Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mercredi 21 novembre 2012

The Music Lovers, La Symphonie Pathétique - Ken Russell (1970)


Disparu dans un relatif oubli en 2011, Ken Russell fut une des figures les plus importantes du cinéma anglais des années 70/80. Son style baroque et excessif, son goût pour la provocation et le scandale fit de ses films de vrais évènements médiatiques durant sa grande période notamment le fameux Les Diables (1971). The Music Lovers arrive à un moment où la carrière du réalisateur est en pleine ascension. Après avoir principalement œuvré pour la télévision, Russell s’était fait remarquer en dynamitant le troisième volet de la saga d’espionnage des Harry Palmer, Un cerveau d’un milliards de dollars (1967). Le côté espionnage décalé des deux précédents épisodes prend un tour plus fou et iconoclaste sous l’impulsion de Russell qui transforme l’ensemble en James Bond sous acide détonant.


 Ce premier tour de force lui permet d’être engagé pour la mise en scène de Women in love (1969), adaptation du roman éponyme de DH Lawrence. En apparence plus sobre et académique, le film se démarque pourtant de l’adaptation sage attendue. Ken Russell truffe le film d’inventions formelles et de rupture de ton déroutantes pour dépeindre ces chassé-croisé amoureux, tout en y posant certaines de ses obsessions comme l’homosexualité au cœur de The Music Lovers justement. Women in love recevra un excellent accueil public et critique, Glenda Jackson remportant même l’Oscar de la meilleur actrice.

La voie était toute tracée pour Ken Russell plus libre dans ces réalisations suivantes ce qui se manifeste donc dès le film suivant qu’est The Music Lovers. Le film s’inscrit dans un cycle que Russell consacre au biopic de grands compositeurs auxquels s’ajouteront  Mahler (1974), Lisztomania (1975) et précédé à la télévision par Bartok (1964) ou Elgar (1962). Ici il sera question de retranscrire l’existence de Tchaïkovski. Russell choisit bien évidemment un angle controversé en évoquant le sujet tabou (encore aujourd’hui en Russie) de l’homosexualité de du compositeur incarné par Richard Chamberlain.   

 A travers les tourments existentiels que lui cause son penchant, Tchaïkovski exprime un thème au cœur de nombres des œuvres de Russell, la quête (et son échec) de la grande passion amoureuse. Chez Russell cette obsession est synonyme d’aveuglement et de risques insensés pour l’atteindre comme héros de Women in love, et face à la fadeur du monde réel les personnages se réfugie dans l’artifice et les apparences tel la Kathleen Turner schizophrène des Jours et Nuit de China Blue.

Cela est parfaitement exprimé dans une des premières scènes de The Music Lovers, lorsque Tchaïkovski joue sa première grande symphonie devant un public. Là, dans un tourbillon de rêveries, fantasmes et de flashback défilent les espérances amoureuses impossibles du compositeur mais aussi celle de son amant le comte Anton Chiluvsky,  de sa future épouse Antonina Milioukova (Glenda Jackson), sa sœur au désir incestueux Sasha et l’admiratrice silencieuse Nadejda Von Meck. 

Tous représentent une des possibles aspirations amoureuses de Tchaïkovski, toutes vouées à l’échec. L’assouvissement des sens interdit par la morale avec son amant, une normalité qui le dégoutte avec son épouse ou une communion spirituelle illusoire avec la mécène Nadejda Von Meck forment tous autant d’impasse dans ce désir d’absolu.

Russell fait passer tout cela par la seule force de l’image (les dialogues sont plutôt rares) et son sens de l’excès, notamment le jeu outrancier et expressifs des acteurs notamment une Glenda Jackson à l’abandon impressionnant. Russell sait aussi faire preuve d’une vraie finesse sous les écarts visuels dont cette scène où les personnages assistent à une représentation du Lac des Cygnes

La connaissance de l’intrigue  l’Opéra et le montage aventureux permet de faire un rapprochement logique avec la situation précaire du triangle amoureux : l’épouse est le cygne noir qui conduira le Prince Siegfried/ Tchaïkovski à sa perte et le cygne blanc son amour fidèle. Le degré de fascination sera tout aussi grand dans la manière dont Russell illustre l’amour platonique et épistolaire entre Tchaïkovski et Nadejda Von Meck, ce qui est somme toute logique puisque le film s’inspire de leur correspondance recueillie par Catherine Drinker Bowen spécialiste des biographies de grands musiciens. 

La Russie du XIXe vue par Russell est un reflet mental des personnages.Les visions de Moscou et Saint-Pétersbourg  alternent entre imagerie de contes de fée et pure confusion grotesque selon les sursauts créatifs de Tchaïkovski.. On appréciera la reconstitution somptueuse dans la demeure de Nadejda Von Meck dont les vastes intérieurs dévoilent son  esprit romanesque et rêveur. Il y a tellement de détails et  d’éléments sous-jacents qu’une vision ne suffit pas à savourer la splendeur de The Music Lovers, notamment la magnifique photo de Douglas Slocombe.

Sorti en dvd zone 2 français chez Bel Air

Extrait

mardi 20 novembre 2012

Bon Voyage - Jean-Paul Rappeneau (2003)


En 1940, Frédéric Auger, jeune écrivain, reçoit un appel de la star du cinéma français Viviane Denvert, ancien amour, qui lui demande de venir chez elle immédiatement. Une fois sur place, il découvre un cadavre dont elle souhaite se débarrasser ! Encore amouraché, il accepte de s'en occuper, mais est arrêté et envoyé en prison. Quelques mois plus tard, alors que les Allemands s'approchent de Paris, la prison est évacuée et Frédéric Auger aidé par Raoul, s'échappe. Tentant de rejoindre Viviane Denvert à Bordeaux, Frédéric Auger retrouve Raoul et fait la connaissance de Camille qui avec le professeur Kopolski doit transporter le stock d'eau lourde français en Angleterre, de Bordeaux par bateau, pour le protéger des Allemands.


Bon Voyage est un des échecs commerciaux les plus injustes de ces dernières années pour ce qui est sans conteste le plus beau film français de la décennie 2000. Une suite de décisions malheureuses (une sortie trop précoce en avril après avoir renoncé à aller à Cannes malgré la critique dithyrambique où le casting prestigieux aurait attiré l’attention) et le contexte historique du film peu attrayant au premier abord causeront dont une carrière en salle mitigée pour ce qui était pourtant un classique moderne en puissance. Depuis, Rappeneau déjà peu prolifique (sept films à peine en 40 ans de carrière) n’a plus rien réalisé malgré l’amorce de plusieurs projet. Peut-être a-t-il aussi le sentiment d’avoir tout dit dans Bon Voyage, tant le film représente la quintessence de son art.

Bon Voyage conclut en quelque sorte pour le réalisateur une trilogie historique sur la France en crise démarrée avec La Vie de Château (1966) et poursuivie dans Les Mariés de l’An Deux (1971). Le premier se déroulait dans une France provinciale sous l’Occupation tandis que le second  reculait dans le temps pour nous plonger dans un pays dans le tumulte post révolutionnaire. Les deux films usaient de ce contexte pour alterner descriptions mordantes des écarts de ces périodes agitées et chassé-croisé amoureux trépidant avec les couples Philippe Noiret/Catherine Deneuve puis Jean-Paul Belmondo/Marlène Jobert.

Bon Voyage s’avère encore plus riche et bien plus personnel pour Rappeneau qui s’attaque à un cadre peu exploré par le cinéma français, celui de la confusion ayant eu court entre la défaite française de 40 et l’arrivée des allemands et donc les bouleversements ayant amenés à la capitulation et la collaboration avec l’ennemi. Pour Rappeneau né en 1932, ce moment est synonyme de souvenirs d’enfance mouvementé et il parviendra à nouveau à croiser point de vue acéré sur ce moment crucial avec une intrigue romanesque palpitante.

Plusieurs genres se bousculent au sein de Bon Voyage, Rappeneau n’ayant jamais approché plus près son modèle, le Lubitsch de To be or not to be. Romance, espionnage et politique se mêlent donc au gré des pérégrinations d’une dizaine de personnages. On trouve y trouve la star de cinéma Viviane Denvert (Isabelle Adjani) qui va peu avant la défaite mêler son amour d’enfance Frédéric (Grégori Derangère) à un meurtre qu’elle a commis, le faisant malgré elle emprisonner à sa place. La débâcle de 40 permettra à Frédéric de s’évader en compagnie du voyou Raoul (Yvan Attal) et à l’instar du gouvernement et de la bourgeoisie parisienne il se rendra à Bordeaux retrouver Viviane désormais protégée du ministre de l’intérieur Beaufort (Gérard Depardieu). Là sa route croise celle Camille (Virginie Ledoyen) agrégée tentant de faire fuir le pays par tous les moyens au professeur Kopolski qui doit protéger des allemands le secret de l’arme nucléaire représenté par l’eau lourde qu’il transporte.

Voilà une intrigue pleine comme un œuf que Rappeneau va mener avec son brio coutumier sur un script brillant écrit avec Patrick Modiano. L’arrière-plan de cette France plongée dans le chaos crée une urgence de tous les instants derrière les course poursuites se dévoilent quelques tableaux saisissants : le tumulte de la ville de Bordeaux plongée dans la crainte de l’invasion allemande et de la décision du gouvernement, ce même gouvernement usé, résigné entre politiciens opportunistes et ambitieux, par les indécis apeurés suivant aveuglément les consignes de capitulation. L’agitation de la bourgeoisie parisienne venue se réfugier en province mêlant patriote et futurs collaborateurs est brillamment croquées au détour de quelques situations et dialogues, la France populaire anxieuse et subissant déjà les privations aussi avec des visions saisissantes de rues bondées dans ce funeste juin 1940.

C’est bien les aventures de nos héros et la fougue que met Rappeneau  à les raconter qui évite au film de sombrer dans une tonalité funèbre de rigueur. Là aussi on retrouvera des figures bien connues. Isabelle Adjani en starlette égocentrique et manipulatrice offre une de ses plus épatantes prestations récentes. Tout en minauderies et de séduction calculée elle agace autant qu’elle émeut par cette valse entre sentiments sincères (les quelques moments d’abandon avec Frédéric où elle tombe le masque et redevient l’amoureuse d’antan son réellement touchants) et attrait pour le luxe ne perdant jamais de temps pour se trouver un nouveau riche et puissant protecteur. 

Elle incarne la facette typique de « l’emmerdeuse », type de personnage cher à Rappenau dont les écarts exaspèrent et séduisent le héros masculin (Catherine Deneuve dans La Vie de Château et Le Sauvage, Marlène Jobert dans Les Mariés de l’An Deux où « l’emmerdeur » paternel Yves Montand dans Tout feu tout flamme), le forçant à évoluer. Rappeneau change cependant la donne ici puisque l’emmerdeuse s’avère néfaste et le salut du héros ne repose plus dans le rapprochement avec elle mais par son abandon. 

A la place des gifles et des portes qui claquent habituelles,  on aura ainsi une romance tout en non-dit et en regard entre Grégori Derangère et Virginie Ledoyen. Derangère jeune premier tout en panache et en maladresse est épatant (et obtiendra le César du meilleur espoir) et Virginie Ledoyen cachant son émoi derrière ses lunettes et son franc-parler très attachante aussi. On saluera aussi Yvan Attal naturel et décontracté en voyou gouailleur.

Le rythme est mené tambour battant, les rebondissements s’enchaînent dans une intrigue d’espionnage rondement menée où Rappeneau multiplie les moments de suspense plein d’énergie : Frédéric reconnu et obligé de fuir en plein restaurant, l’affrontement avec des espions nazis au petit matin, une poursuite en voiture dans les rues de Bordeaux… Comme dans les deux précédents films de la trilogie, Rappeneau soigne son arrière-plan historique par sa maîtrise technique (cadrages millimétrés, montage virevoltant, effets spéciaux invisibles et reconstitution soignée) et sa vision ironique des bouleversements d’alors.

Cependant il n’oublie jamais qu’il n’est pas historien mais conteur et les enjeux reposeront toujours sur le parcours individuel de ses personnages. En devenant un héros de la résistance Philippe Noiret retrouvait l’amour et le respect de sa femme dans La Vie de Château, Belmondo ne traversait les soubresauts de la Révolution que pour mieux renouer avec Marlène Jobert dans Les Mariés de l'An Deux. Il en va de même ici où le réalisateur ne cède pas la facilité de conclure son film sur la Libération. La France est toujours occupée mais son couple s’est enfin avoué ses sentiments, la Grande Histoire elle, peut continuer…

Sorti en dvd chez ARP

lundi 19 novembre 2012

La Flibustière des Antilles - Anne of the Indies, Jacques Tourneur (1951)


Le « Sheba Queen », commandé par le capitaine Providence, est l’un des bateaux pirates les plus redoutés des caraïbes. Peu de gens savent que le capitaine Providence est une femme, Anne Providence (Jean Peters), élevée par Barbe Noire (Thomas Gomez), car elle laisse rarement ses victimes en vie. Alors qu’elle vient de s’emparer d’un navire anglais, elle découvre à son bord un prisonnier français, Pierre François LaRochelle (Louis Jourdan). Songeant un instant à l’exécuter comme le reste de l’équipage, elle finit par l’enrôler avec ses pirates.


En réalisant le flamboyant film d’aventure La Flèche et le Flambeau, Jacques Tourneur avait montré un brio indéniable pour le genre et parvenait ainsi à sortir des modestes productions RKO où il se fit connaître dans le fantastique (La Féline, Vaudou, Angoisse) et le film noir (Berlin Express, La Griffe du passé). Même si ses dispositions avaient déjà pu être appréciées dans le western Le Passage du canyon (1946). Il remet donc le couvert avec La Flibustière des Antilles, librement inspirée de la vie de la femme pirate Anne Bonny. Celle-ci est une figure légendaire de la piraterie, saluée pour avoir avec Mary Read avoir mené une féroce bataille contre la marine anglaise alors que son capitaine Rackham cuvait un excès de rhum.
Surprise des anglais en découvrant que des femmes étaient à la manœuvre  du combat qu’il venait de gagner. Rackham fut pendu et les deux femmes emprisonnée, Mary Read mourant en prison tandis que Anne Bonny parviendrait à s’échapper, alimentant sa légende puisque nul ne sait ce qu’elle devint ensuite. Un mythe était cependant né, perpétué par L'Histoire générale des plus fameux pirates écrit par Daniel Defoe. 

Le film de Jacques Tourneur adapte un court roman paru en 1946 de l’écrivain historique Herbert Saas Queen Anne Of The Indies offrant une vision romancée de la vie d’Anne Bonny. Le projet prévu dès 1948 s’enlise pourtant sérieusement malgré un premier script d’Herbert Saas lui-même et hormis le personnage d’Anne il ne reste plus grand-chose du livre dans le film. On peut par contre y voir une sorte de remake inversé du Pavillon Noir de Frank Borzage (1945) où à la place d’un pirate homme vengeur tombant amoureux d’une noble qu’il a fait prisonnier  (Paul Henreid et Maureen O'Hara) c’est cette fois Jean Peters/Anne Providence qui est séduite par le raffiné et traître Louis Jourdan. 

Ce changement  enrichit profondément les thèmes du film, reposant sur la trame solide du Borzage tout en offrant des réflexions passionnantes sur la féminité, la dualité de ces femmes qui devant se montrer impitoyable dans un monde d’hommes n’en était pas moins tiraillée par leurs émotions. Jean Peters habitué aux rôles plus glamour en impose en capitaine typiquement masculin. Véloce, teigneuse et impitoyable avec ses ennemis, elle s’avère paradoxalement  d’autant plus sexy par cet écart entre ses attitudes bravaches et une sensualité dont elle n’a pas conscience. La découverte de sa féminité au contact de Louis Jourdan (une fois de plus dans un rôle de séducteur provoquant la perte de ses victimes) est très intelligemment amenée, ainsi que son rapport à ses mentors masculins (Barbe Noire, Dougal) la ramenant constamment à son comportement viril. 

 Trahie par Pierre-François (Louis Jourdan), Anne va connaître le terrible dépit de la femme trompée et user de sa stature de capitaine pour se venger,  faisant passer son cœur avant la logique de l’équipage. Même à travers les actes vils auxquels elle va s’adonner, Jean Peters (remplaçant Susan Hayward initialement prévue) s’avère constamment touchante car guidée par les affres du dépit amoureux qu’elle découvre et qui lui sont doublement insupportables (fragilisant sa carapace insensible à ses yeux et à ceux de son équipage.  

Tourneur parvient à manier ses questionnements avec une efficacité rare puisque en à peine plus d’une heure nous auront droit à un film d’aventure dépaysant et rondement mené (les grandes mythes de la piraterie défilent avec Barbe Noire, l’île de Tortuga) où les batailles navales épiques alternent avec les chassés-croisés amoureux. Jusqu’à ce final grandiose où Anne retrouve la compagne qui ne l’a jamais abandonnée, la mer.

Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta

dimanche 18 novembre 2012

Tolérance zéro, la justice expéditive au cinéma - Fathi Beddiar


Plume passionnée et érudite de la culture populaire appréciée dans quelques revues spécialisée comme Mad Movies, Fathi Beddiar se penche dans cet ouvrage sur la controversée figure du vigilante. Qu’est-ce qu’un vigilante ? C’est une forme de héros ambigu et violent reprenant dans un cadre urbain une autodéfense armée qu’on imagine plus ayant cours à l’époque de l’Ouest sauvage où le fusil faisait loi. L’insécurité galopante ayant cours aux Etats-Unis à partir des années 70 a contribué à l’incursion de ce type de personnage dans le cinéma américain. C’est l’ère des Inspecteur Harry et autres Justicier dans la ville à la schizophrénie passionnante qui partage le spectateur entre jubilation pour ces héros de western venant régler les problèmes et réelle frayeur face à la violence décomplexée dont ils sont capables. Le genre perdra d’ailleurs progressivement de son ambiguïté pour une dérive plus fun et décérébré dans les années 80/90.

Fathi Beddiar fait ici un remarquable panorama de cette culture de l'autodéfense dans l'histoire américaine amenant à cette réalité d’avoir des foyers abritant une arme à feu, « au cas où »… Cette approche sociologique  se prolonge dans le cinéma avec nombres d’analyses intéressantes et approfondies, d’évocation de classiques, de perles obscures ou des pires nanars tous représentatifs de cette fascination et répulsion pour cette figure de « sheriff » armé et vengeur venant brutalement faire le ménage.  En plus de ce recensement, l’auteur fait preuve d'un vrai point de vue et n'hésite pas à égratigner certains intouchables comme les deux premiers volets d’Un Justicier Dans la Ville justement, la série tv The Shield (« qui est ce que Rick Hunter est à Inspecteur Harry » comparaison cinglante et très drôle) ou le Vigilante de William Lustig symbole justement des dérives du genre dans les 80’s.

On aura également un des rares (le seul ?) texte vraiment poussé sur le bouleversements des premiers Steven Seagal dans la nature des héros de films d'actions et son rapport à la politique de Reagan. Pas des grands films mais aux motifs significatifs d’une période donnée du pays quant à la façon de justifier et mettre en scène les méfaits de son héros, Beddiar détachant Seagal des musculeux plus populaire que furent Schwarzenegger et Stallone (dont les différences de ton entre Rambo et Rambo 2 illustrent bien la bascule entre l’amertume des 70’s et le ton va t en guerre des 80’s). Dernier point intéressant, l’évocation de quelques projets avortés qui aurait pu être marquant comme cette adaptation du comics Punisher (sachant que les trois existantes sont ratées) réalisé par Friedkin avec Stallone dans le rôle-titre. Un seul reproche, l’étrange oubli du Pacha de George Lautner lorsque Beddiar évoquera les incursions françaises dans le genre alors que Gabin en flic vengeur y est assez inoubliable.

Edité chez Bazaar and Co

vendredi 16 novembre 2012

Chinatown - Roman Polanski (1974)


Dans les années 1930, Los Angeles est en pleine sécheresse. Mme Mulwray, engage le détective privé Jake Gittes (Jack Nicholson) pour suivre son mari, ingénieur des eaux de la ville et soupçonné d'adultère. Ce dernier est bientôt retrouvé mort, noyé. Les personnages évoluent dans une intrigue et une atmosphère pesante de dangers, où bien des références (telle une scène à Echo Park) renvoient à la gestion de l'eau. Gittes poursuit son enquête, et découvre que la femme qui l'a engagé n'est pas la vraie Mme Mulwray. Il s'éprend ensuite d'Evelyne Mulwray (Faye Dunaway), la véritable femme de l'ingénieur, et poursuit ses recherches malgré les diverses menaces de tueurs professionnels, jusqu'à la découverte de la vérité.


Le mal, son attrait et son pouvoir insidieux et maléfique est un des thèmes de prédilection de Roman Polanski. Il ne l’aura jamais plus subtilement exploité que durant sa trop courte (pour les raisons que l’on sait) carrière américaine avec les chefs d’œuvres que sont Rosemary’s Baby et Chinatown. Dans Rosemary’s Baby, Polanski intégrait ce mal dans la quiétude d’un foyer ordinaire et en frappait la plus innocente des créatures avec une Mia Farrow oppressée par une menace démoniaque ou sa propre folie, symbolisée par l’enfant qu’elle portait en son sein. Cette dimension maternelle annonce en tout point Chinatown, cauchemardesque parabole sur les origines du mal avec cette évocation trouble des fondations de la ville de Los Angeles.

 Le script de Robert Towne s’inspire du drame qui frappa Los Angeles le 12 mars 1928 lorsque le barrage construit par l’ingénieur  William Mulholland  (et reliant l’aqueduc de LA à Owens Valley pour alimenter la ville en eau) céda, tuant plus de 400 habitants de la ville voisine de Santa Paula. Mulholland vit sa carrière brisée du jour au lendemain et surtout son nom salit par des rumeurs de corruption, et la LA moderne dont il fut l’inventeur toujours associée à ses fondations sanglantes. 

Dans Chinatown, le scénario divise Mulholand en deux personnages signifiant sa dualité : les bienfaits du bâtisseur indomptable avec Hollis Mulwray (dont le nom est une anagramme de William Mulholand) et le riche entrepreneur corrompu avec Noah Cross (John Huston) dont le prénom détourne sous un jour néfaste la métaphore biblique. C’est ici un Noé malfaisant qu’incarne Huston, reconstruisant le monde pour sa propre richesse après le déluge et comme le révèlera le terrible final sera le père non plus d’un peuple aimant mais celui d’une progéniture qu’il a souillée.

Tout débute dans un ton de film noir classique revisité par le Nouvel Hollywood avec une enquête policière sur une histoire d’adultère qui va mener bien plus loin le détective privé Jack Gittes (Jack Nicholson). Le scénario tortueux de Robert Towne nous promène dans une intrigue prolongeant par la fiction les conséquences du drame de 1928 où des nantis détournent l’eau de la ville pour irriguer les terrains de la Northwest Valley. Ces terrains acquis à un prix dérisoire enrichiront leurs propriétaires corrompus lorsque ceux-ci seront incorporés à Los Angeles, mégapole aux racines viciées.

 Ces grands enjeux s’illustrent cependant sous un angle étouffant et malsain par Polanski qui selon sa règle habituelle amène tous ses développements narratifs par le seul regard de son héros Jake Gittes. Le ton trivial et la désinvolture de Gittes cède au mystère puis à la menace lorsque l’ampleur du complot se dévoile. Jack Nicholson en cynique soudain guidé par la quête de la vérité trouve le rôle qui fera de lui une star et Faye Dunaway victime et manipulatrice incarne une troublante femme fatale.

La photographie ocre de John A. Alonzo plutôt lumineuse pour un film noir s’éloigne pourtant de l’imagerie ensoleillée associée à Los Angeles. Les couleurs semblent toujours légèrement desaturées comme dans un mauvais rêve et sans céder à l’étouffement urbain du genre Polanski délivre un malaise équivalent dans son usage des grands décors naturels environnant. Des coups de feux surgissent d’une paisible orangeraie, un cadavre est repêché d’un cours d’eau et le bientôt lucratif désert offre une désolation déprimante.

Le quartier de Chinatown est le berceau, le guide et l’aboutissement de tous ces maux qui ronge la ville. Cette facette est subtilement amenée par divers dialogues ramenant Jake Gittes à ce passé où il était flic dans cette zone de non droit. C’est là que culminent les péchés de la Cité des Anges où les autorités ont finis par tolérer le crime pour plus de confort (et où il est sous-entendu que Jake a perdu un être cher dans la belle scène d’amour avec Faye Dunaway) et que se jouera le drame final dans l’indifférence. Le drame familial sordide au parfum d’inceste initie donc la toute aussi trouble grandeur naissante d’une ville mythique.

Grand succès publique et critique, Chinatown sera nominé pour 11 Oscars (dont ceux des meilleurs acteurs pour Jack Nicholson et Faye Dunaway), Robert Towne remportant celui du meilleur scénario original (souvent qualifié d’un des meilleurs jamais écrit) quand bien même celui-ci fut largement réécrit par Polanski et le producteur Robert Evans notamment sa fin tragique. Towne voyait Chinatown comme le volet d’une trilogie où la corruption tournerait autour des ressources sur l’eau, le pétrole puis la terre. De grandes ambitions qui tourneront court avec l’échec du deuxième volet tardif The Two Jakes (1990) réalisé par Jack Nicholson.

Sorti en dvd zone 2 français chez Paramount et pour les parisiens ça ressort en salle la semaine prochaine.