Uther Pendragon reçoit
de Merlin l'Enchanteur l'épée mythique Excalibur. A la mort d'Uther, l'épée
reste figée dans une stèle de granit. Seul le jeune Arthur, fils illégitime
d'Uther parvient à brandir l'épée Excalibur et devient par ce geste le roi
d'Angleterre. Quelques années plus tard, il épouse Guenièvre et réunit les
Chevaliers de la Table Ronde.
John Boorman réalise avec Excalibur ce qui reste certainement la plus belle transposition
cinématographique du mythe Arthurien. Cette fascination pour la légende court
tout au long d’une bonne partie de la filmographie de John Boorman et en
particulier le rapport de l’homme à la nature, vecteur de ses émotions dans un
questionnement mythologique (Excalibur),
sociologique (Délivrance (1972)), philosophique (le mal-aimé mais fascinant Zardoz (1974)) et écologique (La Forêt d’émeraude (1985) qui conclut
en quelque sorte le cycle). Boorman envisagea d’en tirer un film dès la fin des
années 60 avant de laisser le projet en sommeil pour se tourner vers une
adaptation du Seigneur des Anneaux.
Le scénario très libre par rapport au livre et le budget faramineux annoncé
sonnera pourtant le glas d’un film (jusqu’à Peter Jackson), ramenant le
réalisateur à Excalibur qui pourtant
ne s’avère guère plus abordable. La solution, Boorman la trouvera en adaptant Le Morte d'Arthur de Thomas Mallory.
Dans cet ouvrage anglais paru à la fin du XVe siècle, Mallory donnait pour la
première fois une approche chronologique au mythe arthurien en construisant son
récit autour de la naissance et de la mort d’Arthur.

Inventant des épisodes
originaux à l’épopée mais aussi en s’inspirant et compilant toute la
littérature passée exploitant cette histoire, Thomas Mallory allait ainsi écrire une œuvre
somme et parmi les plus influente sur le sujet. Une source d’inspiration idéale
pour une adaptation cinéma et de laquelle Boorman tirerait un premier scénario
débouchant sur un film de quatre heures. Les réticences de la Warner et le
budget modeste allaient forcer le réalisateur à réviser ce premier jet avec son
coscénariste Rospo Pallenberg. Cela donnera ce ton si particulier au film, que
ce soit cet art de l’ellipse pour sauter d’une époque à une autre par une idée
visuelle (le bain de Mordred pour le faire passer à l’âge adulte) ou la façon
de caractériser les personnages de la façon les plus évocatrice possible.

Tout
au long du récit Boorman joue avec notre connaissance du mythe en nous faisant
comprendre que tout est joué, que les héros sont des archétypes ne pouvant
échapper à leur destin. Le script oppose pourtant brillamment cette dimension avec la vraie
humanité émanant des personnages puisque c’est précisément leurs failles qui
contribueront à les inscrire dans le mythe à l’image du roi Uther (Gabriel
Byrne) soumis à ses passions durant le prologue.

Dans cette idée de fonctionnement symbolique, le film se
divise en trois parties avec la vie d’Arthur comme fil rouge et déterminé par
l’image et la musique. La première partie constitue en quelque sorte l’âge des
ténèbres avec un royaume divisé et plongé dans le chaos. Violence, barbarie et
obscurantisme sont magnifiquement saisis dès la somptueuse scène d’ouverture où
la silhouette de Merlin (Nicol Williamson) surgit dans la pénombre d’une forêt
déchirée par une bataille sanglante.
La hauteur du magicien sur la folie des
hommes se comprend par son regard las et sa démarche indifférente tandis
qu’épée et armures se fracassent autour de lui, confiant en ses pouvoirs pour
guider les mortels sur la bonne voie. C’est encore un temps où les forces
occultes et les créatures fantastiques peuvent intervenir sur les affaires
humaines et Merlin va ainsi aider le roi Uther (Gabriel Byrne) à conquérir le
trône en lui donnant l’épée Excalibur, signe de son pouvoir et lien à la terre.

C’est le moment où se fait entendre la
Marche
funèbre de Siegfried tirée du
Crépuscule
des Dieux de Wagner, ce leitmotiv musical venant à chaque fois capturer ce
moment où un roi est prêt à empoigner la légendaire épée et devenir l’espoir,
le guide de son peuple. Il se fait entendre également lorsque cet espoir est
perdu pour un temps, ici avec la mort d’Uther qui fige l’épée dans la pierre où
bien sûr lors de la magnifique conclusion où elle retourne à la Dame du Lac.
Boorman laissera ainsi éclater son sens de l’onirisme
et du baroque
où l’étendue du pouvoir de
Merlin est égale à la crainte qu’il inspire et au besoin qu’on encore de lui
les hommes, réveillant le dragon (plus dans son concept symbolique du rapport à
la terre/Roi et de socle du pouvoir de Merlin que par celui de créature
fantastique) pour permettre à Uther de posséder Igrayne, la femme de son ennemi.
La magie, le désir et la brutalité propre à cette époque se figent dans une
scène d’amour où le fer de l’armure et la chair se mêlent sur un fond enflammé.
Un moment qui brise tous les espoirs de paix du présent mais qui pose ceux du
futur puisque c’est par cette union que sera conçu Arthur.
La deuxième partie sera celle de l’âge d’or de la
chevalerie, celle où la modestie et la pureté d’âme d’Arthur (Nigel Terry)
apportera pour un temps la paix au royaume. On comprend la transition que fit Boorman
du
Seigneur des Anneaux vers
Excalibur puisque la thématique des deux
œuvres est proche : la fin de la culture païenne, celtique, de l’ère de la
magie au profit de celle des hommes et du Dieu monothéiste. Toute cette seconde
partie verra donc un Merlin plus en retrait, faillible et l’avancée se fera au
rythme de l’apprentissage du pouvoir d’Arthur.

Simple palefrenier poussé malgré
lui vers le trône, c’est sa nature humble qui intimera amour et respect à ces
ennemis (grandiose moment où il dépose les armes pour être fait chevalier par
un adversaire), saura l’empêcher de céder à l’orgueil de son père (le duel face
à Lancelot où sa colère brise Excalibur) et figer son règne dans un vrai
dessein d’apaisement et d’allégresse avec la construction de Camelot et la
constitution de l’ordre des Chevaliers de la Table Ronde. Là encore c’est par
l’image que se ressent le changement avec une atmosphère lumineuse, où
l’imagerie pompière de Boorman fait merveille notamment le mariage d’Arthur et
Guenièvre où les armures brillent de mille feux.

Ce lien permanent entre le roi
et son royaume s’exprimera là pour le meilleur avant que ne se signale un
inéluctable déclin. Celui-ci naîtra des erreurs passé avec la vengeance de Morgane
(Helen Mirren vénéneuse) mais aussi une nouvelle fois dans des failles humaines
avec les amours interdites de Lancelot (Nicolas Clay) et Guenièvre (Cherie
Lunghi). Tout est prédéterminé et rien ne pourra empêcher le drame (un dialogue
soulignant qu’Arthur a toujours su que ce moment arriverait) que Boorman
établit par l’image (une seule rencontre et un regard intense échangé suffit à
nouer la passion entre Lancelot et Guenièvre) et un motif musical en faisant de
nouveau appel à Wagner et le prélude de Tristan et Iseult lorsque les deux amants
s’unissent.

Ce côté opératique atteint d’ailleurs son apogée en mettant en
parallèle la détresse d’Arthur délaissant les habits de souverain serein pour l’époux
trompé, Merlin dupé par les manigances de Morgane (Boorman aura avec malice
réunit Helen Mirren et Nicol Williamson et exploité leur inimitié réelle suite à une
collaboration houleuse au théâtre sur un Macbeth joué à la Royal Shakespeare Company) et créant le
déséquilibre. Tout comme durant le prologue, une union illégitime posera la
graine du futur mais cette fois pour le malheur et non l’espoir avec Mordred.

Après l’âge des ténèbres puis l’âge d’or, la troisième
partie est celle de du doute. Le souverain n’est plus absent comme dans la
première partie ou rayonnant comme dans la seconde mais simplement brisé par
les malheurs et la terre dépérit avec lui. Boorman bascule ainsi pour de bon dans
l’onirisme et la symbolique pour montrer cela, notamment par la quête du Graal
dénué de sa dimension chrétienne pour une autre plus allégorique et
philosophique.
Il s’astreint définitivement de tout réalisme, que ce soit
les visions immaculées de Perceval (fusionné d’ailleurs avec Galaad pour
raccourcir le récit) lorsqu’il approche le Graal, celles infernales des arbres
aux pendus aligné par Morgane et le final où Arthur défie Mordred sur fond
de soleil rougeoyant. Le film prend des atours de tableau enluminé d’inspiration
préraphaélite qui fige les personnages dans la légende.

Ce serait d’ailleurs
une erreur de faire une comparaison défavorable au Boorman pour ses effets
visuels par rapport à des œuvres de fantasy récentes (Seigneur des Anneaux en
tête). Excalibur était déjà désuet face à d’autres titres contemporains du
genre comme Conan le Barbare car le
réalisme n’est pas son but. Le sens du cadrage de Boorman fait merveille, aussi
puissant pour exprimer la sauvagerie primitive du début, l’extase
de l'âge d'or et donc la rêverie abstraite et mythologique de la conclusion où
les arbres bourgeonnent sur le Carmina
Burana de Carl Orff tandis qu’Arthur galope vers son ultime bataille.

Arthur
lui-même et ses chevaliers ont ainsi à leur tour dépassé le statut d’hommes et
n’ont plus leur place à l’instar de Merlin dont le pouvoir ne trouve désormais sa
force que dans le rêve. Excalibur retournera donc pour un temps à sa gardienne
la Dame du Lac dans l’attente d’un Roi digne de la brandir tandis qu’Arthur
mortellement blessé vogue vers la terre des légendes, Avalon. La magie passée
et les hauts faits de ces êtres extraordinaires s’inscriront ainsi dans le
quotidien et la voix des conteurs qui rapporteront leur odyssée. Un final
grandiose pour un chef d’œuvre et sans doute le meilleur film de John Boorman.
Sorti en dvd zone 2 et blu ray chez Warner