Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 18 mai 2014

Coup de foudre - Together Again, Charles Vidor (1944)


Une jeune femme, Mrs Crandall, maire d'une petite ville de province, arrive à New-York afin d'y rencontrer un sculpteur célèbre, Corday, en vue de lui commander la statue de son défunt mari, grand notable et descendant des fondateurs de la ville. Dès leur première rencontre, c'est le "Coup de foudre». Mais Mrs Crandall, à la mort de son mari, a promis à sa fille de ne pas se remarier. En s'apercevant qu'elle est tombée amoureuse de Corday, la voilà terrorisée par la perspective de devoir rompre sa promesse si elle lui commande la statue, et le fait venir pour cela dans sa province. Elle s'enfuit en refusant de revoir Corday, et retourne dans sa maison. Dès le lendemain, Corday arrive à l'improviste...

Charles Vidor signe une comédie romantique pleine de charme et fantaisie avec ce ravissant Together Again. C'est un récit placé sous le signe de la reconstruction et de la redécouverte de sa féminité avec le personnage d'Anne Crandall (Irene Dunne) vivant encore dans le souvenir de son époux disparu. Cette présence du défunt se fait à la fois visible et insidieuse, Anne ayant repris ses anciennes fonction de maire d'une petite ville de province et ne s'étant jamais remariée. Une idolâtrie qui frappe de façon plus marquée encore sa belle-fille Diana (Mona Freeman) vivant dans le culte de son père et notamment de la statue de lui érigée au milieu de la ville.

Une situation qui agace profondément le beau-père d'd'Anne (Charles Coburn) qui l'incite sans succès à refaire sa vie. Les éléments (ou symboliquement le mari disparu comme il est plusieurs fois sous-entendu) vont se charger d'arranger la situation lorsque la foudre va frapper et décapiter la fameuse statue, obligeant Anne à se rendre à New York en quête d'un sculpteur. Celui-ci aura les traits charmant de George Corday (Charles Boyer) et le coup de foudre sera immédiat mais il faudra encore composer avec les réticences d'Anne et sa "fidélité" au disparu.

Charles Vidor use de motifs très amusants et subtils pour dépeindre ce chassé-croisé amoureux en usant beaucoup de la symbolique. Irene Dunne avec ses traits et son charme juvénile semble ainsi en décalage par ses attitudes et tenues de matriarche. S'essayant à une tenue plus élégante lorsqu'elle se rend à New York, c'est cette fois son comportement gauche, gêné et surpris (hilarante entrevue avec le garçon d'étage) par les réactions qu'elle suscite qui provoque l'amusement. L'effet est renforcé lorsqu'apparait Charles Boyer en sculpteur décontracté, son regard séducteur et ses questions dérangeantes.

Afin de mieux capturer l'âme de l'homme qu'il doit sculpter, il interroge ainsi Anne sur leur vie commune, comprend la solitude de celle-ci et en tombe amoureux. Cette opposition de caractère trouve son apogée dans la scène où il l'emmène dans un club de strip tease où un quiproquo faisant malencontreusement prendre Anne pour la danseuse attitrée (détail amusant la strip teaseuse s'appelle Gilda et a un petit air de Rita Hayworth comme une anticipation du classique à venir de Charles Vidor) des lieux. Amusée et bousculée, notre héroïne préfèrera fuir ses propres sentiments et retourner dans sa bourgade paisible mais Corday n'a pas dit son dernier mot.

Le film traite à la fois d'éveil et de réveil amoureux. Le réveil concerne évidemment Anne jouée avec une maladresse irrésistible par Irene Dunn et l'union finale passera par l'éveil de la belle-fille qu'incarne Mona Freeman. La longue absence d'une présence masculine amène ainsi une sorte d'œdipe tardif ou Diana tombera également amoureuse de Corday avec son lot de malentendus et quiproquos très drôles. Cet œdipe se croise à la promesse passée d'Anne de ne jamais se remarier à la fillette d'alors et c'est en éprouvant ces premiers émois qu'elle saura à son tour accepter que sa belle-mère reconstruise sa vie.

Charles Boyer offre son numéro habituel de séducteur plein de bagout et sûr de son fait mais qui sera plus d'une fois dépassé par les emportements des personnages féminins. La fin est un petit bijou d'inventivité, un simple grondement de tonnerre faisant le lien entre passé et présent, détachant Anne de ses obligations et réunissant les amoureux par une ellipse parfaite.

Sorti en dvd zone 1 et doté de sous-titres anglais chez Sony dans la collection Icons of screwball comedy

Extrait

vendredi 16 mai 2014

Une certaine femme - That certain woman, Edmund Goulding (1937)


Après la mort de son mari gangster, Mary fait la connaissance de Jack et l'épouse mais leur mariage ne dure pas longtemps. Après leur séparation, Mary donne naissance à un fils que Jack découvrira plusieurs années plus tard...

Révélée au sein de la Warner au début des 30, Bette Davis deviendra immédiatement une des grandes stars du studio. Pourtant malgré le succès et un premier Oscar décroché en 1935 pour L'intruse, l'exigence de Bette Davis se heurte constamment à l'autorité de la Warner ne lui proposant pas suffisamment de grand rôle féminin. Cela entraînera de nombreux conflits, la star balayant d'un revers de la main les scénarios les plus ineptes qu'on lui propose tandis que la Warner lui refuse certains rôle convoités notamment en refusant de la prêter à la RKO où pour le Mary Stuart (1936) de John Ford où elle devait jouer a reine Élisabeth 1er aux côtés de Katharine Hepburn. Toute frustration amènera Bette Davis à claquer la porte du studio et quitter Hollywood pour Londres. Etant sous contrat pour sept ans à la Warner, le procès est inévitable et elle le perdra, contrainte de revenir à Hollywood. Jack Warner bon prince lui pardonne et paie les frais de procès, consentant à lui confier des rôles plus consistants désormais. La plus pugnace Olivia de Havilland aura plus de chance quelques années plus tard puisque dans une situation similaire, elle sortira vainqueur de son bras de fer avec le studio et gagnera sa liberté. Quoiqu'il en soit, That certain woman marque le renouveau de Bette Davis avec ce nouveau départ et la rencontre avec Edmund Goulding (qui signe d'ailleurs le remake de son film L'Intruse (1929) où Gloria Swanson tenait le premier rôle) qui la dirigera souvent (tout comme William Wyler) dans la série de grands mélodrames à venir comme Dark Victory (1939) ou La Vieille Fille (1939). . Sans atteindre la hauteur de ces futurs œuvres That certain woman est un beau mélodrame offrant un écrin idéal une poignante Bette Davis.

Le film narre l'histoire d'une figure féminine martyre et marquée éternellement du sceau de l'infamie par une société moralisatrice et en quête de sensationnel. Mary Donnell (Bette Davis) est tombée amoureuse et à épousée un gangster notoire à l'âge de 16 ans. Placée sous le feu des projecteurs suite au meurtre de son époux lors du massacre de la Saint Valentin, Mary a depuis essayée de se reconstruire et d'acquérir une éducation dans l'ombre. Elle a repris son nom de jeune fille et travaille désormais comme secrétaire pour le grand avocat Lloyd Rogers (Ian Hunter). Les fantômes du passé semblent pourtant ressurgir dès que le bonheur semble s'offrir de nouveau à elle. Elle cède ainsi au fils à papa immature Jack Merrick (Henry Fonda) qui l'aime vraiment mais se montrera toujours incapable de répondre aux préjugés et à l'intolérance de son très rigide père (Donald Crisp).

Lorsqu'un homme connaissant son passé et réellement prêt à tout quitter pour elle lui offrira son cœur, la maladie et le scandale viendront encore gâcher ce renouveau et souiller sa réputation. Bette Davis est formidable, acceptant chaque déconvenue comme une évidence, écrasée par le destin mais évitant constamment à sa prestation de tomber dans le pathos de la femme victime (qui ne regrette pas son rreur initiale d'ailleurs puisque se recueillant au début du film sur la tombe de son époux defunt). Au contraire, le personnage fait montre d'un optimisme et d'une confiance en la sincérité et le courage de l'autre régulièrement déçus. Il faut voir ce regard plein d'espoir d'une apparition de Jack qui interviendra trop tard, de la surprise face à la prévenance de son patron et bien sûr de l'amour maternel se ressentant avec une intensité et une sobriété des plus subtils.

Mary est une branche qui ploie sans jamais se briser et c'est ce courage, cette abnégation qui semble captiver les hommes gravitant autour d'elle. Edmund Goulding sait ainsi formidablement capturer toutes les émotions passant sur le visage de Bette Davis dont le regard et les traits sont magnifiés par la photo d’Ernest Haller. Le pathos est toujours éviter en dépit de la succession de malheurs (la courte durée aidant), y compris dans une dernière partie déchirante. La mise en scène et la présence fragile de la star porte donc entièrement l’émotion d'un film au scénario un peu décousu.

Henry Fonda (qui retrouvera Bette Davis l'année suivante dans L'Insoumise de William Wyler) est excellent en gosse de riche faible de caractère, mais il manque vraiment au personnage une grande scène (filmée en tout cas puisque le fait un simplement rapporté par un dialogue) où il tient tête à son père tant il aura failli aux attentes de Bette Davis tout au long du film. Autre incohérence, le journaliste Virgil (Hugh O'Connell ) présenté au départ comme une ordure devient peu à peu une sorte d'ange gardien pour Mary sans que l'on ait vraiment eu de scène expliquant ce changement. Enfin, le final semble quelque peu forcé et expéditif dans son happy-end, ne nous laissant pas goutter à l'émotion du désespoir des des dernières scènes. Un joli film tout de même qui marque bien le nouveau départ de la carrière de Bette Davis.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

mercredi 14 mai 2014

Une Place à prendre - Career Opportunities, Bryan Gordon (1991)


Josie est la fille de l'homme d'affaires le plus influent de la ville et désire partir de chez elle. Désorientée, elle s'endort dans un grand magasin. Quand elle se réveille, la nuit est tombée et se retrouve enfermée avec l'homme d'entretien qui s'avère être un menteur invétéré.

John Hughes signait en 1991 son dernier film en tant que réalisateur avec l'oubliable La P'tite arnaqueuse. Entretemps il avait délaissé les récits adolescents qui avaient fait sa gloire depuis longtemps déjà pour des œuvres plus adultes mais nettement moins marquante et allait se reconvertir par la suite en scénariste de comédie familiale. Career Opportunities s'avère ainsi un objet curieux au croisement de toutes ces influences.

 On retrouve l'idée d'enfermement forcé entre jeune gens mal dans le peau qui vont apprendre à se découvrir (Breakfast Club (1985)), ces même personnages qui doivent affronter l'assaut de malfrats maladroit (Maman j'ai raté l'avion (1990) et un ton cartoonesque très prononcé ( La Folle Journée de Ferris Bueller (1986)). Faute d'une vraie ligne directrice, la somme de toutes ces facettes a plutôt tendance à amoindrir le potentiel du film, d'autant que Bryan Gordon est loin d'avoir la maîtrise et la subtilité de Hughes mais l'ensemble s'avère néanmoins sympathique.

Le film narre donc la rencontre de deux solitudes qui n'auraient jamais dues se croiser. Jim Dodge (Frank Whaley) est un jeune homme de 21 ans qui a bien du mal à prendre son départ dans la vie. Sans diplôme vivant encore chez ses parents et régulièrement congédié des différents jobs qu'il a pu obtenir, au grand désespoir de son père qui enrage de cet immature vivant à ses crochets. Il faut dire que Jim a un monde intérieur très agité le faisant verser dans une mythomanie et une tête dans les nuages constante. Sa dernière chance consiste en un job d'homme d'entretien dans le plus grand supermarché de la ville. Un magasin appartenant au père de la belle Josie (Jennifer Connelly) qui malgré son cadre de vie aisé subit le même mal être que Jim.

Des circonstances rocambolesques vont amener les deux à être coincés ensemble dans le supermarché alors que Jim effectue sa première nuit de travail. C'est le meilleur moment du film avec cette atmosphère de confidence où l'on sent la patte typique de Hughes et dans laquelle nos héros se complètent dans leur détresse mutuelle. Jim est un expansif au débit mitraillette qui cache son angoisse dans cette hyper expressivité alors que Josie dégage charme et mystère par son sex appeal affolant mais c'est un charisme de façade.

Jim a peur du monde extérieur et de quitter le foyer d'où ces échecs volontaire où l'on devinera une adolescence difficile. Josie ne rêve que de prendre son envol mais est soumise à un père très autoritaire (Noble Willingham). Toute cette partie intimiste où les affres de l'ancienne cheerleader vedette rejoignent ceux du nerd constitue le meilleur moment du film, on retrouve ce dépassement du cliché qui faisait le charme de Breakfast Club (les jeunes adultes en questionnement ayant remplacés les ados tourmentés) à travers la prestation des deux acteurs et en particulier Jennifer Connelly. Malheureusement dès que l'on quitte nos deux tourtereaux l'ensemble s'effondre.

Les personnages secondaires sont caricaturaux au possible (les parents) le semblant de trame policière avec les deux voleurs n'a absolument aucun intérêt et il aurait mieux valu se concentrer tout au long du film sur le seul tête à tête improbable. Les gags sont au départ plaisant car visant à caractériser et rapprocher les personnages (le supermarché transformé en gigantesque terrain de jeu) mais dès qu'on cherche à verser dans un burlesque plus prononcé c'est une catastrophe.

Jennifer Connelly filmée sous les angles les plus racoleurs comme une bimbo perd tout le crédit initial où on la découvrait par le regard amoureux de Jim et le film se conclut dans le cliché total pour ce qui aurait pu être le plus intéressant, leur émancipation commune loin de leur ville natale. Un beau gâchis alors qu'il y avait matière à un joli film et qui ne sera passé à la postérité que pour les poses suggestives de Jennifer Connelly. Dommage.


Sorti en dvd zone 1 chez Universal 

mardi 13 mai 2014

Talk Radio - Oliver Stone (1988)


À Dallas, Barry Champlain, animateur radio cynique de la station KGAB, déchaîne les passions et les haines de ses auditeurs, qui se confessent à lui. Toujours très provocateur, il pousse ces personnes dans leurs retranchements...

En cette fin des années 80, Oliver Stone enchaînait les projets ambitieux où il scrutait les traumatismes et les maux de l'Amérique dans des films vindicatif et poignants comme Platoon (1986) et Wall Street (1987). Le réalisateur se préparait à attaquer une autre grande fresque engagée avec Né un 4 juillet (1989) mais se trouva contraint d'attendre sa star Tom Cruise durant un an puisque ce dernier devait auparavant tourner Rain Man (1988) de Barry Levinson. Tout en préparant Né un 4 juillet, Stone via son producteur Edward R. Pressman s'intéresse à une pièce Off Broadway à succès intitulée Talk Radio, écrite et jouée par Eric Bogosian. Dans une unité de temps et de lieu, celui-ci interprète un animateur radio dans le concept alors récent de libre antenne qui profite de la parole laissée aux auditeurs pour déverser toute sa haine envers le monde qui l'entoure dans un monologue entrecoupé d'interventions d'autres acteurs jouant ses interlocuteurs (dont Michael Wincott que l'on retrouvera aussi dans le film).

D'abord supposé le produire Stone décide finalement de le réaliser et mélangera la pièce avec le livre Talked to Death: The Life and Murder of Alan Berg de Stephen Singular, réelle biographie de l'animateur radio Alan Berg, provocateur assassiné par des extrémistes en 1984 à Denver. Au final, le "petit" film de transition s'avérera un une des œuvres les plus rageuses de Stone à l'époque, ouvrant la voie à des opus majeurs tel que The Doors (1991) (pour Jim Morrison en star autodestructrice sous les feux de la rampe prolongeant le héros de Talk Radio), Tueurs Nés (1994) pour la critique du pouvoir médiatique voir même Nixon (1995) puisque Stone admettra que le film lui aura appris à placer au centre des personnages ouvertement négatifs quand jusque-là il avait filmé des héros ou des figures en quête de rachat.

Talk Radio nous narre donc le quotidien de Barry Chaplain (Eric Bogosian), animateur radio provocateur et à succès dans une station de Dallas. Tout va pour le mieux puisque Barry s'apprête même à être diffusé à l'échelle nationale mais c'est précisément à partir de cette annonce que tout va se déliter peu à peu. Oliver Stone filme les sessions radio avec virtuosité, véritable joute verbale où Barry arpente casque sur les oreilles son studio comme une arène et n'est jamais plus heureux que quand il a un interlocuteur hostile à l'autre bout du fil. Rompu au rôle sur scène, Eric Bogosian est une véritable boule d'énergie constamment sur le qui-vive, autant par une impressionnante présence physique qui impose un véritable respect dans le sanctuaire que constitue le studio que par son timbre puissant et sa logorrhée virtuose déclamant les saillies les plus mordantes, vulgaires et inventives aux auditeurs. Parmi ceux-ci on aura toute sorte de spécimens du plus pathétique, amusant et surtout dangereux, les dérapages de Barry lui attirant les appels les plus inquiétants, de l'antisémite hargneux au détraqué sexuel où le doute est toujours de mise quant à la vérité des personnages anonymes avec lesquels il converse.

Le film élargit le concept de la pièce avec de nombreuses scènes hors du studio enrichissant la personnalité de Barry explorant sa vie personnelle et son passé afin d'expliquer sa recherche des extrêmes et sa détestable personnalité. Son égo lui aura finalement fait tout perdre, épouse, amis et réduisant son aura à cette seule cabine de radio. C'est un personnage déchiré entre un certain mal-être, une volonté de pouvoir où il pense réellement avoir un rôle social et politique à jouer en se confrontant à la lie de l'Amérique chaque soir à l'antenne. Eric Bogosian entre attitude arrogante et regard angoissé exprime une humanité et une détresse stupéfiante tout se montrant proprement odieux avec son entourage notamment un échange final où ne pouvant sortir de son personnage d'agitateur, Barry ne saura répondre à la réelle main tendue de son ex épouse.

Le film dresse également un portrait peu reluisant de l'Amérique. Cela se manifestera par les personnalités dérangées, racistes et violentes de plus en plus omniprésente au standard et faisant de Barry un véritable déversoir de toute la haine et frustration du quidam moyen. Si notre héros l'a bien cherché avec ses provocations, il n'est pas non plus récompensé avec ses auditeurs plus fidèles. On devine le cynisme de ces médias à travers le standardiste joué par John C. McGinley courant après l'audience en cherchant toujours le sensationnel (bien encouragé par Barry comme ce moment en flashback où il lance une fausse annonce où il recherche un garde du corps) et finalement les pires écarts de Barry ne sont finalement pas sanctionnés.

La prise de conscience aura lieu lorsqu'il rencontrera un vrai auditeur décérébré joué par Michael Wincott (au look incroyable entre Axl Rose et Steven Tyler vraie épave white trash) véritable miroir déformant de lui-même alors qu'il avait l'illusion de délivrer un message, d'éduquer les masses. Ce constat donnera lieu à un monologue final rageur et désespéré où Barry déverse autant son dégout de lui-même que cette populace abrutie et sans réelle pensée qu'il téléguide par ses débordements. Stone aura déployé des trésors d'inventivité pour rendre constamment vivant et relancer cette trame minimaliste où l'on suit finalement un personnage parler pendant 90 minutes. On aura un jeu constant sur la mobilité avec une steadycam immersive pour montrer l'esprit en ébullition de Barry se déplaçant comme dans un ring. Cette steadycam saura se faire écrasante lors du final, clouant littéralement au sol notre héros en tournant autour de lui alors qu'il déverse sa bile.

Il y a également une volonté de ne réduire Barry qu'à ce seul rôle de trublion radio en faisant disparaitre son corps par des seuls inserts sur sa bouche, des éléments de décors comme le micro pour démontre son vide intérieur sorti de cet alter-go sonore. Le jeu de regard à travers la profondeur de champs, les multiples effets de reflets avec les vitres omniprésente dans cette radio amenant un contrepoint permanent aux errances de Barry par les réactions de son entourage, que ce soit le dépit ou le cynisme satisfait face au scandale juteux qu'amènent ces instants (Alec Baldwin parfait d'ambiguïté en patron de radio).

Oliver Stone se préparait en quelque sorte aux futures contraintes que lui imposeraient Né un 4 juillet avec son Tom Cruise en fauteuil roulant et se montre très inspiré pour éviter tout statisme et toujours relancer l'action malgré le huis-clos. Le final exprime le point de non-retour atteint par le héros et la profonde noirceur qui anime une ouvre diablement énergique. Une des œuvres les plus sous-estimées de son réalisateur et une grande réussite.

Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta

lundi 12 mai 2014

La Flèche brisée - Broken Arrow, Delmer Daves (1950)


L'Arizona en 1870. Le pionnier Tom Jeffords, las des hostilités incessantes entre Blancs et Peaux-Rouges, prend l'initiative d'établir un traité de paix avec les Apaches. Il apprend leur dialecte et entre seul sur le territoire de Cochise. A sa grande surprise, il découvre un peuple paisible, auquel il tente bientôt de s'intégrer. Devenu frère de sang de Cochise, il épouse une jeune princesse,

La Flèche brisée représente une date dans l'histoire du western en étant un des premiers si ce n'est le premier film du genre à être pro indien. Ce traitement tient grandement aux velléités humanistes de Daves qui les prolonge dans ce qui sera son premier western et où il s'astreint du manichéisme de rigueur jusque-là concernant les indiens. Pour ce faire, il adapte le roman Blood Brother d'Elliott Arnold paru en 1947, le scénario étant signé par son scénariste Albert Maltz sous le pseudo Michael Blankfort puisqu'il fut l'un des Dix d'Hollywood alors sous le coup de la « Liste noire ». James Stewart, l'une des plus belles incarnations de cette idée humanisme à l'écran tiendra le rôle principal et avec le Winchester 73 d'Anthony Mann sorti cette même année, il change son image de cinéma plutôt associée à la comédie ou au mélodrame pour représenter à son tour une certaine idée de l'"American hero".

La force de La Flèche brisée c'est de ne jamais privilégier un point de vue pour constamment placer indiens et hommes blanc sur un constant pied d'égalité, dans leur bonne volonté comme leur travers. Le film cède ainsi parfois à un didactisme qui pourra par moments paraître appuyé et aussi à certaines conventions (Jeff Chandler soi un pur américain grimé pour jouer le chef indien Cochise, la convention poétique habilement introduite faisant que tous les indiens parlent anglais) mais l'on ressent constamment une volonté de compréhension et de pédagogie maximale dans l'approche de Delmer Daves. Tout cela s'illustre à l'écran à travers le personnage de Tom Jeffords (James Stewart).

Ancien soldat reconverti en chercheur d'or, il a suffisamment vu de massacres pour ne pas céder à l'appel de la haine ordinaire. C'est dans cette volonté qu'il soignera par pur altruisme un jeune indien blessé qu'il croisera sur sa route. Ce dernier à bout de forces tentera pourtant par pur réflexe de le tuer avant une fois guéri de lui manifester sa reconnaissance. Ainsi lorsque d'autres membres adultes de la tribu les rejoindront, malgré leur haine et leur rancœur ils sauront épargner Jeffords et le laisser partir libre. Ce sens moral est pour notre héros le signe d'un rapprochement et d'une paix possible si les deux camps daignent se montrer loyaux et respectueux l'un envers l'autre.

Le film est une alternance constante d'apaisement à l'imagerie élégiaque avec une vraie furie, preuve de cette paix possible mais fragile. La découverte des us et coutumes indiens par Jeffords, sa romance avec la belle Soonseearhay (Debra Paget), tout cela pourrait contribuer à une approche anthropologique et contemplative à laquelle Daves refuse toujours de céder complètement.

Chaque avancée positive est mise en parallèle avec un éclair de violence montrant les tensions encore vivace : les apaches laissent circuler le courrier tout en massacrant une garnison militaire, l'amour de Jeffords et Soonseearhay s'épanouit dans une scène somptueuse au bord d'un lac avant un final tragique. Cette instabilité est d'ailleurs annoncée dès le départ, la clémence envers Jeffords n'empêchant pas les indiens de tuer sous ces yeux des hommes blancs de passages et coupable de tueries antérieures. Ce cercle vicieux de la violence ne peut être stoppé que par des hommes de bonne volonté et on saluera là l'interprétation de Jeff Chandler représentant réellement la droiture et la sagesse incarnée en chef Cochise.

Les écarts des renégats des deux camps ne sauront l'écarter de cette voie et le film évite de céder à une forme d'abstraction idéalisée en mettant toujours ses choix en situations (le mariage, la tentative d'assassinat de Jeffords), le plus poignant intervenant à la fin avec un James Stewart passant de l'humaniste à tout simplement l'homme ivre de vengeance balayant tous ses préceptes. Stewart représente dans cette curiosité de l'autre, cette romance puis et détresse finale un repère tangible pour le spectateur qui vit les évènements par un prisme plus intime et moins solennel. Delmer Daves offre une mise en scène à hauteur d'hommes dans les instants de rapprochement, sobre pour sceller l'amitié fraternelle entre Cochise et Jeffords ou romantique (et annonçant ses mélodrames) pour le couple mixte avec ce moment sublimement cadré où les amoureux s'alanguissent près d'un lac avec les montagnes en arrière-plan.

Le chaos et la confusion ont cours lors des moments guerriers que le réalisateur n'interrompt que par l'intervention d'un guide et symbole de la paix que ce soit Cochise à plusieurs reprises (voir même lors de simple tension psychologique comme la rébellion de Geronimo) ou le général "Chrétien" (Basil Ruysdael) empêchant le lynchage de Jeffords. Un message magnifique et idéalement traité qui aurait une longue descendance parmi nombre de westerns à suivre lors des décennies suivantes.

Sorti en dvd zone 2 français chez Sidonis

samedi 10 mai 2014

La Belle de Saïgon - Red Dust, Victor Fleming (1932)


Séduisante prostituée recherchée par la police de Saigon, Vantine (Jean Harlow) trouve refuge dans la plantation de Dennis Carson (Clark Gable). Vantine et Dennis ne tardent pas à tomber dans les bras l’un de l’autre mais le bel aventurier s’éprend bientôt de l’élégante et inaccessible Barbara Willis (Mary Astor), récemment arrivée sur la plantation avec son mari (Gene Raymond).

La liberté de ton du Pré Code rencontre le souffle romanesque dans la moiteur de l'Indochine coloniale dans cet emblématique Red Dust. Le récit nous place dans un triangle amoureux entre Dennis Clark Gable), propriétaire d'une plantation de caoutchouc hésite entre la sulfureuse Vantine (Jean Harlow) et la plus distinguée Barbara (Mary Astor). Le scénario de John Lee Mahin (adapté d'une pièce de Wilson Collison) fait volontairement de ces trois protagonistes de purs archétypes que les tourments du désir vont développer. Clark Gable incarne ainsi un pur rustre sans manières qui n'a connu que cette existence à la dure dans cette plantation qu'il dirige d’une main de fer. L'arrivée et l'installation inopinée de la prostituée Vantine l'agacera dans un premier avant de reconnaître en elle son égal au féminin, une aventurière ayant roulé sa bosse et capable d'apporter sans s'offusquer un répondant gouailleur à ses manière brutales.

Toute la séquence amenant leur première étreinte est magistrale à ce titre, sous l'agressivité mutuelle de façade se dessinant une complicité qui s'orchestre avec les dialogues (pour un véritable festival de sous-entendus sexuels) mais également le mouvement. Jean Harlow déambule ainsi lascivement dans la pièce, haranguant un Clark Gable immobile mais bouillonnant comme dans un rituel de séduction animale. L'érotisme peut ainsi s'exprimer à la fois quand cette connivence passera par le dialogue et un éclat de rire commun après un festival d'insulte, et bien sûr l'expression de ce désir sauvage qu'ils partagent lorsque Gable empoignement brutalement une Jean Harlow ravie et qui ne se débat que pour la forme.

Un lien aussi évident peut entraîner un vrai amour ou alors une certaine désinvolture par ce qu'on semble déjà connaître par cœur. Vantine sera ainsi victime d'un Dennis sans égard ni respect qui n'y a vu qu'un amusement et la renvoie à sa vie par une tape aux fesses et un petit billet. La relation amoureuse réelle ne semble pouvoir exister qu'en y entraînant des êtres opposés et en confrontant ainsi Dennis à la retenue et aux manières distinguée de Barbara, la femme de son ingénieur. Alors la séduction entre Dennis et Vantine se faisait dans une sorte de mimétisme les plaçant sur un pied d'égalité, la domination et la toute-puissance masculine du "sauvage" Gable s'impose ici à une frêle Mary Astor inconsciemment en attente de cela tant son époux (Gene Raymond) semble fragile et symboliquement impuissant.

Une nouvelle fois Fleming passe de la parole aux actes, les échanges entre Barbara effarouchée et Dennis désinvolte amenant une certaine tension amoureuse qui deviendra érotique lorsque la pluie et le tonnerre permettront à Gable de ployer ses bras virils autour d'une Mary Astor consentante. Celle-ci dégage une formidable sensualité contenue, s'abandonnant de façon coupable à l'étreinte de Gable, arborant un visage effrayé par son propre désir. Une belle ellipse nous la fait redécouvrir plus tard négligemment allongée et arborer un sourire de satisfaction au seul son de la voix de Gable, preuve de la consommation de ce désir adultère.


L'environnement joue un grand rôle dans l'évolution des deux romances. La tempête et la pluie diluvienne qui amène la liaison entre Dennis et Barbara exprime la pulsion et la nature fugace de leur attirance mutuelle. Les éléments météorologiques n'ont pas besoin d'intervenir pour que cette attraction s'exprime entre Dennis et Vantine, elle semble couler de source et si elle semble moins romanesque, cette relation est plus naturelle, spontanée. Cela tiens grandement au jeu percutant de Jean Harlow qui n'est jamais une proie, une chimère ou un fantasme pour Gable mais une vraie partenaire dont le sex-appeal se véhicule autant par le charme vénéneux que l'attitude décomplexée.

Amoureux transi quelque peu figé avec Mary Astor, Gable retrouve sa joyeuse insolence et ses mauvaises manières au contact de Jean Harlow. Cela se confortera même dans l'expression totalement opposée du dépit amoureux chez les deux femmes. On partage un instant la détresse de Vantine lorsqu'elle apercevra Dennis porter Barbara dans sa chambre, mais cette déconvenue se manifestera par quelques remarques désobligeantes bien senties à l'image du côté frondeur du personnage. Le final verra au contraire une expression vaine et violente d'un désappointement semblable pour Barbara, pas aussi dure, incapable de contenir ses émotions et définitivement soumise à Dennis.

Un régal à l'érotisme moite qui fait encore son effet aujourd'hui. Vingt ans plus tard, John Lee Mahin transposera son script en Afrique pour le somptueux remake Mogambo où Gable reprend son rôle, Ava Gardner et Grace Kelly prenant superbement le relai de Jean Harlow et Mary Astor dans cet autre classique.

Sorti en dvd zone 2 français dans la collection Tréso Warner consacrée au Pré-Code

Extrait

vendredi 9 mai 2014

Heat - Michael Mann (1995)


Une équipe de braqueurs prépare l'attaque d'un fourgon blindé à Los Angeles. Leur chef Neil McCauley (Robert De Niro) et ses complices Chris Shiherlis (Val Kilmer), Michael Cheritto (Tom Sizemore) et Trejo (Danny Trejo) peaufinent les derniers détails. Pour réussir leur coup, ils engagent un nouvel associé, Waingro (Kevin Gage). Le braquage, pourtant planifié dans les moindres détails, tourne mal à cause d'une erreur de ce dernier et tourne au bain de sang. Les braqueurs dérobent uniquement un lot de bons au porteur appartenant à un financier véreux, Roger Van Zant (William Fichtner). L'enquête sur le braquage est confiée à Vincent Hanna (Al Pacino), lieutenant aguerri de la police criminelle. Une lutte à distance va s'engager entre Hanna et McCauley.

Heat fut le film de la reconnaissance critique et publique pour Michael Mann. Le réalisateur avait jusque-là déjà signé des œuvres marquantes mais s’étant soi confrontées à l’échec commercial (Manhunter (1986) première transposition cinématographique des méfaits d’Hannibal Lecter), soi où le grand public ignorait son rôle dans le processus créatif (la série Miami Vice dont il produisit les trois premières saisons). Son talent était alors uniquement reconnu par quelques aficionados et il fut ainsi véritablement découvert avec Heat. Pourtant plus qu’une révélation, Heat constitue un aboutissement de toutes les recherches esthétiques, narratives et thématiques de Michael Mann depuis ses débuts. Le professionnalisme et la rigueur du héros « mannien » tel que défini dans l’inaugural Le Solitaire (1981), les atmosphères désenchantées et la noirceur de Miami Vice, l’imagerie urbaine bleutée et métallique de Manhunter, la densité narrative de l’ambitieuse et méconnue série Les Incorruptibles de Chicago (1986 – 1988), tout cela forme un tout grandiose et ambitieux dans Heat

La trame même du film participe également au parcours personnel de Mann. Au départ scénariste pour la télévision (notamment les deux premières et meilleures saisons de Starsky et Hutch), Mann déjà soucieux de réalisme et passionné de récit criminel noua de nombreux contact dans la police ou auprès d’ex criminel comme l’écrivain Edward Bunker. C’est par ce biais que l'inspecteur Chuck Adamson lui narra le récit de sa traque du braqueur Neil McCauly dans le Chicago des 60’s, de l’admiration et du respect qui finit par se nouer entre le chasseur et sa proie jusqu’à son arrestation mortelle en 1963. Fasciné par cette histoire, Mann en tirera tout d’abord le téléfilm L.A. Takedown (1989) dont le format l’oblige à grandement tronquer son ambitieux scénario de 180 pages. Après le succès du Dernier des Mohicans (1992), Mann a enfin la possibilité d’en tirer toute l’ampleur requise dans Heat qui sera également l’occasion de la rencontre (puisqu’ils partageaient l’affiche du Parrain 2 (1974) sans se croiser) des deux monstres sacrés Al Pacino et Robert De Niro.

Par son postulat donc, Heat est une classique histoire de gendarme et voleur à laquelle Michael Mann va amener une profondeur vertigineuse. Tout au long du récit, le scénario définira le criminel Neil McCauley (Robert De Niro) et le flic Vincent Hanna (Al Pacino) comme les deux revers d’une même pièce. La première scène d’attaque de fourgon et la gestion de l’acolyte incontrôlable Waingro (Kevin Gage) montre d’emblée la méticulosité et la détermination sans faille de McCauley. De même l’impressionnante et rapide reconstitution du crime qui suit par Vincent Hanna. Tous deux sont des professionnels entièrement dévoués à ce qu’ils savent faire de mieux, des casses pour l’un et traquer les criminels pour l’autre. Une telle rigueur n’est pas sans effet sur la vie personnelle. McCauley s’impose ainsi un ascétisme quasi monacal où comme il l’affirmera plusieurs fois, il ne doit s’être fait aucune attache qu’il ne pourrait quitter sans états d’âme dans les 30 secondes si les flics pointent le bout de leur nez.

I'm alone, I am not lonely / Je suis seul, pas solitaire comme l’affirmera une de ses répliques, et Robert De Niro par sa raideur, ses explosions de violence froide et son regard constamment aux aguets expriment parfaitement cette idée. Les héros de Michael Mann ne sont jamais aussi captivants que quand ils dévient de leurs préceptes et se rendent vulnérable en osant exposer leur humanité (James Caan dans Le Solitaire, Tom Cruise dans Collatéral (2004)). Nul besoin de surligner cela pour le réalisateur qui nous l’expose visuellement dans la scène où De Niro rentre seul dans son appartement vide de meuble, pose son arme et scrute la mer depuis sa baie vitrée tandis que s’élève les notes synthétiques de Moby. Un moment de mélancolie suspendue typique de Michael Mann où l’émotion passera par l’image, la caméra s’attardant sur le regard perdu dans le vague de McCauley tandis que les teintes bleutées de la photo de Dante Spinotti accentuent la dimension crépusculaire de la séquence. 

Vincent Hanna quant à lui aura payé sa soif de justice par une vie intime sinistrée. Survolté et imprévisible pour les malfrats qui croisent sa route, il se referme et devient taciturne, comme en veille lorsqu’il regagne le domicile conjugal au grand désespoir de son épouse (Diane Venora) et de sa belle-fille (Natalie Portman). All I am is what I'm going after / Je suis ce que je pourchasse. Là aussi en une réplique le dilemme du personnage et son mimétisme avec sa proie est défini. 

Si De Niro rentre dans une demeure vide après ses méfaits, Pacino lui s’éteint et se soustrait à son environnement lorsqu’il rentre chez lui, toute son attention et son énergie ne pouvant qu’être sollicités par son métier, son sacerdoce. Pacino dans un registre plus nerveux et exubérant est formidable (le background du personnage dans le script affirmait que le personnage consommait de la coke sans que cela soit dit dans le film ce qui donne ce petit tour décalé et excessif dans la prestation de l’acteur) de bagout et de présence fiévreuse.

Autour de ces deux astres, Mann fait naviguer un nombre impressionnant de personnages secondaires qu’il parvient à faire exister quel que soit leur temps de présence à l’écran. Ils servent à renforcer l’ampleur narrative du récit (toute sa sous-intrigue avec le financier Van Zant (William Fichtner) absente du téléfilm originel), son authenticité (le mentor taciturne formidablement incarné par Jon Voight) mais aussi servir de reflet accéléré des problématiques rencontrés par les deux personnages principaux. En dépit d’une vie de famille rangée, Michael Cheritto (Tom Sizemore) ne peut se passer de l’adrénaline des braquages tandis que Chris (Val Kilmer) semble inadaptée à une existence normale sombrant dans le jeu et en conflit avec sa femme (Ashley Judd).

Mann s’astreint dans Heat de toute la facette funeste et de destinée typique du polar. La malchance n’a rien à faire ici, les personnages s’astreignent à une certaine vision de la vie dans leur comportement et ce sont des micros évènements où ils dévient de leurs choix initial qui provoqueront leur perte. McCauley en laissant échapper Waingro en début de film provoque ainsi les évènements tragiques de la dernière partie, et s’éloignera de toute la rigueur qui le définissait au départ en allant se venger et fatalement s’exposer à la fin. On pense également au repris de justice en conditionnelle Donald Breedan (Denis Haysbert) rompant en un instant ses bonnes résolutions pour le pire. 

Mann définit ces conflits par un mimétisme contrasté dans l’opposition de ces eux héros. Ce sera d’abord dans le calme d’un bar que se feront enfin face McCauley et Hanna. S’étant déjà jaugé et ayant su apprécier les compétences de l’autre dans son domaine, on aura non pas une confrontation mais une affirmation de chacun d’aller jusqu’au bout quel que soit les conséquences car c’est tout simplement leur métier. Deux professionnels face à face, froid et décidé, si éloigné mais si proche en même temps.

Le réalisateur se refuse à un plan d’ensemble qui les séparerait à l’image pour privilégier un champ contre champ renforçant cette idée de revers d’une même pièce pour chacun des protagonistes, l’intensité et la connexion étant telle que les gestuelles se reflètent de l’un à l’autre (Pacino reprenant un mouvement de tête de De Niro en lui répondant), les dialogues se répétant avec le calme froid de De Niro ou la nervosité de Pacino. Le gunfight apocalyptique lors de la grande scène de holdup up fait passer la parole à l’action dans un morceau de bravoure où le chaos urbain a rarement été plus virtuose – lors de la Masterclass qu’il donna à l’occasion de la rétrospective lui étant consacrée à la Cinémathèque Française en 2008, Mann avait dévoilé l’impressionnant plan de bataille de cette séquence qualifiée de World War 3 sur le planning de tournage ! -. 

Un fracas de balles, de verres brisé et de hurlement à l’issu duquel les héros sont confrontés à des choix décisif. En quittant le chevet de sa belle-fille meurtrie, Pacino renonce sans doute définitivement à son mariage mais s’assure la possible capture de De Niro. Ce dernier, en oubliant sa pure logique d’efficacité pour se venger, en révélant sa vraie nature et tombant amoureux d’une jeune femme (Amy Brenneman) qui l’accompagnera dans sa fuite brise ses préceptes de survie élémentaire qu’il s’était si rigoureusement imposé (Mann s'attardant longuement sur son visage impassible et son esprit en ébullition alors qu'il prend la mauvaise décision). 

L’issue ne pourra qu’être fatale dans une somptueuse course poursuite finale. Mann nous perd avec brio loin des concepts de bien et de mal pour seulement montrer des êtres humains face à leurs contradictions et le spectateur ne sait finalement plus qui il souhaite voir vainqueur de cet affrontement. On retrouve cette émotion en pesanteur dans le superbe plan final où une nouvelle fois, De Niro et Pacino n’ont jamais semblé plus proche et plus éloignés par la seule force de l’image. Un chef d’œuvre du polar d'un Michael Mann au sommet de son art et annonçant la suite avec les ambiances nocturnes urbaine de Collatéral et Miami Vice (2006).

Sorti en dvd zone 2 et blu ray chez Warner