Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 20 juin 2014

La Loi du Seigneur - Friendly Persuasion, William Wyler (1956)


Une famille quaker est prise entre les deux camps durant la guerre de Sécession.

La Loi du Seigneur fut parmi les films les plus populaires de William Wyler et constitua une surprenante Palme d’or au Festival de Cannes 1957. L’histoire constitue une grande saga voyant une famille de quaker devoir confronter ses convictions non-violentes au contexte de la guerre de Sécession s'approchant dangereusement de leur ferme. C'est ce que résume le pitch mais en fait l'horizon s'obscurcit réellement dans les dernières minutes du film, pour être résolu dans un happy end de rigueur pour ce spectacle calibré. Auparavant on aura suivit près de deux heures durant la petite vie de cette famille dans son quotidien. 

Si Wyler peine à amener une tournure vraiment dramatique à l'ensemble, il se rattrape avec une galerie de personnages attachant et truculents. Gary Cooper est épatant en patriarche quaker peu concerné et toujours partant pour une bagarre ou amusement quelconque, humanisant l’imagerie austère que l’on associe aux quakers. La fille aînée commençant à être attirée par les garçons et le petit dernier teigneux complètent le tableau et le film s'amuse à les confronter à des situations loufoques où ils bousculent les principes rigides de la religion quaker. Seul le personnage de la mère joué par Dorothy McGuire s'avère trop psychorigide pour être attachant en dépit de quelques moments légers qui la dérident quelque peu. 

Hormis la conclusion c'est donc un récit rurale intimiste qui dénué de l'aspect quaker et du contexte de guerre pourrait presque évoquer un ancêtre de la série La Petite Maison dans la prairie (est c'est dit sans moquerie) avec une petite troupe de personnage attachants, leur voisins et les petits tracas ordinaire. Le problème est que Wyler prolonge cette facette sur quasiment tout le film. Le destin des personnages si bien brossés aurait pu s'avérer bouleversant lorsque les problèmes arrivent mais le tout est enchaîné de manière facile, expéditive et consensuelle (voir la confrontation entre Dorothy McGuire et les rebelles sudistes plus drôle qu'inquiétante) notamment la conclusion où presque rien n'a changé et où tout le monde s'en sort. 

Il fut parfois reproché à Wyler une certaine lourdeur psychologique dans certaines de ces œuvres, mais là le simplisme dessert une vision qui aurait être bien plus intéressante mais une certaine bienveillance à semble-t-il freiné le réalisateur à apporter un ton plus complexe et bouleverser ce monde idéalisé. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

mardi 17 juin 2014

Five Star Final - Mervyn LeRoy (1931)


Face à un tirage déclinant, l’impitoyable rédacteur en chef Joseph Randall (Edward G. Robinson) cherche une première page racoleuse pour relancer son journal. Prêt à tout, il va jusqu’à déterrer les morts et sortir de l’anonymat Nancy Townsend (Frances Starr), qui avait abattu son amant il y a 20 ans.

Five Star Final constitue une des charges les plus cinglante envers la presse à scandales et les tabloïds, et dont la noirceur marque durablement. Le film est adapté d'une pièce de théâtre à succès jouée à Broadway et écrite par Louis Weitzenkorn et inspirée de sa propre expérience au sein du New York Evening Graphic, fameux tabloïd des années 20 dont il fut un temps le rédacteur en chef. Dès lors le film dans les écarts les plus abjects de ses protagonistes se verra doté d'une sorte de cynisme pragmatique faisant froid dans le dos, un constat réaliste désespéré plus qu'une satire. Se déroulant sur une courte période de deux jour, le récit est celui d'une mise à mort annoncée et publique, une corrida médiatique dont une innocente sera la victime.

Face à son tirage déclinant, le rédacteur en chef du journal Joseph Randall (Edward G. Robinson) décide de faire du neuf avec du vieux en déterrant un faits divers s'étant déroulé vingt ans plus tôt. La secrétaire Nancy Voorhees (Frances Starr) avait ainsi tué son patron qui l'avait séduite, mise enceinte et refusé de l'épouser. Acquittée en raison de son état, Nancy a depuis refait sa vie avec un homme ayant accepté d'adopter sa fille Nancy (Marian Marsh) qui ignore tout de ce passé et s'apprête à épouser le fils d'un riche industriel. Toute cette existence paisible retrouvée va alors voler en éclat sur l'autel du sensationnel LeRoy s'attarde surtout sur l'absence d'états d'âme de la rédaction.

Le choix est de ne pas représenter e fustiger les lecteurs, mais surtout les dirigeants du journal pour lesquels il ne représente que des chiffres de tirage à faire fructifier par les "informations" les plus crapoteuses possibles. Les dommages collatéraux sont tout aussi abstrait pour eux, la malheureuse Nancy ne représentant qu'une proie de plus qu'ils vont s'employer à dépecer en s'introduisant dans son quotidien pour mieux l'exposer au grand jour pour rompre l'anonymat tranquille dans lequel elle vivait. Lorsque cette réalité s'invite à eux et est susceptible d'éveiller leur culpabilité, ils la fuient à l'image de ce terrible spit-screen où Nancy tente en vain de joindre au téléphone les dirigeants du journal afin de les supplier de la laisser en paix.

Tous les personnages sont absolument ignoble chacun dans un registre bien spécifique, le cynisme le plus prononcé avec Hinchecliffe (Oscar Apfel) se drapant de morale préventive pour briser une vie, le répugnant et manipulateur Isopod (Boris Karloff). Joseph Randall est sans doute le plus coupable de tous car le plus conscient du mal qu'il fait (constamment culpabilisé par la conscien incarnée par sa secrétaire que joue Alin McMahon), s'abaissant à une dernière atrocité (publier des photos de morts) avant de lâcher prise et vaciller va aux conséquences de ses actes. Edward G. Robinson rend magnifiquement la complexité d'un homme ayant fini de se bercer d'illusions d'un vrai journalisme finit par aller plus loin que les plus sinistre vautours qui l'entoure. Le final lui accorde un semblant de seconde chance mais l'on a du mal à être dupe et cela semble juste une astuce pour ne pas conclure le film sur une note sinistre.

Frances Starr est magnifique de vulnérabilité, résignée et qui résoudra son dilemme de la plus injuste de façon avec son époux (H. B. Warner tout aussi poignant et dont la dernière scène est terrible). Les conséquences sur les lecteurs et l'entourage restent au niveau intime aussi avec la réaction outrée des beaux-parents nantis de Jenny plus gênés des répercutions mondaines que de la détresse de la jeune fille. Là aussi la noirceur totale attendue est évitée de justesse lors de la confrontation finale. La dernière image résume parfaitement le caractère éphémère, immonde et vain qui a animé l'ensemble lorsque le journal et son contenu ayant causé tant de drame est le soir même balayé et recouvert de boue dans un caniveau. Tout cela pour faire sensation dans l'édition du soir.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner dans la collection Trésor Warner consacrée au Pré-Code

lundi 16 juin 2014

Génération rebelle - Dazed and Confused, Richard Linklater (1993)

Le dernier jour de cours d'une petite ville du Texas en 1976. Après le bizutage traditionnel des futurs lycéens, les différents protagonistes fêtent le début des vacances en buvant, fumant, faisant les 400 coups… La soirée sera l'occasion pour les personnages de se rapprocher, s'affirmer, évoluer ou tout simplement s'amuser.

Deuxième film de Richard Linklater, Dazed and Confused est aussi une de ses œuvres les plus personnelles.  Le réalisateur après s’être fait la main sur plusieurs court-métrage avait acquis une certaine maîtrise des budgets restreint qui le mènerait à Slackers (1991), première œuvre culte et symbole de la Génération X.  On y retrouvait déjà les motifs communs de tous ses premiers films avec ces héros juvéniles et son unité de temps sur une journée que l’on retrouverait dans Dazed and Confused (on peut ajouter le cadre de son Texas natal pour celui-ci) et Before Sunrise (1995). Linklater signe avec Dazed and Confused un teen movie nostalgique en grande partie inspiré de sa propre adolescence. Nous y suivront en ce dernier jour d’année scolaire 1976 le destin de divers adolescents qui vont fêter dignement l’évènement pour s’amuser, s’affirmer et vivre pour certains leurs premiers émois amoureux. Le réalisateur a souhaité avec ce film réaliser une œuvre en contrepoint total aux films de John Hughes. Ces derniers s’ils avaient pu dépeindre avec émotion et acuité cette période charnière de l’adolescence en donnaient une vision dramatique qui ne correspond pas au ressenti de Linklater de ce moment. 

Le réalisateur se souvient de cette époque comme de celle d’une insouciance et liberté où il ne pensait qu’à faire les les 400 coups avec ses amis et courir les filles. C’est ce sentiment que cherche à communiquer une trame volontairement lâche où ne s’invite à aucun moment le drame. On pourrait penser une sorte de variation d’American Graffiti (1973) mais contrairement à George Lucas, Linklater se déleste de toute aura nostalgique (clairement présente chez Lucas dans une idéalisation des 50’s de sa propre adolescence). Les cheveux sont longs, les pantalons patte d’éléphants légions et la bande-son rock rétro à l’avenant – avec douce ironie l’absence de Led Zeppelin dont l’un des morceaux les plus fameux donne son titre au film mais Robert Plant refusera d’en céder les droits – mais à aucun moment ne s’instaure ici une idéalisation vintage. Linklater ne célèbre pas la jeunesse des 70’s, mais la jeunesse tout court. Pas de questionnement existentiel non plus chez nos jeunes gens, après tout c’est le dernier jour de classe, il fait beau et il n’y a vraiment aucune raison de se prendre la tête.

L’erreur serait de voir par cette approche de Linklater un film creux. La profondeur thématique ne naîtra pas que d’une dramatisation forcée mais de façon plus subtile dans une atmosphère hédoniste et légère. Les moments difficiles trouveront toujours une réponse amusée dans la progression de l’intrigue ou la réaction des personnages. Le bizutage des premières années prend ainsi un tour aussi potache que douloureux, la vision collective parvenant toujours à se faire intime. On s’amuse des « épreuves » subies par les benjamins du lycée et les manœuvres de certains pour y échapper, notamment le jeune Mitch Kramer (Wiley Wiggins) traqué par la brute épaisse O’Bannion (Ben Affleck). L’angoisse est bien là, la raclée sera humiliante et douloureuse mais le réalisateur en retient surtout la dimension de rite de passage de Mitch chez les « grands ». Il ne cautionne ni ne condamne le rituel, accordant même une savoureuse vengeance au personnage qui gagne en assurance en vivant première cuite, premier flirt avec une fille plus âgée et premier savon maternel matinal pour être rentré aux aurores. 

Le questionnement sur la jeunesse paumée de Slacker n’est pas absent non plus avec cette flopées personnages fumant, buvant et traversant tout le film particulièrement perchée à l’image de Ron Slater (Rory Cochrane). Pink (Jason London) superstar de l’équipe de football entraperçoit déjà une forme de soumission à l’autorité en devant signer une clause de « pureté » à son entraîneur et se rebelle contre ce frein à sa liberté. Là encore le réalisateur laisse le bon choix à la libre interprétation en montrant l’esprit de camaraderie tendant vers un objectif des membres de l’équipe mais aussi l’autoritarisme et jugement de valeur injuste de la part de l’entraîneur psychorigide. Chaque fois que les prémisses et les difficultés de la « vraie » vie viennent s’immiscer dans cet instant, un grand éclat de rire vient les désamorcer sans les faire disparaître pour autant. L’avenir sans issue pourrait ainsi inquiéter avec le glandeur désinvolte Wooderson (Matthew McConaughey en grande révélation et texan pur jus comme Linklater) qui ne semble pas faire grand-chose de sa vie après avoir quitté l’école, mais Linklater ne préfère retenir que la cool attitude du personnage plus préoccupé du prochain concert d’Aerosmith et de sa future conquête du jour. 

La mise en scène oscille d’ailleurs entre hauteur bienveillante donnant dans la pure chronique et une attention plus délicate pour les protagonistes. Le champ se restreint au fil du récit avec une caméra arpentant les couloirs du lycée sur fond de rock tonitruant pour saisir tout à la fois l’urgence, l’énergie mais aussi l’insouciance du moment. Avec la nuit tout va soudain moins vite, les regards s’égarent, les attitudes se font plus passionnées et les tirades plus inconsistantes sous l’effet des alcools et drogues diverses consommées, drapant l’ensemble d’une touchante maladresse.

C’est le moment du laisser-aller, où l’on peut se libérer des frustrations (Adam Goldberg osant rendre la pareille à la brute du coin) où les premiers amours semblent les plus fragiles et touchant à l’image de l’échange final entre Tony (Anthony Rapp) et Sabrina (Christin Hinojosa). Demain n’existe pas et chacun vit les instants les plus heureux de sa vie semble nous dire Linklater, qui n’installe d’ailleurs pas le film dans un moment décisif de l’existence de ces jeunes gens, pas encore confrontés aux échéances scolaires et professionnelles. On retrouve ainsi déjà à une échelle plus collective ce sentiment d’attente, d’éphémère et de plénitude en suspend qui fera tout le charme du diptyque Before Sunrise/ Before Sunset (le troisième volet forçant pas forcément pour le meilleur le côté dramatique).

Un film culte qui gagnera en grandeur au fil des années jusqu’à la consécration lorsque Tarantino le classera parmi ses dix films favoris et ranimera son aura puisque le succès fut d’estime à sa sortie en dépit des critiques élogieuse. Un teen movie unique en son genre qui n’a trouvé finalement qu’un seul vrai successeur récemment avec le beau The Myth of The American Sleepover (2010).

Sorti en dvd zone 2 français chez Universal

dimanche 15 juin 2014

Man Wanted - William Dieterle (1932)


Lois Ames (Kay Francis) est une brillante directrice de magazine obsédée par son travail et délaissée par son mari (Kenneth Thomson). Lorsque sa secrétaire personnelle la quitte, elle engage le séduisant Tom Sherman (David Manners) pour la remplacer. Tom gravit peu à peu les échelons dans l’entreprise et finit par tomber éperdument amoureux de sa patronne

Man Wanted est un bel exemple de plus de la liberté du Pré Code avec ses codes sociaux au service du bien-être et de la liberté de l'individu plutôt qu'une morale bienpensante rassurant une collectivité rétrograde. Le postulat est typique de cette période en renversant les rôles ici avec la belle Lois Ames (Kay Francis) rédactrice en chef surmenée d'un magazine tandis que son époux (Kenneth Thompson) se complait dans une oisiveté faite de partie de polo, soirées mondaines et adultères.

Cela n'est pourtant pas dépeint comme une anomalie, chacun se satisfaisant parfaitement de cette situation et parvenant à cohabiter et s'aimer, à l'image de cette scène où Kay Francis vient demander tout sourire aux convives de son époux de faire moins de bruit car elle travaille le lendemain. Les tentations arriveront donc par ce biais avec les multiples conquêtes du mari lors de ses party tandis que Kay Francis après avoir usé les nerfs de toutes ses secrétaires opte soudain pour un secrétaire dévoué car amoureux d'elle, Tom Sherman (David Manners).

Dieterle dépeint ainsi les désirs contradictoires de chacun avec une grande subtilité. L'attirance masculine est plus directe, que ce soit les tromperies grossières de l'époux ou la dévotion "professionnelle" d'un Tom Sherman subjugué par une Kay Francis plus sophistiquée et glamour que jamais. Lois Ames s'avère plus complexe, recherchant de plus en plus la promiscuité de son secrétaire, le provoquant mais sans jamais oser franchir le pas car son mariage tient selon un équilibre subtil à ne surtout pas bouleverser.

La déconstruction de l'édifice se fait ainsi avec la même finesse quand Kay Francis découvre ouvertement l'infidélité de son époux et le lui signal d'une manière plus malicieuse qu'outragée dans une scène formidable. La morale ordinaire n'a pas cours ici et cet écart n'est pas la fin de tout, elle-même ayant résistée à la tentation. C'est pourtant son changement d'attitude et son attitude plus prévenante d'épouse ordinaire pour recoller les morceaux et le reconquérir qui vont à l'inverse briser le couple légitime. Un constat d'une audace folle puisque définissant le vrai bonheur comme étant celui que l'on vit comme on l'entend, au-delà des conventions morales et sociales établies. Une formidable leçon, et un argument romantique faisant fi de toute facilité. Kay Francis est toujours aussi étincelante.


Sorti en dvd zone 2 français chez Warner dans la collection Trésors Warner consacrée au Pré Code 

jeudi 12 juin 2014

Hostel - Eli Roth (2006)


Deux étudiants américains, Paxton et Josh, ont décidé de découvrir l'Europe avec un maximum d'aventures et de sensations fortes. Avec Oli, un Islandais qu'ils ont rencontré en chemin, ils se retrouvent dans une petite ville de Slovaquie dans ce qu'on leur a décrit comme le nirvana des vacances de débauche : une propriété très spéciale, pleine de filles aussi belles que faciles... Natalya et Svetlana sont effectivement très cools... un peu trop, même. Paxton et Josh vont vite se rendre compte qu'ils sont tombés dans un piège. Ce voyage-là va les conduire au bout de l'horreur...

Au début des années 2000 le cinéma d'horreur se trouve dans une certaine impasse, étant arrivé au bout sans jamais l'égaler de la tonalité distanciée et référentielle du Scream (1996) de Wes Craven. Le genre se radicalise donc de nouveau pour verser dans une horreur graphique et extrême qu'on qualifiera du terme de torture porn. Le poisseux et très réussi remake de Massacre à la tronçonneuse (2003) signé Marcus Nispel amorcera cette tendance d'où sortira finalement bien peu de bons films (Saw qui pour un premier volet efficace débouchera sur des suites de plus en plus extrêmes et ridicules, le prétentieux Martyrs (2008) de Pascal Laugier). Le plus intéressant reste en fait le film qui lancera le mouvement avec ce Hostel. C'est le deuxième film d'Eli Roth après un Cabin Fever raté mais où l'on décelait déjà un certain talent à distiller le malaise.

Le scénario prend un prétexte des plus retors pour insérer ses dérapages de violences. En Europe de l'est, un mystérieux club piège des touristes de passages qu'ils livrent à des nantis avides de sensations fortes qui vont se faire un plaisir de les torturer jusqu'à ce que mort s'ensuive. Le film promut sur cette idée forte déçu à sa sortie certains férus d'horreur s'attendant à une débauche de sexe et d'hémoglobine, même si avec le recul sa violence est plutôt difficile à encaisser.

 Cela ne s'exprime pas forcément et uniquement d'un point de vue graphique (Hostel 2 (2007) sera beaucoup plus flamboyant sur la question) mais par la thématique du film où on peut supposer l'influence du producteur Quentin Tarantino avec des dérapages rigolard dont le malaise progressif finissent par questionner (notamment son versant récent avec Boulevard de la Mort (2007) et Inglorious Basterds (2009)). Le film démarre donc comme un teen movie paillard façon Eurotrip (2004) où un trio de copains composé des deux américain Paxton (Jay Hernandez) et Josh (Derek Richardson) accompagné de l'islandais Oli (Eythor Gudjonsson) parcoure l'Europe dans un grand éclat de rire. Leur but se résume à coucher avec un maximum de filles et l'Histoire et la culture du vieux continent se résumera à la visite du Musée du chanvre à Amsterdam.

Tous ne sont pas caractérisés dans cette même attitude déplacée puisque Josh s'avère plus sensible et introverti que ses compères mais finalement tous voient en l'Europe un terrain d'amusement où les filles sont plus faciles, la drogue moins chère et où ils peuvent tout se permettre. Des sortes de clichés d'américains arrogants arrivant partout en terrain conquis, ce que Roth ne manque pas de souligner par diverses situation anodines mais trouveront leur logique par la suite : tardive et bruyante arrivée à leur hôtel dont l'ouverture leur est due, Paxton qui regardera avec mépris la télévision diffusant Pulp Fiction en slovaque et sans sous-titres, la condescendance de Josh envers ses filles européennes qui fument... Puisque l'Europe ne représente pas plus pour eux, on va leur en offrir un cliché extrême lorsqu'ils seront conviés à une auberge de jeunesse de Bratislava où les filles sont magnifiques et folles des touristes, des américains qui plus est. L'arrivée ressemble en tout point à ce fantasme avec deux charmantes créatures peu farouches qui vont les séduire. Le piège peut alors se refermer.

Cette lente montée en puissance offre une magnifique transition du rêve (grotesque et beauf) vers le cauchemar, comme si American Pie virait à Delivrance. Roth use d'ailleurs d'une construction proche des films d’horreurs ruraux pour décrire la nature progressivement inhospitalière de ce pays étranger. Le film fut de façon compréhensible accusé de racisme par une population indignée de se voir ainsi dépeinte (l'intrigue se passe en Slovaquie mais le film fut tourné en République Tchèque) mais Eli Roth ne cherchait pas le réalisme.

Après le cliché de l'Europe dépravée que recherchent nos touristes, c'est celui d'un vieux continent arriéré et barbare qui doit lui répondre, typique de l'idée que s'en font des américains presque jamais sortis de leur pays. C'est l'envers du miroir que va découvrir Paxton livré à lui-même après la disparition de ses amis avec ses bandes de très jeunes enfants menaçant, une police corrompue et des jeunes filles au physique étrangement plus ternes après une première nuit où elles ont piégées leur victimes. La tension s'installe tandis que l'on traverse les ruelles désertes et inquiétantes de Bratislava, avant que Paxton soit à son tour livré en pâture aux tortionnaires.

Même s'il se garde bien d'affirmer tout propos politique, le contexte du film est particulier avec un gouvernement américain détesté depuis le lancement de la guerre en Irak contre l'opinion du monde entier. Le mépris d'autrui et de son opinion peut être ainsi symbolisé par la désinvolture de nos héros tandis que l'hostilité du monde envers eux s'illustrera par la cruelle révélation des tarifs de vente de la chair à torture, les américains étant les plus chers. Tout peut se vendre et s'acheter (par nécessité ou pou le plaisir), le scénario ne s'arrêtant pas au seul étranger dans cette idée puisque les richissimes clients sont soit des symboles du capitalisme avec l'odieux homme d'affaire hollandais (Jan Vlasák) au sadisme raffiné puis un américain pu jus dont l'excitation à tourmenter l'autre est tout simplement répugnante. Une fois ce contexte posé et le malaise à son comble, Roth peut enfin se laisser aller aux débordements sanglants.

Le savant équilibre en hors champs glaçant et écart gore insoutenable (pauvre touriste japonaise qui va finir défigurée) se fait dans une imagerie glauque jouant aussi du cliché avec une Slovaquie uniquement composée de terrain vague désaffectés et de souterrains sombre et humides, le réalisme cru alternant avec des élans gothiques inattendus (l'ouverture froide où un tortionnaire nettoie ses instrument). Cette ambiance oppressante n'empêche pas Roth de faire preuve d'un surprenant humour noir comme la mort stupide de ce tortionnaire glissant sur des doigts coupés pour s'empaler sur sa tronçonneuse en marche.

Roth renvoie finalement chacun dos à dos avec un final vengeur et ambigu où la rage se mêle au plaisir dans la revanche du survivant qui a dans cette expérience douloureuse pris le gout du sang et n'hésitera pas à se faire brutalement justice plutôt que d'avertir les autorités. Un des meilleurs films d'horreur des années 2000, plus malin qu'il n'en a l'air et qui évite avec brio le piège de la surenchère tout en mettant le spectateur dans une position désagréable. Hostel 2 (2007) plutôt réussi perdra cependant l'effet de surprise et la retenue habile du premier volet pour un résultat plus excessif mais moins intéressant (pas vu Hostel 3 (2011)que ne signe pas Roth et qui n'a pas très bonne réputation).

Sorti en dvd zone 2 chez Sony
 

mercredi 11 juin 2014

Trois petits tours et puis s'en vont - Here We Go Round the Mulberry Bush, Clive Donner (1968)

Été 1967 dans la grande banlieue de Londres. Jamie McGregor, étudiant de terminale qui s'apprête à entrer à l'université, a du mal à perdre sa virginité, malgré l'atmosphère de permissivité du milieu des années 60. Après des tentatives aussi burlesques qu'infructueuses avec Linda, Paula, Caroline, il réussira avec la gentille Audrey puis surtout avec la fille de ses rêves, la belle Mary Gloucester dont il est romantiquement amoureux.

Here We Go Round the Mulberry Bush est des films les plus emblématiques de la jeunesse hédoniste des 60's. C'est une sorte de croisement idéal entre le réalisme du free cinema et la stylisation bariolée du cinéma pop alors en vogue, faisant le pont entre deux des grands courants de cette décennie. Clive Donner se montre même bien plus brillants sur des thèmes voisins que pas mal d'œuvres du surestimé Richard Lester (on pense un peu notamment à The Knack ...and How to Get It (1965) mais aussi à une version adolescente et positive d'Alfie (1966)). Le film est l'adaptation du roman éponyme de Hunter Davies (qui signe également le scénario) auteur emblématique des 60's et responsable entre autre de la première et controversée biographie des Beatles en 1968). Le film narre l'odyssée sexuelle et sentimentale de Jamie McGregor (Barry Evans), adolescent dont la frustration est mise à rude épreuve par le contexte hédoniste d'alors et une sexualité ouvertement affichée à tous les coins de rue.

La scène d'ouverture voit notre héros traverser son quartier à vélo pour effectuer des livraisons, l'œil concupiscent et s'attardant sur toutes les mini jupes, pulls moulants et autres décolleté qui forment la garde-robe de la gent féminine croisée sur son parcours. Barry Evans est confondant de naturel, garçon maladroit et attachant dont la voix off à l'accent cockney blasé est le vrai fil conducteur d'un récit entièrement plié esthétiquement et narrativement aux émotions qui le traversent. Qu'il livre ses courses à une mère au foyer et Donner déploie un fantasme à la Somerset Maugham où Jamie fantasme d'être initié sexuellement par une avenante femme mûre.

Le réalisateur fait preuve d'une grande inventivité dans l'illustration de ces rêveries (et une nouvelle fois de façon tellement plus forte qu'un Richard Lester) surgissant à tout moment et où sont convoqués le splapstick et le burlesque, où la photo d'Alex Thomson (premier film de celui qui allait faire des merveilles avec Excalibur (1981) et autres Legend (1985)) reproduit les teintes colorées du cinéma muet, laisse exploser l'arc en ciel pop psyché 60's ou désature l'image façon vidéo domestique en 16mm.

Jamie cherchera donc durant tout le film à perdre sa virginité auprès de différentes jeunes filles, tout en observant de loin l'inaccessible Mary (Judy Gleeson) dont il est réellement amoureux. Le scénario ne fait d'ailleurs pas de Jamie un timide empoté, mais plutôt un jeune homme dont le manque d'envergure et de maturité le voit toujours se faire dépasser par d'autres ayant de meilleurs arguments à faire valoir pour une adolescente, son vélo ne pouvant faire le poids face aux prétendants motorisés de Mary. On aura dans la quête de Jamie une savoureuse satire sociale à travers ses déconvenues amoureuses et le caractère singulier de chacune des filles qu'il va tenter de conquérir. Toute les petites amies seront l'illustration de cette libération sexuelle et de cette morale disparue de cette Angleterre décomplexée.

La blonde écervelée et revêche Linda (Adrienne Posta) se montre ainsi hermétique aux tentatives de baiser de Jamie mais s'excite toute seule et attends l'assaut de ce dernier quand il la fera involontairement basculer au sol à l'horizontale. La ravissante brune à frange et pieuse Paula (Sheila White) l'incitera même à consacrer du temps aux animations de l'église tout en l'éconduisant pour flirter avec un jeune prêtre. Cela donne d'ailleurs une des scènes les plus mémorables du film avec le Spencer Davis Group donnant un concert dans une église (le titre du film est d'ailleurs celui d'une chanson de Traffic, nouveau groupe de Steve Winwood qui quitta le Spencer Davis Group durant le tournage) où symbole de cette hypocrisie le slow chaste se mue en roulage de pelle furieux à chaque break de la chanson où les jeunes gens profite de la brève obscurité pour se sauter dessus.

La farce sera encore plus drôle quand Jamie tentera sa chance avec Caroline (Angela Scoular), fille de la haute dont la famille s'avérera bien dépravée le temps d'un week-end où notre héros aura plus de chance de conclure avec la mère que la fille passablement éméchée. On rit beaucoup tout en étant consterné pour Jamie dont chaque tentative est vouée à l'échec par les circonstances défavorables, la mine dépitée de Barry Evans contrebalançant l'extravagance et la drôlerie des situations.

Barry Evans dont c'était le premier rôle est si authentique que le personnage suscite toujours l'empathie et ne passe jamais pour un obsédé en rut. On devine une certaine mélancolie dans sa présence à l'écran qui fait comprendre que la quête n'est pas seulement d'ordre sexuelle mais surtout affective. Ainsi le dépucelage sans amour avec une camarade peu farouche intervient par une ellipse au terme d'une gigantesque séquence de batifolage collectif témoignant de cette jeunesse sans tabous et échangeant joyeusement ses partenaires de flirt et plus si affinité.

Jamie se voit ainsi confronté aux limites de ce contexte quand il réussira enfin à conquérir Mary, son romantisme naïf se brisant dans la quête d'expériences de son aimée. Avant cette déconvenue, Donner ose enfin puisque l'amour est enfin là déployer des scènes sexuelles plus osées (où l'on appréciera la plastique parfaite de Judy Gleeson sous tous les angles) dans une esthétique chatoyante et où Jamie parait enfin heureux et épanoui.

Cela pourrait donner une conclusion plus pessimiste mais c'est la fougue juvénile qui prédomine dans cette œuvre ouvertement optimiste et la splendide dernière scène nous montre bien le désir charnel toujours bien là sera désormais au service d'un sentiment plus profond. Une belle réussite trépidante et bariolée filant le sourire et un portrait juste et très universel des émois adolescents.

 Sorti en dvd zone 2 anglais et bluray anglais chez BFI et doté de sous-titres anglais

Générique de début

mardi 10 juin 2014

L'Archet Magique - The Magic Bow, Bernard Knowles (1946)

Paganini fait la connaissance d'une ravissante jeune fille, Jeanne de Vermont. Les deux jeunes gens s'aiment, mais Napoléon destine Jeanne à l'un de ses officiers, le Comte de la Rochelle.

Cette divine production Gainsborough nous propose ici un biopic largement romancé du légendaire violoncelliste Niccolò Paganini avec Stewart Granger dans le rôle-titre. Hormis bien sûr son génie musical (sans être connaisseur on sent d'ailleurs tout le travail de Granger dans le jeu et le positionnement lorsqu'il s'exécute au violon) et la façon novatrice qu'il eut de promouvoir son art à l’époque, l'ensemble est donc un pur prétexte à une pure œuvre romanesque en costume typique de la Gainsborough. On suivra ici les débuts et l'ascension du musicien qui se fera bien évidemment en parallèle à une grande histoire d'amour.

Musicien de génie confiné à sa modeste condition au sein de la ville de Gênes, Paganini est introduit dans toute sa virtuosité et sale caractère lors d'une scène où il se plaint de son instrument rudimentaire dont il ne peut faire sortir tous les sons qu'il a en tête. Son talent attire l'attention de Jeanne de Vermond (Phyllis Calvert), une noble qui va user de lui pour faire évader son père, le faisant jouer pendant qu'il scie les barreaux de la prison où il est emprisonné ! Le contexte de luttes des classes et celui historique des guerres napoléoniennes s'infiltre donc là de la plus ludiques des manières.

Les amours de Jeanne et Paganini seront ainsi constamment contrariées par ses origines modestes. Le musicien voit ainsi son exigence se confronter à l'oisiveté du public nantis devant lequel il joue, dans un champ contre champs parfait où la fureur de Granger monte tandis que les nobles s'adonnent à leurs jeux et discussion. Le succès sera donc une longue quête où Paganini cherchera notoriété autant pour se défier ces nobles qui l'ont snobés que conquérir le cœur pourtant déjà acquis de Jeanne. C'est dans cette idée que le réalisateur déploie toute une imagerie flamboyante pour mettre en valeur la musique et le brio de Paganini.

Un des grands moments du film est certainement le premier concert triomphal de Paganini tandis qu'à l'extérieur les troupes de Napoléon envahissent Parme. Le propriétaire de la salle hésite à évacuer la salle happée par la musique et n'ayant pu s'y résoudre voit les hommes en uniforme investir les lieux. Paganini après s'être arrêté pour voir l'arrivée des intrus toise leur chef de son regard le plus hautain (Granger est absolument grandiose) puis reprend son récital tandis qu'admiratifs et penaud les soldats repartent. La salle de musique ne sera un lieu de conquête que pour Paganini.

 
L'histoire étend cette idée à des fins dramatiques par la suite avec l'impossible romance entre le musicien et Jeanne promise à un officier napoléonien. Le musique ne sert dont plus l'égo du musicien mais le déchirement de son cœur lorsque meurtri il doit la laisser partir et qu'elle lui demande de jouer dans l'intimité de sa chambre tandis qu'elle quitte les lieux.

La fusion entre le héros et son instrument le montrera alors perdu lorsque l'épée remplace l'archer quand il sera défié en duel et l'amour définitivement perdu il ne pourra plus empoigner son instrument. Cela semble de plus constamment en lien avec les pièces musicales entendues lors de ces moments (et que les connaisseurs sauront mieux que moi rattacher à la dramaturgie du film).

Tout ce tourbillon de sentiment explose lors du final supposé être la consécration artistique de Paganini mais un déchirement personnel quand il devra jouer devant le pape dans l'enceinte du Vatican. Knowles mêle flamboyance grandiloquente avec ces lieux dépeints dans tout l'excès rococo de la Gainsborough et dimension intime où les doutes de l'artiste et la douleur de revoir son amour perdu amène une fabuleuse intensité dramatique.

Un grand moment où le romanesque se marie parfaitement à l'ode de cette grande musique dans cette magnifique conclusion. Moins fou et déroutant que d'autres production Gainsborough, mais captivant dans son romanesque musical.

Sorti en dvd zone 2 anglais et doté de sous-titres anglais chez ITV dans le coffret consacré à Stewart Granger

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