Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 27 mars 2014

Captain America, le soldat de l'hiver - Captain America: The Winter Soldier, Anthony et Joe Russo (2014)


Après les événements cataclysmiques de New York de The Avengers, Steve Rogers aka Captain America vit tranquillement à Washington, D.C. et essaye de s'adapter au monde moderne. Mais quand un collègue du S.H.I.E.L.D. est attaqué, Steve se retrouve impliqué dans un réseau d'intrigues qui met le monde en danger. S'associant à Black Widow, Captain America lutte pour dénoncer une conspiration grandissante, tout en repoussant des tueurs professionnels envoyés pour le faire taire. Quand l'étendue du plan maléfique est révélée, Captain America et Black Widow sollicite l'aide d'un nouvel allié, le Faucon. Cependant, ils se retrouvent bientôt face à un inattendu et redoutable ennemi - le Soldat de l'Hiver.

Ce deuxième volet des aventures de Captain America constitue, après Iron Man 3 et Thor : le monde des ténèbres, un des jalons de la phase 2 du projet de Marvel devant nous mener à la seconde aventure des Avengers prévu en 2015. Après divers films les présentant de manière individuelle et semant les pièces du puzzle d’une aventure collective à venir, Marvel avait gagné son pari avec le triomphe aussi massif qu’inattendu d’Avengers (2012). L’univers des super-héros acquérait la même ampleur et dimension poreuse que dans les comics, avec des personnages se côtoyant d’une aventure à une autre. La deuxième phase s’entame donc avec la relance des premiers personnages adaptés ainsi que la transposition de nouveaux (Ant Man et Docteur Strange sont annoncés) dont ce Captain America. Captain America : First Avenger (2011) avait constitué à sa sortie la meilleure production Marvel.

Peu vampirisé par le projet global du fait de son cadre rétro de la Deuxième Guerre Mondiale (comme put l’être un Iron Man 2 fort boiteux) mais aussi par son héros échappant aux clichés de personnages torturés, le film avait apporté un vrai sang neuf à sa sortie. Vrai american hero véhiculant des valeurs d’abnégation et d’héroïsme face à l’ennemi nazi, Steve Rogers/ Captain America constituait ainsi un personnage positif en forme de modèle à suivre à la manière d’un Superman chez DC. Cet aspect avait été également plutôt bien exploité dans son temps de présence sur Avengers (le final où sa nature de meneur permet de remobiliser l’équipe face à l’arrivée imminente du danger) et le défi était de garder intacte cette pureté du personnage dans un cadre contemporain et aux choix moraux plus ambigus.

Le scénario de cette suite y parvient en s’appuyant sur la situation telle que laissée à la fin d’Avengers. L’équipe de super-héros a été révélée au monde, mais aussi les dangers monumentaux et d’ordre surnaturels auxquels est exposée la Terre. Un état de fait qui détermine des actions controversées de la part de l’organisation du S.H.I.E.L.D. dont les projets sécuritaires confinent progressivement à une paranoïa totalitaire. Une dérive dans laquelle ne peut souscrire un Steve Rogers esseulé et solitaire dans le monde moderne et dont l’existence n’est rythmée qu’à l’aune de la prochaine mission à effectuer. Notre héros devra pourtant dépasser son statut de simple soldat pour combattre après le nazisme une dictature venant cette foi de l’intérieur.

Un script ambitieux et très post 11 septembre qui marche sur les terres de The Dark Knight (2008) de Christopher Nolan mais qui en délaisse le sérieux pesant et la tonalité crépusculaire pour une approche plus dynamique. Le premier volet était sous haute influence du serial et du pulp en réinventant l’imagerie de propagande que put constituer dans les années 40 les aventures de Captain America. Ce deuxième épisode est lui imprégné d’une ambiance de thriller paranoïaque 70’s où l’on doute de ceux supposés nos protéger (la technologie du S.H.I.E.L.D. étant plus motif de surveillance que de protection de la population) et créant un sentiment de tension constante débouchant sur d’éblouissante scènes de suspense comme celle de l’ascenseur. Ce doute s'emparera même des héros à l'image de Nick Fury ou de la Veuve Noire dont la rédemption morale est soudainement remise en cause.

Tout cela s’avère très fidèle aux comics dont cette tonalité d’espionnage et d’enquête constituera une des périodes les plus passionnantes du personnage sur papier. C’est également de la BD que sera tirée la sous-intrigue donnant une partie de son titre au film avec ce soldat de l’hiver constituant un équivalent né de la Guerre Froide au Captain America et entretenant avec lui un lien qui constituera un des grands rebondissement du film. Chris Evans est toujours aussi bon dans le rôle-titre, véhiculant une droiture et humanité que met constamment en valeur un héroïsme sans faille. C’est ainsi la grande surprise par rapport au premier épisode un peu timoré sur ce point, le film est très spectaculaire et haletant de bout en bout.

Les morceaux de bravoures sont multiples, exploitant autant les facultés surhumaines du Captain que ses qualités de stratège militaire - défiant tour à tour un expert en arts martiaux, s’infiltrant avec discrétion en zone ennemie ou affrontant simultanément une dizaine d’assaillants, sans parler des duels dantesques avec le soldat de l’hiver - et le faisant idéalement seconder par la Veuve Noire (Scarlett Johansson toujours aussi à l’aise et attachante) et le nouvel allié le Faucon (Anthony Mackie). On sent que le succès d’Avengers a incité Marvel à être plus généreux en termes d’action, et la frustration ressentie dans les premières productions tend vraiment à s’estomper. Une grande réussite qui a de plus le mérite dans sa conclusion d’amener un vrai bouleversement dans l’univers et qui aura ses conséquences dans les films à venir, sans parler d’une séquence post-générique introduisant de redoutables adversaires. La meilleure production Marvel avec le premier épisode.

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mercredi 26 mars 2014

Quatre étranges cavaliers - Silver Lode, Allan Dwan (1954)


Dans la petite ville de Silver Lode, le jour de son mariage, Ballard est accusé de meurtre par quatre cavaliers inconnus, dont l’un, nommé Ned Mac Carthy se dit « federal marshall ». Progressivement, Ballard, au départ largement soutenu par la population de Silver Lode, voit ses appuis se défaire, ses amis douter puis se retourner contre lui. Une chasse à l'homme s'ensuit.

Réalisateur phare du cinéma Hollywoodien au temps du muet, Allan Dwan vu son prestige lentement s’étioler à l’arrivée du parlant. Revenu en fin de carrière à des productions plus modestes, le cinéaste retrouvera un regain d’intérêt auprès des cinéphiles lorsqu’il intégrera la RKO déclinante pour collaborer avec le producteur Benedict Bogeaous et signer quelques série B modestes par leur budget mais grande par leur ambition comme le film noir Deux Rouquines dans la bagarre (1954). Silver Lode est la première œuvre de cette nouvelle ère et un des westerns majeur des années 50. Le film sort au moment où le maccarthysme bat son plein avec cette chasse aux sorcières jetant un voile de paranoïa aux Etats-Unis et notamment à Hollywood où nombres de carrières seront brisées et contraindront certains artistes à l’exil.

Une atmosphère retranscrite dans un contexte de western de manière magistrale. Dan Ballard (John Payne) est un concitoyen admiré et respecté de la ville de Silver Lode et en ce 4 juillet jour de fête nationale s’apprête à épouser la fille de l’homme le plus riche de la ville. Quatre sinistres individus vont pourtant interrompre les festivités avec à leur tête l’agent fédéral McCarthy (Dan Duryea) porteur d’un mandat d’arrêt contre Dan pour meurtre et vol. La victime n’est autre que le propre frère de McCarthy qui y met une abnégation toute personnelle où l’on devine que le transport jusqu’au lieu de jugement tournera court pour notre héros. Les amis proches de Dan le défendent aussitôt, mais l’opprobre est jetée et avec cette accusation son image souillée auprès des habitants de la ville se souvenant alors qu’après tout ils ne le connaissent que depuis deux ans et son installation en ville. Les manigances d’un McCarthy en quête de vengeance et la tournure dramatique des évènements où tous semble accuser Dan retourne ainsi la situation contre lui avec une population méfiante, hostile puis assoiffée de sang qui le traquera impitoyablement dans la dernière partie.

La population symbolise bien sûr le peuple américain malléable, suspicieux et capable au gré de la propagande de soudainement accuser et trahir son voisin, ami ou collègue par simple peur de l’autre. Dan Duryea est terrifiant en méchant assoiffé de vengeance incrustant cette peur au sein des habitants comme un virus mortel. En le nommant carrément McCarthy, le script ne se cache même pas de l’analogie au fameux sénateur chasseur de rouge et les élans inquiétants et psychotiques d’un Duryea aux yeux fous en disent long sur l’équilibre précaire et le peu de fiabilité sur ce marshall/censeur peu recommandable. Loin de ne mettre la situation que sur le personnage de McCarthy, Dwan nous signifie à plusieurs reprise que ce dernier ne fait au bout du compte que réveiller les rancœur des concitoyens de Silver Lode pouvant alors donner libre cours à leur haine et jalousie envers cet étranger ayant réussi sur leur terre et épousant le meilleur parti de la ville.

Ils sont représentés comme une foule indicible se parant de morale (les femmes distinguées) ou de justice et vengeance (les hommes rustres et brutaux) pour s’abandonner à leur bas-instincts envers un innocent. Le fait que le récit se déroule un  juillet est d’une cinglante ironie, cette fête nationale américaine synonyme d’entraide et de rassemblement ayant cours au moment où s’exprime le pire de l’âme humaine et de ces américains. Au contraire les plus fidèles et clairvoyant seront ceux habitués à ces regards hautain et au rejet comme la prostituée jouée par Dolores Moran.

Tout cela est rondement mené par un Allan Dwan développant toute ces thématiques tout en délivrant un spectacle tendu et alerte en à peine plus d’une heure. Le postulat évoque grandement Le Train sifflera trois fois de Zinnemann mais où malgré sa noirceur il suffisait à la fin pour Gary Cooper et Grace Kelly l’espoir de se reconstruire ailleurs que dans cette ville de lâche, Ballard ne quittera pas lui le lieu du drame. Nul refuge dans cette Amérique du doute et de la peur, et après avoir constaté le soutien de ses « amis » on devine Ballard se tenir à l’écart de la communauté pour au bout du compte une célébration d’un violent individualisme plutôt qu’une idéologie collective et viciée.

Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta

mardi 25 mars 2014

Sleeping Car To Trieste - John Paddy Carstairs (1948)


Sleeping Car To Trieste est un excellent thriller d'espionnage sous haute influence Hitchcockienne et dont le cadre ferroviaire évoque d'ailleurs forcément le classique Une femme disparaît (1938) ou son pendant signé Carol Reed Train de nuit pour Munich (1940). Le film est pourtant indirectement précurseur de ces deux œuvres puisque le remake de Rome Express (1932) où jouait notamment Conrad Veidt. On change néanmoins de cadre politique ici pour plonger en pleine Guerre Froide. Les agents soviétiques Zurta (Albert Lieven) et Valya (Jean Kent) dérobent à Paris dans une ambassade un journal contenant des informations confidentielles.

Afin de ne pas être pris avec l'objet du délit durant la soirée mondaine ayant lieu à l'ambassade, ils transmettent le journal à Poole, un acolyte posté à l'extérieur qui doit le leur remettre le lendemain. Seulement là surprise, Poole (Alan Wheatley) les trahit et s'enfuit avec le journal et nos agents remontent sa piste de justesse en montant dans l'Orient-Express où il voyage de Paris à Trieste. Une longue traque riche en rebondissement va alors s'engager tout au long du trajet, engageant dans son sillage d'autres voyageurs. Parmi eux on trouve un couple adultère, un inspecteur de police français, un ornithologue farfelu, un militaire américain en permission ou encore un écrivain au caractère irascible joué par Finlay Currie.

La première partie donne donc dans la longue étude de moeurs scrutant les caractères de chacun avant que la trame d'espionnage et la traque du journal vienne bouleverser les destins des voyageurs. Le cadre de la Guerre Froide est vraiment prétexte tant les ressorts de l'intrigue reposent plus sur les situations que le sous-texte politique et le film est d'ailleurs dénué de tout manichéisme. Tous les personnages se montreront tour à tour sympathiques (le couple d'espion impitoyable nouant une attachante relation laissant deviner les motivations plus intime de Jean Kent qui a perdu son père) ou méprisable, tel le mari adultère si préoccupé de sa réputation qu'il abandonnera sa maîtresse dès qu'il rencontre une vieille connaissance pouvant le démasquer.

De même on tremblera pour le traitre lorsqu'il finit par recroiser la route de Zurta (Albert Lieven ayant vraiment une mine inquiétante d'assassin sous le sourire enjôleur) et l'écrivain prestigieux s'avérera bien peu fréquentable quand il cherchera à s'approprier à son tour le fameux journal. La topographie du train est excellemment utilisée que ce soit les rencontres anodines dans les couloirs qui auront leur conséquences dramatiques plus tard ou les manœuvres classiques qui revêtent soudain une tension extrême (Zurta et Valya guettant à chaque arrêt sur le quai si leur proie cherche à s'échapper). Les quiproquos, revirement et mensonges divers créent une vraie énergie ludique où les faux-semblants règnent et enferment les protagonistes dans des situations inextricables qui relancent constamment le suspense. Le contenu du journal tant désiré a finalement moins d'importance que l'agitation de ceux qui se démènent autour pour mettre la main dessus.

Ce jeu de piste s'interrompt dans la dernière partie où un meurtre fait basculer le ton du côté d'Agatha Christie. Mais là aussi l'identité du meurtrier (pas du tout dissimulée) importe peu, c'est la réaction des personnages leurs semis vérités et dénégations qui guide l'intrigue. Le pur suspenses 'estompe mais la fine psychologie du script et les comédiens inspirés rendent le tout palpitant, John Paddy Carstairs (surtout connu pour ses nombreuses adaptations des aventures du Saint et adoubé par Leslie Charteris) n'est certes pas Hitchcock mais confère toute la tension et la nervosité nécessaire à l'ensemble (une bagarre brutale dans un wagon annonçant celle fameuse de Bon Baiser de Russie (1963) entre James Bond et Red Grant) et le final s'inspirant largement de celui de L'Ombre d'un doute (1943).

Une belle réussite haletante de bout en bout et néanmoins baigné d'humour anglais savoureux avec son lot de seconds rôles farfelus (le pot de colle joué par David Tomlinson, le fils à papa anglais donnant des conseils de cuisine à un chef français exaspéré, les jeunes française jouant de leur charme pour échapper à la taxe douanière) pour un excellent divertissement.

Sorti en dvd zone 2 anglais et dépourvu de sous-titres

dimanche 23 mars 2014

Excalibur - John Boorman (1981)


Uther Pendragon reçoit de Merlin l'Enchanteur l'épée mythique Excalibur. A la mort d'Uther, l'épée reste figée dans une stèle de granit. Seul le jeune Arthur, fils illégitime d'Uther parvient à brandir l'épée Excalibur et devient par ce geste le roi d'Angleterre. Quelques années plus tard, il épouse Guenièvre et réunit les Chevaliers de la Table Ronde.

John Boorman réalise avec Excalibur ce qui reste certainement la plus belle transposition cinématographique du mythe Arthurien. Cette fascination pour la légende court tout au long d’une bonne partie de la filmographie de John Boorman et en particulier le rapport de l’homme à la nature, vecteur de ses émotions dans un questionnement mythologique (Excalibur), sociologique (Délivrance (1972)), philosophique (le mal-aimé mais fascinant Zardoz (1974)) et écologique (La Forêt d’émeraude (1985) qui conclut en quelque sorte le cycle). Boorman envisagea d’en tirer un film dès la fin des années 60 avant de laisser le projet en sommeil pour se tourner vers une adaptation du Seigneur des Anneaux. Le scénario très libre par rapport au livre et le budget faramineux annoncé sonnera pourtant le glas d’un film (jusqu’à Peter Jackson), ramenant le réalisateur à Excalibur qui pourtant ne s’avère guère plus abordable. La solution, Boorman la trouvera en adaptant Le Morte d'Arthur de Thomas Mallory. Dans cet ouvrage anglais paru à la fin du XVe siècle, Mallory donnait pour la première fois une approche chronologique au mythe arthurien en construisant son récit autour de la naissance et de la mort d’Arthur.

Inventant des épisodes originaux à l’épopée mais aussi en s’inspirant et compilant toute la littérature passée exploitant cette histoire, Thomas Mallory allait ainsi écrire une œuvre somme et parmi les plus influente sur le sujet. Une source d’inspiration idéale pour une adaptation cinéma et de laquelle Boorman tirerait un premier scénario débouchant sur un film de quatre heures. Les réticences de la Warner et le budget modeste allaient forcer le réalisateur à réviser ce premier jet avec son coscénariste Rospo Pallenberg. Cela donnera ce ton si particulier au film, que ce soit cet art de l’ellipse pour sauter d’une époque à une autre par une idée visuelle (le bain de Mordred pour le faire passer à l’âge adulte) ou la façon de caractériser les personnages de la façon les plus évocatrice possible. 

Tout au long du récit Boorman joue avec notre connaissance du mythe en nous faisant comprendre que tout est joué, que les héros sont des archétypes ne pouvant échapper à leur destin. Le script oppose pourtant  brillamment cette dimension avec la vraie humanité émanant des personnages puisque c’est précisément leurs failles qui contribueront à les inscrire dans le mythe à l’image du roi Uther (Gabriel Byrne) soumis à ses passions durant le prologue.

Dans cette idée de fonctionnement symbolique, le film se divise en trois parties avec la vie d’Arthur comme fil rouge et déterminé par l’image et la musique. La première partie constitue en quelque sorte l’âge des ténèbres avec un royaume divisé et plongé dans le chaos. Violence, barbarie et obscurantisme sont magnifiquement saisis dès la somptueuse scène d’ouverture où la silhouette de Merlin (Nicol Williamson) surgit dans la pénombre d’une forêt déchirée par une bataille sanglante.

 La hauteur du magicien sur la folie des hommes se comprend par son regard las et sa démarche indifférente tandis qu’épée et armures se fracassent autour de lui, confiant en ses pouvoirs pour guider les mortels sur la bonne voie. C’est encore un temps où les forces occultes et les créatures fantastiques peuvent intervenir sur les affaires humaines et Merlin va ainsi aider le roi Uther (Gabriel Byrne) à conquérir le trône en lui donnant l’épée Excalibur, signe de son pouvoir et lien à la terre. 

C’est le moment où se fait entendre la Marche funèbre de Siegfried tirée du Crépuscule des Dieux de Wagner, ce leitmotiv musical venant à chaque fois capturer ce moment où un roi est prêt à empoigner la légendaire épée et devenir l’espoir, le guide de son peuple. Il se fait entendre également lorsque cet espoir est perdu pour un temps, ici avec la mort d’Uther qui fige l’épée dans la pierre où bien sûr lors de la magnifique conclusion où elle retourne à la Dame du Lac.  Boorman laissera ainsi éclater son sens de l’onirisme et du baroque  où l’étendue du pouvoir de Merlin est égale à la crainte qu’il inspire et au besoin qu’on encore de lui les hommes, réveillant le dragon (plus dans son concept symbolique du rapport à la terre/Roi et de socle du pouvoir de Merlin que par celui de créature fantastique) pour permettre à Uther de posséder Igrayne, la femme de son ennemi.

La magie, le désir et la brutalité propre à cette époque se figent dans une scène d’amour où le fer de l’armure et la chair se mêlent sur un fond enflammé. Un moment qui brise tous les espoirs de paix du présent mais qui pose ceux du futur puisque c’est par cette union que sera conçu Arthur.

 
La deuxième partie sera celle de l’âge d’or de la chevalerie, celle où la modestie et la pureté d’âme d’Arthur (Nigel Terry) apportera pour un temps la paix au royaume. On comprend la transition que fit Boorman du Seigneur des Anneaux vers Excalibur puisque la thématique des deux œuvres est proche : la fin de la culture païenne, celtique, de l’ère de la magie au profit de celle des hommes et du Dieu monothéiste. Toute cette seconde partie verra donc un Merlin plus en retrait, faillible et l’avancée se fera au rythme de l’apprentissage du pouvoir d’Arthur. 

Simple palefrenier poussé malgré lui vers le trône, c’est sa nature humble qui intimera amour et respect à ces ennemis (grandiose moment où il dépose les armes pour être fait chevalier par un adversaire), saura l’empêcher de céder à l’orgueil de son père (le duel face à Lancelot où sa colère brise Excalibur) et figer son règne dans un vrai dessein d’apaisement et d’allégresse avec la construction de Camelot et la constitution de l’ordre des Chevaliers de la Table Ronde. Là encore c’est par l’image que se ressent le changement avec une atmosphère lumineuse, où l’imagerie pompière de Boorman fait merveille notamment le mariage d’Arthur et Guenièvre où les armures brillent de mille feux. 

Ce lien permanent entre le roi et son royaume s’exprimera là pour le meilleur avant que ne se signale un inéluctable déclin. Celui-ci naîtra des erreurs passé avec la vengeance de Morgane (Helen Mirren vénéneuse) mais aussi une nouvelle fois dans des failles humaines avec les amours interdites de Lancelot (Nicolas Clay) et Guenièvre (Cherie Lunghi). Tout est prédéterminé et rien ne pourra empêcher le drame (un dialogue soulignant qu’Arthur a toujours su que ce moment arriverait) que Boorman établit par l’image (une seule rencontre et un regard intense échangé suffit à nouer la passion entre Lancelot et Guenièvre) et un motif musical en faisant de nouveau appel à Wagner et le prélude de Tristan et Iseult lorsque les deux amants s’unissent.

Ce côté opératique atteint d’ailleurs son apogée en mettant en parallèle la détresse d’Arthur délaissant les habits de souverain serein pour l’époux trompé, Merlin dupé par les manigances de Morgane (Boorman aura avec malice réunit Helen Mirren et Nicol Williamson et exploité leur inimitié réelle suite à une collaboration houleuse au théâtre sur un  Macbeth joué à la  Royal Shakespeare Company) et créant le déséquilibre. Tout comme durant le prologue, une union illégitime posera la graine du futur mais cette fois pour le malheur et non l’espoir avec Mordred.

Après l’âge des ténèbres puis l’âge d’or, la troisième partie est celle de du doute. Le souverain n’est plus absent comme dans la première partie ou rayonnant comme dans la seconde mais simplement brisé par les malheurs et la terre dépérit avec lui. Boorman bascule ainsi pour de bon dans l’onirisme et la symbolique pour montrer cela, notamment par la quête du Graal dénué de sa dimension chrétienne pour une autre plus allégorique et philosophique. 

Il s’astreint définitivement de tout réalisme, que ce soit les visions immaculées de Perceval (fusionné d’ailleurs avec Galaad pour raccourcir le récit) lorsqu’il approche le Graal, celles infernales des arbres aux pendus aligné par Morgane et le final où Arthur défie Mordred sur fond de soleil rougeoyant. Le film prend des atours de tableau enluminé d’inspiration préraphaélite qui fige les personnages dans la légende. 

Ce serait d’ailleurs une erreur de faire une comparaison défavorable au Boorman pour ses effets visuels par rapport à des œuvres de fantasy récentes (Seigneur des Anneaux en tête). Excalibur était déjà désuet face à d’autres titres contemporains du genre comme Conan le Barbare car le réalisme n’est pas son but. Le sens du cadrage de Boorman fait merveille, aussi puissant pour exprimer la sauvagerie primitive du début, l’extase de l'âge d'or et donc la rêverie abstraite et mythologique de la conclusion où les arbres bourgeonnent sur le Carmina Burana de Carl Orff tandis qu’Arthur galope vers son ultime bataille. 

Arthur lui-même et ses chevaliers ont ainsi à leur tour dépassé le statut d’hommes et n’ont plus leur place à l’instar de Merlin dont le pouvoir ne trouve désormais sa force que dans le rêve. Excalibur retournera donc pour un temps à sa gardienne la Dame du Lac dans l’attente d’un Roi digne de la brandir tandis qu’Arthur mortellement blessé vogue vers la terre des légendes, Avalon. La magie passée et les hauts faits de ces êtres extraordinaires s’inscriront ainsi dans le quotidien et la voix des conteurs qui rapporteront leur odyssée. Un final grandiose pour un chef d’œuvre et sans doute le meilleur film de John Boorman.



Sorti en dvd zone 2 et blu ray chez Warner