Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 23 juillet 2012

Passion Fatale - The Great Sinner, Robert Siodmak (1949)


Fédor, jeune écrivain russe, tombe amoureux d'une jeune fille, Pauline, qu'il rencontre dans un train et décide de la suivre à Wiesbaden, ville d'eau à la mode où elle va rejoindre son père. Fédor découvre que le général Ostrovski, joueur invétéré, presque ruiné, a promis sa fille Pauline en mariage au directeur du casino pour couvrir ses dettes. Fédor gagne au jeu de quoi racheter les dettes et libérer Pauline mais succombe à son tour cette passion.

The Great Sinner est une adaptation du court roman Le Joueur de Dostoïevski. Avant le film de Siodmak le projet de cette adaptation eu court dès le début des années 40 avec William Dieterle à la réalisation et Albert Basserman dans le rôle de Fédor. Il fallut cependant le rachat des droits par la MGM pour que le projet aboutisse. Gregory Peck obtint rapidement le rôle principal tandis qu'après avoir annoncé Deborah Kerr en Pauline le choix se porta finalement sur Lana Turner qui pour cause de lune de miel prolongée dû renoncer à son tour, l'ensemble de ses défections profitant à Ava Gardner alors en pleine ascension et sera parfaite (sans doute plus que n'aurait pu l'être Lana Turner).

 Le Joueur était en grande partie inspiré du démon du jeu qui rongea Dostoïevski, lui-même joueur compulsif et qui le rédigea dans l'urgence en 27 jours alors qu'il était tombé au plus bas. C'est précisément l'angle choisit par l'adaptation qui entretien plus que le livre encore la proximité en son héros et l'écrivain. Le personnage de papier Alexeï Ivanovitch se nomme donc désormais Fédor (prénom de Dostoïevski), n'est plus précepteur mais écrivain, l'ouverture du film montrant le héros à bout de force terminer son manuscrit sous les soins bienveillant de Pauline fait écho à la situation de rédaction d'urgence cité plus haut. En effet l'auteur était contraint de terminer son roman avant une certaine date sans quoi son éditeur pourrait publier n'importe lequel de ces écrits sans le rémunérer, la fin du film où Gregory Peck se trouve à la merci du directeur de casino Melvyn Douglas s'inspirant à nouveau de cet élément de la vie réelle de l'écrivain. Toute la facette du livre où Dostoïevski affirme sa haine des sociétés européennes perverties et corrompues disparait donc totalement au profit de cet axe choisit par les scénaristes et Siodmak.

L'histoire est ainsi celle d'un parcours inversé aux répercussions dramatique. D'un côté, le jeune Fédor (Gregory Peck) écrivain renommé à l'existence sans remous. De l'autre celle qui va tout faire basculer lors de leur rencontre dans le train, Pauline Ostrovsky (Ava Gardner) femme à la beauté renversante mais aussi joueuse invétérée écumant les casinos d’Europe avec son père (Walter Huston). Tombé fou amoureux d'elle, Fédor la suit dans la ville allemande où elle s'est établie. La narration en flashback suivant les pages du livre le place donc en observateur distant de cette communauté étrange. Une remarquable séquence résume la folie du joueur avec la rencontre de Aristide Pitard (Frank Morgan), symbole de la guigne et du pathétique du joueur ne connaissant pas ses limites et qui malgré l'aide de Fédor va sombrer. D'univers extérieur et inconnu, la table de jeu va devenir à son tour une drogue pour Fédor d'abord pour une noble cause puis par la même folie qui va le gagner à son tour. Ayant réussi par amour à faire entendre raison à Pauline sur cette vie sans but, il se confronter à la terrible dette qu'elle et son père ont contracté au redoutable directeur de casino Armand de Glasse (Melvyn Douglas) et obstacle à leur relation.

Siodmak montre donc le démon du jeu s'emparer du jeune ingénu avec une grande subtilité lors d'une longue séquence riche dans le sens du détail, entre le petit rien qui laisse croire qu'on a une chance et pousse à poursuivre le jeu, le sentiment de toute-puissance et d'omniscience quand tout vous réussit et bien sûr la poursuite de cette sensation qui vous poussera à revenir parier, encore et encore à la démoniaque roulette en quête de cette adrénaline. Gregory Peck délivre une impressionnante prestation dans ce long chemin de croix vers la déchéance. Arborant son élégance coutumière dans les premiers instants du film, l'acteur se désagrège progressivement dans une attitude compulsive du drogué qu'il est devenu, le regard vitreux et le visage rongé par une barbe. 

Rien ne compte plus que le prochain pari, le monde en dehors du casino ne lui renvoie plus qu'une série de chiffre possible à tenter à la roulette comme le montre une remarquable séquence de dialogue avec Ava Gardner où l'on constate que bien qu'animé de bonnes intentions le mal à fait son œuvre. Ava Gardner en observatrice impuissante et coupable est très touchante, sa beauté remarquablement mise en valeur par le cadre d'époque (superbe photo de George J. Folsey, reconstitution somptueuse de Cedric Gibbons et costumes à tomber d'Irene et Valles) ne suffisant pas à pas stopper la descente aux enfers de Peck. Pour la première de leur trois collaboration (avant Les neiges du Kilimandjaro et Le dernier rivage) l'alchimie entre eux est déjà marquante. Melvyn Douglas est également perfide à souhait en directeur de casino se délectant (et provoquant) les errances des plus faibles de ces clients.

Le film a un peu la main lourde sur la fin (la grand-mère accro en cinq minutes et qui meurt carrément sur la table de jeu) et traîne à se conclure en répétant inlassablement les mêmes motifs pour appuyer la chute de Peck (le passage chez l'infâme usurière jouée par Agnes Moorhead) mais aura néanmoins réussi à largement captiver tout du long.

Sorti en dvd zone 1 chez Warner dans la collection Warner Archives et donc sans sous-titres.

Extrait

samedi 21 juillet 2012

Léon Morin, prêtre - Jean-Pierre Melville (1961)


Durant l'occupation, dans une ville de province, la jeune veuve de guerre d'un juif communiste, mère d'une fillette, défie un prêtre sur le terrain de la religion. Certaine de sa rhétorique, les réponses du prêtre la déconcertent pourtant. Peu à peu, elle perd pied. Chaque nouvelle rencontre avec ce prêtre la rapprochera de la conversion. Sa résistance cédera devant le travail de la grâce. Une amie lui ouvrira involontairement les yeux sur l'une des raisons de sa conversion : l'Abbé Morin est beau.

Léon Morin, prêtre est une des réussites majeures de Jean-Pierre Melville et aussi son premier vrai grand succès commercial. S’il met tous les atouts de son côté en obtenant l’appui du puissant producteur italien Carlo Ponti et un casting de stars montantes, Jean-Paul Belmondo et Emmanuelle Riva (révélés respectivement par À bout de souffle de Godard et Hiroshima mon amour de Resnais), Melville ne choisit pourtant pas la facilité en adaptant le singulier roman de Béatrice Beck, prix Goncourt 1952. Portrait de femme poignant et parcours initiatique en forme de quête spirituelle, Léon Morin, prêtre reste encore un objet de cinéma unique.

Que ce soit dans la période où se déroule l'intrigue (1942 sous l’Occupation allemande), celle de la parution du roman (1952) ou l’année 1961 durant laquelle fut tourné le film, Léon Morin, prêtre se situe à un moment charnière dans les thèmes qu’il propose. Les monstruosités commises par les nazis durant la Deuxième Guerre mondiale ont laissé la population dans l’incompréhension et le doute. Un doute et une défiance notamment ressentis vis-à-vis de l’Église qui n’aura pas su répondre à la détresse de ces paroissiens.

Pour le pire, il y eut au sein de l’Église catholique l’attitude ambiguë du pape Pie XII qui, par peur de représailles, se montra bien discret dans sa dénonciation du nazisme et de l’antisémitisme, le Vatican ne s’exprimant sur la Shoah que bien plus tard. Si durant le conflit, bien évidemment, de valeureux prêtres se montrèrent héroïques et secoururent de nombreux juifs, ils furent sans réponses face aux questionnements suscités par l’horreur en marche. Existe-t-il réellement un Dieu qui puisse permettre de tels actes ? L’après-guerre fut donc le début d’une longue remise en question pour l’Église catholique, qui basera la formation des prêtres sur une approche désormais plus intellectuelle et philosophique, où la foi ne serait pas un tout mais le résultat d’un vrai cheminement dans la relation à leurs interlocuteurs.

Léon Morin, prêtre est le symbole de ces réflexions puisque les doutes de son héroïne naissent de ce contexte agité, les discussions sur la foi avec Belmondo des évolutions en marche de l’Église au moment de la parution du roman, tandis que le prêtre moderne qu’il incarne est le résultat des étapes précédentes et de la transformation de l’institution religieuse. Dans cette France rurale occupée et faussement paisible, la jeune veuve Barny (Emmanuelle Riva) est contrainte de cacher sa fille juive à l’écart des rafles nazies, une situation qui la révolte.

Assistant un jour à une sortie de messe et ulcérée par cet hypocrisie, elle décide d’aller dire son fait au prêtre local. À la place du vieux curé figé et sans réponse qu’elle s’attend à trouver, Léon Morin (Jean-Paul Belmondo) la remettra en question et sèmera la confusion en elle. Une étrange relation va en découler, où la rancœur de Barny face à la religion est bouleversée par le ton pugnace et pragmatique d’un Léon Morin visant à remettre la brebis égarée dans le droit chemin par la réflexion et la discussion plutôt que par des sermons mécaniques et vides de sens. Melville filme brillamment ce qui est finalement une joute verbale autour de la foi. On le comprend pourtant bien vite, Barny ne peut gagner ce combat.

Ses attaques désordonnées et vindicatives contre la religion ne sont que le fruit de la peur qui l’habite dans cet environnement hostile quand Morin se montre ouvert, calme et n’hésitant pas à remettre en question les préceptes les plus superficiels de l’Église (« Parce que l’on est prêtre on devrait aimer les bondieuseries ? »). Jean-Paul Belmondo est extraordinaire dans la profonde humanité et la paix intérieure qu’il dégage, faisant de Léon Morin une figure idéalisée et proche à la fois. Melville n’en fait pas un saint et montre au détour de dialogues et situations que cet apaisement est le fruit d’un vrai recueillement sur lui-même, cap qu’il souhaite aider à franchir Barny.

Pour ce long chemin vers la grâce, Barny doit être soumise à la plus douloureuse des tentations. La jeunesse, la prestance et la beauté juvénile de Belmondo instaurent une certaine ambiguïté quant à sa proximité dans sa relation avec Barny. Ce doute est bien sûr entièrement soumis au point de vue de celle-ci et de son épreuve, Melville franchissant le tabou d’une scène d’amour au travers d’une scène de rêve.

Si Belmondo est une figure d’idée dont parvient à ressortir une vraie humanité, Emmanuelle Riva n’est, elle, que passion et sentiments exacerbés que les idées et la foi retrouvées doivent apaiser. L’actrice délivre une prestation incandescente qui contient réellement l’âme du film. On est admiratif de la droiture de Morin mais c’est bien aux imperfections de Barny que l’on s’identifie. Avec ses deux héros, le film navigue dans une dimension philosophique cérébrale qui évite l’abstraction par son ancrage dans l’humain.

C’est le but de Melville, qui place le cheminement de Barny sous l’évident angle religieux (pour atteindre la grâce il faut être apte au sacrifice) mais également intellectuel et psychologique dans cette opposition d’idées qui berce l’intrigue. Ce fossé qui sépare Morin de Barny, Melville l’aura entretenu tout le film par ses multiples passages de discussions les séparant dans le plan dans l’échelle de focale entre avant et arrière-plan, dans leurs positions mêmes lorsqu’ils se trouvent dans la même pièce ou dans leurs états d’esprits totalement différents lors de moments-clés (Barny rongée par le désir qui fait une avance explicite à Morin).

Tous deux ne sont amenés qu’à se croiser que durant un bref moment, lui pour l’aider et asseoir sa rhétorique, elle pour retrouver foi en la religion bien sûr, mais aussi et surtout en l’Homme. La séparation est inéluctable et se fera lors d’une touchante et sobre scène finale où une nouvelle fois à l’austérité bienveillante de Morin (la découverte de ses maigres possessions au moment de son départ) répondra le débordement d’émotion de Barny. Jean-Pierre Melville délivre un film passionné et passionnant, soulevant interrogations stimulantes et émotions bouleversantes.

Sorti en dvd chez Studio Canal

vendredi 20 juillet 2012

Demain est un autre jour - There's Always Tomorrow, Douglas Sirk (1956)


Un prospère fabricant de jouets mène une vie confortable mais sans relief. Jusqu'au jour où il rencontre Norma, son premier amour, qu'il n'a pas oublié.

Douglas Sirk retrouvait sur There's Always Tomorrow Barbara Stanwyck, son interprète de All I Desire qui préfigurait tous les grands mélodrames à succès qu'il réaliserait les années suivantes. Tout comme ce dernier, Demain est un autre jour est un mélo qui inscrit son émotion en pointillé et dans la retenue, le noir et blanc semblant associé chez Sirk à une approche plus feutrée et loin de la flamboyance visuelle et narrative (pas de rebondissement rocambolesque façon Le Secret Magnifique ici) de ses grands mélodrames en couleur. C'est dans cette tonalité intimiste que nous allons assister au récit de cette romance avortée. Clifford Groves (Fred MacMurray) et Norma Vale (Barbara Stanwyck) ancien collègue de travail s'étaient quitté 20 ans plus tôt bien que secrètement amoureux pour suivre des destins bien différent. Norma aura privilégié la carrière à ses sentiments et est désormais une styliste réputée. Clifford quant à lui s'est marié et a fondé une famille tout en étant le patron d'une fabrique de jouet.

 Ils se rejoignent pourtant dans la profonde solitude et frustration qu'ils ressentent sur leur existence. Etouffé dans une routine domestique, Clifford voit les journées monotones et sans saveur se succéder tandis qu'il est délaissé par sa femme et ses enfants. A l'inverse Norma s'est réfugié dans le travail où son ascension ne masque pas ce qu'elle lui a sacrifié : un foyer. Les deux personnages se retrouvent à un moment clé de leur vie où ce vide respectif leur pèse et où ils pensent pouvoir ranimer la flamme qu'ils ne surent entretenir autrefois. Sirk retrouve ici le motif de Tout ce que le ciel permet avec ce foyer en forme de tombeau et nid de toutes les frustrations pour Fred MacMurray. Le surgissement du hasard et de l'anodin n'a aucune vertu romanesque ici servira toujours noyer toute tentative d'évasion au quotidien. D'abord dans le cadre respectable de la famille où une sollicitation des enfants viendra toujours interrompre un moment d'intimité entre Clifford et son épouse Marion (Joan Bennett). Plus tard ce seront presque toutes les amorces de grandes envolées romantiques entre Clifford et Norma qui seront brutalement éteinte par une rencontre impromptue, une révélation inattendue et au final une douloureuse prise de conscience. Douglas Sirk ne laisse pointer son lyrisme que de manière diffuse notamment par le leitmotiv de la pluie utilisé avec une grande finesse (le reflet des gouttes perlant de la vitre de Barbara Stanwyck sur son visage remplaçant les larmes qu'elle se refuse à laisser couler) ou une emphase sobre lors de la poignante séparation finale. Le film n'est qu'une longue attente pour une romance qui ne s'épanouira jamais, sur un espoir condamné à être déçu et sur lequel joue ironiquement le titre original optimiste.

Tous les chemins mènent ici à cette solitude dans ce qui est peut-être le film le plus désespéré de Sirk. L'accomplissement professionnel qui permettait de progresser et se rapprocher des autres dans Le Secret Magnifique (le héros incarné par Rock Hudson) n'est plus ici qu'un palliatif mince à l'isolement, Norma observant admirative le foyer de Clifford. Ce foyer s'avère pourtant bien intolérant (le fils soupçonneux à rapprocher des enfants de Jane Wyman dans Tout ce que le ciel permet) ou tellement engoncé dans les codes de cette société (Joan Bennett sorte de cliché forcé de femme d'intérieur) qu'il sera aveugle à la détresse de son chef de famille.

 L'analogie insistante entre Clifford et le jouet robot qu'il commercialise est ainsi éloquente, on attend d'eux qu'ils reproduisent à l'infini les même gestes et actions sans qu’ils n’en dérogent jamais. Avec ce questionnement de la place de l'homme dans ce modèle familial américain des 50's, Sirk suit une préoccupation au cœur de mélo contemporain comme L'Homme au complet gris notamment et annonce Les Liaisons Secrètes de Richard Quine ou L'Arrangement de Kazan où ces thèmes seront abordés plus frontalement encore. Ici cela se manifestera par la cinglante tirade de Barbara Stanwyck aux enfants de Clifford venus défendre les intérêts de leur mère. Et le père qu'en est-il de ces sentiments ?

Après Assurance sur la mort et le magnifique Remember the night, l'alchimie entre Fred MacMurray et Barbara Stanwyck n'est plus à démontrer. MacMurray représente l'espoir déçu avec cette homme qui ne demande qu'à vibrer à nouveau tandis que Stanwyck (cette fois du côté de la tentation adultère au contraire de All I Desire) symbolise elle la résignation douloureuse de ce qui aurait pu être. Jamais l'on ne croira à un nouveau départ possible entre eux, Sirk leur refusant même la moindre scène romantique commune.

Il n'y cédera réellement que de la plus poétique et triste des manières lors de la conclusion où de nouveau captif de son foyer, Clifford entend puis observe de sa fenêtre l'avion le séparant pour toujours de Norma en larmes à son siège. Par une douce ironie, jamais les personnages n'ont été plus en osmose et plus éloigné à la fois. Cette ironie porte aussi sur le faux happy-end où la famille est sauve, l'habitude et la tradition prenant définitivement le pas sur les aspirations personnelles.

Sorti en bluray français chez Elephant Films

Extrait

jeudi 19 juillet 2012

Le Choix de Sophie - Sophie's Choice, Alan J. Pakula (1982)


L'action se déroule peu de temps après la Seconde Guerre mondiale. Stingo, un jeune écrivain du Sud des États-Unis, arrive à Brooklyn et sympathise avec un couple : Sophie (Meryl Streep), une jolie immigrante polonaise (ayant beaucoup souffert pendant la guerre) et Nathan, un juif au comportement imprévisible et violent laissant deviner une personne souffrant d'un trouble mental. Une relation complexe se développe entre les trois personnages.

Alan J. Pakula réalise avec Sophie's Choice ce qui est sans doute un des plus beaux et intense des mélodrames modernes. Au départ on trouve le roman éponyme de William Styron paru en 1979. Dans cet ouvrage complexe et éprouvant Styron mêlait une réflexion passionnante sur l'Holocauste, le poids du passé et de la culpabilité au romanesque avec ce portrait de femme au destin tragique. Alan J. Pakula lui rend magistralement justice avec cette adaptation ayant atteint à son tour le statut de classique et qui vaudra à Meryl Streep son second Oscar après Kramer contre Kramer.

L'intrigue croise trois destins à New York au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Stingo (Peter McNicol) jeune aspirant écrivain venu du Sud va donc se lier d'amitié avec le volcanique couple formé par Sophie (Meryl Streep) et Nathan (Kevin Kline dans son premier rôle au cinéma) tous installés dans la même résidence. Ils se lient bientôt d'amitié et deviennent inséparables, Pakula capturant avec élégance leur fougue juvénile et leur pérégrinations dans ce New York rétro idéalisé. Pourtant la première rencontre où Stingo assiste à une terrible dispute entre Sophie et Nathan préfigure un tableau moins idyllique qui va rapidement se craqueler.

L'union mais aussi les motifs du conflit permanent de Sophie et Nathan est issu de leur passé. Sophie, émigrante polonaise est une survivante des camps de concentration où bien que non juive elle fut prisonnière à cause de l'engagement de son père contre l'envahisseur nazi. Fraîchement débarqué aux Etats-Unis et souffreteuse elle fut remise sur pied par Nathan tombé sous le charme. Ce dernier entretient une empathie et un rejet au passé douloureux au passé de Sophie en tant que juif, plaignant et reprochant cette souffrance qu'elle a connu sans la "mériter". Cette obsession se nourrit par la documentation qu'il tient sur l'holocauste et la terrible violence verbale qu'il aura parfois pour Sophie. Stingo joue lui le rôle d'observateur des déchirements du couple, secrètement amoureux de Sophie et révolté par l'attitude de Nathan.

Pakula adopte une construction narrative complexe dont l'intelligence ne se révèlera qu'en fin de film. Tandis que le présent se disloque peu à peu, les fêlures du passé resurgissent progressivement. Les flashbacks s'entrecroisent donc avec le présent et par un jeu de miroir chaque retour au passé évoqué visuellement aura été raconté précédemment via le dialogue tel les premiers pas de Sophie aux USA et la jolie rencontre avec Nathan que le couple évoque à Nathan en début de film.

A l'inverse, tout le passé qui n'aura été abordé que par la parole dissimulera un secret qui remettra en cause la vision des personnages : le métier de biologiste de Nathan, l'existence de Sophie en Pologne et surtout son terrible séjour en camp de concentration. Si on devine une vérité différente derrière le comportement instable de Nathan (Kevin Kline fabuleux d'intensité), Meryl Streep est magnifique de fragilité et d'ambiguïté.

L'actrice a adopté l'accent et le phrasé incertain de cette émigrante polonaise à la perfection et arbore des airs effrayés et soumis permanent dans sa gestuelle gauche et son regard où se lisent les secrets pénibles enfouis. Peter McNicol innocent et pur (avec l'analogie marquée qui le laisse vierge jusqu'à l'étreinte finale) servira de révélateur de plus en plus impliqués aux horribles souvenirs de Sophie avec nombres de moments bouleversant tel cette scène où elle explique sa déportation pour avoir acheté du jambon en contrebande pour sa mère malade. Meryl Streep est absolument renversante dans ce long moment dialogué où elle rapporte les faits sans pathos et une sobriété désarmante.

Pakula recentre d'ailleurs judicieusement tous les thèmes complexes du livre à son héroïne et donc à la performance de son actrice. William Styron faisait ainsi une analogie entre l'holocauste et le passé esclavagiste de la famille de Stingo (l'entourant comme les autres personnages d'une double facette qui disparait dans le film) dont le livre était consacré à Nat Turner, esclave rebelle du XIXe. Dans le film son livre est désormais consacré au deuil de sa mère et toute les allusions au Sud se fond sous forme de blagues douteuses de Nathan (la première scène où Kline raille l'accent sudiste de Stingo est d'ailleurs très drôle).

Cette construction amène un crescendo dramatique intense où les dernières couches du secret de Sophie sont soulevées. Les temporalités s'entremêlent dans les visions glauques des camps de concentrations, du visage figé par la douleur du souvenir de Sophie dans le présent et de la signification de son "choix". Tout devient limpide et notamment son attitude sacrificielle à rester auprès d'un homme aimant mais qui la malmène au détriment du doux Stingo.

Elle a connu des monstres bien pire et qui l'ont contraint à l'impensable. Dès lors la conclusion n'en est que plus logique, l'existence est devenue impossible pour ceux rongé par leur démons et leur culpabilité. Ne restera que le souvenir et la nostalgie pour Stingo à travers cette voix-off finale qui ne veut garder que le meilleur, l'amitié sincère de ces temps agités.

Sortie en dvd zone 2 français chez Universal


mercredi 18 juillet 2012

Mon Hollywood - Peter Biskind


Peter Biskind, grand observateur du cinéma américain des quarante dernières années avait fait sensation avec ses deux livres Le Nouvel Hollywood et Sexe, Mensonges et Hollywood. Le premier, comme son titre l’indique, dépeignait l’ascension irrésistible de jeunes réalisateurs (Coppola, Scorsese, Friedkin…) qui allaient bousculer le système des studios vieillissant pour prendre le pouvoir et changer la face du cinéma américain. Le second racontait lui l’histoire du cinéma indépendant américain des années 90 et la mainmise inattendue qu’il prit par la grâce de quelques talents (Tarantino, Soderbergh, Kevin Smith…) et personnalités (les frères Weinstein bien évidemment) hautes en couleur. Dans les deux cas, les livres passionnaient et fascinaient par leurs mélanges d’analyses critiques et d’anecdotes racoleuses dignes du tabloïd le plus putassier.

Ce mariage des genres audacieux est encore une fois au centre de ce nouvel ouvrage, Mon Hollywood. Plutôt que de s’attaquer aux petites histoires du cinéma des années 2000 (il est sans doute encore trop tôt pour que les langues se délient), Biskind effectue au contraire un retour en arrière. Le livre est en fait un recueil de textes des débuts de l’auteur au début des années 70 jusqu’à la fin des années 90. Le piège aurait été une mise bout à bout de textes sans fil conducteur mais Biskind l’amorce d’emblée dans son introduction. Celui-ci a démarré dans la critique à une époque chargée en soubresauts politiques et sociaux : Guerre du Vietnam, militantisme raciaux des Blacks Panthers, mouvement flower power. L’approche des films obéissait donc à un tout politique constant, parfois judicieux, parfois tarabiscoté. Avec le temps, la mainmise des studios et l’arrivée de grands groupes de communication dans le capital des revues sonnent le glas d’une analyse trop poussée, faisant fuir le grand public.

Du milieu des années 80 jusqu’à la fin de la décennie suivante, l’heure est donc à la starisation, aux portraits et à la recherche d’informations « croustillantes » sur les personnalités en vue du milieu. Les portraits peu reluisants et les descriptions imagées des habitudes les moins nobles des stars prennent alors le pas sur la critique pure, des magazines comme Premiere se plaçant sur le même créneau que les journaux à sensations. Cependant, cette approche est moins manichéenne qu’il n’y paraît, Biskind expliquant que cet aspect permet une approche tout aussi passionnante de l’œuvre dans les contradictions qu’elle dévoile entre un artiste et son image publique. Il avait d’ailleurs prouvé dans Le Nouvel Hollywood et son successeur qu’il maîtrisait parfaitement cet équilibre précaire. Mon Hollywood dont les textes sont présentés dans l’ordre chronologique présente, à travers le regard de Biskind, une certaine évolution de la critique américaine. Un des chapitres les plus prenants est d’ailleurs consacré à l’évolution de la critique américaine d’après guerre.

Pour la facette politique des débuts, le passionnant côtoie donc l’abscons. Un texte de 1980 propose ainsi une analyse en profondeur sur le machisme dans la classe ouvrière hollywoodienne dans des films qu’on n'a pas l’habitude de voir ainsi décortiqués comme les deux premiers Rocky, La Fièvre du Samedi Soir ou Le Parrain. Le texte sur le Blue Collar de Schrader fait un peu doublon pour qui a lu Le Nouvel Hollywood, les mécanismes du cinéma de Spielberg/Lucas en offrent un bon complément, plus poussé. On saluera également quelques prises de position courageuses en leur temps comme la descente en flèche de la série Holocauste ou l’aspect tendancieux trop souvent écarté du Voyage au bout de l’enfer de Cimino.

C’est quand il mêle à outrance convictions et actualités du moment que Biskind se fourvoie dans ses textes de jeunesse. On perd ainsi rapidement le fil de l’article consacré aux films de monstres et sa grille de lecture incompréhensible, tout comme cette fâcheuse tendance à voir des vietcongs partout (le passage sur le Retour du Jedi où ils sont associés aux Ewoks). C’est clairement le reflet d’une époque dont on aurait tort de rire puisque les années 2000 prirent pour un temps la même tournure, les blockbusters les plus décérébrés voyant constamment le lien fait avec l’Irak et des auteurs à court d’inspiration encensés (George Romero, Brian De Palma et son Redacted de sinistre mémoire) plus pour leur engagement que les qualités de leurs œuvres.

La partie « people » est aussi assez inégale. Biskind donne ainsi dans le racolage pur et simple avec tout ce qui a trait au sulfureux Don Simpson (auquel Charles Fleming consacra un ouvrage dans le plus style Biskind). A l’inverse, certains portraits s’avèrent réellement passionnants, notamment la déchéance de l’ancien agent Sue Mengers, personnalité haute en couleur comme on n'en fait plus. Terence Malick ne sort pas grandi de la description qui est faite de lui, bien éloignée de l’artiste doux rêveur qu’on connaît. C’est la grande force de Biskind de cerner sous un jour neuf et peu reluisant certaines figures intouchables, Robert Redford en ayant fait les frais dans Sexe, Mensonges et Hollywood. Pour qui a apprécié les précédents ouvrages de Peter Biskind, une lecture indispensable donc car riches d’enseignements dans ses meilleurs moments comme ses égarements, d’un point de vue historique et sociologique.

Paru aux éditions Cherche-Midi tout comme "Le Nouvel Hollywood" et "Sexe, mensonges et hollywood" pour ceux qui souhaitent approfondir la bibliographie de Peter Biskind.

mardi 17 juillet 2012

Le Voyage vers Agartha - Hoshi wo Ou Kodomo, Makoto Shinkai (2011)


Depuis la disparition de son père, Asuna une jeune écolière, a pris pour habitude de s’isoler dans les collines pour écouter les chants étranges provenant d’un émetteur qu’il lui a légué. Sur la route menant à son refuge secret, elle est attaquée par un monstre gigantesque et sauvée par Shun, un garçon à l’allure héroïque. Avant de disparaître, ce dernier lui dit venir d’un monde oublié appelé Agartha. Grâce à l’aide de son mystérieux émetteur et accompagnée de l’un de ses professeurs, Asuna va partir à la recherche d’Agartha, la légendaire Terre des Dieux où se trouve caché le secret permettant de ramener à la vie des êtres disparus. Mais jusqu'où sera-­‐t-­‐elle prête à aller pour retrouver l’être qui lui est cher ?

Nouvelle production de Makoto Shinkai, Le Voyage vers Agartha représente une étape essentielle de son œuvre. Le réalisateur s’était révélé au grand public à travers des récits creusant constamment le même sillon, avec une maîtrise et une emphase émotionnelle toujours plus prononcée. Son premier court-métrage Voice of Distant Star narrait ainsi les amours contrariés de deux adolescents séparés d’un bout à l’autre de la galaxie. Plus ambitieux encore, le film La Tour au-delà des nuages reprenait ce motif de la séparation en amplifiant le cadre (un futur alternatif), la portée de la séparation de ces amoureux (l’âge adulte, le monde réel et celui des rêves) et surtout son romantisme avec une conclusion en forme d’accomplissement sentimental époustouflant.

5 centimètres par seconde, l’OAV qui suivit, semblait voir Shinkai incapable de se détacher de cette imagerie en exploitant une nouvelle fois ces mêmes éléments de manière presque autiste. Il réalisait pourtant là son chef-d’œuvre, dont les trois sketchs le montrait faisant ses adieux à ce passé récent (l’histoire Fleur de cerisier est la quintessence du romantisme dépressif à la Shinkai) et ouvrir la voie au futur avec une conclusion plus adulte où une résignation plus amère prenait le pas sur le romantisme.

Makoto Shinkai se remet donc grandement en question avec Le Voyage vers Agartha où il parvient à maintenir ses préoccupations tout en les renouvelant dans une tonalité plus universelle. Grand admirateur d’Hayao Miyazaki et des œuvres du studio Ghibli, Shinkai cherche ici à en retrouver l’équilibre miraculeux entre accessibilité et thématiques personnelles. Plus précisément, c’est la magie du Château dans le Ciel (1986) qu’il cherche à retrouver, celui-ci étant son Ghibli favori et la dernière grande œuvre de la japanimation à réunir totalement ce mélange de grande évasion et de réflexion sous-jacente. Pour le plus voyant, on remarquera l’esthétique du film très proche de l’univers de Ghibli dans la description du monde d’Agartha et Shinkai qui cite des pans entiers du studio.

Entre autres allusions, la rencontre entre les jeunes héros et le Quetzalcóatl (dont la gestuelle rappelle celle de Sans-Nom dans Le Voyage de Chihiro) du monde d’Agartha les dominant de sa taille et de son allure étrange reprend celle de Pazu et Shiita avec le robot pacifiste à leur arrivée sur Laputa dans Le Château dans le Ciel. Le départ en mission de Shin à cheval évoque, lui, l’envolée épique de celui d’Ashitaka au début de Princesse Mononoké. L’histoire en elle-même est archétypale du genre avec la collégienne solitaire Asuna qu’une rencontre avec un jeune homme mystérieux, Shun, venu d’un autre monde va entraîner dans une grande aventure.

On pourrait alors craindre que Shinkai ait troqué sa personnalité pour une tonalité plus identifiable et commerciale mais il n’en est rien. Après avoir prouvé qu’il était un artiste singulier avec ses précédentes œuvres, il s’agit ici pour Shinkai de montrer qu’il peut être un vrai conteur d’histoires qui plierait ses thèmes à la progression du récit et non plus l’inverse. Shinkai a désormais également fondé son propre studio, ce qui lui permet d’offrir un visuel toujours identifiable mais désormais plus ample. Ses thèmes de prédilection sur la distance et la solitude s’expriment à nouveau au cœur de ce récit d’aventures mais dans une veine très différente. La tonalité adolescente et le spleen seront véhiculés par le personnage d’Asuna qui est magnifiquement caractérisée en quelques vignettes. Collégienne timide et sans vrais amis, elle est également livrée à elle-même dans son foyer où, entre un père décédé et une mère prise par son métier d’infirmière, elle est le plus souvent esseulée.

Cette solitude s’exprime d’ailleurs dans son seul vrai plaisir lorsqu’elle est sur une colline environnante pour capter des sons avec son poste de radio, jusqu’au jour où elle entendra un chant mystérieux venu d’Agartha amenant avec lui l’étrange Shun. La grande aventure à suivre sera donc pour elle un moyen de s’évader de cet isolement et de s’ouvrir aux autres. Shinkai quitte le pur enjeu romantique des précédentes œuvres pour quelque chose de plus universel qui se manifestera avec le personnage du professeur Morisaki.

Lui aussi veut rejoindre Agartha pour se guérir d’une séparation et d’une solitude plus concrète en en appelant au Dieu de ce monde (symbole de paradis rédempteur ou d'enfer) pour exaucer le vœu de ressusciter sa femme disparue. Shinkai revisite donc sa thématique sous l’angle plus adulte révélé par la conclusion de 5 centimètres par seconde et une nouvelle fois plus que la réunion, l’enjeu sera surtout d’accepter la séparation. D'ailleurs l'accroche de l'affiche japonaise ne dis pas autre autre chose avec la phrase "un voyage pour dire au revoir".

Ce thème du deuil traverse l’ensemble du récit à des degrés divers : Asuna espère revoir Shun qui a amené une ouverture à son quotidien étroit, Shin vit lui dans l’ombre de son frère et cache la douleur qu’il ressent de sa disparition et bien sûr Morisaki n’accepte pas le décès de son épouse.

La puissance dramatique dont est capable Shinkai émeut constamment dans l’expression des fêlures de ses héros qui s’abandonneront tous à un moment ou un autre à la douleur qui les ronge (le magnifique flashback sur le passé de Morisaki notamment). Cette acceptation de la mort en tant que cycle naturel de la vie s’exprimera d’ailleurs de manière très poétique à travers le destin de la petite créature Mimi qui accompagne Asuna et qu’on suppose longtemps comme simple élément« kawaï » avant de symboliser de manière bouleversante la problématique du récit.

Tous ces éléments s’insèrent avec une aisance narrative parfaite par Shinkai qui délivre un récit d’aventures picaresque fantasy plus qu’à la hauteur de son modèle Ghibli (et supérieur à tous les Ghibli récents). L’univers d’Agartha, terre de désolation d’un savoir oublié et brisé par la violence des hommes s’avère des plus mystérieux et foisonnant. La beauté la plus irréelle côtoie l’ordinaire le plus chaleureux (la longue séquence dans le village) ainsi que le cauchemardesque le plus prononcé avec notamment les terrifiantes créatures de l’ombre que sont les Izoku.

Shinkai s’approprie finalement ces figures bien connus du récit épique et familial (l’amorce de romance platonique entre Asuna et Shin typiquement Ghibli, la relation père fille entre Asuna et Morisaki) en y insérant une noirceur et une tristesse qui n’appartiennent qu’à lui. Le climax en forme de douloureuse catharsis est ainsi des plus intense et révélateur avec au bout du chemin sans doute la sérénité retrouvée pour chacun. Makoto Shinkai en s’ouvrant au plus grand nombre touche au cœur à nouveau et se réinvente superbement.

Sorti récemment en dvd zone 2 français chez Kaze

lundi 16 juillet 2012

All I Desire - Douglas Sirk (1953)


En 1900, Naomi Murdoch a quitté sa famille de province pour faire du théâtre. Une dizaine d'années plus tard, sa fille Lily l'invite à venir la voir jouer une pièce dans son collège de Riverdale. Son arrivée met la ville en émoi, réveille de vieux conflits et déclenche de nouvelles tempêtes émotionnelles...

On considère la grande série de mélodrame Universal de Douglas Sirk comme débutant avec le flamboyant Le Secret Magnifique et tous les signes distinctifs qu'on associe à cette période du réalisateur : technicolor flamboyant de Russell Metty, personnages hors-normes, pathos marqué... All I Desire est pour Sirk l'étape qui précède, à mi-chemin entre le récit de mœurs rural et les grands mélodrames provinciaux à venir. Il développe déjà des thèmes qui seront au cœur des futurs films tout en s'en démarquant sur certains points important pour ce qui est une vrai œuvre de transition. Aussi et surtout, dans un registre légèrement différent All I Desire s'avère aussi beau et poignant que ses successeurs plus reconnus.

Sirk nous plonge déjà dans ces bourgades provinciales où chaque attitude se voit jugée sur l'autel du paraître et du quand dira-t-on, ici avec la ville de Riverdale dans le Wisconsin. C'est là qu'a décidé de retourner Naomi Murdoch, ce lieu où elle étouffait sous les conventions et qu'elle dû quitter pour fuir le scandale d'une relation adultère.

Menant depuis une carrière ratée d'actrice et elle renoue avec son passé suite à l'invitation de sa fille Lily qui la vénère à la voir jouer une pièce dans son lycée. Là, les vieux démons vont ressurgir de manière plus ou moins marquée. Ce sera avec la rancœur tenace que lui voue encore sa fille ainée Joyce (Marcia Henderson), le désir tenace et intact de son ancien amant Dutch (Lyle Bettger) et le poids sa propre culpabilité face au temps passé loin de cette famille qui a continué à vivre sans elle.

Sirk montre cette communauté comme une entité unique et inquisitrice qui va épier Naomi dès son premier pas en ville et l'écraser de son jugement au moindre faux pas. La force de ce regard ira crescendo, du premier badaud qui la reconnaîtra à la gare en passant par la représentation de théâtre faisant salle comble pour la guetter et bien sûr le terrible final où satisfait de la voir de nouveau liée au scandale ils se délectent à nouveau de sa détresse.

Sans user des rebondissements extraordinaires du Secret Magnifique ni de la fatalité d'un Mirage de la vie, Sirk entretient pourtant ici une note d'espoir ténue. L'amour est toujours présent entre Naomi et Henry (Richard Carlson) et la flamme ne demande qu'à être ranimée comme le montre le beau jeu de regard entre eux lorsqu'elle retrouvera de la prestance qui l'a séduit quand elle lira un poème.

On retrouve cette idée de l'envers du décor peu reluisant pour celui qui cherche à échapper à sa condition, Naomi rejoignant la Sarah Jane de Mirage de la vie dans ces déboires d'un monde du spectacle peu reluisant par rapport à ce qu'on a sacrifié pour lui.

A l'inverse la thématique de la nature contre la culture au centre de Tout ce que le ciel permet est moins marquée ici, l'ancien amant et homme des bois Dutch étant une brute épaisse aux antipodes de la force tranquille d'un Rock Hudson. La révolte du tenant de la "culture" est-elle atténuée par la fadeur du peu charismatique Richard Carlson au point que Sirk fait preuve d'une symbolique un peu trop appuyée pour signifier son défi à la communauté (cette scène où il renverse le panneau de son titre de directeur).

Tous ces éléments volontairement peu affirmés sont là pour montrer la fragilité du surprenant happy-end qui s'il voit le couple surmonter enfin le regard des autres laisse plusieurs sous-intrigues en suspens pour les personnages secondaires (les fiançailles de Joyce, la carrière de Lily, le poste d'Henry...) dont on ne peut deviner si elles seront effacées par la possible réunion familiale.

Barbara Stanwyck écrase tant le casting et catalyse tant l'émotion du film que voir son visage triste et résigné s'illuminer fait oublier tous les doutes. Elle porte le film à bout de bras, assumant son âge mûr dans sa beauté fatiguée et sa séduction intacte pour ce qui est une de ses plus belles prestations dans ce beau Sirk qu'elle retrouvera quelques années plus tard dans Demain est un autre jour.


Sorti en dvd zone 2 chez Carlotta dans une très belle édition à l'unité ou en coffret