Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 25 janvier 2013

Esther Waters - Ian Dalrymple et Peter Proud (1948)


A l'époque victorienne en Angleterre, une jeune fille, séduite par un valet, tombe enceinte. Ce dernier l'abandonne alors avec son enfant. Sept ans plus tard, il réapparait lui demandant de l'épouser, mais cette demande n'est pas désintéressée.

Esther Waters est un mélodrame Victorien quelque peu austère mais prenant dont on se souvient surtout pour avoir été le premier leading rôle d'un tout jeune Dirk Bogarde. Le film est l'adaptation du roman éponyme de George Moore paru en 1894 et qui se présentait comme un équivalent britannique au naturalisme des écrits d'Émile Zola avec une description âpre et sans fard de l'injustice et de la pauvreté.

Le récit s'ouvre sur l'arrivée de la jeune Esther Waters (Kathleen Ryan) comme domestique dans un riche domaine rural. Sous un caractère bien trempé, elle s'avère naïve et innocente, devenant progressivement la cible des autres domestiques notamment lorsqu'ils découvriront qu'elle est illettrée. C'est le soutien et l'amitié du séduisant valet William Latch (Dirk Bogarde) qui va l'aider à prendre confiance et se faire finalement accepter par la maisonnée.

Le début du film aligne ainsi les jolies vignettes rurales naturalistes (seuls de respirations dans un récit assez clos et étouffant notamment quand l'action se déplace dans un Londres sinistre) de cette campagne du Sussex où notre héroïne s'épanouit au fil de la romance avec William. Pourtant les premiers nuages surgissent quand elle découvre les penchants de William pour les courses et surtout une attirance pour la fille capricieuse de la maîtresse de maison avec laquelle il va filer après avoir mis la pauvre Esther enceinte.

 Dans la grande tradition du conte moral victorien (même si le livre en calquant Zola se veut plus universel que purement britannique dans sa description des bas-fonds) aligne le sordide où notre "fille perdue" paies chèrement sa faute avec des élans de bienveillance inattendus par la grâce de bienfaiteurs sachant reconnaître le caractère pur d'Esther.

On a ainsi des visions glaçantes du terrible destin d'une jeune femme sans ressource accouchant et élevant son enfant seule : foyer de travailleuse d'où l'on est expulsé à peine l'accouchement effectué, une nourrice digne des Thénardier cherchant à vendre les nourrissons qu'elle recueille... Le ton très austère du film rend le tout assez éprouvant et il faut toute la prestation énergique et déterminée de Kathleen Ryan pour réellement croire en des lendemains meilleurs.

La narration reprend le découpage en plusieurs parties et époque du livre (en en actes de la pièce que George Moore aura tirée de son livre en 1913), chacune constituant une épreuve à surmonter pour Esther. L'une des transitions montrant son labeur de domestique dans des demeures aux patrons indifférents et égoïstes est fort marquante et illustre en quelques minutes ce conflit de classe au cœur de la société anglaise. Dans ce souci moral Esther s'avère fort pieuse, trouvant réconfort à ses épreuves dans la religion. Heureusement l'intrigue ne se fige pas dans cette facette, Esther cédant néanmoins à ses passions plus qu'au dogme comme lorsqu'elle renoue avec un William repenti plutôt que d'épouser le prêtre qui lui demandait sa main (et joué par Cyril Cusack qui aura le même rôle de prêtre et pendant moral mièvre à Jennifer Jones dans La Renarde de Powell et Pressburger).

Néanmoins cette rigueur guide quand même le film à l'image du final où William reconverti en bookmaker subit une déchéance progressive dans l'usage de son "métier". Dirk Bogarde encore loin des grands rôles ambigus à venir chez Losey arbore une beauté juvénile et une candeur qui fait étonnamment tout passer à son personnage inconsistant, plus un faible qu'un mauvais bougre. Le côté austère (jusque dans les traits dur de Kathleen Ryan loin de la belle jeune fille en détresse) peut refroidir mais l'ensemble s'avère vraiment intéressant.

Sorti en dvd zone 2 anglais et sans sous titres, extrait ici 

jeudi 24 janvier 2013

The We and The I - Michel Gondry (2012)


C'est la fin de l'année. Les élèves d’un lycée du Bronx grimpent dans le même bus pour un dernier trajet ensemble avant l’été. Le groupe d'adolescents bruyants et exubérants, avec ses bizuteurs, ses victimes, ses amoureux… évolue et se transforme au fur et à mesure que le bus se vide.
Les relations deviennent alors plus intimes et nous révèlent les facettes cachées de leur personnalité…

Michel Gondry signe un de ses meilleurs films avec The We and The I qui s’impose comme un classique moderne du teen movie.  La réussite du film tient grandement à son authenticité, sa production ayant constituée une grande aventure humaine. L’idée du film serait venue à Michel Gondry se trouvant dans un bus à Paris, ce dernier se trouva envahi par des adolescents sortant du lycée. Il observa alors les changements d’attitudes chez les teenagers, l’influence du phénomène de groupe où fanfarons et bruyants en nombre, les ados se transformait leur nombre diminuant, les conversations se faisant plus intimes, les comportements plus naturels. Voulant transposer le phénomène dans une fiction, Gondry part à la rencontre d’un groupe d’adolescent d’un quartier difficile du Bronx qu’il soumet pendant près de trois ans à un atelier. 

Là, il les guidera, les accompagnera et les poussera à se livrer sur leur quotidien, leurs anecdotes nourrissant le script sur lequel ils ont un droit de regard et auquel ils amènent une vérité dans les échanges et comportement des personnages. Après cette longue préparation, Gondry décidera de recruter ses acteurs amateurs pour pratiquement jouer leur propre rôle dans le film, au générique on peut d’ailleurs constater que les prénoms des personnages étaient ceux des vrais ados.

A la sortie du film, on l’a beaucoup comparé au français Entre les murs avec lequel il partage cette approche sur le vif et authentique d’adolescents d’aujourd’hui. Le film de Gondry s’avère bien plus riche et surtout se frotte en fait à un autre modèle. The We and The I constitue en fait une relecture  moderne de Breakfast Club (1984), reprenant à son compte la structure et les thématiques du classique de John Hughes. On a ainsi un groupe d'adolescents confiné ensemble dans une unité de temps et de lieu (journée de colle au lycée chez Hughes/bus sur un long trajet pour Gondry) où au fil du temps les personnalités et les fêlures de chacun vont se révéler.

Comme chez Hughes les personnages sont au départ des clichés et archétypes du paysage lycéen et de teen movie (les tyrans, les souffre douleurs, la jolie fille populaire avec Laidychen préparant sa fête) et sous le foutoir de façade Gondry au fur et à mesure que le bus se vide laisse les jeunes passagers restant se montrer de plus en plus naturel. Il nous y aura préparé avant en plaçant les moments les plus comiques au départ tant que le bus est bondé tout en cernant la personnalité de certains personnages sur lesquels il se sera plus attardé au sein des groupes de plus en plus restreint. L'humour ou la méchanceté la plus prononcée c'est  We du titre où chacun veut se montrer à son avantage quitte à humilier les autres (la bande du fond du bus) ou soit même (le mythomane poseur et ses histoire abracadabrante de séduction) tandis que le I nous les montre moins sûr d'eux même, plus fragile et attachant. 

Le principe marche sur de courtes scènes et personnages furtifs (la fille qui accepte une fois descendue du bus de sortir avec le garçon auquel elle a mis un mémorable râteau devant ses copines) puis ensuite en révélant les vrais héros que tout opposent : le très antipathique Michael qui aura malmené et moqué ses camarades avant de se révéler bien plus intéressant débarrassé du regard des autres la très attachante et complexée de Teresa. Michael se voit confronté à ses contradictions et à sa schizophrénie de façon assez magistrale par le camarade le plus discret et taiseux dans la foule, direct et franc dans l’intimité. Ainsi mis à nu, le film se conclu sur un joli moment, sobre et chaleureux entre le tyran et sa souffre-douleur bien plus semblables qu’il n’y parait.

Gondry adapte la forme à la génération Facebook/Youtube avec un visuel inventif et énergique mais sachant se faire oublier.  La caméra virevolte d'un coin à l'autre du bus, scrute l'omniprésence du portable dans les interactions des personnages et fait même de ce qui semble un gimmick formel  (le running gag du copain filmé se cassant la figure) un ressort dramatique qui ne révélera qu'en toute fin. Le film ne cède au démonstratif qu'une seule fois de manière peu convaincante avec la dispute et la confession du couple gay un peu trop larmoyante. 

Sous l’énergie et le foutoir apparent laissant croire à de l’improvisation, le script est pourtant très rigoureusement écrit et construit et paradoxalement cette seule scène à ne pas fonctionner est pourtant une extension de la réalité. Gondry pas convaincu par un des deux acteurs leur avait demandé d’échanger leur rôles et au cours d’un dialogue évoquant la tromperie de l’un d’entre eux, une vraie dispute éclata, les caméras continuant à tourner et le moment étant conservé tel quel dans le film. Et donc paradoxalement la scène la plus "vraie" qui sonne le plus faux (et le pour coup moins forte que la grande confession finale d'un Breakfast Club), étonnant. 

Le film ne se noie jamais dans son concept grâce à l'énergie du jeune casting, au script osant des respirations inattendues (la séquence où en plein bouchon les ados s’évadent du bus pour aller commander une pizza, les flashbacks et séquences oniriques absurdes typiques des clips de Gondry surgissant sans que l’on s’y attende). On s'amuse beaucoup tout en reconnaissant forcément l’adolescent que l’on est ou que l’on a été au milieu de ce festival de vannes, de vacherie, de tendresse et de larmes. LE teen movie des années 2010 et la plus belle réussite de Gondry avec son magique Eternal Sunshine of spotless mind. Un des grands films de 2012.

Sorti en dvd zone 2 français chez France Télévision

mercredi 23 janvier 2013

La Vie d'Émile Zola - The Life of Emile Zola, William Dieterle (1937)


Émile Zola n'est pas seulement un auteur à succès mais aussi un combattant pour la justice. En 1897, il impulse les polémiques de l'Affaire Dreyfus, en prenant le parti du Capitaine. Alors en pleine gloire artistique, Zola met en danger sa carrière pour mettre en avant ses opinions politiques. Il publie un article polémique, « J'accuse...! », dans lequel il s'attaque à l'état-major français et au nationalisme. Il passe les cinq dernières années de sa vie à combattre pour la justice dans cette affaire.

Au milieu des années 30 William Dieterle entame une fructueuse collaboration avec l'acteur Paul Muni, réalisant au sein de la Warner de grands biopics de prestige qui rencontrerons un grand succès public et critique. Le premier du lot sera La Vie de Louis Pasteur (1936) qui remporte trois Oscars (Meilleur acteur pour Paul Muni, meilleur scénario original et meilleure adaptation), viendra ensuite La Vie d'Émile Zola et enfin Juarez (1939) consacré au célèbre président mexicain. Deuxième film de la série, La Vie d'Émile Zola est également une grande réussite.

Le scénario se base sur les travaux de Matthew Josephson, spécialiste américain de la littérature française du XIXe et plus précisément sur son ouvrage Zola and His Time paru en 1928. Ainsi tout en étant plutôt rigoureux dans la chronologie des évènements, le film s'autorise quelques raccourcis et modifications servant à une montée en puissance dramatique toute hollywoodienne et particulièrement efficace. Le film se divise clairement en deux parties.

Dans la première on suit donc l'ascension d'Emile Zola, tous les moments le menant de l'apprentissage à la notoriété se dévoilant dans de courtes vignettes : la vie de bohème lorsqu'il partage un appartement miteux avec son ami le peintre Cézanne, son travail dans le monde de l'édition où il contribue à mettre en avant les ouvrages partageant sa sensibilité puis les premiers succès littéraire. Toutes les ellipses, raccourcis et inventions du récit n'ont pour but que de mettre en avant la révolte de Zola, son souci du peuple et de sa misère et leur importance dans son œuvre.

Le film attribue ainsi le premier grand succès littéraire de Zola à Nana et surtout l'invention du personnage à une prostituée misérable et sans le sous qu'il aurait pris en pitié alors que dans la réalité l'inspiration lui soit venu de la moins honorable Blanche D'Antigny fameuse courtisane de l'époque. Son combat contre les institutions est également évoqué (là aussi avec des raccourcis servant la direction du film) notamment avec la parution de La Débâcle où dénonce les horreurs de la guerre et fustige l'armée. Ce survol en accéléré nous amène à un Zola installé, célèbre et adoubé par ses pairs. Pourtant cette consécration semble l'avoir éloigné de ses combats d'antan et installé dans l'autosatisfaction. Une injustice qu'il sera le seul capable de dénoncer va pourtant le ramener dans l'arène : L’affaire Dreyfus.

C'est donc le fameux conflit social et politique qui agita la France de la Troisième république qui anime la deuxième partie. Là aussi la narration va au plus simple (le complot, l'accusation arbitraire et l'emprisonnement de Dreyfus semblant se dérouler en dix minutes à peine), certains éléments polémiques sont éludés comme l'antisémitisme pour surtout dénoncer la toute-puissance du corps de l'armée, entité capable d'accuser un innocent et de commettre toutes les bassesses pour masquer son erreur de jugement.

Les moments forts sont innombrables, admirablement amenés par Dieterle : Zola prenant conscience de sa vanité en lisant ses promesses d'accession à l'Académie Française et en regardant son portrait, le fameux J'accuse entonné par un Paul Muni habité et surtout les captivantes joutes verbales des scènes de procès (dramatisés à l'extrême avec des généraux s'autorisant toutes les entraves à la justice tandis que la défense est constamment handicapée par les juges, dur à croire à ce point-là mais c'est sans doute le reflet d'une certaine la réalité).

Paul Muni allie une bonhomie et une exaltation rendant son Zola immédiatement attachant et charismatique et aidé par d'excellent maquillage nous fait croire à l'allure de cet homme dans l'âge mûr (on a du mal à croire qu'une poignée d'années plus tôt il jouait un teigneux Scarface chez Hawks). Joseph Schildkraut compose également un très touchant et fragile Dreyfus, sa déchéance et son emprisonnement sordide composant des séquences particulièrement marquante avec là aussi un impressionnant travail des maquilleurs sur sa dégradation physique progressive.

Dans cette même démarche romanesque, Dieterle accélère la réhabilitation de Dreyfus qu'il croise à la mort de Zola pour un final puissant sur les obsèques en apothéose de l'auteur où l'ode d'Anatole France à son ami est retranscrite en entier.

Devant rappeler la lutte entreprise par Zola pour la justice et la vérité, m'est-il possible de garder le silence sur ces hommes acharnés à la ruine d'un innocent et qui, se sentant perdus s'il était sauvé, l'accablaient avec l'audace désespérée de la peur ?
Comment les écarter de votre vue, alors que je dois vous montrer Zola se dressant, faible et désarmé devant eux ?
Puis-je taire leurs mensonges ?
Ce serait taire sa droiture héroïque.
Puis-je taire leurs crimes ?
Ce serait taire sa vertu.
Puis-je taire les outrages et les calomnies dont ils l'ont poursuivi ?
Ce serait taire sa récompense et ses honneurs.
Puis-je taire leur honte ?
Ce serait taire sa gloire.
Non, je parlerai.
Envions-le : il a honoré sa patrie et le monde par une œuvre immense et un grand acte.
Envions-le, sa destinée et son cœur lui firent le sort le plus grand.
Il fut un moment de la conscience humaine.


Le succès sera à nouveau au rendez-vous avec trois Oscars récoltés (Meilleur film, meilleur second rôle pour Joseph Schildkraut et meilleur scénario) sur sept nominations. Tout à fait mérité pour ce superbe biopic.

Sorti en dvd zone 1 chez Warner et doté de sous-titres français

mardi 22 janvier 2013

Maria's Lovers - Andreï Kontchalovski (1984)


Après avoir passé plusieurs années de captivité dans un camp japonais, Ivan rentre en Pennsylvanie. Seul, un rêve fou lui a permis de surmonter cette terrible épreuve: épouser a son retour, la plus belle fille du pays. Mais à Brownsville, Maria est déjà très convoitée.

Maria's Lovers est le premier film américain du réalisateur russe Andreï Kontchalovski qui signe d'emblée un coup de maître. Ancrage profond dans l'histoire de son pays d'accueil, mythologie, psychanalyse et une âme russe néanmoins toujours vivace, Kontchalovski triomphe sur tous les points dans ce mélodrame puissant. En 1997 Kontchalovski avait réalisé une assez médiocre adaptation de L'Odyssée pour la télévision américaine, sauf que finalement sa vraie vision du poème d'Homère, il l'avait déjà signée de manière toute personnelle avec Maria's Lovers.

Après plusieurs années au front à affronter les japonais durant la Deuxième Guerre Mondiale, Ivan (John Savage) est de retour au pays en Pennsylvanie. Dès son arrivée il n'espère qu'une chose, retrouver celle dont le doux souvenir l'a aider à traverser toutes les épreuves et privations, Maria (Nastassja Kinski) son amour d'enfance et de toujours. Seulement Maria et sa beauté ravageuse est courtisée par tous les mâles de la région mais contre toute attente elle ne l'a pas oublié non plus et ils vont enfin pouvoir se marier et s'aimer.

La première partie du film s'amorce comme un rêve éveillé où les rares nuages (Savage narrant ses terribles souvenirs à son amante d'un soir) ne laissent pas présager de la suite et l'on est émerveillé par les paysages de cette Pennsylvanie provinciale (photo somptueuse de Juan Ruiz Anchía), la candeur touchante de John Savage en vétéran timide et amoureux et bien sûr par la sensualité et les regards ardents d'une Nastassja Kinski qui n'a jamais été aussi belle, aussi désirable. Ivan/Ulysse après avoir guerroyé à Troie/ Pacifique est revenu en Ithaque/Pennsylvanie, a vaincu les prétendants de Maria/Penelope dans une réinterprétation qui semble même adoucir la plus sanglante conclusion d'Homère.

Un problème se pose pourtant à notre Ulysse moderne, il n'a pas laissé derrière lui les cyclopes, sirènes et magiciennes rencontrés durant sa quête et ils continuent à le hanter. Cela se manifeste par un terrible et sordide souvenir des maltraitances au sein des geôles japonaises qui nous sont d'abord narrées par un John Savage encore transi d'effroi, puis qui s'illustrera de manière symbolique tout au long du film à travers des visions cauchemardesques récurrentes avec l'apparition d'un rat ensanglanté.

 Pire, celle dont l'image l'aura aidé à surmonter toutes ses horreurs leur est définitivement associée et Ivan va s'avérer incapable de coucher avec Maria dont le moindre contact le rend soudain impuissant. L'Odyssée selon Kontchalovski peut alors réellement commencer avec le lent chemin de croix du couple.

Ivan rongé par la culpabilité et la honte (le film multipliant les figures d'hommes virils renvoyant le héros à sa faiblesse notamment l'imposant patriarche joué par Robert Mitchum) s'éloigne et rejette Maria, cette dernière blessée réfrénant un désir inassouvi et de plus en plus pressant. Les deux acteurs livrent de très grandes prestations où Konchalovski les fait alterner entre les registres tout en retenu et en non-dits (Ivan feignant d'être endormi lorsqu'il est sollicité par Maria, les embrassades timides qui tournent court, le malaise dès que Maria est dans une tenues affriolante) avec une outrance où ce mal être explose avec fureur.

John Savage masque de douleur contenu excelle dans la sobriété tandis que Nastassja Kinski est incandescente en femme n'étant plus que désir et frustration, s'abandonnant de façon déconcertante tel ce moment où elle se caresse fiévreusement (ou encore lorsque la séduction agressive de Keith Carradine la met dans tous ses états).

C'est donc au terme d'un nouvel et terrible affrontement avec ses démons (dans une scène de cauchemar tétanisante) et après avoir cette fois dû réellement terrasser son rival qu'Ivan pourra enfin achever son odyssée intérieure et reconquérir sa Pénélope qui n'a cessé de l'attendre. Grand film romanesque, intimiste et passionné dont on se demande encore par quel miracle il a pu être produit par la Cannon, firme plutôt habituée aux exploits musclés de Chuck Norris (malgré d'autre exceptions incongrue comme du Godard).


Assez scandaleusement inédit en dvd zone 2 français donc se pencher vers les zone 2 anglais ou allemand tous doté de vf et sous-titres français ou alors le zone 1 comportant aussi des sous-titres français.


lundi 21 janvier 2013

Django - Sergio Corbucci (1966)


Deux bandes rivales, celle du major confédéré Jackson, et celle du Général mexicain Rodriguez, terrorisent un village à la frontière mexicaine. Arrive Django, un vagabond solitaire avec un cercueil...

Deux ans après le coup de tonnerre Pour une poignée de dollars (1964) d’un Sergio Leone signant l’avènement du western spaghetti, Django s’avérait un nouvel opus majeur du genre. En voulant s’éloigner justement de tous les apports du classique de Sergio Leone (et de sa suite Et pour quelques dollars de plus sorti l’année suivante), Corbucci va inventer une forme, un ton et une atmosphère à l’influence tout aussi considérable. Corbucci aura jusque-là entamé une carrière de solide technicien et d’artisan efficace d’abord pour les autres (assistant de Leone sur le péplum Les Derniers Jours de Pompéi) puis apprenant le métier dans tous les genres une fois  passé à la réalisation durant les années 50 où les comédies avec Toto côtoient  le péplum comme Le Fils de Spartacus une de ses premières réussites. 

 Il avait déjà réalisé  trois westerns auparavant mais assez peu significatifs et calquant plus la série B américaine notamment son premier Massacre au grand canyon (1963). Les audaces de Sergio Leone et le succès de ses films auront décomplexées les autres cinéastes italiens s’attaquant au genre (pour le meilleur et pour le pire) dont un Sergio Corbucci sur Django dont la production mouvementée (tournage arrêté pour manque de liquidité, scénario écrit au jour le jour) lui aura enfin laissé la latitude de créer sa patte unique.

En inventant le western spaghetti, Leone se l’était approprié par une somme d’influence (le fétichisme des armes issus du cinéma japonais, le jeu cadrage mettant en scène et valorisant la puissance des pistoleros à la manière des samouraïs dans les chambarras) et d’invention ramenant  le genre à une identité plus latine qu’anglo-saxonne (et paradoxalement plus réaliste) : dimension picaresque, personnages et situation inspirés de la commedia dell'arte, influence de la mythologie. Corbucci va à contre-courant de ce riche patchwork avec un Django qui n’est que misère et désolation. Ciel couvert constamment oppressant, cité fantôme boueuse et héros traînant à pied un cercueil plutôt qu’installé sur la selle de son cheval. On est ici plus dans le film gothique que le western, Corbucci multipliant les éléments visuels ou narratifs liés au surnaturel. Les sbires de l’infâme Major Jackson arborent des capuches rouges évoquant autant le Ku Klux Klan que des spectres, l’importance qu’a le cimetière et bien sûr le contenu mystérieux du cercueil qui accompagne Django.

Comme ce sera le cas dans Le Grand Silence, l’Ouest est pour Corbucci un monde de violence hors de la loi des hommes où les tyrans peuvent s’adonner à leur barbarie. Le Utah enneigé et isolé du Grand Silence permettait les pires écarts de la part d’un Klaus Kinski chasseur de primes sadique et ici sudiste raciste et mexicains malveillants sont renvoyés dos à dos par deux manifestation de violence cruelles et choquantes.  Django, le regard bleu acier, le verbe sec et la mine taciturne est différent. 

Le script lui confère bien sûr les capacités de pistoleros virtuose typique du western spaghetti mais loin de « L’Homme sans nom» calculateuret sans passé de Sergio Leone Django est un être torturé et meurtri. Franco Nero exprime parfaitement cela avec cette beauté croisant la menace et la douceur, son Django est à la fois présent et ailleurs, son ancienne vie ayant été balayée par une perte tragique. Les dialogues désabusés montrent son détachement face à l’amour ou son propre avenir, seul compte la vengeance. Corbucci lui donne une présence concrète et une humanité en en faisant un martyr. 

 Pour le réalisateur ses héros doivent en passer par la souffrance et la mutilation physique pour renaître, ce sera le cas dans Le Grand Silence (avec une issue plus tragique) et pour la première fois ici avec Django qui devra défier ses ennemis alors qu’il a les mains brisées et peut à peine tenir son pistolet. Le final dans le cimetière offre un des plus grands duels du western spaghetti, laissant éclater son audace et inventivité puisque le ridicule achevé de la résolution (sur le papier) devient une formidable catharsis libératrice pour Django au terme d’une prière achevée dans le sang. Corbucci, moins formaliste que Leone (plus par fainéantise que par un talent moindre, un zoom bien senti va plus vite qu’un travelling, la bagarre au découpage hasardeux dans le saloon) déploie toute son inspiration dès qu'il peut poser une ambiance macabre et mortifère. 

Ce sera le cas lors de ce final grandiose à travers cet ultime plan où la silhouette claudicante de Django disparait au loin (dans une même valeur de plan et cadrage que sa première apparition fantomatique signifiant là son retour au monde des vivants), laissant au premier plan cette croix brisée synonyme des démons qu’il a vaincu. Le tout sur le tonitruant score de Luis Bacalov qui réutilise une de ses pistes (le tonitruant mariachis des révolutionnaires mexicains) dans El Chuncho sorti la même année.

Un des chefs d’œuvre du genre que les multiples et hasardeuses déclinaisons ne doivent pas faire oublier. Corbucci signera son pendant noir et encore plus maîtrisé deux ans plus tard avec Le Grand Silence.

Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side et à l'occasion du nouveau Tarantino lui rendant hommage le film ressort en salle ce mercredi.

dimanche 20 janvier 2013

Let's make money - Erwin Wagenhofer (2008)


Les banques introduisent notre argent dans le circuit monétaire international, si bien que toute personne ayant un compte bancaire participe sans le savoir au système financier mondial. À travers les témoignages des différents acteurs de ce système, le réalisateur nous révèle les risques d'une économie sans garde-fou : paradis fiscaux, chantage économique, investissements fictifs, etc. Ce film impressionnant montre les dérives du système libéral et ses conséquences humaines, démographiques et écologiques...

Depuis le krach financier de 2007 plongeant notre économie dans une crise toujours vivace, l’actualité récente nous alimente régulièrement en scandales divers et en dénonciation de dérives de toutes sortes. Toutes ces pratiques n'étaient pourtant pas nouvelles et ce documentaire se charge de nous expliquer ce qui nous a conduit lentement mais sûrement au désastre actuel.

Le film s’avère fort informatif, plus sur le détail que par les révélations en elle mêmes, la plupart des faits énoncés étant bien connus pour qui suit un minimum l’actualité. Ainsi on découvre un paradis fiscal loin des strass de Monaco ou de l’exotisme des Caïmans, avec la très austère île de Jersey, qui a réussi à s’enrichir et devenir une plaque tournante du marché financier après que son Premier Ministre ait déroulé un véritable tapis rouge aux mastodontes de la banque.

De même le désastre de la bulle immobilière en Espagne s’avère particulièrement saisissant, l’image parlant plus que les mots avec ses kilomètres de logements vides et villes fantômes à perte de vue, ou les palaces hôteliers à la construction inachevée. On n'est cependant jamais bien loin de l'enfoncement de porte ouverte, lorsque Wagenhofer cherche à politiser son propos plutôt que de s’appuyer concrètement sur les faits, notamment avec sa tentative d’explication des derniers conflits mondiaux, juste dans le fond mais orné d’une aura paranoïaque atténuant un peu le sérieux de l'entreprise.

Un des aspects les plus étonnants et captivant est sans doute l’évocation des membres du Mont Pèlerins. Société fondée en 1947 (et devant son nom au lieu de réunion de ses membres, situé en Suisse), ayant édifié les bases de la pensée néolibérale dans ce qu’elle a de plus froid et radical et qui fit réellement basculer l’équilibre de l’économie mondiale lorsque Ronald Reagan admit ses membres dans son équipe de conseillers et que Margaret Thatcher appliqua leurs idée à la lettre avec les conséquences que l’on sait.

Malgré un intérêt certain, le film ne s’avère pourtant que partiellement réussi, la faute à un traitement inadéquat. S’il n’y a rien à redire sur le fond, la forme est un peu plus problématique. Les meilleurs documentaires vus ces dernières années étaient parvenus à associer leurs informations explosives à un ton réellement cinématographique. L’avocat de la terreur de Barbet Schroeder mêlait ainsi politique et romanesque pour dépeindre le destin fascinant de Jacques Vergès, Michael Moore (avant qu’il ne vire portraitiste à charge caricatural) parvenait à être ludique et angoissé sur Bowling for Columbine et le récent Cocaïne Cowboys arborait la forme des polars les plus clinquants tout en dénonçant la violence du Miami des 80's. Rien de tout cela ici, où Wagenhofer, malgré une réalisation soignée, adopte un ton austère et professoral, dans un ensemble froid provocant un ennui certain en dépit d’un propos qu’on ne peut qu’approuver. Bref, un pamphlet intéressant, mais auquel il manque juste un peu de cinéma, dommage.

Sorti en dvd zone 2 français chez MK2

vendredi 18 janvier 2013

La Maja nue - The Naked Maja, Henry Koster (1958)


En Espagne, à la fin du XVIIIe siècle, le peintre Francisco de Goya fait la connaissance de la duchesse d'Albe. Elle devient son mécène, son modèle et sa maîtresse...

La Maja nue est une grande source de frustration pour le cinéphile, sachant la splendeur qu'il aurait pu être. Le film est au départ un projet d'Albert Lewin (qui en co signe le scénario) qui devait y retrouver son égérie de Pandora Ava Gardner dans un récit prolongeant les thématiques du chef d'œuvre et au cœur de l'œuvre de Lewin avec ce questionnement sur le mythe, l'inspiration et l'amour fou s'inscrivant dans un cadre historique.

Malheureusement Lewin victime de problèmes cardiaques à la fin des années 50 doit désormais se reposer et se retire du projet, il décèdera dix ans plus tard sans avoir pu repasser à la réalisation. On ne peut vraiment pas dire que l'on gagne au change avec le rarement inspiré Henry Koster mais le résultat reste tout à fait honorable finalement et Ava Gardner qui retrouvait sa liberté (et la perspective de cachet plus mirobolants) avec ce dernier film sous contrat avec la MGM porte littéralement le film.

La Maja nue est un biopic du peintre Francisco Goya et de ses supposées amours avec la duchesse d'Albe qui selon la légende soutenue par le film (mais fausse puisqu'il s'agissait de Pepita Tudó maîtresse puis épouse de Manuel Godoy) lui aurait inspiré ses deux fameux tableau La Maja nue et La Maja vêtue. Même s'il prend une tournure largement romanesque, le récit s'inscrit dans un contexte plutôt bien amené avec cette Espagne sous l'Inquisition, son roi et sa cour détaché des réalités et notamment de l'invasion imminente du pays par les troupes de Napoléon approchant dangereusement des frontières. C'est dans ce cadre agitée que se croisent les routes de Goya (Anthony Franciosa) et la duchesse d'Albe (Ava Gardner) chacun rétif à leur environnement.

Goya bouscule les codes esthétiques établis en cherchant à capturer crûment la réalité dans toute son imperfection au sein de ses peintures, Maria quant à elle fuit les frivolités et l'hypocrisie de la cour pour s'évader dans le tumulte du peuple plus authentique. Ces deux facettes passionnantes tournent court malheureusement malgré de bonnes amorces (la scène où le directeur des arts critiques une fresque religieuse de Goya) pour mettre en avant la romance et les intrigues de palais. La relation entre Goya et Maria captive suffisamment cependant notamment tout le début où les personnages se jaugent faussement. Maria avertit Goya quand elle pense voir celui-ci négliger son art pour les plaisir de la cour dont il est devenu le peintre officiel et lui constatant peu à peu la corruption qui y règne la pense solidaire de ces différents abus.

Tout comme la réflexion sur la création, la facette sociale est juste survolée en dépit de ces pistes intéressantes mais la romance des plus flamboyantes finit par happer. Koster laisse exploser cette attirance sous-jacente le temps d'une merveilleuse scène de danse filmée avec grâce et illuminée par la gestuelle parfaite des amants notamment une Ava Gardner divine de sensualité.

 Des enjeux qui les dépassent vont séparer le couple dans la douleur et l'incompréhension par les manigances de personnages machiavéliques et ambitieux (Amedeo Nazzari excellent en premier ministre comploteur et Lea Padovani est une bien perfide reine d'Espagne jalousant Gardner) avec quelques rebondissements qui donneront un tour sacrificielle à Maria signant la profession de foi de peintre du réel de Goya. Coproduction entre United Artist et Titanus (Italie), le film bénéficie de moyens conséquents pas toujours bien mis en valeur par Koster qui comme dans La Tunique peine à exploiter son cinémascope.

Les splendides décors de Piero Filippone paraissent parfois bien étriqués (la fresque dans l'église, les intérieurs du château malgré une majestueuse scène où l'on découvre la bâtisse de l'extérieur en pénétrant dans le domaine par le portail en plongée) et la pourtant sanglante bataille finale entre les troupes de Napoléon et les révolutionnaires espagnols n'a pas l'ampleur attendus malgré quelques fulgurances et compositions de plan directement repris de peintures de Goya.

Koster se montre par contre particulièrement inspiré pour dépeindre ses amoureux, la scène de danse donc mais également la cavalcade de Goya pour rejoindre Maria en exil ou encore leurs épanouissement sous la photo ensoleillée de Giuseppe Rotunno (Ava Gardner affirmant qu'il était le meilleur directeur photo avec lequel elle avait travaillé et effectivement dans Le Dernier Rivage ou La Bible il la magnifia dans son approche de l'âge mûr, et l'éclaira aussi sur L'Ange Pourpre) lorsque Goya la peint en pleine campagne.

Anthony Franciosa adepte de l'actor's studio en fait des tonnes en Goya transi d'amour et jaloux, bouillonnant et surlignant chaque émotion. Cela ne dérange pas finalement et offre un habile contrepoint à Ava Gardner et son jeu tout en retenue et façade (à l'image de son personnage faussement superficiel) faisant surgir ses sentiments avec un maintien désespéré. Chaque pic dramatique est ainsi assez magistral par cette différence : la première étreinte avec Goya suffocant et Maria fuyant effrayé par l'intensité de sa passion, la magnifique scène où elle lui sauve la vie en le rendant jaloux (en un regard elle bouleverse plus que toute les grimaces de Franciosa) et le grand final mélodramatique la voyant mourante et immobile faire ses derniers adieux à son amant toujours aussi agités.

Le tableau de La Maja nue est amené avec un habile mystère dans l'intrigue dont il constitue un fil rouge ténu mais censure oblige on ne verra jamais distinctement la peinture alors que la conclusion appelait une vue pleine écran dans toute sa splendeur (ou alors une reproduction avec Ava pour modèle c'eut été quelque chose !). Bien meilleur que la piteuse réputation dont il bénéficie, La Maja nue faute d'être le prolongement ambitieux de Pandora espéré offre néanmoins un joli mélo avec une Ava Gardner magnifique.


Film assez difficile à trouver, uniquement sorti en dvd zone 2 espagnol sans sous-titre et même si le film demeure tout à fait regardable l'image n'est tout de même pas géniale. A part ça ne reste qu'à guetter une rediffusion sur TCM ou au Cinéma de Minuit en attendant une édition digne de ce nom.

Extrait (le film est en entier sur youtube mais doublé en espagnol par dessus les dialogues en anglais ^^)