Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 19 avril 2013

Predator - John McTiernan (1987)



Parti à la recherche d'une équipe de conseillers militaires américains dans la forêt équatorienne, un commando de mercenaires dirigé par Dutch Schaefer est attaqué par un ennemi invisible et indestructible.

John McTiernan signe son premier classique avec cette grandiose relecture des Chasses du Comte Zaroff. Le chasseur vient cette fois d’un autre monde traquer la proie la plus dangereuse de la galaxie, l’Homme. Un peu à la manière du Aliens (1986) de James Cameron où les fanfaronnades des militaires étaient éteintes par les assauts imprévisible des aliens, McTiernan procède ici par étape. Le début est presque un cliché du film de commando ici hypertrophié à l’aune de l’actionner bourrin des 80’s. 

Muscles saillants, armes à feu (le petit pépère) et poignards aux proportions démesurées symbolisant la toute-puissance sexuelle de ces soldats caractérisés comme des demi-dieux, le réalisateur y va fort. Les aléas même du tournage servent cette vision avec une première scène d’action efficace mais grotesque (car signé par la 2e équipe dont le réalisateur officiait surtout sur des séries comme L’Agence tous risques) où notre équipe de sauvetage prend l’assaut d’un village.

L’évolution des individus et leur imprégnation dans leur environnement est au cœur de l’œuvre de McTiernan et s’exprime déjà brillamment dans ce second film (après le méconnu Nomads). Schwarzenegger et ses acolytes semblent tout d’abord dominer cette jungle touffue du haut de leurs carrures démesurée, rompus qu’ils sont à ces missions à haut risque et les acteurs étant particulièrement crédibles dans les manœuvres militaires après un entraînement intensif. Les rares moments où ils semblent finalement dominés par la jungle et vulnérables, c’est à travers le regard infra-rouge et omniscient du Predator, seul être plus féroces qu’eux en ces lieux.

McTiernan inverse donc progressivement le rapport à cette jungle pour le commando, peu à peu chétif et exposés par la menace sourde et inconnue du Predator. Les mastodontes sont mis à mal et rongés par le doute et la peur (rendant d’autant plus forte le contraste avec l’introduction où ils font figures de brutes épaisses) et les assauts chirurgicaux du Predator dégage un mystère et une précision fascinante notamment par l’usage de son arme de camouflage. McTiernan l’introduit subtilement, vision subjective étrange en infra-rouge où il « étudie » ses proies, silhouette furtive puis imposante au look sauvage et véloce (dû à Stan Winston et officieusement à James Cameron qui dépanna son ami après un premier design catastrophique qui fit interrompre le tournage). 

Trop faible, trop soumis à ses émotions et ses armes, l’Homme ne peut que chuter face aux assauts du chasseur glacial qu’est le Predator et ce qui faisait figure de démonstration de force dans la première partie devient alors de terribles aveux d’impuissance avec ce vidage de mitrailleuse rasant un pan entier de jungle. Les morts sont brutales, sanglantes et rituelles, le Predator arborant tel des trophées les organes de ses victimes. 

McTiernan atteint la quintessence de son art dans la dernière partie quasiment muette. La conquête de cet espace sauvage va se jouer entre le dernier des hommes et le Predator. Arnold Schwarzenegger conscient de ses limites dramatiques aura toujours su choisir intelligemment ses rôles en incarnant des forces de la nature, humaine (Conan le barbare), robotique (Terminator) ou imaginaire (Last Action Hero) mais servant toujours une imagerie de surhomme propre aux exploits les plus démesurés. 

Cela n’a jamais été plus vrai que dans Predator où toute cette masse physique impressionne tout en semblant chétive face à la présence indestructible du Predator. Pour reprendre possession de la jungle, il doit oublier tout ce qu’il sait pour régresser à l’état sauvage où seuls ses instincts guident ses actions. La musique martiale et tribale d’Alan Silvestri accompagne donc cette transformation filmée par un McTiernan en état de grâce, pour se conclure par un Schwarzenegger enduit de boue, les yeux fous et qui lâche un hurlement de défi à l’adresse de son adversaire. Ce cri n’a plus rien d’humain, c’est celui d’une bête, d’un homme revenu à l’âge de Neandertal.

La forêt perd toute topographie réaliste pour devenir un espace mythologique où s’affronte deux titans. Le combat impressionne et est truffé de rebondissement, la machine froide qu’est le Predator reconnaissant la valeur de son ennemi en abandonnant les armes pour le combattre à main nues et à visage découvert (ce qui occasionnera une réplique mémorable de Schwarzenegger). Sur le papier, un film d’action gros bras mâtiné de fantastique totalement transcendé par l’inspiration de son réalisateur qui signe là un très grand film. 

Sorti en dvd zone 2 français et en bluray chez Fox

 

jeudi 18 avril 2013

La Vie sans principe - Dyut meng gam, Johnnie To (2011)


Teresa, employée de banque ordinaire, incite ses clients à faire des investissements risqués pour remplir ses objectifs financiers.
Panther, escroc à la petite semaine, plonge dans le monde de la spéculation boursière dans l’espoir de gagner facilement de l'argent pour payer la caution d’un de ses amis qui rencontre quelques soucis avec la justice.
Enfin, l’inspecteur Cheung est un flic honnête. Jusque-là satisfait de son modeste train de vie, il a tout à coup un besoin d’argent criant lorsque sa femme verse un acompte pour acheter un appartement luxueux au-dessus de leurs moyens.Trois vies bouleversées par le monde turbulent de Hong Kong, en plein marasme économique et financier. 


 La Vie sans principe de Johnnie To nous arrive trois ans après le mitigé Vengeance, même si le réalisateur hongkongais a entre temps signé la comédie sentimentale Don't Go Breaking My Heart. C’est surtout comme auteur de polar que le réalisateur est reconnu en France quand bien même son registre est un rien plus varié. Par son thème, son ambiance et sa mise en scène épurée, le film effectue une sorte de retour au réel pour Johnnie To. Après trois réussites majeures (le diptyque Election et le désenchanté Exilé) et n’ayant plus à faire ses preuves dans le polar, Johnnie To avait joyeusement papillonné dans des œuvres plus décalées et inattendues. Pour le meilleur, cela donna le déroutant thriller Mad Detective et le virtuose Sparrow lorgnant sur Les Parapluies de Cherbourg. Malgré des fulgurances brillantes, Vengeance s’avérait par contre assez décevant, la mise en scène inspirée ne rattrapant pas un script faiblard (et le registre limité de notre Johnny national qui remplaçait Alain Delon).

Avec son récit de destins croisés liés à la crise économique, La Vie sans principe ramène donc Johnnie To à des préoccupations plus réalistes où on pense autant au polar qu’au film choral façon Robert Altman. La crise revêtira des visages bien différents à travers les mésaventures de Teresa (Denise Ho), employée de banque contrainte de pousser ses clients à des investissements risqués, Panther (Lau Ching Wan), gangster de bas étage lancé malgré lui dans la spéculation boursière, et Cheung (Richie Jen), inspecteur dont l’épouse le pousse à l’achat d’un appartement pour lequel ils n’ont pas les moyens. To déroule alors son brio de narrateur et l’acuité de son regard pour lier ses trois personnages et dépeindre le contexte qui va les mener à leur perte.

L’approche visuelle s’adapte à l’environnement de chacun. Le minimalisme est de rigueur pour le glacial monde de la banque entre la photo métallique, le montage mécanique et la mise en scène épurée où l’humain ne surgit qu’à travers le visage angoissé de Teresa, contrainte aux pires bassesses pour faire du chiffre. Le gangstérisme à la petite semaine de Panther s’orne lui d’un style plus saccadé, à l’image de l’inconsistance du personnage quand l’épisode avec le policier plus en retrait colle plus aux visages de ses protagonistes (la séquence dans l’ascenseur) et à leur états d’âmes face à leur environnement.

Le portrait dressé par Johnnie To est à la fois global dans les dérives conduisant au drame au cours de l’intrigue bancaire, mais également profondément rattaché à Hong Kong (To étant toujours aussi doué pour capturer l'urbanité froide de la péninsule) dans le versant mafieux de l’impact de cette crise. Le truculent et inquiétant usurier surbooké, le nouveau riche qui voit ses spéculations tourner courts et les situations violentes qui découlent de ces figures ramènent ces évènements mondiaux à un terrible impact local où le réalisateur dresse un constat féroce tout en s’amusant sur son terrain de jeu habituel, celui du polar.

Johnnie To ne s’est cependant pas soudainement transformé en Oliver Stone, et l’imbrication parfois un brin mécanique des différentes intrigues limite tout de même l’impact du propos. On est plus ici dans le registre de la fable moderne : en témoigne une surprenante chute positive. Sans être un grand cru, La Vie sans principe est donc un To tout à fait digne d’intérêt.

Sortie en salle française l'an passé mais toujours inédit en dvd donc se tourner vers le dvd hongkongais sous-titré anglais.

mardi 16 avril 2013

Boxcar Bertha - Martin Scorsese (1972)


Le père de Bertha Thompson, pressé par son employeur de terminer son travail, meurt sous ses yeux. Depuis cet incident, elle voyage dans des wagons à bestiaux, sillonnant l'Amérique de la Grande dépression. Elle rencontre un jeune syndicaliste qui tente d'entraîner les cheminots à la grève puis un joueur qui porte un revolver. Elle les suit dans leurs aventures.

Le succès du Bonnie and Clyde d'Arthur Penn en 1967 aura engendré un véritable revival du film de gangster rétro et les années suivantes voient le genre largement revisité dans notamment le mémorable Pas d'orchidées pour Miss Blandish de Robert Aldrich, Dillinger de John Milius ou du côté du cinéma d'exploitation Capone de John Carver produit par Roger Corman. C'est ce même Corman flairant toujours les filons en vogue qui confiera à Martin Scorsese ce Boxcar Bertha qui constituera son vrai premier film après Who's That Knocking at My Door qui malgré ses qualités demeure une extension d'un film étudiant en long-métrage. Le film adapte (très librement) Sister of the Road de Ben Reitman, autobiographie imaginaire de la tout aussi fictive femme gangster Bertha Thomson.

Boxcar Bertha par ainsi d'une base similaire à Bonnie and Clyde, biopic + version romancée et adolescente d'une odyssée criminelle. La nature purement fictive du matériau de base permet cependant à Scorsese de délivrer un film plus libre que Penn qui malgré ses audaces se soumettait néanmoins un minimum à la chronologie des évènements même si totalement réinterprétés. Scorsese comme Penn adapte complètement sa forme au point de vue candide et adolescent de son héroïne. Ne manque que les bootleggers sinon c'est un paysage quasiment fantasmé de la Grande Dépression que Scorsese nous dépeint en allant au plus simple même si véridique : patrons impitoyables adeptes de la brisure de grève musclée, gauchiste vindicatif et idéalistes, hobos adeptes du transport clandestins sur les chemins de fer...

Le film fonctionne plus par saynètes que sur une vraie construction dramatique où Bertha (Barbara Hershey) se laisse porter au gré des évènements et rencontres pour devenir membres d'un gang avec ses compagnons tout aussi peu expérimenté Big Bill Shelly (David Carradine) syndicaliste détourné de sa voie, l'arnaqueur Rake Brown (Barry Primus) ou le protecteur Von (Bernie Casey). Chacun symbolise une frange écrasée par le système, Bertha perdant son père en ouverture à cause d'un patron tyrannique, Bill étant corrigé par les gros bras de ces mêmes patrons et Von victime du racisme ordinaire de l'époque. Tous vont ainsi s'unir face aux puissants qui leurs ont tant pris.

Les transitions et les ellipses surprennent, répondant autant à l'économie de moyens (reconstitution honnête mais en restant à un cadre rural) que toujours par cette volonté de retranscrire par l'image cette sensation d'insouciance et de liberté de Bertha. Barbara Hershey est très attachante en femme enfant découvrant peu à peu son attrait et Scorsese lui offre de jolies scènes tendre avec David Carradine telle leur première étreinte tout en douceur. Ce sont des enfants sur lesquels la criminalité tombe comme par accident et qui d'ailleurs s'y adonnent comme à un jeu (Bertha s'amusant à faire se lever et s'asseoir deux hommes de mains armée de son pistolet) même si quelques scrupules rongent Bill.

Scorsese usera des même motifs la dimension enfantine en moins pour exprimer le sentiment de toute-puissance de Johnny Boy dans Means Streets où les truands chevronnés des Affranchis. Et comme pour eux la chute sera brutale pour Bertha et ses compagnons dans une dernière partie très sombres où le réalisateur laisse pointer le spleen le plus troublant (le regard perdu derrière les sourires de Bertha coincé en maison close) et les explosions de violences sanglantes dont il a le secret avec notamment une mort christique assez éprouvante. Des débordements d'hémoglobine qui signe la fin de la récréation et du temps de l'innocence dans un saisissant final. Sous la commande et les exigences du film d'exploitation, Scorsese pose déjà joliment sa marque.

Sortie en dvd zone 2 français chez MGM

lundi 15 avril 2013

Other Men’s Women - William A. Wellman (1931)


Bill et Jack sont deux ingénieurs ferroviaires. Les choses se gâtent dès lors que premier commence à éprouver de l'attirance pour la femme du second...

Other men’s women est une grande réussite Pré-Code qui plus que par les audaces morales auquel on associe le genre brille surtout par une pureté narrative et émotionnelle donnant un récit à la fois poignant, juste et à la concision parfaite. Bill White (Grant Withers) est un agent ferroviaire jovial et attachant auquel il ne manque qu'un environnement idéal pour laisser s'exprimer ses qualités.

En attendant, il court plutôt les filles de mauvaises vies et accumule les dérapages alcoolisé dans une existence sans but sorti de son travail. Après l'écart de trop il est expulsé de sa résidence mais son ami et partenaire Jack Kulper (Regis Toomey) le récupère en le logeant chez lui. Là l'environnement paisible et surtout les attentions de Lily (Mary Astor) l'épouse de Jack en font enfin un autre homme mais au prix d'un désir coupable et de la mise en péril d'une belle amitié.

Wellman fige avec une belle cohérence les caractères de ses personnages, en fonctionnant constamment dans le contraste. La vision quasi documentaire du travail ferroviaire installe l'amitié solide entre Bill et Jack à travers leur complicité et la confiance mutuelle nécessaire à la synchronisation de leur tâche. Ils ne font qu'un alors que Bill sorti de ce cadre semble une âme perdue (la scène d'expulsion quelque peu alcoolisée et hilarante avec la logeuse bègue colérique), un enfant sans repère. Des repères qu'il va trouver dans le doux foyer tenu par Lily où tout évoque une pureté absente du monde extérieur.

La maison spacieuse toute blanche dans sa façade et ses intérieurs chaleureux s'oppose au bar de la gare encombré, les repas préparé avec amour par Lily sont bien plus appréciable que ceux quelconques dévorés en solitaire au comptoir. Et bien évidemment Lily est un pur pendant inversé de la vulgaire mais attachante Mary (Joan Blondell). Mary Astor mêle magnifiquement séduction et douceur qui font craquer dès sa première apparition où tout homme ne désirerait plus qu'être choyé par elle. C'est sa présence si douce qui permet à Wellman d'instaurer en quelques scènes à peine une inévitable tension érotique avec Bill qui n'a jamais connu tel quiétude.

L'adultère est amené avec une vraie retenue, aussi brièvement épanouissant que coupable aux regards des liens qu'a pris soin de tisser Wellman. Le drame s'instaure donc, ramenant chacun à une forme de statu quo qui ne peut plus être le même pour des raisons morales (Bill cédant à ses travers mais désormais rongé par la culpabilité), physique (Jack diminué) et en sentimentales avec Lily se sacrifiant au nom du devoir.

Le rebondissement final permettant de réunir les amants (et permettant de garder la morale sauve) parait facile sur le papier mais d'une telle force dans son spectaculaire accomplissement que l'on en oublie vite les ficelles tant la scène est touchante. L'épilogue use d'ailleurs d'une délicatesse et d'une finesse brillante pour contrebalancer, suspendant par un échange final des retrouvailles que l'on sait inévitable.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner dans leur collection Forbidden Hollywood consacré aux films Pre-Code 

dimanche 14 avril 2013

Une fille de province - The Country Girl, George Seaton (1954)


Un metteur en scène de Broadway tente de permettre à un chanteur-acteur, qui a sombré dans l'alcoolisme, de remonter sur scène.

Un beau mélo qui valut à Grace Kelly un Oscar au nez et à la barbe d'une Judy Garland favorite pour Un étoile est née et où l'on ne pourra qu'une fois de plus regretter qu'elle ait abandonné si tôt sa carrière d'actrice. Elle se place en fait à la hauteur de ses partenaires Bing Crosby et William Holden dans cette adaptation de la pièce éponyme de Clifford Odets qui explore avec une force rare les désespoirs et les doutes de l'artiste et son entourage.

On plonge ici dans le monde du théâtre où trois personnages vont se déchirer quelques semaines avant la première de la pièce sur laquelle ils travaillent. Bernie Dodd (William Holden) metteur en scène entièrement voué à son travail décide de donner sa chance à la star déchue Frank Elgin (Bing Crosby) mais ce dernier est encore rongé par l'alcoolisme et la perte d'estime personnelle. Ces tourments semblent être alimentés par sa jeune et dominatrice épouse Georgie (Grace Kelly) qui ne cesse de le dévaloriser.

George Seaton pousse loin ce tableau de départ avant de le faire imploser. Grace Kelly surprend ainsi dans un registre dénué de tout glamour, avec ses tenues strictes et ses airs pincés, son phrasé plouc et la dureté de ses traits et attitudes. Seaton la filme même tel un cerbère fantomatique (l'apparition dans la pénombre dans le théâtre) présent pour tourmenter son époux déjà bien mal en point et joué avec une fragilité bouleversante par Bing Crosby. Pourtant chaque artiste amène avec lui ses démons dans son expression et l'accomplissement naît de ce qu'il en fait, s'ils le paralysent ou le stimulent.

C'est la problématique de chaque personnage et également d'un remarquable William Holden voyant à travers Grace Kelly le reflet de son ex épouse n'ayant jamais su le comprendre, avant d'admettre qu'elle symbolise la dévotion à laquelle il n'eut jamais droit dans son mariage. Cela est amené avec une grande finesse lors des diverses et intense joutes verbales entre les deux personnages où la haine n'est jamais bien loin d'un désir brûlant.

L'histoire explore ainsi l'équilibre précaire amenant un Bing Crosby a enfin redevenir ce qu'il fut et exprime ainsi l'infantilisation de l'artiste face à son entourage, Grace Kelly jonglant entre maternage et dureté saisissante. Le couple formé avec Bing Crosby (qui ne fut pas que fiction durant le tournage) transpire le vécu et les rancœurs passées, mais aussi une flamme qu'on ne désespère pas de voir renaître.

L'amuseur Bing Crosby se met à nu comme jamais, faisant rejaillir par intermittence son génie musical (l'audition d'ouverture) mais sinon malmenant son image en faisant de sa jovialité un masque et un signe de sa lâcheté, le traumatisme d'un drame passé se mêlant à son déclin. Seaton ne fait pas pour autant de The Country Girl une ode au monde du spectacle et malgré de jolies scène de répétitions le rétablissement d'Elgin est escamoté alors que l'on n'avait rien perdu de sa déchéance.

Comme le souligne un dialogue, le plus important n'est pas qu'il redevienne l'artiste mais l'homme qu'il fut et dans une magnifique scène final le leitmotiv musical synonyme de séparation devient ici est bel instrument de réunion, et quel regard final débordant d'amour de Grace Kelly...

Sorti en dvd zone 2 français chez Paramount

vendredi 12 avril 2013

A Soldier's Story - Norman Jewison (1984)


En 1944, le capitaine Davenport est charge d'enquêter sur le meurtre du sergent Waters, un homme de couleur. Mais dans cette caserne ou règne une terrible ségrégation, il rencontre les pires difficultés pour mener à bien sa mission. Car Davenport est noir. Le trouble sera d'autant plus grand lorsqu'il découvrira l'étrange personnalité du sergent Waters.

Au croisement du polar, du film social et du récit militaire, A Soldier's Story est une des grandes réussites de Norman Jewison pour un projet qui lui tenait particulièrement à cœur. Le film adapte A Soldier's Play, pièce de Charles Fuller (également au scénario) récompensé du Prix Pulitzer en 1982. Le sujet controversé et le faible potentiel commercial de cette histoire vit les portes des studios se fermer sur Jewison qui finit par convaincre Columbia en échange d'un budget dérisoire de 5 millions et d'un salaire syndical. Le casting sera dominé par le fraîchement nominé aux Oscars (pour Ragtime) Howard E. Rollins Jr et on retrouvera en partie la distribution de la pièce lorsqu'elle fut jouée off-Broadway avec Adolph Caesar, William Allen Young et un Denzel Washington débutant qui crève déjà l'écran.

L'intrigue nous plonge dans la terrible ségrégation régnant au sein de l'armée américaine dans les années 40 et se déroule au sein d'une caserne réservistes de soldat afro-américain dans le sud des Etats-Unis. Le film s'ouvre sur l'assassinat du sergent Waters, officier noir dont la mort va raviver les tensions régnant entre soldats blancs racistes et noirs bien décidés à venger leur supérieur. Contre tout attente un officier noir, le capitaine Davenport (Howard E. Rollins Jr) est dépêché de Washington pour mener l'enquête et va se heurter à la méfiance des deux parties. A travers une narration en flashback remarquablement menée par Jewison, le manichéisme attendu se teinte d'une vraie ambiguïté avec le portrait peu reluisant se faisant progressivement du défunt. Le racisme, les discriminations et le mépris des blancs sont bien exposés, mais c'est plus ses conséquences sur l'attitude de la communauté noire qui intéresse ici Jewison.

Waters s'est élevé au sein de l'armée à la force du poignet en cherchant toujours à se montrer plus exigeant envers lui-même, s'affirmer aussi capable que les blancs et renforcer le statut de sa race. Cette intransigeance amène paradoxalement une forme de "racisme" envers ses congénères moins ambitieux, notamment le personnage de C.J. Memphis (Larry Riley) sorte de cliché du noir costaud, simple d'esprit et musicien inné. C'est bien sûr le point de vue de Waters dans ces retours en arrière qui amène cette vision biaisée (dont une scène à la Ford où le décor s'obscurcit et l'isole pour déclamer ses tirades haineuses Jewison usant bien de l'origine théâtrale du film), Jewison dépeignant à l'inverse avec une belle ferveur les séquences musicales dans les bars noirs (dont une mémorable apparition de la chanteuse (Patti LaBelle).

Le film dépeint une terrible impasse puisque pour les soldats noir de la garnison, puisqu'une même volonté de progression débouche un conflit sanglant  pensée extrême. L'appel du drapeau et le combat au front semble être un motif de rassemblement (les dialogues montrant l'attente des soldats d'être enfin appelés et la triomphale marche militaire finale) mais il faudra que le corps soit purifié en résolvant le crime.

L'ensemble est captivant, narré avec brio par Jewison et surtout remarquablement joué. Howard E. Rollins Jr (qui restera lié à Jewison en étant le héros de la transposition télévisée de son Dans la chaleur de la nuit) impose un sacré charisme en officier noir, sensible et autoritaire et arborant une fière allure telle sa scène d'arrivée le torse bombé et les lunettes noires. Adolph Caesar en supérieur hargneux anticipe l'affreux Lee Ermey de Full Metal Jacket, tout en intimidation et insultes fleuries pour un personnage aux bonnes intentions mais que les penchants extrêmes rendent ambigu.

Enfin seulement troisième rôle cinéma pour Denzel Washington qui vole la vedette à chaque apparition avec ce soldat rebelle et ténébreux. Pour les rares bémol la bande-son de Herbie Hancock, parfaite quand elle se teinte de la langueur authentique de ce blues du sud mais un peu hors sujet quand pointent des sonorités funky 80's. Très bon film et un sujet abordé de manière différente et passionnante.

Sorti en dvd zone 2 français chez Columbia

mercredi 10 avril 2013

Fat City - John Huston (1972)


En Californie, à Stockton, Billy Tully est un ancien boxeur devenu alcoolique après le départ de sa femme. Aidé par son ami Ernie Munger, il tente aujourd'hui de refaire surface et de revenir sur le ring...

Le thème de l'échec, central dans l'œuvre de John Huston, pu y prendre des voies bien différentes de l'épique et picaresque L'Homme qui voulut être roi (1975) à la destinée implacable du polar Quand la ville dort (1950) ou de la noirceur de la quête du Trésor de la Sierra Madre (1948). La tension, le dépaysement et le souffle des films précités est totalement absente de ce Fat City où cette dimension de l'échec prend un tour des plus dépressif et ordinaire pour nous plonger littéralement la tête dans le caniveau.

Le film s'ouvre sur les plans des quartiers populaires de cette cité Californienne grouillante et pauvre de Stockton avant de nous faire pénétrer la demeure de notre héros loser Billy Tully (Stacy Keach). La chambre insalubre, la mine hagarde de Stacy Keach et la bouteille de whisky bien entamée à portée de main sur la table de nuit, on se croirait dans une chanson de Kris Kristofferson et l'on n'est finalement pas surpris d'entendre jouer son Help Me Make It Through the Night, leitmotiv musical du film (belle bande son folkeuse d'ailleurs ).

Huston dépeint ici l'Amérique des perdants, pas celle des perdants magnifique comme saura l'être un Rocky (1976) mais celle dont la guigne et l'insignifiance semble déjà inscrite dans les gènes. L'histoire suit les destins croisés de deux boxeurs, le vieux champion qui a raté le coche joué par Stacy Keach et le rookie talentueux et ambitieux incarné par Jeff Bridges. Huston ne les fait pas évoluer en trajectoires inversées, mais plutôt en miroir où Bridges marié trop jeune gâche son potentiel et s'apprête à mener une carrière quelconque et une vie médiocre après que sa petite amie e lui ait plus ou moins passé la bague au doigt sans qu'il y trouve à redire.

Keach représente un futur cauchemardesque avec un parcours très proche mais alourdit du poids des ans et des excès, tentant un retour auquel il est le seul à croire et s'enfonçant dans une relation sordide avec l'alcoolique Oma (Susan Tyrrell, saisissante et vieillie avant l'âge en pochtronne beuglante).Si Huston pose un vrai regard de compassion sur eux, il leur retire toute gloire (les images du seul adversaire battu par Keach bien mal en point avant le combat, faisant de cette poisse un virus contagieux) et les fige à leur inextricable sort. Stacy Keach est poignant d'abnégation veine et d'autodestruction, trouvant là un de ses meilleurs rôles (et retrouvera cet emploi d'épave alcoolique en plus excessif encore dans le polar anglais The Squeeze) tandis que Bridges offre un pendant plus sobre et inconsciemment résignée de cet aura de perdant.

Adapté par Leonard Gardner lui-même de son roman éponyme, Fat City brille par le réalisme teinté de poésie qu'instaure Huston. La magnifique photographie de Conrad L. Hall se fait aussi ensoleillée et chaleureuse sur certains extérieurs (l'ouverture, les boulots fermier de Keach) que crue et neutre dans les intérieur où le grouillement des bars miteux, l'agitation des salles de boxe agitées et la crasse des chambres de motel nous sautent au visage et accentue ce sentiment d'emprisonnement dans cette spirale de lose, la vraie. Le dialogue final entre Bridges et Keach appuie cette idée et plus encore le dernier regard de Keach, le regard de celui qui n'a plus rien à perdre ni à espérer de la vie. Glauque et beau, un grand Huston.


Sorti en dvd zone 2 français chez Columbia

mardi 9 avril 2013

Règlement de comptes - The Big Heat, Fritz Lang (1953)


À la suite du suicide d'un de ses supérieurs, le détective Dave Bannion prend conscience du degré de corruption qui règne chez ses collègues, dans sa hiérarchie et dans le monde politique. La pègre locale décide de le supprimer en piégeant sa voiture, mais c'est sa femme qui meurt dans l'explosion. Aidé d'une amie d'un des criminels, Bannion se lance alors dans une croisade qui va l'amener aux frontières entre justice et vengeance.

Un des sommets de la période américaine de Lang où l'urgence du polar va donner une belle intensité dramatique à ses thèmes de prédilection que la vengeance où le héros seul contre tous. Le scénario déploie ici une spirale implacable où tous s'agence vers une inéluctable tragédie. Dave Bannion (Glenn Ford) sera ici le grain de sable venant troubler le cycle de la corruption ordinaire en s'intéressant de trop à ce qui s'apparente à un suicide banal. Mais le suicidé est un policier et comme l'intrigante introduction nous le montre, il détenait un secret qui va s'avérer lier sa veuve (Jeanette Nolan), le nabab Mike Lagana (Alexander Scourby) et la police locale. Trop confiant, Bannion va laisser filer un indice qui causera la mort d'une innocente et éveillera sa curiosité et sa détermination.

Lang dépeint là un monde corrompu où la paranoïa est de mise pour le héros Glenn Ford de plus en plus menacé, des avertissements de ces supérieurs douteux au coup de fil anonyme jusqu'à une agression plus concrète qui va en faire une figure vengeresse typique du héros langien. Là comme souvent en voulant se faire justice le personnage finit par dangereusement ressembler à ce qu'il pourchasse. Lang usant de sa figure du double crée donc le temps d'une scène au mimétisme entre l'homme de main sadique joué par Lee Marvin et Glenn Ford s'apprêtant à étrangler l'odieuse veuve.

On pense (en beaucoup moins fouillé) au même mimétisme qui s'opérait entre Arthur Kennedy et Mel Ferrer dans son western L'Ange des Maudit et comme dans ce dernier, la solution viendra d'un personnage féminin sacrificiel, Marlène Dietrich dans le film de 1952 et ici par une magnifique Gloria Grahame. Fiancée frivole de la brute épaisse Lee Marvin, elle est très convaincante dans sa prise de conscience où elle s'offre une rédemption morale poignante contrebalancé par une terrible déchéance physique.

Lang tourna le film dans la durée record de quinze jours et cette urgence se ressent dans le rythme trépidant du film mais aussi dans son côté un peu schématique (les scènes familiales sont trop appuyées pour que l'on ne se doute pas qu'un drame va arriver, même si le moment d'attente au moment du rebondissement en question est magnifiquement géré par Lang). Le casting impeccable rattrape largement ce petit défaut avec un Glenn Ford menaçant mais toujours auréolé de ce petit soupçon d'humanité qui l'empêche de basculer, Lee Marvin pas si souvent en action mais qui convainc sans peine de sa perversion et bien sûr Gloria Grahame magnifique. Un tout bon Lang.

Sorti en dvd zone 2 français chez Columbia