Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mercredi 3 septembre 2025

Deux Enfants qui s'aiment - Friends, Lewis Gilbert (1971)

 Un jeune homme, Paul Harrison, fils d'un riche homme d'affaires britannique vivant à Paris, rencontre une belle et jeune orpheline, Michelle Latour. Les deux adolescents quittent Paris pour se rendre en Camargue.

Friends est un objet étonnant dans la filmographie d’un Lewis Gilbert alors au sommet de sa popularité et enchaînant les projets mastodontes. L’immense succès critique et public de Alfie le dragueur (1966) a mis le réalisateur dans de bonnes dispositions auprès du studio Paramount qui produisait le film. La belle tenue de son James Bond On ne vit que deux fois (1967) le montre également capable d’apposer sa patte sur un superproduction d’envergure. Deux immenses projets vont alors lui échapper. Il va longuement travailler sur la préproduction de l’adaptation cinématographique de la comédie musicale Oliver ! avec son auteur Lionel Bart, mais devant par contrat un film à Paramount, il va laisser les rênes du projet à Carol Reed (avec le triomphe que l’on sait) pour aller réaliser Les Derniers des aventuriers pour le studio. 

Paramount lui propose ensuite de réaliser Le Parrain, mais il se verra à plusieurs reprises refuser le budget conséquent que réclame le film selon lui et jettera l’éponge au profit de Francis Ford Coppola supposé plus « malléable ». Ces diverses déconvenues incitent Lewis Gilbert à s’atteler à un projet plus modeste qui deviendra Friends. Gilbert écrit dans un premier un scénario choral contant trois romances portées par des couples de différentes tranches d’âges : l’adolescence, l’âge adulte et la vieillesse. Pour Robert Evans, patron de la Paramount, le segment juvénile est le plus réussi et il va conseiller à Gilbert de focaliser son film dessus.

Friends est une œuvre qui expose ses deux jeunes héros à la fois aux derniers maux de l’enfance, et aux premiers de l’âge adultes. Paul (Sean Bury) est le fils d’un homme d’affaires anglais installé à Paris qui le délaisse, sombrant doucement mais sûrement dans la délinquance en volant des voitures. Michelle (Anicée Alvina) vient de perdre tragiquement son père et est venue s’installer à Paris chez sa cousine, sa dernière parente. La cellule familiale déjà boiteuse de Paul est fragilisée lorsque son père s’apprête à se remarier, tandis que la nouvelle maison d’accueil de Michelle s’avère oppressante quand l’amant adulte de sa cousine s’avère avoir des vues sur elle. Les deux adolescents se rencontrent et lient d’amitié au fil de leurs déambulations parisiennes, alors qu’ils appréhendent de regagner le foyer. Ils vont se reconnaître dans leurs solitudes respectives que ce soit la mère (qui l’a abandonné a 5 ans pour Paul, morte en couches pour Michell) ou le père absent chez chacun mais pour des raisons différentes.

Une virée en voiture va involontairement se transformer en fugue, par la naissance d’une folle idée : habiter ensemble la maison de campagne dans laquelle séjournait Michelle durant les vacances avec son père artiste dans la région de Arles. Ce sera l’essentiel du cadre du film, entre l’intimité de la maison, les pérégrinations dans Arles et surtout les somptueuses séquences pastorales tissant la romance naissante entre les deux adolescents dans une Camargue magnifiée. Le charisme des deux acteurs y est pour beaucoup, notamment la jeune Anicée Alvina (après que Lewis Gilbert a envisagé Isabelle Adjani) dégageant un mélange de sensualité et de candeur palpable. 

Ce pont entre l’enfance et l’âge adulte se manifeste par la progression subtile de l’amitié au sentiment amoureux, puis au désir charnel par un travail sur le geste, les regards. Il y aurait certes à redire sur l’exposition à la nudité des personnages et plus particulièrement Michelle, qui ont tout de même 15 ans (voire quatorze et demi comme le souligne Michelle dans une récrimination tout enfantine) mais Lewis Gilbert amène ces bascules avec une infinie délicatesse tout en se protégeant en coulisse – les deux acteurs étant tout juste majeurs au moment du tournage.

On sent néanmoins une volonté de construire dans ce cadre isolé tout ce qui leur a manqué d’amour au sein de leur vraie famille, et d’en construire une à leur tour. La naïveté de l’ensemble – aux antipodes du cynisme Swinging London de Alfie - n’empêche pas l’exposition à certaines réalités quand, les premières économies dépensées, le couple devra devenir autonome et gagner de quoi subsister. Le « fils à papa » capricieux s’épanouit peu à peu dans ses nouvelles responsabilités, et la fillette sort de sa chrysalide pour devenir une vraie maîtresse de maison. 

C’est formellement superbe tout en étant sur la corde raide du kitsch et du mièvre, avec une photo magnifique d’Andréas Winding qui oscille entre naturalisme envoutant et franc onirisme romantique, notamment lors d’une scène de retrouvailles nocturnes, le tout porté par un score de Elton John et Bernie Taupin. Cela fonctionne vraiment bien pour peu que l’on se laisse happer par la candeur de l’ensemble, jusqu’à un déchirant final dont on devine l’issue hors-champ. Un bel ovni dans la filmographie de Lewis Gilbert, dont l’accueil sera suffisamment positif (succès modéré aux Etats-Unis mais triomphe au Mexique et surtout au Japon où il fait figure de film culte) pour générer une suite trois ans plus tard, Paul et Michelle (1974) avec le même casting et de nouveau signée Gilbert. Sans être aussi réussi, une oeuvre qui rappelera le charme du magnifique Melody, l'autre grande romance enfantine anglaise des années 70 sortie la même année. 

Disponible en streaming sur MyCanal 

Extrait 

mardi 2 septembre 2025

Un enfant de Calabre - Un ragazzo di Calabria, Luigi Comencini (1987)

1960. À la veille des Jeux de Rome, Mimì, un garçon de Calabre, épris de course à pied, grand admirateur du marathonien éthiopien Abebe Bikila, s'entraîne pour les futurs Jeux de la Jeunesse à Rome. Il se heurte à l'hostilité de son père, soucieux de sa scolarité. Il bénéficie, pourtant, du soutien d'un vieux conducteur d'autocar, Felice, qui a su détecter en lui l'étoffe d'un champion...

La dernière partie de la filmographie de Luigi Comencini semble revenir à son thème de prédilection de l'enfance et du récit d'apprentissage, qui lui a déjà inspiré quelques-uns de ses plus beaux films comme Tu es mon fils (1956), L'Incompris (1967) ou encore Casanova, un adolescent à Venise (1969). Quatre films très différents le ramènent à ces sujets durant les années 80 avec le mélodrame désespéré de Eugenio (1980), le nostalgique Cuore (1984) ou le conte fantastique Marcellino (1991). Un enfant de Calabre situé au début des années 60, se situe à une période, ainsi qu'un cadre sociogéographique (l’Italie pauvre et rurale du Mezzogiorno, soit le Sud) que Comencini n'avait plus visité depuis le diptyque Pain, amour et fantaisie (1953) et Pain, amour et jalousie (1954). 

On ressent ce dénuement matériel dès les premières images, au point qu'il faut attendre l'irruption d'un car scolaire puis du scooter du père de famille Nicola (Diego Abatantuono) pour avoir l'assurance que le récit se déroule bien au vingtième siècle. Nous découvrons le quotidien modeste et laborieux du jeune Mimi (Santo Polimeno ) et de sa famille, ne vivant plus de ses travaux fermiers et n'ayant pas le bagage pour les métiers modernes d'une Italie dont le boom économique n'est pas arrivé jusqu'à eux. Mimi oscille donc entre la menace de ce déterminisme et la pression que lui met son père pour qu'il soit studieux dans ses études pour aspirer à mieux.

Loin de ces préoccupations, Mimi ne se sent vraiment insouciant et libéré que lorsqu'il court à en perdre haleine au sein des collines vallonnées de la région. Et si cette soupape physique était son passeport pour un autre destin ? C'est ce que va lui faire entrevoir Felice (Gian Maria Volonté), chauffeur de car qui décèle en lui le potentiel d'un champion. Reste à convaincre un père ombrageux et réfractaire. Comme on le décelait déjà dans Pain, amour et fantaisie ou Tu es mon fils, c'est paradoxalement en dépeignant les milieux les plus pauvres que Comencini signe ses films les plus lumineux. On retrouve ici le sujet de l'incommunicabilité parents/enfants, et plus spécifiquement père/fils. Le carcan bourgeois troublait ce type de relation malgré les nobles intentions dans L'Incompris et Eugenio, amenant une distance involontaire entre les individus. Nicola (Diego Abatantuono), malgré ses manières rugueuses voire violentes est une figure paternelle dépassée, mais recherchant avec hargne et maladresse un avenir meilleur pour sa famille. 

Tour à tour pathétique, brutal et surtout maladroit, il ne peut inculquer à Mimi les valeurs qui l'ont piégé dans sa condition, et ne sait pas réellement vers lesquelles le diriger si ce n'est l'intitulé flou des "études". Cette incapacité le rend tour à tour attachant et détestable quand ce pragmatisme le rend imperméable à la volonté d'évasion et de rêve de son fils par la course à pied. Felice, né boiteux, a malgré ce handicap cette propension au rêve (et parfois à la mythomanie) et s'avère un modèle bien plus positif pour le héros.

Comencini durant une scène laisse Mimi verbaliser (bien malgré lui dans le cadre d'une rédaction scolaire) les émotions que lui procure la course, et nous les fait ressentir par sa mise en scène. Mimi court pour rattraper à vélo Crisolinda (Maria Giadda Faggioli), la jeune fille qui lui plaît, il court effectuer le trajet jusqu'à l'école en dépassant le car scolaire, chaque foulée est une manière d'échapper à son quotidien morne. Ce n'est que tardivement qu'intervient la possibilité de la compétition, et à l'exaltation et échappée intime de la course va alors s'ajouter celle de transcender sa condition par le sport. Comencini alterne entre les cadres sombres et confinés (la maison, l'école) synonymes de contraintes, avec les grands espaces dans lesquels le corps et l'esprit de Mimi se libèrent. Le réalisateur magnifie les paysages ruraux où se perd la silhouette frêle et rapide de Mimi, avant d'exprimer cet espoir d'ailleurs en capturant des environnements auquel il n'aurait pas eu accès sans la course. 

Le tout culmine bien sûr avec le final grandiose dans le stade romain, le petit bout de la lorgnette (Felice et Nicola regardant la course à la télévision) alternant avec l'imagerie sportive, olympique (le renouveau économique italien s'affirmera avec l'organisation des Jeux d'été à Rome en 1960) voire héroïque dans le superbe dépassement de soi de Mimi. Son émancipation est parallèlement celle aussi de sa mère (Thérèse Liotard) qui s'est affirmée pour le soutenir face à l'autorité patriarcale de son époux. La dernière phrase du film, un commentaire sportif décrivant Mimi après sa victoire, est "C'est un enfant de Calabre". L'image télévisée figée de Mimi sur ces mots cesse de désigner cette origine comme un fardeau pour enfin constituer une fierté. 

samedi 30 août 2025

La Voie du serpent - Hebi no michi, Kiyoshi Kurosawa (2025)

 Albert Bacheret est un père dévasté par la disparition inexplicable de sa fille de huit ans. Alors que la police semble incapable de résoudre l'affaire, il décide de mener sa propre enquête et reçoit l'aide inattendue de Sayoko, une énigmatique psychiatre japonaise. Ensemble, ils kidnappent des responsables du "Cercle", une société secrète. Mais chaque nouvel indice mène à un nouveau suspect qui présente toujours une version différente des faits... Obsédé par la vérité, Albert va devoir naviguer entre sa soif aveugle de vengeance et une infinie spirale de mensonges.

La Voie du Serpent est la seconde réalisation de Kiyoshi Kurosawa en France après Le Secret de la chambre noire (2016). Ce dernier, envoûtant formellement lorsqu’il ne misait que sur les atmosphères inquiétantes chères au réalisateur, péchait grandement dés lors qu’il se reposait sur une intrigue laborieuse ne sachant s’approprier les particularismes français de son récit. La Voie du Serpent malgré cette nouvelle délocalisation se situe dans un habile entre-deux puisqu’il s’agit du remake de Le Chemin du serpent, réalisé par Kurosawa en 1998. Le réalisateur, bien que n’ayant pas signé le scénario de la première version (que l’on doit à Hiroshi Takahashi), se trouve davantage en terrain familier qu’avec Le Secret de la Chambre noire.

Sans vouloir jouer au jeu des sept erreurs, le principal atout de ce remake repose sur la nature incertaine de ses enjeux, personnages et intrigues. L’épure déjà existante dans le film original se trouve renforcée ici en éliminant les éléments typiquement japonais sans pour autant les remplacer par leur équivalent français. Les antagonistes yakuzas, menace identifiée et familière pour les nippons laissent ici place à une société secrète dont la réelle existence est questionnée pendant très longtemps durant la quête de vengeance d’Albert (Damien Bonnard). Alors que l’inquiétante étrangeté de Kurosawa investissait des environnements et problématiques typiquement français dans Le Secret de la chambre noire (avec cette vieille demeure familiale et ses problématiques administratives), le réalisateur vide au contraire ce cadre français de sa substance locale. Ruelles désertes, intérieurs intimes neutres, usines désaffectée et terrains vagues sinistres constituent l’essentiel des décors et participe, avec la menace nébuleuse, à faire du cadre du récit un véritable espace mental faisant office de béquille psychique et d’exutoire au héros. Le Memento de Christopher Nolan n’est pas loin, mais Kurosawa n’a pas besoin de l’artifice d’une narration inversée pour produire cette confusion.

L’ennemi invisible que poursuit Albert s’inscrit à la fois dans la vérité de faits divers récents, mais aussi une forme de fantasme complotiste qui ne peut s’incarner que dans la réalité alternative que semble proposer le film. Dès lors l’acolyte japonaise incarnée par Kō Shibasaki participe à cet entre-deux. On peut la voir comme un mauvais génie, participant à cette idée de béquille psychique contribuant à remobiliser Albert lorsque sa détermination vacille, quand ses certitudes sont ébranlées. Le jeu opaque de l’actrice et son français tout à fait compréhensible mais monolithique (et sans doute appris phonétiquement pour les besoins du rôle) sont des atouts majeurs pour appuyer cette idée. Parallèlement, la fébrilité dégagée subtilement par ses expressions et même la froideur de ses actions les plus radicales laissent supposer un personnage plus incarné, mais exprimant différemment ses fêlures qu’un Albert dont les troubles s’exposent à livre ouvert. Les révélations progressives la concernant renforceront ce sentiment. Kiyoshi Kurosawa livre donc là un thriller captivant, maîtrisé et ambigu dont il a le secret, rendant universelle l’angoisse latente de ses films japonais. 

En salle le 3 septembre 

mercredi 27 août 2025

Les Étrangleurs de Bombay - The Stranglers of Bombay, Terence Fisher (1959)

En Inde, à la fin du XIXe siècle, une secte d'étrangleurs appelée les Thugs est la source d'enlèvements, de meurtres et de mutilations de voyageurs qui traversent les régions du pays sous leur influence. Les actes violents perpétrés par les membres de la secte ont pour but d'offrir des sacrifices rituels à la déesse indienne Kali. Un régiment britannique se lance alors aux trousses des tueurs, afin de les mettre hors d'état de nuire.

Les Étrangleurs de Bombay est une production Hammer s’appuyant habilement sur une réalité historique pour installer son récit à suspense. En l’occurrence il s’agit ici de la lutte de l’Empire colonial britannique contre la secte des Thugs en Inde. Certains éléments, comme l’introduction didactique ou encore l’épilogue citant de véritables officiers britanniques ayant dirigé cette lutte, tendent à inscrire le film dans une certaine véracité. Il n’y a par exemple aucune dimension explicitement fantastique ou d’éléments pulps qui feront plus tard le sel du nettement plus extravagant Indiana Jones et le Temple Maudit de Steven Spielberg (1984) mettant aussi en scène les Thugs.

Sans forcément aller jusqu’à lui attribuer un réalisme documentaire, les rituels et exactions de la secte correspondent dans les grandes lignes à ce que l’on sait de leur culte vénérant la déesse Kali. Terence Fisher prend le même soin dans la description du quotidien colonial. Le Capitaine Harry Lewis (Guy Rolfe), lui-même déconsidéré et déclassé dans le corps de l’armée malgré ses aptitudes, est ainsi par ce biais le plus préoccupé et en empathie envers la population locale. C’est lui qui, dédaigné par sa hiérarchie, finit par comprendre l’influence des Thugs en étant le confident de ses amis autochtones lui rapportant les enlèvements et disparitions mystérieuses parmi leurs proches. 

Le clivage de classe typique de la société anglaise se prolonge dans ces contrées lointaines et en mettant au ban le seul protagoniste bienveillant et ancré localement, empêche un individu tout en plaçant une communauté sous la menace des Thugs. Le scénario exprime frontalement la seule raison d’être du colonialisme, celle d’exploiter les ressources et une population à des fins capitalistes, générer des profits East India Company. Ce n’est que quand le profit commencera à être menacé que les lignes bougeront quelque peu.

Fisher étend son étude au système de caste indienne, l’absence d’entraide des locaux face à la menace s’y heurtant. Les plus pauvres en subissent les conséquences, tandis que les Thugs infiltrés sont issus des hautes castes. Il y a une certaine ambiance paranoïaque qui en découle et fonctionne assez bien, évitant le racisme sous-jacent (même si jouant sur cette tonalité pulp) que l’on pouvait malgré tout ressentir devant Indiana Jones et le Temple maudit malgré ses évidentes vertus divertissantes. Cette rigueur historique rend le film prenant, mais en freine parfois les pures vertus de frayeur. Terence Fisher tire son épingle du jeu par une violence surprenante, toute en sadisme et imagerie macabre. Les tortures inhérentes au culte de Kali et leurs conséquences sont dépeintes avec une frontalité à peine atténuée par les ciseaux de la censure anglaise horrifiée par le premier montage. 

Yeux crevés au fer rouge, tranchage de membres, découvertes de cimetières clandestins, rien ne nous est épargné et Fisher lui-même se surprendra à constater qu’il a sans doute eu la main lourde. La photo d’Arthur Grant s’équilibre entre les clair/obscur stylisé des scènes nocturnes inquiétantes, et des séquences diurnes rendant la moiteur palpable – même si de toute évidence le film n’a pas été tourné en Inde et que les extérieurs sont parcimonieux. Malgré une conclusion un peu trop expéditive, c’est en tout cas ce qui fait le sel de cette production gardant juste ce qu’il faut du cinéma d’exploitation pour privilégier une authenticité louable.

Sorti en bluray anglais sous-tiré anglais chez Powerhouse 

lundi 25 août 2025

L'Attaque du fourgon blindé - Money Movers, Bruce Beresford (1978)

Réputé pour sa sécurité infaillible, la société de convoyeurs de fonds Darcy vient pourtant de subir un violent braquage. Une lettre anonyme annonçant un nouveau braquage sème le trouble au sein de la compagnie. D'où viennent ces menaces ? D'un salarié modèle, d'un nouvel employé trop propre sur lui ? D'un parrain local ou d'un flic corrompu…

Parmi les nombreux classiques et films cultes issus de la Nouvelle Vague australienne, le polar est un genre étonnamment sous représenté puisque L’Attaque des fourgons blindés fait figure d’exception dans ce beau corpus. C’est après la réalisation de The Getting of Wisdom, récit d’apprentissage féminin dans un pensionnat de jeunes filles, que naît chez Bruce Beresford l’envie d’alterner avec une œuvre plus nerveuse. Il va trouver matière avec le roman The Money Movers de Devon Minchin, publié en 1972. Baroudeur aux multiples expériences, pas toujours dans la légalité, Devon Minchin s’inspirait justement dans son roman de la période où il fut le patron d’une société de convoyeurs. L’aura trouble autour de l’auteur vient notamment du fait que quelques mois après avoir revendu sa compagnie, celle-ci fut victime d’un braquage et, bien qu’il ne fût jamais inquiété, les mauvaises langues attribuèrent l’écriture du roman à une volonté « d’alibi » explicitant son innocence.

Ce passif justifie en tout cas la rigueur documentaire, tant dans le fonctionnement que la caractérisation des personnages, avec laquelle Beresford nous immerge dans ce corps de métier. Le réalisateur s’attache là à dépeindre crûment certains pans de la société australienne. Le polar était certes absent des écrans de cinéma, mais s’inscrivait bel et bien via la télévision dans le quotidien des spectateurs locaux, notamment une série au long cours comme Homicide, diffusée entre 1964 et 1977. L’image proprette et vertueuse montrée de la police était cependant bien éloigné de la réalité du pays, rongée par la corruption et balayée de nombreux scandales. Le microcosme de la société de convoyeur reflète cela, en étant notamment composé de nombreux employés anciens fonctionnaires de police, et échoués là pour des raisons douteuses. Ce climat se ressent très vite à travers certains personnages authentiquement véreux le policier Sammy Rose (Alan Cassell) en charge de l’enquête sur les braquages, d’autres bannis et piégé au contraire pour leur probité tel Dick Martin (Ed Devereaux), et certains à cause de leurs mœurs comme Jack Henderson (Bud Tingwell), homosexuel.

Sur ce dernier point, le film allie parfaitement sa nature de polar hard-boiled à une certaine problématique masculiniste australienne. Plusieurs films de l’époque dépeignent le climat d’isolation et de solitude stimulant un climat de virilisme débouchant sur des excès de violence où le refoulé gay n’est jamais bien loin. Un film comme Réveil dans la terreur de Ted Kotcheff est emblématique de cela, tout comme les Mad Max de George Miller et Bruce Beresford abordera en partie le prisme historique dans Héros ou Salopards (1980). Ce surplus de testostérone mal dosée installe une atmosphère tendue, toute en intimidation physique, langage ordurier et machiste, via laquelle il est difficile de s’attacher à un personnage. La paranoïa ambiante tient à la menace d’un braquage du centre de dépôt, la possibilité d’un tel acte ne pouvant venir que d’un employé aux noirs desseins. Ce sera bien le cas mais la minutieuse et efficace étude de caractère de Beresford rend la question plus complexe.

L’empathie difficile vient de sa soumission de tous les protagonistes aux pans les plus abjects du système. Les braqueurs infiltrés expriment cette veine machiste évoquée plus haut (notamment lorsque le personnage de Brian Jackson (Bryan Brown) affirme n’avoir aucun scrupule à abandonner sa femme une fois le butin acquis), mais sont également acteurs et victimes d’un capitalisme carnassier. Démasqués dans leur plan, ils vont devoir en faire profiter un parrain local tout comme une petite entreprise subirait l’OPA hostile d’une grande corporation - le raffinement recherché par les mafieux les rapprochant d’ailleurs de magnats de la finance. Cette logique sans scrupules intervient à toutes les strates : le chef syndicaliste fait partie des braqueurs et usera de ses prérogatives lors du méfait, l’attachant et gauche convoyeur Leo Basset (Tony Bonner) s’avérera un espion mandaté par les assurances, et lui-même sera manipulé par une jeune femme n’hésitant pas à user de ses charmes.

L’écrasement de l’autre la masculinité et/ou le pouvoir de l’argent se caractérise dans le film par une violence sèche et décomplexée. Tout est bon pour impressionner et effrayer par l’intimidation physique (Brian Jackson jouant les cow-boys pour corriger des voleurs de voiture), soumettre l’autre par la torture – éprouvante scène de coupage d’orteils – et en définitive obtenir son dû par la gâchette facile. Bruce Beresford se montre particulièrement inspiré pour filmer les empoignades nerveuses dans des chorégraphies chaotiques. Les impacts sont brefs, sanglants et douloureux durant des gunfights cherchant l’urgence plutôt que l’emphase, notamment durant un climax explosif et étonnamment confiné. 

Avant l’explosion finale, le montage alterné accompagnant tous les protagonistes fait monter la tension avec brio. Le miroir sans doute trop crû tendu à la société australienne suscitera l’échec public et critique du film, prenant au pied de la lettre ses provocations. L’Attaque des fourgons blindés a heureusement depuis gagné ses galons cultes (on peut soupçonner un Nicolas Boukhrief de l’avoir vu pour son excellent Le Convoyeur (2003) d’autant que le Beresford est sorti en VHS dans les années 80 et aurait pu passer sous les yeux de l’ancien rédacteur de Starfix) et mérité la place qui lui est dû, celle d’un grand polar. La carrière australienne de Bruce Beresford, loin de sa période hollywoodienne plus convenue, regorge décidément de trésors.

Sorti en blura français chez Badlands