Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 21 mars 2013

Ladybird - Ken Loach (1994)


Maggie a eu quatre enfants de quatre hommes différents. A la suite d'une liaison violente, l'assistante sociale lui retire la garde de ses enfants. Elle rencontre Jorge, refugié latino-américain et parvient enfin au bonheur. Ensemble, ils vont tout tenter dans un long combat contre l'administration pour reprendre les enfants de Maggie.

Ken Loach réalisait un de ses films les plus poignants et captivant avec Ladybird.  Loach y développait un récit habilement construit et nettement moins linéaire que ces œuvres précédentes servant un propos lucide et implacable sur les faillites du système. Le film s’ouvre sur la rencontre entre notre héroïne Maggie (Crissy Rock) avec Jorge (Vladimir Vega) émigré sud-américain auquel elle va raconter son histoire illustrée en flashback. Tout comme il le fera dans Carla’s Song (1995), Ken Loach évite toute ficelle romantique pour lier ses personnages. Ce sont  les épreuves et les douleurs qui les lieront,  leur détresse respective qui vont les rapprocher. On apprend ainsi le passé violent et douloureux de Maggie, l’ayant amenée à avoir quatre enfants de père différents, à fréquenter systématiquement des hommes brutaux et à en perdre la garde. 

 Sans négliger le parcours pénible de Maggie, Loach ne la pose pas non plus en victime innocente du système. Sa responsabilité est clairement engagée sur certains drames de sa vie tel cet incendie se déclenchant dans la chambre de ses enfants alors qu’elle se trouve au karaoké ou sa tentative d’enlèvement lorsqu’ils lui seront retirés une première fois.  Ken Loach ne masque pas les défauts de son héroïne et critique le système dans la façon dont il l’enfonce dans ses travers sans lui proposer de vraies solutions  pour s’en sortir.  Formant avec Maggie un couple d’opprimés, Jorge narre à son tour les péripéties l’ayant menés en Angleterre et sortant d’un régime fasciste il a un regard idéaliste du fonctionnement des institutions de son pays d’accueil. Comme dans Carla’s Song ou Bread and Roses, Jorge fait office  d’écho à des personnages symptôme s en lutte avec le système. 

Cette absence d’accompagnement des institutions se signalera cruellement lorsque Maggie tentera de remettre de l’ordre dans son existence. La société ne lui pardonne pas ses erreurs passée et s’appuie sur celles-ci pour la priver du bonheur.  On assistera ainsi par deux fois  à l’enlèvement des nourrissons du couple de manière physiquement et psychologiquement très éprouvante, se déroulant à la maternité même. Les tribunaux où vont se défendre Maggie et Jorge sont des lieux de stigmatisation et d’oppression où leur mode de vie est scruté et jugé.

Le caractère indompté de Maggie (Crissy Rock à fleur de peau est époustouflante) de Maggie la rend face à cette injustice incapable de s’adapter, de jouer le jeu du système pour parvenir à ses fins.  On le constatera lors de l’accueil agressif réservé à l’assistance sociale à chacune de ses visites. Maggie face à ses désillusions ne devient qu’un bloc de haine et de désespoir, tout comme Jorge découvrant l’injustice au sein de cette terre promise étrangère. Loach fait perdre à leur appartement sa dimension apaisante en en faisant un lieu de repli narcissique et de renoncement. Il perd aussi portée intime avec l’intrusion à tout moment de la police ou des assistantes sociales. 

La conclusion s’avère terrible et paradoxale. On quitte Maggie après un nouvel et insoutenable enlèvement de son bébé tandis qu’un carton nous indique qu’elle et Jorge ont finalement pu enfin fonder une famille mais qu’ils n’ont jamais revus leurs aînés. Loin d’être une facilité (inspiré d’une histoire vraie l’issue fut effectivement de cet ordre) ce paradoxe exprime parfaitement le propos de Ken Loach. Contrairement à nombre de ses films, le réalisateur ne s’attaque pas à l’inefficacité des structures sociales. Leur action est nécessaire et logique mais ne fonctionne que sur une logique de privation, de punition ne tient compte que des faits au détriment de l’individu. Maggie ne sera qu’un pion, qu’une affaire de plus à résoudre pour une entité froide et austère oubliant l’humain et ne la mettant jamais en position de s’en sortir. Comme dans Carla’s Song (vrai film jumeau de ce Ladybird) le poids du passé s’avère insurmontable et empêche les héros d’avancer.

Sorti en dvd zone 2 français chez Diaphana

mercredi 20 mars 2013

Les maraudeurs attaquent - Merrill's Marauders, Samuel Fuller (1962)


Durant la Seconde Guerre mondiale, en 1944, le général Joseph Stilwell ordonne le déploiement en Birmanie des unités américaines de volontaires destinées à vaincre la résistance de l'armée impériale japonaise. Parmi elles se trouve l’Unité Galahad (5307), commandée par le général Frank Merrill, et surnommée "Les Maraudeurs de Merrill". L'unité, dont le rôle est d'appuyer la Force X progresse difficilement dans la jungle birmane, d'un point d'attaque à l'autre, et ses hommes vite épuisés par des marches forcées et des attaques contre des forces mieux équipées. Le général Merrill souffre lui-même de problèmes cardiaques, mais le cache à ses hommes et les exhorte à poursuivre l'avancée.

En 1945, Raoul Walsh réalisait un chef d'œuvre du film de guerre avec son Aventures en Birmanie, évocation captivante de campagne de Birmanie. Le film valait surtout pour ses formidables qualités formelles avec sa jungle filmée avec une rare puissance par Walsh (et modèle de futurs classique comme le Predator de McTiernan), son aura menaçante créé par ses ennemis japonais invisibles et la hargne de ses affrontements. Cela n'en restait pas moins un film de propagande, va-t’en guerre et à la gloire des Etats-Unis où à part la star Errol Flynn les soldats en étaient réduit à des archétypes et des silhouettes (en plus de fausser la réalité en montrant une unité américaine seulement alors que cette campagne fut surtout menée par les armées indiennes, chinoise et britanniques). Dix-sept ans plus tard, Fuller en réalise donc une sorte de pendant plus humain, ce qui est finalement normal puisque le réalisateur fut soldat durant cette guerre en Europe et Afrique du Nord.

Ce réalisme est renforcé par le fait de traiter de la vraie l' Unité Galahad dite des "Maraudeurs de Merrill" qui se montra héroïque durant cette campagne birmane. Les combats sont ici rares et constituent l'aboutissement de l'endurance et du courage de ses soldats. Les vrais ennemis sont la jungle, l'humidité, la chaleur et les diverses maladies tropicales qui amènent des troupes considérablement diminuées sur le front. Fuller nous dépeint cette communautés avec brio et concision, esquissant les personnalités de chacun et nous les rendant attachant immédiatement, que ce soit ce japonais fier de combattre au côté des américains (belle scène où il se révolte lorsqu'on évoque sa tenue négligée), cet autre ayant reporté son affection sur sa mule Eleanor.

Au centre du récit on a surtout la relation père/fils entre le général Frank Merrill (Jeff Chandler dans son dernier rôle) et le lieutenant Stockton (Ty Hardin). Tous deux très attachés à leurs hommes ils se différencient pourtant par leur sens du sacrifice. Stockton fraîchement promu est marqué dans sa chair à la perte de chacun de ses soldats (la scène où il n'arrive pas à rédiger des lettres de condoléances) quand Merrill en chef pragmatique parvient à mettre ses sentiments de côté pour un sens du sacrifice marqués, surtout pour lui-même comme on le découvrira.

Ce sacrifice conduira l'unité à renoncer à la rotation promise de longue date pour une ultime mission désespérée où ils devront traverser jungle, colline et désert pour aller s'emparer d'une base japonaise. C'est un long chemin de croix où l'on verra les soldats succomber plus aisément à ce terrible voyage qu'aux balles même si le danger peut toujours surgir à tout moment avec les bombardements des avions ennemis. Le conflit moral est très intense entre les deux héros et Jeff Chandler est formidable en mêlant brillamment détermination guerrière et réelle compassion. Ty Hardin déploie un sacré charisme aussi et il est bien dommage que l'on ne l'ait guère vu dans d'autres rôles majeurs par la suit il en avait l'envergure.

Fuller filme cela dans un scope de toute beauté, mettant en valeur les paysages sauvages brûlés par le soleil tout en restant au plus près de ces soldats. Le film constitue d'ailleurs une forme de premier aboutissement (avant le définitif The Big Red One en 1980) de sa manière d'illustrer la guerre et ses combattants avec nombres de situations et personnages évoquant ces précédentes incursion dans le genre comme J'ai vécu l'enfer de Corée (1951) ou Baïonnette au canon (1951). L'affrontement final en forme de brutal corps à corps face à un ennemi supérieur en nombre est donc une belle célébration du courage et de ses hommes puisant dans leurs dernières ressources pour survivre.

Les combats sont âpres et d'une violence saisissante, le générique figeant les survivants dans la légende l'armée en les montrant aller achever cette mission d'assaut plus morts que vifs, la voix-off nous narrant leur victoire contre tout attente. En se plaçant ainsi à hauteur d'homme, Fuller vante plus les soldats, leur courage et leur solidarité que les drapeaux et un quelconque patriotisme.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner


mardi 19 mars 2013

La Peur au ventre - Running Scared, Wayne Kramer (2006)


Jusqu'à présent, Joey avait toujours réussi à jongler entre son job secret au service de la mafia italienne et son rôle de père de famille. Mais cette fois, le pire est arrivé. Le meilleur ami de son jeune fils lui a dérobé une arme qu'il cachait dans sa cave. Au-delà du danger, ce revolver est aussi une pièce à conviction impliquant les patrons de Joey dans un assassinat explosif. Le gamin qui l'a pris semble décidé à s'en servir contre son beau-père, un névrotique appartenant à la mafia russe, qui aurait tout intérêt à ce que cette preuve tombe entre les mains de la police.

Auteur d'un Lady Chance sympathique mais plutôt sobre en guise de premier film, Wayne Kramer surprenait son monde avec ce second essai qui constitue un des polars les plus fous sortis ces dernières années. La surenchère du règlement de compte d'ouverture donne le ton, avec un gunfight sanglant filmé avec frénésie et un festival d'effet tapageurs par le réalisateur. La Peur au ventre est une sorte de mélange improbable entre le polar urbain nerveux et le conte moderne oppressant (toute proportion gardée) lorgnant sur La Nuit du Chasseur avec son héros enfantin confronté à la l'horreur.

Un film comme Le Point de non-retour tirait son esthétique vers une tonalité psychédélique et une intrigue allant vers l'abstraction et l'expérimental, c'est une démarche voisine qu'emprunte en quelque sorte à sa façon destroy Wayne Kramer pour s'éloigner de tout réalisme. L'intrigue est simple : d'un côté Joey un homme de main de la mafia (Paul Walker) se voit confier l'arme d'un règlement de compte et les dissimule chez lui mais celles-ci sont dérobées par le meilleur ami de son fils et gamin à problème Oleg (Cameron Bright) qui va bientôt en faire usage sur son beau-père qui le brutalise. S'ensuit une folle course poursuite entre Joey devant retrouver l'arme avant la police, ses acolytes et la mafia russe et Oleg livré à lui-même face aux dangers de la ville.

L'ambiance essentiellement nocturne tire donc vers le conte avec un Oleg faisant office de Petit Chaperon Rouge ou d'Hansel et Gretel et à la place du grand méchant loup et autres créatures fantastiques se dressent sur sa route dealers, proxénètes (et la bonne fée un prostituée) et pire encore que Kramer entoure d'une aura surnaturelle et démoniaque en adoptant le point de vue apeuré de l'enfant. La photographie baroque mêlant couleurs outrancières à des ombres menaçantes fait de l'espace urbain une forêt aux mille dangers.

La force du film est le jusqu'auboutisme adopté par Kramer qui avec sa mise en scène hallucinée nous plonge en plein cauchemar et ne recule devant aucun excès, nous guidant de surprises en surprises. Le moment le plus saisissant et discutable reste celui où Oleg se trouve aux mains d'un couple de pervers à la demeure façon parc d'attraction en forme de piège bariolé et où Kramer tire ouvertement vers le fantastique avec les ombres du couple espionnant le héros se transformant en démons derrière les vitres.

Paul Walker loin de ses rôles de Fast and Furious exploite enfin le vrai charisme qu'il possède et étonnamment au vu de l'excès ambiant montre une vraie sensibilité à travers sa relation à son épouse jouée par une excellente Vera Farmiga (qui aura droit aussi à sa rencontre avec le mal absolu au cours de cette folle nuit) et où on retrouve le gout de Wayne Kramer pour les scènes de sexe assez crues.

La surenchère est la plus grande qualité mais aussi le petit défaut du film. Après un climax dantesque dans une patinoire phosphorescente où Paul Walker est tabassé à coup de palet de hockey, une révélation et un ultime rebondissement de trop en rajoute quelque peu inutilement même si apportant certaines explications. Néanmoins un sacré voyage (dont le somptueux générique de fin dessiné confirme le lien au conte) et il est dommage que l’on n’ait pas eu de nouvelle de Wayne Kramer depuis hormis un très bon (et une nouvelle fois très différent et ancré dans le réel cette fois) Droit de passage en 2009.

 Sorti en dvd zone 2 français chez Metropolitan


lundi 18 mars 2013

Le Droit d'aimer - My Reputation, Curtis Bernhardt (1946)

En 1946, aux États-Unis. Une jeune veuve est partagée entre son amour pour un séduisant militaire et la peur du scandale.

Un beau mélodrame qui annonce en tout point le fameux Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk (1955). Il y est déjà question de l'enfermement moral au cœur d'une Amérique provinciale où une femme va défier les conventions bien malgré elle. Jessica Drummond (Barbara Stanwyck) est une jeune veuve que la perte récente de son époux plonge dans un grand désarroi, autant par la douleur de l'absence que par le constat qui en découle sur sa situation personnelle. D'abord soumise à l'autorité d'une mère (Lucile Watson) à cheval sur les conventions puis mariée et mère très jeune, Jessica n'a jamais réellement vécu pour elle ni suivie ses désirs profonds.

 Aujourd'hui avec son mari disparu et ses fils partis en pension, elle doit faire face au grand vide que constitue sa vie. Barbara Stanwyck, fragile et à fleur de peau offre une touchante prestation en femme esseulée se rendant soudain compte de sa dépendance aux autres, de sa vulnérabilité dans cette vie sans but. 

La mise en scène de Curtis Bernhardt et le scénario isole constamment Barbara Stanwyck, les situations les plus anodines renforçant sa détresse tel ce pique-nique en famille annulé par une sortie des enfants avec leurs amis concluant la scène une plongée sur la silhouette de Jessica seule face à cette grande maison vide (on pense aussi à sa première apparition son visage illuminé dans l'obscurité de sa chambre soulignant déjà l'expression de sa solitude). Le monde qui l'entoure s'avère terriblement oppressant avec les commérages constants animant la communauté au moindre geste de chacun et la montre proie des maris infidèles en quête d'aventure.

 Quelques pistes sont lancées sur une rébellion possible de l'héroïne face à cet environnement avec ses conflits constant avec sa mère, veuve nichée dans sa tour d'ivoire conformiste qu'elle souhaiterait voir rejoindre sa fille trop passionnée à son gout. Le salut viendra bien sûr d'un homme dont l'amour saura la libérer de ces entraves. Si Bernhardt ne verse pas dans l'archétype de Tout ce que le ciel permet qui faisait du sauveur un homme des bois massif incarné par Rock Hudson, George Brent gouailleur, viril et protecteur incarne un esprit indépendant totalement opposé à la personnalité timorée de Jessica et à la société guindée qu'elle fréquente. 

Les scènes entre eux sont chargées d'une sensualité et symbolique marquée. Barbara Stanwick s'agrippe à George Brent la ramenant en ski à son chalet lors de leur première rencontre comme pour signifier ce soutien dont elle a besoin pour échapper à son monde mais chute en essayant de rattraper son chapeau envolé, celui-ci exprimant encore les peurs et réticence à vivre sa vie. Barbara Stanwyck qui lascive et sensuelle nous faisait tourner la tête avec un bracelet à la cheville deux ans plus tôt dans Assurance sur la mort propose une performance brillamment inversée et tout aussi troublante, de plus en plus féminine et sensuelle a son insu au contact de Brent (l'abandon des coiffures stricts pour ses cheveux lâché la mettant en valeur n'intervenant qu'a partir de leur rencontre). 

Il faut la voir ici reculer pour mieux sauter face aux assauts de George Brent dont une scène où l'émoi se dispute à la gêne quand il la caresse longuement tandis qu'elle est recroquevillée sur son canapé dans la solitude d'une chambre d'hôtel. Audacieux titillement du Code Hays d'autant que même si cela reste sous-jacent on devine dans la dernière partie une Jessica libérée prête à coucher avec son amant hors de la sacro sainte institution du mariage.

Il est également question d'opposition de classe dans cette échappée, George Brent avec ses manières rudes et son franc parlé n'ayant rien à voir avec cette bourgeoisie provinciale hypocrite. C'est là que réside les réticences des "amies" de Jessica et de sa mère qui par contre ne voit aucun mal à voir l'héroïne refaire sa vie avec l'ancien comptable de son époux, guindé, coincé et copie conforme des hommes de leur sphère. A nouveau on retrouve en moins extrêmes les conflits qui seront au cœur de Tout ce que le ciel permet lorsque Jane Wyman sera poussé dans les bras d'un croulant à la sexualité moins agressive que le charpenté Rock Hudson. Dernier point commun, le poids de la rumeur qui atteint les enfants et éveille leur intolérance en les montrant incapables d'accepter de voir leur mère refaire sa vie. 

Le constat est moins désespéré ici par la jeunesse des enfants, rendant leur réaction compréhensible (à l'opposé des jeunes adultes détestable qu'on verra chez Sirk) et donnera l'occasion à Barbara Stanwick de se montrer à nouveau bouleversante dans une scène de confession impudique magnifique. Globalement Sirk tire constamment son propos vers la tragédie et l'amertume sous la flamboyance des images quand dans son film précurseur Bernhardt maintien constamment une lueur d'espoir à l'image de la belle conclusion. Un grand et beau mélodrame hollywoodien et un des plus beaux rôles de la grande Barbara Stanwyck.

Sorti en dvd zone 1 chez Warner, le disque est multizone et sous-titré français

Extrait

dimanche 17 mars 2013

Les Dix Commandements - The Ten Commandments, Cecil B. DeMille (1923)


Dans sa première partie, le film raconte l'épisode biblique de la captivité des Hébreux en Égypte à l)'époque du pharaon Ramsès II (Charles de Rochefort), leur exode vers la Terre Promise, la traversée de la Mer Rouge, Moïse (Theodore Roberts) recevant les tables des Dix Commandements.
La seconde partie se situe dans les années 1920. Elle relate l'histoire des deux fils d'une femme bigote (Edythe Chapman), l'un mauvais garçon (Rod La Roque), l'autre sérieux (Richard Dix), qui convoitent tous deux la même jeune femme.

Si l’on ne retient aujourd’hui de Cecil B. DeMille que l’image du réalisateur de monumentales fresques religieuses, il n’en fut pas toujours ainsi. Sa première incursion dans le gigantisme fut un échec commercial avec son Jeanne d’Arc réalisé en 1917. DeMille rencontre ses premiers succès au début des années 20 avec des comédies de mœurs caustiques et irrévérencieuses annonçant la screwball comedy des années 30 et dont l’audace est à peine atténuée par la morale finale comme Le Détour (1922) ou Le Réquisitoire (1922). 

Le DeMille pieux et adepte du gigantisme nait donc réellement avec Les Dix Commandements,  première version muette de l'épopée biblique qu’il remakera en 1956 dans son film le plus célèbre. Bien différente de la seconde version essentiellement consacré au destin de Moïse, DeMille adopte ici une construction à la manière de Griffith dans Intolérance (1916) qui superpose les époques. La partie péplum constitue en fait un long prologue de 48 minutes avant d'embrayer sur un récit contemporain où après avoir assisté à leur édification pleine de bruits et de fureur on verra la difficile application de ses des Dix Commandements à l'ère moderne.

Dans un premier temps on assiste donc à l'histoire bien connue de Moïse dans un format plus resserré que la version de 56 à laquelle il fallait presque 4 heures pour tout raconter.  Les situations défilent trop vite, on s'attache peu aux personnages qui ne dépasse jamais leur archétype biblique (notamment le Moïse très théâtral incarné par Theodore Roberts) et l’ensemble constitue surtout un beau livre d'images où DeMille étale sa foi avec quasiment tous les intertitres étant issus du livre de l'Exode. 

Cependant on en prend plein les yeux et niveau gigantisme cette version n'a rien à envier à celle de 56 avec ses palais égyptien monumentaux, les figurants à pertes de vue et les fameux morceaux de bravoures que sont la traversée de la mer rouge (effets spéciaux épatants pour l'époque) ou l'écriture des tables de la loi, le tout débordants d'idées. 

Le côté sadique et libidineux de DeMille fonctionne à plein aussi entre les châtiments infligés aux israélites et surtout la scène du veau d'or tout aussi gratinée dans les deux versions avec orgies, beuveries et ambiance païenne offrant de saisissant tableaux. C'est aussi le seul moment où DeMille s'écarte du texte biblique en forçant le trait et infligeant la lèpre à une des pècheresses, fait qui se répercutera dans la partie moderne.

 On passe ensuite à la partie moderne avec la rivalité entre deux frères faisant un parallèle avec Moïse et Ramsès. L'un est un athée bien décidé à transgresser tous les commandements pour faire fortune tandis que l'autre pieux et réfléchi en reste à sa modeste condition. C’est  un moment de cinéma assez étonnant, le ridicule le plus désopilant côtoyant de pur moment de grâce. 

La mère des deux frères, vraie grenouille de bénitier sortant sa bible énorme et assénant les commandements à tout bout de champs amène pas mal de situations comiques illustrant le talent de DeMille dans la comédie à l'époque et le montrant capable de second degré en dépit de sa réputation. Les personnages sont bien plus intéressants avec ces deux frères se disputant l'amour d'une femme et lorsque la tragédie surgit à cause de la cupidité Dan (Rod La Rocque) le non croyant, l'émotion fonctionne vraiment,  pure et intense.

Si DeMille parvient enfin à nous impliquer émotionnellement dans cet épisode moderne, il a par contre la main bien lourde dans la diatribe religieuse. La lente et interminable déchéance de John où lui est rappelé chaque commandements qu'il a enfreint tout au long du film est des plus pénibles, provoquant presque l'effet inverse puisque même dans ces errements le personnages a au moins suivi une voie individuelle et autonome. Malgré l’indéniable puissance visuelle, on peut donc préférer la seconde version qui  sans être moins pieuse savait y mêler une dimension épique et grandiose parlant à tous. Il semble d’ailleurs que DeMille ait retenu la leçon après cette première tentative puisque toutes ses futures fresques religieuses sauront apporter un piquant supplémentaire bienvenu que ce soit la luxure Pré-code du Signe de la croix (mais aussi Cléopâtre - 1934) ou l’histoire d’amour de Samson et Dalila (1949).

Sorti en dvd zone 2 français et bluray en édition collector comprenant également la version de 1956.

samedi 16 mars 2013

Les Amants du cercle polaire - Los amantes del círculo polar, Julio Medem (1998)


Otto et Ana se connaissent depuis leur plus tendre enfance. Ils s’en remettent au hasard pour se retrouver au cercle polaire en Laponie étant adultes.

Poétique, envoutant et rêveur, Julio Medem signe un vrai bijou romantique avec Les Amants du cercle polaire. Ses thèmes sur l'amour, la destinée et le hasard n'ont jamais été plus prononcés que dans l'intrigue flottante de ce film. La scène de rencontre des deux héros annonce déjà la symbolique au cœur du récit. Otto et Ana se connaissent depuis l'enfance, leur route s'étant croisée avant même qu'ils connaissent l'identité l'un de l'autre. Voulant rattraper un ballon échappé à la sortie de l'école, Otto cavale après et se retrouve à partager la course d'Ana qui s'écroule bientôt devant lui. Ils ne partageront là qu'un regard intense mais leur destin se trouve dès lors liés. Ils ne couraient pas dans la même direction pour la même raison, lui pour rattraper un ballon, elle pour fuir son chagrin et celui de sa mère suite à la mort de son père. Après cette rencontre leur vie va suivre une ligne commune, un cercle qui malgré les aléas de la vie et les épreuves va les amener à se retrouver constamment jusqu'à un final improbable en Laponie.

Medem fait de cet élément le moteur de sa narration où l'on suivra le point de vue d'Otto et Ana sur les même évènements (le ton adoptant leur personnalités, tourmenté et passionné Otto, doux et rêveur pour le point de vue d'Ana) puis lorsqu'ils seront éloignés physique sur une même période de leur existence commune de tout manière constamment amenée à se rejoindre. Une magie s'instaure alors dans cet amour naissant avec des retrouvailles attendues mais toujours surprenante pour les protagonistes et le spectateur, donnant quelques-unes des plus belles scènes du film. On pense à ce moment où enfant, Otto attends Ana à la sortie de l'école pour lui déclarer sa flamme, qu'elle n'arrive pas et que dépité en pénétrant dans la voiture de son père il la découvre installée là, l'attendant et souriante.

Autre moment somptueux, Otto se rendant de nuit dans la chambre d'Ana suite à son invitation, dépité de la trouver endormie retourne dans la sienne et la trouve l'attendant dans son lit, le tout filmé avec une grâce inouïe par Medem. Avec peu de mots le réalisateur tisse la complicité et le monde intérieur de ces amoureux, l'extérieur n'existant pas (tout ce qui est lié à leur vie personnelle/professionnelle sorti de leur relation est traité en ellipse) où se pliant à eux tel la relation amoureuse entre leur parent lorsqu'ils sont enfants. Le montage tout en restant relativement linéaire multiplie les inserts passés et futurs, réels ou fantasmés ainsi que les symboles et détails étrange mais qui trouveront leur explications au moment opportun. Les allusions à cet éternel recommencement sont contenus jusque dans les prénoms des protagonistes formant un palindrome puisque se répétant même tournés à l'envers.

Le film est incroyablement riche dans les thèmes explorés. L'ensemble est autant ancré dans le réel que le fantasme dans les bonheur et traumas de ses héros. On aborde ainsi quasiment le conte, le deuil et la séparation se mêle à l'œdipe (Ana et Otto comblant ensemble la perte et/ou l'absence d'un de leur parents) avec un soupçon de trouble coupable puisque les héros élevés comme frères et sœurs se dissimulent pour assouvir leur passion.

Il y a du Douglas Sirk dans la manière qu'à Medem de faire surgir la puissance mélodramatique de façon improbable (Otto qui devient pilote d'avion avec la facilité d'un Rock Hudson médecin dans Le Secret Magnifique, le saut en parachute, l'apparition d'un cerf façon Tout ce que le ciel permet) sans jamais tomber dans le ridicule, on est dans l'onirisme le plus prononcé où les évènements défilent comme dans un rêve seul importe les prochaines retrouvailles.

Après avoir été les jouets du hasard et du destin tout au long du récit, nos amants vont tester leur amour en provoquant ce destin à leur tour pour une rencontre impossible au cercle polaire en Laponie. Là encore le lieu n'est pas innocent puisque cela arrive au moment où inversement à la nuit polaire où l'obscurité est continue en hiver, la rencontre se fera en été où le soleil et les journées sont continus et formant donc un cercle à la manière de l'amour éternel d’Otto et Ana. Julio Medem immortalise cela avec un terrible rebondissement final et une idée de cinéma sublime qui fige cette romance de la plus belle des façons. Grand mélo contemporain.


Sorti en dvd zone 2 français chez Studio Canal