Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mercredi 3 septembre 2025

Deux Enfants qui s'aiment - Friends, Lewis Gilbert (1971)

 Un jeune homme, Paul Harrison, fils d'un riche homme d'affaires britannique vivant à Paris, rencontre une belle et jeune orpheline, Michelle Latour. Les deux adolescents quittent Paris pour se rendre en Camargue.

Friends est un objet étonnant dans la filmographie d’un Lewis Gilbert alors au sommet de sa popularité et enchaînant les projets mastodontes. L’immense succès critique et public de Alfie le dragueur (1966) a mis le réalisateur dans de bonnes dispositions auprès du studio Paramount qui produisait le film. La belle tenue de son James Bond On ne vit que deux fois (1967) le montre également capable d’apposer sa patte sur un superproduction d’envergure. Deux immenses projets vont alors lui échapper. Il va longuement travailler sur la préproduction de l’adaptation cinématographique de la comédie musicale Oliver ! avec son auteur Lionel Bart, mais devant par contrat un film à Paramount, il va laisser les rênes du projet à Carol Reed (avec le triomphe que l’on sait) pour aller réaliser Les Derniers des aventuriers pour le studio. 

Paramount lui propose ensuite de réaliser Le Parrain, mais il se verra à plusieurs reprises refuser le budget conséquent que réclame le film selon lui et jettera l’éponge au profit de Francis Ford Coppola supposé plus « malléable ». Ces diverses déconvenues incitent Lewis Gilbert à s’atteler à un projet plus modeste qui deviendra Friends. Gilbert écrit dans un premier un scénario choral contant trois romances portées par des couples de différentes tranches d’âges : l’adolescence, l’âge adulte et la vieillesse. Pour Robert Evans, patron de la Paramount, le segment juvénile est le plus réussi et il va conseiller à Gilbert de focaliser son film dessus.

Friends est une œuvre qui expose ses deux jeunes héros à la fois aux derniers maux de l’enfance, et aux premiers de l’âge adultes. Paul (Sean Bury) est le fils d’un homme d’affaires anglais installé à Paris qui le délaisse, sombrant doucement mais sûrement dans la délinquance en volant des voitures. Michelle (Anicée Alvina) vient de perdre tragiquement son père et est venue s’installer à Paris chez sa cousine, sa dernière parente. La cellule familiale déjà boiteuse de Paul est fragilisée lorsque son père s’apprête à se remarier, tandis que la nouvelle maison d’accueil de Michelle s’avère oppressante quand l’amant adulte de sa cousine s’avère avoir des vues sur elle. Les deux adolescents se rencontrent et lient d’amitié au fil de leurs déambulations parisiennes, alors qu’ils appréhendent de regagner le foyer. Ils vont se reconnaître dans leurs solitudes respectives que ce soit la mère (qui l’a abandonné a 5 ans pour Paul, morte en couches pour Michell) ou le père absent chez chacun mais pour des raisons différentes.

Une virée en voiture va involontairement se transformer en fugue, par la naissance d’une folle idée : habiter ensemble la maison de campagne dans laquelle séjournait Michelle durant les vacances avec son père artiste dans la région de Arles. Ce sera l’essentiel du cadre du film, entre l’intimité de la maison, les pérégrinations dans Arles et surtout les somptueuses séquences pastorales tissant la romance naissante entre les deux adolescents dans une Camargue magnifiée. Le charisme des deux acteurs y est pour beaucoup, notamment la jeune Anicée Alvina (après que Lewis Gilbert a envisagé Isabelle Adjani) dégageant un mélange de sensualité et de candeur palpable. 

Ce pont entre l’enfance et l’âge adulte se manifeste par la progression subtile de l’amitié au sentiment amoureux, puis au désir charnel par un travail sur le geste, les regards. Il y aurait certes à redire sur l’exposition à la nudité des personnages et plus particulièrement Michelle, qui ont tout de même 15 ans (voire quatorze et demi comme le souligne Michelle dans une récrimination tout enfantine) mais Lewis Gilbert amène ces bascules avec une infinie délicatesse tout en se protégeant en coulisse – les deux acteurs étant tout juste majeurs au moment du tournage.

On sent néanmoins une volonté de construire dans ce cadre isolé tout ce qui leur a manqué d’amour au sein de leur vraie famille, et d’en construire une à leur tour. La naïveté de l’ensemble – aux antipodes du cynisme Swinging London de Alfie - n’empêche pas l’exposition à certaines réalités quand, les premières économies dépensées, le couple devra devenir autonome et gagner de quoi subsister. Le « fils à papa » capricieux s’épanouit peu à peu dans ses nouvelles responsabilités, et la fillette sort de sa chrysalide pour devenir une vraie maîtresse de maison. 

C’est formellement superbe tout en étant sur la corde raide du kitsch et du mièvre, avec une photo magnifique d’Andréas Winding qui oscille entre naturalisme envoutant et franc onirisme romantique, notamment lors d’une scène de retrouvailles nocturnes, le tout porté par un score de Elton John et Bernie Taupin. Cela fonctionne vraiment bien pour peu que l’on se laisse happer par la candeur de l’ensemble, jusqu’à un déchirant final dont on devine l’issue hors-champ. Un bel ovni dans la filmographie de Lewis Gilbert, dont l’accueil sera suffisamment positif (succès modéré aux Etats-Unis mais triomphe au Mexique et surtout au Japon où il fait figure de film culte) pour générer une suite trois ans plus tard, Paul et Michelle (1974) avec le même casting et de nouveau signée Gilbert. Sans être aussi réussi, une oeuvre qui rappelera le charme du magnifique Melody, l'autre grande romance enfantine anglaise des années 70 sortie la même année. 

Disponible en streaming sur MyCanal 

Extrait 

mardi 2 septembre 2025

Un enfant de Calabre - Un ragazzo di Calabria, Luigi Comencini (1987)

1960. À la veille des Jeux de Rome, Mimì, un garçon de Calabre, épris de course à pied, grand admirateur du marathonien éthiopien Abebe Bikila, s'entraîne pour les futurs Jeux de la Jeunesse à Rome. Il se heurte à l'hostilité de son père, soucieux de sa scolarité. Il bénéficie, pourtant, du soutien d'un vieux conducteur d'autocar, Felice, qui a su détecter en lui l'étoffe d'un champion...

La dernière partie de la filmographie de Luigi Comencini semble revenir à son thème de prédilection de l'enfance et du récit d'apprentissage, qui lui a déjà inspiré quelques-uns de ses plus beaux films comme Tu es mon fils (1956), L'Incompris (1967) ou encore Casanova, un adolescent à Venise (1969). Quatre films très différents le ramènent à ces sujets durant les années 80 avec le mélodrame désespéré de Eugenio (1980), le nostalgique Cuore (1984) ou le conte fantastique Marcellino (1991). Un enfant de Calabre situé au début des années 60, se situe à une période, ainsi qu'un cadre sociogéographique (l’Italie pauvre et rurale du Mezzogiorno, soit le Sud) que Comencini n'avait plus visité depuis le diptyque Pain, amour et fantaisie (1953) et Pain, amour et jalousie (1954). 

On ressent ce dénuement matériel dès les premières images, au point qu'il faut attendre l'irruption d'un car scolaire puis du scooter du père de famille Nicola (Diego Abatantuono) pour avoir l'assurance que le récit se déroule bien au vingtième siècle. Nous découvrons le quotidien modeste et laborieux du jeune Mimi (Santo Polimeno ) et de sa famille, ne vivant plus de ses travaux fermiers et n'ayant pas le bagage pour les métiers modernes d'une Italie dont le boom économique n'est pas arrivé jusqu'à eux. Mimi oscille donc entre la menace de ce déterminisme et la pression que lui met son père pour qu'il soit studieux dans ses études pour aspirer à mieux.

Loin de ces préoccupations, Mimi ne se sent vraiment insouciant et libéré que lorsqu'il court à en perdre haleine au sein des collines vallonnées de la région. Et si cette soupape physique était son passeport pour un autre destin ? C'est ce que va lui faire entrevoir Felice (Gian Maria Volonté), chauffeur de car qui décèle en lui le potentiel d'un champion. Reste à convaincre un père ombrageux et réfractaire. Comme on le décelait déjà dans Pain, amour et fantaisie ou Tu es mon fils, c'est paradoxalement en dépeignant les milieux les plus pauvres que Comencini signe ses films les plus lumineux. On retrouve ici le sujet de l'incommunicabilité parents/enfants, et plus spécifiquement père/fils. Le carcan bourgeois troublait ce type de relation malgré les nobles intentions dans L'Incompris et Eugenio, amenant une distance involontaire entre les individus. Nicola (Diego Abatantuono), malgré ses manières rugueuses voire violentes est une figure paternelle dépassée, mais recherchant avec hargne et maladresse un avenir meilleur pour sa famille. 

Tour à tour pathétique, brutal et surtout maladroit, il ne peut inculquer à Mimi les valeurs qui l'ont piégé dans sa condition, et ne sait pas réellement vers lesquelles le diriger si ce n'est l'intitulé flou des "études". Cette incapacité le rend tour à tour attachant et détestable quand ce pragmatisme le rend imperméable à la volonté d'évasion et de rêve de son fils par la course à pied. Felice, né boiteux, a malgré ce handicap cette propension au rêve (et parfois à la mythomanie) et s'avère un modèle bien plus positif pour le héros.

Comencini durant une scène laisse Mimi verbaliser (bien malgré lui dans le cadre d'une rédaction scolaire) les émotions que lui procure la course, et nous les fait ressentir par sa mise en scène. Mimi court pour rattraper à vélo Crisolinda (Maria Giadda Faggioli), la jeune fille qui lui plaît, il court effectuer le trajet jusqu'à l'école en dépassant le car scolaire, chaque foulée est une manière d'échapper à son quotidien morne. Ce n'est que tardivement qu'intervient la possibilité de la compétition, et à l'exaltation et échappée intime de la course va alors s'ajouter celle de transcender sa condition par le sport. Comencini alterne entre les cadres sombres et confinés (la maison, l'école) synonymes de contraintes, avec les grands espaces dans lesquels le corps et l'esprit de Mimi se libèrent. Le réalisateur magnifie les paysages ruraux où se perd la silhouette frêle et rapide de Mimi, avant d'exprimer cet espoir d'ailleurs en capturant des environnements auquel il n'aurait pas eu accès sans la course. 

Le tout culmine bien sûr avec le final grandiose dans le stade romain, le petit bout de la lorgnette (Felice et Nicola regardant la course à la télévision) alternant avec l'imagerie sportive, olympique (le renouveau économique italien s'affirmera avec l'organisation des Jeux d'été à Rome en 1960) voire héroïque dans le superbe dépassement de soi de Mimi. Son émancipation est parallèlement celle aussi de sa mère (Thérèse Liotard) qui s'est affirmée pour le soutenir face à l'autorité patriarcale de son époux. La dernière phrase du film, un commentaire sportif décrivant Mimi après sa victoire, est "C'est un enfant de Calabre". L'image télévisée figée de Mimi sur ces mots cesse de désigner cette origine comme un fardeau pour enfin constituer une fierté.