wanted to be a gangster.

Tout le film est contenu dans cette magistrale introduction où la barbarie des actes côtoie la fantasmatique impunité à les perpétuer. Goodfellas est un grand film sur le mal, pas celui qu’on regrette d’avoir commis mais plutôt qu’on regrette de ne plus pouvoir commettre. C’est donc le fantasme et la nostalgie qui nous ramène en arrière dans un premier temps avec la lente ascension d’Henry Hill (Ray Liotta) ado assigné aux basses besognes qui va se faire une place de choix dans cette Mafia.

Scorsese dépeint à la perfection le regard émerveillé de son héros pour ses affranchis de toutes règles de vie, pouvant se garer où ils veulent, jouer aux cartes en pleine rue jusqu’au petit matin sans que le moindre quidam n’y trouve à redire… Si cette fascination fonctionne aussi bien, c’est qu’elle est teintée d’une aura autobiographique. Si sa santé fragile et la passion du cinéma l’ont éloigné du destin criminel d’un Henry Hill, Scorsese élevé dans ses même quartiers à lui aussi observé depuis sa fenêtre les caïds qui prenaient du bon temps et intimidait le voisinage.

C’est donc dans une sorte de paradis perdu de l’Amérique du début sixties et d’une communauté que nous emmènent Scorsese : caméra baladeuse dans les bars bondés d’affranchis qui nous sont désignés par un name-dropping précisant surnom et caractères, bande gorgés de tubes Brill building et de classiques de Phil Spector, ambiances rétros avec filles coiffés de choucroutes généreuses… C’est un monde de rêve et de tous les possibles où il n’y a qu’à se servir pour satisfaire le moindre de ses désirs.

Les dérapages ne sont pourtant jamais loin le script assaisonne cet idéal d’éclairs de violence qui ne feront que s’accentuer par la suite. Ainsi au désamorçage comique d’une intimidation entre Henry et Tommy (Joe Pesci) dans un restaurant répondra une violente agression de ce dernier envers le patron qui l’impudent aura osé réclamer l’addition. Ce qu’on retiendra pourtant émerveillé c’est ce fabuleux plan-séquence d’Henry emmenant sa fiancée dîner, doublant tout le monde en passant par les cuisine pour s’installer à la meilleur table tandis que tonne le Then he kissed me des Crystals.

Scorsese brise ici l’imagerie aristocratique de la mafia inscrite dans l’inconscient collectif depuis Le Parrain pour une vérité plus crue. Si on se situe à un niveau de criminalité et de responsabilité supérieure à Mean Streets, ce sont pourtant exactement le même type de figures simplement plus nanties. Les hommes sont de gros bras ignares dont les tenues alternent entre les costumes criards et les survêtements informes et leur épouses sont des rombières vulgaires, trop maquillées et aux goûts vestimentaires tout aussi douteux.

Les grandes décisions se prennent le dimanche autour d’un barbecue et avec le chef au physique terre à terre Paulie (Paul Sorvino) on est aux antipodes de la noblesse d’un Marlon Brando. Dans la réalité les vrais mafieux furent flattés par le film de Coppola (cherchant par une drôle d’ironie à imiter tenues et attitudes de la famille Corleone) mais il n’en fut rien avec le portrait peu reluisant et si proche de Scorsese.

Les Affranchis est également un extraordinaire tour de force narratif où Scorsese multiplie les prouesses. Ayant convaincu Nicolas Pileggi de s’absoudre d’une narration classique et chronologique, Scorsese survole 30 ans d’odyssée mafieuse avec une aisance déconcertante. Il s’inspire entre autre du classique anglais de la Ealing Noblesse Oblige par son usage de la voix off : apportant un décalage ou une ponctuation humoristique/ironique à l’image (l’anecdote sur les course de la mère d’Henry alors qu’il incendie un parking), informative (toutes les combines et arnaques expliquées avec une limpidité exemplaire qui sera encore plus virtuose dans Casino) ou contredisant l’image comme lors de l’ultime entrevue entre Liotta et De Niro ou une rencontre amicale dissimule en fait un arrêt de mort pour le héros.

Thelma Schoonmaker effectue elle un travail fabuleux au montage qui rend le défilement de lieux, personnages et situation parfaitement compréhensible, Scorsese apportant des respirations bienvenues avec une figure stylistique inspirée de Jules Et Jim avec ces fréquents arrêts sur images figeant l’instant et appuyant les sentiments véhiculés par la séquence. Le grand morceau de bravoure intervient cependant durant la dernière demi-heure racontant la journée survoltée de Ray Liotta totalement défoncé. Montage speedé, phrasé de camé au débit saccadé en voix off et bande-son rock’n’roll contribuent à traduire la perte de repère totale d’un Henry Hill au bord de la rupture qui commet toutes les erreurs de jugement qui conduiront à son arrestation.

Ray Liotta trouve ici le rôle de sa vie et délivre une prestation ébouriffante d’énergie et de prestance. On peut en dire autant de Joe Pesci (qui entre Raging Bull celui-ci et Casino n’est jamais aussi bon que chez Scorsese) terrifiant en boule de nerfs sanguinaire constamment prête à exploser. Il parviendra à créer un personnage plus violent encore dans Casino. Robert De Niro se met volontairement plus en retrait de ses deux partenaires mais confère toute l’intensité et charisme nécessaire à son Jimmy.

L’alchimie entre ces trois-là est électrique, la complicité contribuant même à des sommets d’humour noir tel cet interlude où ils s’arrêtent dîner chez la mère de Pesci (jouée par la propre mère de Scorsese !) alors que le corps ensanglanté de leur victime s’agite encore dans le coffre !

Finalement la plus grande punition sera bien pour Henry Hill qui dans un épilogue parfait dépeint sa détresse absolue. Vivre dans le regret des actions et de la compagnie de ceux qui ne désirent plus que le tuer désormais. Un monument qui sera une des grandes sources d'inspirations du tout aussi légendaire feuilleton Les Sopranos où on retrouvera d'ailleurs une bonne partie du casting dont Lorraine Bracco.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

vendredi 16 mars 2012

Le Viager - Pierre Tchernia (1972)


En 1930 à Paris. Léon Galipeau, médecin généraliste à la compétence discutable, ausculte Louis Martinet, célibataire de 59 ans. Persuadé que son patient n'a que deux ans tout au plus à vivre, Galipeau convainc son frère Émile d'acquérir en viager la maison de campagne que possède Martinet dans un petit village de pêcheurs inconnu : Saint-Tropez. Confiants dans leur affaire, les deux frères acceptent même d'indexer la rente viagère sur le cours d'une valeur pensent-ils sans avenir : l'aluminium. Alors que les années passent, non seulement Martinet garde bon pied bon œil mais encore reprend-il vigueur et entrain sous le soleil du Midi.

C'est un véritable coup de maître comique que signait Pierre Tchernia avec sa première réalisation Le Viager. Le pitch est aussi simple que savoureux. Le vieil ouvrier usé et condamné Louis Martinet (Michel Serrault) va donner du fil à retordre à la famille Galipeau qui avait acquis sa maison de campagne en viager. L'air de la campagne ragaillardi le vieillard de plus en plus vigoureux tandis que l'investissement s'avère désastreux pour les Galipeau qui dans leur grande assurance avait indexé la rente sur la valeur (hélas) montante de l'aluminium. Autour de cet argument, Pierre Tchernia et son scénariste René Goscinny tissent un récit ludique, drôle et sacrément grinçant.

La simplicité et la gentillesse de Léon Martinet s'oppose ainsi constamment à l'arrogance des Galipeau dans une histoire survolant les soubresauts de l'Histoire du début des années 30 jusqu'au 70's. On jubile donc devant les prédictions hasardeuses et délivrées avec aplomb par Léon Galipeau (Michel Galabru) sur la Guerre d'Espagne, le Front Populaire ou la ligne Maginot ponctué d'un sentencieux et hilarant Faites-moi confiance !. Tchernia accentue cette dimension comique en accentuant la chance et la résistance insolente de Martinet mise en parallèle avec la poisse et la déchéance des Galipeau.

Cela fonctionne à l'ironie (Martinet indestructible face à la vie nocturne parisienne quand l'épouse Galipeau succombera peu après à un infarctus), le burlesque pur avec des rebondissements finaux digne de Tueurs de Dame (la rambarde sciée énorme !) et une touche caustique grinçante irrésistible où les finalement peu recommandables ont toujours un train de retard avec le monde qui les entoure lors de dénonciations pour les mauvais motifs à l'Occupation et la Libération.

La naïveté et la bienveillance de Martinet (qui profite de son énergie retrouvée pour aider les autres) le sauve en toute circonstance tandis que les mauvaises intentions des Galipeau les desservent dans des proportions de plus en plus énorme pour notre plus grand plaisir dans cette lutte des classes revues et corrigée. Les duettistes Tchernia/Goscinny relancent constamment l'intérêt à coup d'idées narratives brillantes comme l'explication enfantine du viager dessinée par Gotlib ou la paranoïa française des espions allemands traduite par un Serrault nazi grimé en nonne, portier, instituteur (et le summum lorsqu'il demande de la place pour photographier les plans de l'état-major français).

Michel Serrault en petit vieux candide et bon pied bon œil offre un très grand numéro comique et est attachant de bout en bout, s'opposant parfaitement au survolté et fourbe Michel Galabru mais c'est tout la tribu Galipeau qui prête à rire quel que soit leur temps de présence comme Noel Rocquevert (dans son dernier rôle) en grand-père peu friand de boudin blanc. Et la chute avec la dernière génération Galipeau incarné par Claude Brasseur en loubard (et des apparitions de Gérard Depardieu et Jean Richard) conclu le tout en feu d'artifice, littéralement... Grand moment !

Sorti en dvd chez Citel Vidéo ou chez Studio Canal dans un coffret Tchernia comprenant "Les Gaspards" (déjà évoqué ici) et "La Gueule de l'autre" (bientôt sans doute en ces pages !).

Extrait avec Galabru le visionnaire ^^