Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 25 septembre 2014

L'Homme au complet blanc - The Man in the White Suit, Alexander Mackendrick (1951)

Sid Stratton est chimiste. Des recherches le conduisent sur la voie d'une découverte susceptible de révolutionner l'industrie textile : le tissu inusable et insalissable. Afin de tester sa découverte, il se fait embaucher dans les filatures et parvient à s'introduire dans les services de recherche. Grâce à l'appui d'Alan Birnley, un gros industriel, la découverte de Stratton semble tout d'abord être un succès. Mais les magnats du textile et les syndicats ouvriers entreprennent bien vite d'empêcher l'exploitation d'une invention dans laquelle ils ne voient qu'une dangereuse menace pour leur industrie.

Dès son premier film Whisky à gogo (1949), Alexander Mackendrick s’était avéré un des réalisateurs les plus virulents et politisés du studio Ealing dans ce récit de résistance alcoolisée d’un village écossais face à l’envahisseur anglais. Cette facette se ferait plus brillante encore avec cet excellentt Homme au complet blanc où il fait montre d’une plus grande maîtrise et signe un de ses chefs d’œuvre. Mackendrick avait longtemps envisagé de traiter d’un film sur le domaine de l’invention et de la science où il évoquerait les travers du monde de l’industrie. Sa première idée serait d’évoquer l’arme atomique mais il ne trouverait jamais le ton idéal dans les scénarios envisagés. L’étincelle viendra en lisant la pièce inédite et dormant dans les tiroirs de son cousin Roger MacDougall qui lui offre la trame et le cadre idéal à ses attentes même s’il la remaniera considérablement (au point de décevoir les spectateurs de théâtre connaissant le film quand la pièce sera enfin jouée en 1954) et y inventera quasiment le personnage d’Alec Guinness. Le résultat donnera une fable visionnaire et cinglante sur le capitalisme moderne.

L’histoire nous dépeint les soubresauts que causera dans l’industrie du textile l’invention du chimiste Sid Stratton (Alec Guinness) qui invente rien moins que le tissu inusable et insalissable. Le ver est dans le fruit dès l’ouverture, nous montrant un Stratton exploitant en sous-marin les ressources des usines où il est engagé à des postes bien plus modeste afin de poursuivre ses recherches. Les grands patrons de l’industrie nous sont alors déjà montrés au mieux comme des incompétents découvrant sans en connaître la teneur le laboratoire secret de Stratton et les énormes dépenses qui en découlentr. Au pire et sous cette stupidité, ce sont de vils calculateurs dont chaque action n’est motivée que par le profit, à l’image de l’odieux Corland (Michael Gough) fiancé intéressé délaissant Daphné (Joan Greenwood) dès que la possible association commerciale avec son père (Cecil Parker) sera caduque.

Stratton est ainsi un électron libre et rêveur uniquement préoccupé par ses recherches et qui ne trouvera pas plus sa place parmi les ouvriers. Mackendrick place d’ailleurs cette classe populaire dans des stéréotypes complémentaires à ceux des nantis. Les riches sont refermés sur eux-mêmes et leur seul soucis de l’argent, les ouvriers sont certes plus compétents dans ce qu’ils font mais font montre d’un même repli avec une obsession syndicale et des formules gauchistes prémâchées, à l’image du tea time imposé à Stratton par une collègue. Mackendrick n’aura pas été cherché bien loin l’inspiration pour les figures de l’usine, le patron interprété par Cecil Parker étant tiré du patron d’Ealing Michael Balcon et l’ouvrier syndicaliste sur Sidney Cole, producteur du film et très porté sur les droits des travailleur au sein du studio. La catastrophe est donc déjà en marche même si Stratton trouvera une interlocutrice plus attentive avec Daphné, personnage le plus lucide du film et sachant écouter et comprendre la portée de ses recherches.

 Alec Guiness est une fois de plus formidable dans son interprétation de ce personnage naïf, obsessionnel et touchant dans son autisme le détachant complètement des réalités du monde qui l’entoure. Mackendrick tout en le rendant très attachant dans sa nature quasi enfantine n’en est pas moins critique envers son héros qui ne mesure pas les conséquences de son invention, uniquement obnubilé par le résultat. Son attitude noble sera ainsi baignée d’une légère ambiguïté lorsqu’il refusera les pots de vins des industriels du textile pour enterrer son invention, la vraie vertu incorruptible se disputant à son caractère obsessionnel. 

Il s’avère d’ailleurs incapable de communiquer avec le monde extérieur, ne pouvant expliquer la nature de ses recherches que dans un charabia scientifique incompréhensible inaudible pour les patrons qui n’auront de cesse de le congédier et il faudra la vulgarisation et l’appel du profit de Daphné envers son père pour qu’il y trouve enfin un intérêt. Auparavant une scène de comédie au timing et à l’ironie irrésistible nous aura montré l’étendue de l’immobilisme et de la notion de classe paralysant l’Angleterre d’alors. 

Cecil Parker recherchant activement l’auteur des dépenses cachées de son usine congédie dans le même temps celui qui en est l’auteur et cherche à le voir, par pur snobisme. Il finira par le soutenir enfin le temps de réjouissants gags où l’usine est transformée en blocos vivant au rythme des explosions causées par les expériences de Stratton. Pourtant dès que le résultat s’illustrera à travers un costume blanc immaculé et faisant de Stratton une figure pure et innocente, l’entité de l’industrie en constituera le parfait négatif avec le cortège funèbre des magnats menacés et plus particulièrement Sir John Kierlaw (Ernest Thesiger) arborant une allure de vautour. Un même et bien humain égoïsme va finalement lier nantis et classe populaire, la satisfaction personnelle prenant le pas sur le progrès et l’intérêt collectif quand les deux s’associeront pour détruire cette invention qui menace leurs revenus. 

La course poursuite finale bascule dans une forme de féérie cauchemardesque où Stratton fuit dans l’obscurité de la ville où son costume étincelle tandis que les ombres malveillantes de ses ennemis se font monstrueuses et spectrales. Stratton y gagne même en grandeur lors d’un court moment de lucidité où l’un des rares personnages s’étant montré bienveillant et désintéressé avec lui (sa logeuse jouée par Edie Martin) le fustigera car son tissu insalissable lui fera perdre ses revenus de lavandière. Guiness atteint une émotion aussi profonde que subtile à ce moment, permettant à Mackendrick de dessiner des contours bien moins manichéens qu’attendus à son récit. 

Même si l’on devine que le réalisateur penche vers les plus démunis – les patrons s’avérant définitivement monstrueux dans cette scène où ils envoient presque Joanne Greenwood moyennant finance se prostituer pour convaincre Stratton de lâcher prise – cela ne se fera jamais au détriment d’une finesse constante. La conclusion cinglante célèbre l’immobilisme du collectif plutôt que le progrès par l’individu, même si l’ultime scène amusée nous montre que les génies n’ont pas dit leur dernier mot pour dérégler l’ordre établi.

Sorti en dvd zone 2 français chez Studio Canal

mardi 23 septembre 2014

Vive la sociale ! - Gérard Mordillat (1983)

Maurice Decques est un Parisien, né du mélange détonnant d'un père communiste et d'une mère anarchiste. Il vit dans son quartier de Ménilmontant depuis son enfance, et continue à y vivre, chez ses parents, après son mariage avec une violoncelliste hongroise, peu sensible aux charmes du communisme réel.

Gérard Mordillat adaptait son premier roman éponyme Vive la sociale (paru en 1981) avec cette première œuvre de fiction puisqu’il était déjà coréalisateur avec Nicolas Philibert du documentaire La Voix de son maître en 1979. Artistes aux talents variés (cinéastes, documentariste, poète, écrivain), Gérard Mordillat aura établi comme fil rouge à ses divers travaux son profond enracinement politique à gauche illustré par son soutien de toujours au Parti Communiste ou plus récemment au Front de Gauche de Jean-Luc Mélenchon. Cet engagement pu se manifester dans une veine sombre et revendicatrice comme dans son roman Les Vivants et les morts, où il dépeignait la liquidation d’une entreprise du point de vue des salariés. Vive la sociale par sa dimension autobiographique (même si Mordillat se défend d’avoir uniquement œuvré dans ce sens) traite de la question sur un mode plus léger, attachant et nostalgique en se penchant sur les souvenirs de Mordillat de son enfance au début des années 50 aux 70’s et le voyant traverser des soubresauts tel que la Guerre d’Algérie ou Mai 68. Maurice Decques (François Cluzet) double du réalisateur, traverse donc avec amusement ses souvenirs qu’il commente et dont il s’amuse face caméra. 

 On y découvre ainsi à travers sa famille une France d’après-guerre encore profondément endoctrinée à gauche, niant encore l’évidence des dérives du régime communiste en URSS. Point de pensum ou de grand discours pour exprimer cet attachement aveugle, il suffira d’un gag où le père (Yves Robert) est outré en faisant ses mots croisés qu’à l’intitulé « dictateur du XXe siècle » la réponse corresponde à Lenine et qu’il refusera de noter. 

Le regard innocent de l’enfant nous fait ainsi découvrir les motifs d’agitation d’alors avec son frère engagé en Algérie et lui écrivant sa répugnance à tuer ses hommes qui ne lui ont rien fait. L’opinion du réalisateur et la candeur du personnage s’entrecroise ainsi en évitant un message trop lourdement appuyé. La personnalité de Decques sert au contraire à rebondir intelligemment sur ce contexte puisque sa fugue (afin de suivre l’exemple de son idole le scientifique Alain Bombard et son ouvrage Naufragé volontaire) en barque intervient après avoir lu que son frère était emprisonné par l’armée française. 

Plus qu’une simple autobiographie, Mordillat cherche à capturer l’esprit d’une époque et plus précisément d’un lieu, le 20e arrondissement de Paris. Tout dans sa mise en scène, sa manière de rendre familières les personnalités rencontrées (Jean-Pierre Cassel génial en une courte apparition de camelot vendant de la vaisselle) et la façon dont la caméra s’immisce dans les ruelles et cages d’escalier tend à faire du lieu un espace dont le quotidien sera le nôtre. 

D’après-midi dansant timide en drague maladroite de vendeuses de supermarché, on traverse ainsi les premières expériences et initiations de Decques et ses amis. Aucun vrai rebondissement ou pic dramatique cependant, Mordillat fait au contraire l’éloge de la banalité où la magie nait de moment parlant à tous comme une ravissante première rencontre entre Decques et sa future femme Genichka (Elisabeth Bourgine) ou encore les apartés amusants où il fera un portrait décalés de ses amis. Même là l’humour se fera cocasse mais sobre, rien ne devant troubler le long fleuve tranquille du quotidien des personnages. 

C’est dans ce fil rouge sobre que naît d’ailleurs finalement la dramaturgie avec un Decques qui cherche sa voie dans des métiers peu exaltant ou finissant même par trouver une certaine lassitude dans son entreprise de fête de mariage. Le conflit peut naître quand cette banalité altèrera la fantaisie des personnages et notamment le quotidien de Decques et Genichka rattrapé par la routine. Les signes de l’engagement de Decques défini par ses parents se font également de façon amusée (son pyjama rouge, la crise et l’incrédulité de son père lorsqu’on lui affirmera que oui i y a bien eu des goulags en URSS) mais symbolise le possible carcan où pourrait s’enfermer Decques. Là aussi Mordillat ne fait que survoler la question, préférant prolonger l’atmosphère festive de l’ensemble à l’image d’un virevoltant, tout le film esquissant des hommages à Jacques Tati notamment. Le casting est pour beaucoup dans le plaisir du moment passé où l’on croise des tous jeunes Robin Renucci, Ariane Ascarides ou encore Isabelle Nanty.

Sorti en dvd zone 2 chez Tamasa

 Extrait

dimanche 21 septembre 2014

Sphinx - Franklin J. Schaffner (1981)

L'égyptologue Erica Baron arrive au Caire à la recherche de documents sur le pharaon Séti. A peine arrivée, elle est témoin du meurtre d'un marchand d'art peu scrupuleux, Abdu Hamdi et fait la connaissance d'un journaliste français, Yeon et d’Ahmed Khazzan, qui dirige la section des Antiquités aux Nations Unies. Alors qu'elle arrive dans la Vallée des Rois, elle se retrouve aux prises de trafiquants d'art bien décidés à récupérer les richesses de la tombe du pharaon...

Un sacré ratage qui amorce la fin de carrière plus anonyme du grand Franklin J. Schaffner. Adapté du roman éponyme de Robin Cook, Sphinx sort la même année que Les Aventuriers de l'Arche Perdue et sur ce même registre de l'aventure dépaysante et souffre cruellement de la comparaison sur tous les points. Sphinx aurait néanmoins pu se démarquer par sa dimension d'enquête et mystère plus prononcée avec ce récit d'une égyptologue (Lesley-Anne Down) à la fois traquée et traquant une statuette du pharaon Sethi dans une ville du Caire dangereuse. Le sens visuel de Schaffner est toujours aussi puissant avec des vues majestueuses de la vallée des rois, des compositions de plans qui capturent bien l'opposition entre modernité et Histoire ancestrale en mêlant bâtiment moderne et pyramides en arrière-plan.

Le dépaysement arrive également à adopter le point de vue déphasé de l'héroïne mais pour le reste c'est une catastrophe. L'enquête n'avance qu'à coup de longues scènes de dialogues sur explicatives et ennuyeuses, les rares moments d'actions étant des plus laborieux. Si les décors naturels éblouissent, les scènes de studios (tournées à Budapest) supposées représenter les pièces secrètes où sont tapies des trésors égyptiens oubliés sont d'une rare ringardise et font très cheap, Schaffner ne parvenant d'ailleurs jamais à orner l'ensemble d'un semblant d'atmosphère surnaturelle alors qu'il est question d'une malédiction.

Le casting n'aide guère à se sentir impliqué non plus entre une Lesley-Anne Down minaudant et peu crédible en égyptologue et Frank Langella en conservateur de musée taciturne ne dégage pas le charisme et le mystère attendu (laissant deviner assez vite le rebondissement final le concernant). Sir John Gielgud semble se demander ce qu'il est venu faire dans cette galère le temps d'une brève apparition, tout comme Maurice Ronet en contrebandier. Reste quelques jolies images et un score agréable de Michael J. Lewis mais dans l'ensemble un fiasco indigne du talent de Schaffner.

 Sorti en dvd zone 1 dans la collection Warner Archives et sans sous-titres

samedi 20 septembre 2014

Une Vie moins ordinaire - A Life Less Ordinary, Danny Boyle (1997)

Robert vient d'être licencié, sa petite amie le quitte et de surcroît personne ne veut croire au roman qu'il veut écrire. Alors, pour se détendre, il enlève la fille de son patron et part en cavale avec elle sur les bras.

Une Vie moins ordinaire est le troisième film de Danny Boyle et est généralement entouré d’une aura moins culte que les inauguraux et mémorables Petits meurtres entre amis (1994) et Trainspotting (1996). Le thriller cynique et la chronique opiacée avait fait montre du gout du réalisateur pour une certaine noirceur et un humour à froid. On ne l’attendait donc guère dans la comédie romantique dans son œuvre suivante mais Boyle saura donner un regard singulier et original à sa romance. Comme dans Trainpotting, il est de nouveau question de personnages désaxés cherchant leur place dans le monde. Robert (Ewan McGregor) est un modeste homme de ménage un peu rêveur écrivant des romans de gare à ses heures perdues perd tout de sa modeste situation en une journée. Son job où il est remplacé par des robots, sa petite amie lasse de le voir végéter le quitte et il est expulsé de son appartement. Dépité par cette avalanche déconvenues, il va s'en prendre à la cause à la cause de ses malheurs en la personne de son glacial patron M Neville (Ian Holm). 

Toujours aussi empoté, il ne se montrera guère intimidant dans sa tentative et devra son salut à la fille de Neville, Céline (Cameron Diaz) qu'il va plus ou moins kidnapper, si ce n'est l'inverse. Céline va s'avérer à sa manière tout aussi inadaptée à une vie normale que lui mais pour d'autres raisons qui en font l'exact opposé de Robert. Capricieuse, caractérielle et colérique elle a l'habitude que le monde se plie à ses désirs et le kidnapping sera une aubaine puisqu’intervenant alors que son père voulait la mettre au pas et la faire travailler. 

La romance peut alors peu à peu poindre en amenant chacun des personnages à forcer sa nature, Robert doit prendre confiance et s’imposer tandis que Céline apprendra à lâcher du lest et abandonner son masque de petite fille riche désabusée. Boyle introduit les caractères opposés de ses personnages avec son sens du gimmick habituel, mais ici ornée d’une aura bariolée à l’opposé du ton sombre de ses premiers films, que ce soit dans le jeu ahuri d’Ewan McGregor ou dans la spectaculaire introduction de Cameron Diaz montre son attrait et ses aptitudes avec les armes à feu. On s’amusera donc de leur alliance décalée, Céline étant forcé de prendre Robert en main pour en faire un kidnappeur crédible, trop heureuse d’enquiquiner son père.

La rencontre improbable de ces deux êtres est la cause d’une drôle de destinée, divine… En effet l’originalité du film est de faire intervenir des anges gardiens aux méthodes quelle que peu spectaculaires pour forcer l’union. Et pour cause, plus que la bonté désintéressée c’est l’obligation  de résultat qui les guide car en cas d’échecs ils seront condamnés à demeurer sur Terre. On vient à se souvenir alors que le producteur emblématique de Danny  Boyle, Andrew MacDonald est aussi le petit-fils d’Emeric Pressburger et la présentation du Paradis comme une administration rigoureusement organisée rappellera forcément le fameux Une question de vie ou de mort (1946). Boyle mène l’ensemble avec une énergie euphorisante (et porté par une belle bande-son Britpop), entrecroisant candeur romantique et ses penchants déjantés (les facéties sanglantes des anges-gardiens). Néanmoins le film pèche par un certain manque de rythme et sens du timing comique qui fait tomber certaines bonnes idées tombent à plat (le passage en comédie musicale) même si l’alchimie et l’entrain du couple vedette maintient l’intérêt. Inégal donc mais agréable et sans doute le premier jalon qui emmènera Boyle vers le conte moderne bien plus réussi de Slumdog Millionaire (2009).

Sorti en dvd zone 2 français chez Universal


mercredi 17 septembre 2014

Le Sens du devoir 3 - In the Line of Duty 3, Brandy Yuen et Arthur Wong (1988)

Après une intervention musclée en pleine rue, Yeung, jeune policière en uniforme, est mutée dans la section criminelle dirigée par son oncle. Ce dernier voulant maintenir sa nièce à l'écart de tous les dangers, il lui demande d'escorter un policier japonais venu à Hong Kong pour enquêter sur un couple de dangereux braqueurs. Une mission en apparence tranquille qui va vite tourner au carnage.

Les deux premiers épisodes de la série Le Sens du devoir (1985 et 1986) avait permis de conjuguer l’action au féminin au sein du cinéma de Hong Kong (dans le sous genre dit « girls and guns »), faisant de Michelle Yeoh une star avec son personnage de fliquette teigneuse et casse-cou.  L’actrice va cependant mettre sa carrière entre parenthèse après son mariage avec le producteur Dickson Poon en 1986, laissant le rôle vacant. La saga se poursuivra néanmoins avec la taïwanaise Cynthia Khan qui reprend le flambeau dans ce troisième épisode. Le premier volet était doté d’une vraie bonne trame policière agrémenté de moments d’actions survoltés tandis que le deuxième était nettement plus chaotique et assez prétexte dans son argument à déployer des morceaux de bravoure dont la furie rattrapait bien les défauts. Ce troisième volet cumule les qualités et les tares de ces prédécesseurs. La trame (assez voisine du premier) voit la jeune policière Yeun (Cynthia Khan) s’associer au policier japonais Nakamura (Sai-Kit Yung)  venu à Hong Kong traquer un couple de tueurs (Hiroshi Fujioka et Michiko Nishiwak) responsable de la mort de son partenaire.

Le récit alterne gravité (avec la prestation très convaincante de Sai-Kit Yung en flic vengeur) et grosse comédie avec une Cynthia Khan entravée dans sa carrière par un oncle chef de sa section n’osant pas l’envoyer au front. On tend vers plus de noirceur lorsqu’entre en scène le duo de tueurs, ténébreux et charnel à souhait et apportant une dimension romanesque tragique puisque l’homme est mourant. Partagé entre leur cause politique et leur amour passionné, ils se consument dans le court temps qui leur est imparti tout en affichant une détermination meurtrière sans faille dans leurs méfaits sanglant. On reste au départ dans une narration relativement équilibrée qui introduit intelligemment les personnages. 

Cynthia Khan ne singe jamais Michelle Yeoh, apportant une fraîcheur et une féminité plus prononcée tout en restant solide dans le registre dramatique et bien évidemment fait montre de sacrées aptitudes martiales. Alors que Michelle Yeoh faisait preuve d’une certaines vulnérabilité et montait en puissance au fil du récit, Cynthia Khan en impose d’office en vraies teigne dès le premier combat où elle abandonne sa tenue de pervenche pour alpaguer brutalement un voleur. Toutes ses joutes seront de sacrés moments, les chorégraphies nerveuse de Brandy Yuen faisant preuve d’une nervosité réjouissante où les bottes secrètes et les coups rageur pleuvent. L’influence d’un Jackie Chan s’estompe d’ailleurs par rapport au deux premiers films avec des cascades physiques plutôt rares pour privilégier le côté polar avec gunfights, explosion et combat physique.

Malheureusement le film se perd un peu dans sa dernière partie délaissant ses sous-intrigues intéressantes (y compris celle de l’homme d’affaire Yamamoto qui s’évapore du récit sans rien résoudre) pour privilégier le déluge d’action. Le policier vengeur est relégué au second rang et toute la facette viscérale de sa quête bâclée, le couple de tueurs voit l’homme mourir de façon assez  expéditive. Seule la rage de la femme est montrée mais sans prendre le temps d’exprimer sa douleur pour donner plus de force à l’affrontement final. 

 Le dernier face à face dans un hangar fait son effet avec tous les ustensiles et outils en place devenant des armes meurtrières, les hommes sont relégués au second plan pour laisser place au duel féminin bien furieux entre Cynthia Khan et Michiko Nishiwak. L’amateur d’action trouvera donc son compte avec ce volet mais il est dommage que la profondeur entraperçues s’évapore pour de la pure exploitation et un traitement routinier. Cynthia Khan aura en tout cas convaincu ses producteurs avec le succès du film et le quatrième épisode signé Yuen Woo Ping serait un retour en force fabuleux et doté d’un renfort de choix en la personne de Donnie Yen. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Metropolitan

mardi 16 septembre 2014

La Barbe à papa - Paper Moon, Peter Bogdanovich (1973)

Kansas, dans les années 30, Moses Pray, escroc à la petite semaine, assiste à l’enterrement d’une ex-maîtresse et accepte d’emmener sa prétendue fille de 9 ans, Addie, chez une tante. Pendant leur trajet, leurs rapports sont tendus. L’orpheline est persuadée que celui-ci est son père, en raison de la ressemblance de leur menton mais Moses refuse d’endosser ce rôle. Etonnamment mature pour son âge, la petite Addie s’avère être une coéquipière très efficace : c’est le début de leur épopée.

Cinéphile averti et critique cinéma érudit avant d’embrasser la carrière de réalisateur, Peter Bogdanovich aura toujours montré une grande déférence à ses aînés et au cinéma classique. Ce se fera notamment à travers l’amitié qu'il nouera avec nombre de grands cinéastes de l’âge d’or hollywoodien et des portrait documentaires qu’il leur consacrera comme  The Great Professional : Howard Hawks (1967) ou encore Directed by John Ford (1971). Dès lors il n’est pas étonnant que le pic de sa carrière soit atteint avec la trilogie nostalgique que forment La Dernière Séance (1971) chronique douce-amère d’une petite ville texane, On s'fait la valise, docteur ? (1972) pétaradant hommage à la screwball comedy et ce Papermoon. Ce dernier film opère d’ailleurs un pont esthétique et thématique idéal des précédent, mêlant l’émotion de La Dernière Séance et la drôlerie de  On s'fait la valise, docteur ?. Le réalisateur adapte ici le roman Addie Pray de  Joe David Brown paru en 1971 et initialement destiné à John Huston qui souhaitait y diriger Paul Newman et sa petite fille  Nell Potts.

Lorsqu’il reprend le projet, Bogdanovich va opter pour le duo complice que constitue Ryan O’Neal et sa fille Tatum. Le réalisateur souhaite rendre hommage aux comédies de la Grande Dépression, où le contexte difficile était dépeint dans une tonalité en équilibre entre réalisme et légèreté. Il choisira rapidement l’option d’un tournage en noir tant cette période y est associée et tâtonnera longuement avec son directeur photo László Kovács pour en trouver la texture exacte. La solution lui sera donnée par Orson Welles qui lui suggère d’utiliser un filtre rouge qui donne au blanc une teinte plus crayonneuse et aux couleurs un noir plus prononcé qui fige littéralement les images dans ce passé voulu.

L’histoire dépeint le périple de deux laissés pour compte qui vont s’entraider dans ce contexte difficile de la Grande dépression. Moses Pray (Ryan O’Neal), escroc à la petite semaine se retrouve soudain encombré d’une petite fille, Addie (Tatum O’Neal) alors qu’il assiste à l’enterrement d’une ancienne maîtresse. Soupçonné malgré ses dénégations d’en être le père (ils ont le même menton), il est chargé de la raccompagner chez sa tante et va donc traverser le Kansas jusqu’au Missouri pour cela. La relation entre l’orpheline et l’escroc est difficile, d’autant qu’elle va découvrir ses activités douteuses à savoir la vente de bible à des veuves crédules. 

Une certaine complicité va pourtant naître lorsque Moses découvrira les talents de la fillette pouvant servir ses affaires, et en fera une coéquipière chevronnée. Tatum O’Neal rentre dans la catégorie des enfants-acteurs de génie avec cette Addie si attachante. Bouille craquante sachant se faire renfrognée, candide et enjouée avec un naturel confondant, adulte précoce par l’adversité de la période mais aussi vraie petite fille sachant jouer de son allure innocente pour duper ses victimes et surtout en faire voir de toute les couleurs à Moses. Dur au cœur tendre tiraillé entre le cynisme de l’arnaqueur chevronné et une certaine naïveté, Ryan O’Neal est absolument parfait en « père » indigne et beau parleur. 

L’alchimie avec sa fille est d’un euphorisant dynamisme et sait susciter l’émotion par le seul ressenti de cette complicité, sans que le scénario surligne les situations ou les dialogues. Bogdanovich crée en fait une pure énergie de screwball comedy dans les situations et l’antagonisme de ses deux héros (on pense souvent à New York-Miami de Frank Capra) sauf que c’est un couple père/fille et non plus amoureux qui se déchaîne. On le ressentira à la fois par la jalousie d’Addie lorsque la plantureuse Trixie (Madeline Kahn) viendra s’immiscer dans le duo (et du stratagème pour s’en débarrasser) mais aussi dans la manière de faire se renvoyer la balle entre Addie et Moses. Bogdanovich reprend à son compte cette esthétique de la screwball comedy où les plans fixes étaient privilégiés pour mettre en valeur les joutes verbales épiques des couples antagonistes façon Hawks de La Dame du Vendredi (1940). 

Le réalisateur conserve cette énergie tout en lui donnant une dimension plus contemplative en inscrivant ce pingpong verbal dans de longs plan- séquences donnant une fluidité naturelle à ses échanges. On pense au long dialogue en voiture au début du voyage, l’échange à la fête foraine où certaines discussions en mouvement en pleine rue où tout coule de source et la prouesse narrative et visuelle semblent invisibles. Cela n’ira pas sans donner quelques sueurs froides à Bogdanovich puisque Tatum O’Neal s’emmêlera plus d’une fois les pinceaux dans les longs tunnels de dialogues à apprendre, la discussion en voiture nécessitant 36 prises en deux jours mais pour un sacré résultat.

La gravité et la dureté de cette période n’est jamais oubliée même si teintée de cette aura insouciante. Hormis les shérifs et bootleggers jumeaux retors croisés en fin de film, aucun personnage n’est réellement mauvais et tous tente de survivre. La tirade émouvante de Trixie à Addie est ainsi très touchante, la danseuse cherchant clairement à essorer Moses et demandant à la fillette de la comprendre et de lui laisser tenter sa chance. Addie se pliera à sa demande mais de même dans cette volonté de s’en sortir lui jouera un sacré tour pour poursuivre sa route avec Moses. Les familles plus ou moins bien loties croisée lors de l’escroquerie à la bible, celles vues dans la misère sur les bords des routes dressent ainsi les contours de ce contexte même dans un pur esprit d’aventure picaresque, Bogdanovich fait toujours filer son récit tout droit en concluant les trois grandes parties du film par une image montrant la voiture de nos héros traçant son chemin à toute allure. 

L’ultime arnaque fait basculer ce sentiment de jeu permanent dans une dangerosité plus prononcée mais qui laisse libre cours au réalisateur à exprimer son gout pour la course poursuite en voiture (au virtuose que celle extraordinaire de On s'fait la valise, docteur ?). Lorsque la dure réalité semble vouloir rattraper le duo un final magnifique et tendre vient sceller leur lien. Plutôt que de jouer sur les violons et une émotions forcée qu’il a su éviter de bout en bout, Bogdanovich dresse un lien invisible entre Moses et Addie séparés puis réunis par différents éléments ayant traversés le récit : la photo d’Addie sur la lune de papier laissée à Moses, le running gag sur sa dette « You still owe me two hundred dollars » et la brinquebalante voiture sans frein à rattraper. 

L’énergie entre les deux héros se maintient sans s’appesantir avec pudeur sur leur attachement palpable et ils peuvent reprendre la route de plus belle dans une magnifique dernière séquence où ils disparaissent dans le lointain, vers de nouvelles et trépidantes aventures.Un grand classique des 70s qui remportera un immense succès et qui vaudra l'Oscar du meilleur second rôle à Tatum O'Neal, en faisant la plus jeune lauréate à ce jour.

Sorti en dvd zone 2 français chez Paramount

lundi 15 septembre 2014

Capitaine Paradis - The Captain's Paradise, Anthony Kimmins (1953)

Le capitaine d'un ferry méditerranéen, Henry St James, a une vie bien organisée : une affectueuse et très anglaise femme à Gibraltar, Maud, et une femme au sang-chaud à Tanger, Nita. En bref, une vie parfaite jusqu'à que sa femme de Gibraltar n'est la malencontreuse idée de le suivre à Tanger...

Le transformisme et la schizophrénie de l’acteur auront toujours trouvé leur meilleur ambassadeur à travers le talent caméléonesque d’Alec Guinness, capable de l’exprimer de façon spectaculaire dans le célèbre Noblesse Oblige (1949) où il incarne sept rôles de tous sexe et dans une veine plus subtile avec ce savoureux Capitaine Paradis. Le film dresse un récit de bigamie rondement mené où il est paradoxalement moins question de comédie de boulevard que de la quête de la femme idéale. Alec Coppel, l’un des scénaristes du film participera quelques années plus à celui de Vertigo, grande œuvre sur la reconstruction d’un idéal féminin insaisissable. Avec Hitchcock, cette idée tirera vers le fétichisme obsessionnel quand Anthony Kimmins dénonce lui le machisme ordinaire d’une Angleterre dépassée. Henry St James (Alec Guinness) mène ainsi une agréable double vie au gré des va et vient qu’il effectue dans sa fonction de capitaine de ferry. 

 A l’aller nous le découvrirons bon vivant, gouailleur et libidineux dans l’exotisme et le fourmillement de la ville imaginaire d’Afrique du Nord Kalik – inspirée de l’enclave espagnole de Ceuta dans son croisement de culture hispanique et orientale. Il y retrouve la sensuelle Nita (Yvonne de Carlo), son épouse autochtone aux formes voluptueuse avec laquelle il peut s’abandonner à ses instincts les plus primaires. Au retour, il se rend l’île britannique de Gibraltar où il pourra laisser s’exprimer ses penchants les plus casaniers avec sa femme au d’intérieur typiquement anglaise, Maud (Celia Johnson). 

Alec Guinness est hilarant de satisfaction dans ces deux registres où il force largement le trait. Affecté, apathique et pantouflard avec Maud, il est la virilité désinvolte incarnée avec Nita dont il claque les fesses impunément, étreint la silhouette avec gourmandise dans des baignades nocturnes dans une existence faite de nuits blanches et de champagnes. La vie de rêve, le paradis comme il est plus d’une fois souligné dans un idéal parfaitement machiste car soumis au seul point de vue de son protagoniste masculin.

Si la situation manquera de peu d’être éventée le temps d’une péripétie, ce n’est pas une maladresse de St James qui causera sa perte mais l’éveil des figures féminines dans lesquels il n’a vu que de simples projections de ses fantasmes. Toute la caractérisation du héros tend à nous le montrer comme un anglais « vieille école », un gentleman pour qui les deux sexes se divise entre l’intellect (masculin) et le charnel (féminin). Avec ses congénères hommes il peut disserter dans des tirades creuses sur le sens de la vie le cigare au bec alors qu’avec les femmes la relation se résume à la dichotomie entre la maman et la putain qu’il a établie avec ces deux épouses. Ses certitudes vont donc être bousculées lorsque les femmes, en êtres pensants et indépendants vont dépasser les fonctions dans lesquelles il pensait les avoir assigné pour malmener l’ordre établi. Cela se fera par étape montrant progressivement l’insatisfaction des deux épouse et la goujaterie de St James – son regard hautain sur les passagères admiratives en début de film nous ayant préparé à ce trait de caractère. 

A une Maud ennuyée par une existence de housewive banale, il offre constamment des ustensiles ménagers nouveaux (aspirateur, tablier et machine à coudre) puis lui fait des enfants afin de lui occuper l’esprit, à cette pauvre créature. A une Nita lasse de cette vie festive permanente, il promet enlaidissement et prise de poids si elle ose adopter une attitude de ménagère ordinaire. Alec Guinness par sa prestation subtile évite pourtant de rendre son personnage détestable grâce à la facette pathologique qu’il amène dans son attitude. Sa réaction sera presque allergique lorsqu’il verra ses femmes faire montre d’autres aptitudes et envies que celles où il les a réduite. La douce Maud va ainsi enflammer la piste de danse le temps d’un fox-trot endiablé sous les yeux médusés d’un St James au bord de la syncope quand Nita lui préparera un bon petit plat en parfaite femme d’intérieur. Les foyers mêmes illustrent cette division maladive opérée par St James, chambre d’hôtel pour la vie sans foyer justement vécue avec Nita, et une maisonnette pompeusement baptisée en français « Mon Repos » pour le l’atmosphère cosy aux côté de Maud.

Les deux actrices offre un répondant parfait et intelligent à Guinness. Celia Johnson est réellement le symbole de cette figure féminine frustrée et en retrait depuis son légendaire rôle de femme adultère malheureuse dans Brève Rencontre (1945). Le destin cruel et pathétique de son personnage illustrait l’entrave à l’émancipation féminine de ce monde d’avant-guerre tandis que dans Capitaine Paradis on a le sentiment de la retrouver à l’ère moderne prête à assumer ses désirs. Son existence ne restera pas figée par un mariage ennuyeux et on ressent une jubilation certaine à la voir s’exciter à l’idée d’enfiler un bikini, de danser sans retenue puis de remettre à sa place cet époux rasoir. Yvonne de Carlo n’est au départ mise en valeur que pour son accent dépaysant et sa plastique généreuse. On verra la une virulente dénonciation du regard encore vivace de l’Empire Colonial où l’étrangère n’est synonyme que de promesses de voluptés mais incapable de réactions autres que primaires. 

L’actrice se déleste peu à peu de cette exubérance de façade pour révéler une femme plus mesurée, qui doute et aspire à une vie plus calme que cette suite de fête. Le héros masculin parait ainsi de plus en plus déphasé et aveugle, en témoigne le portrait cliché qu’il fait de ses deux épouses en voix-off tandis que l’image le contredit : Maud sautille et s’imagine frivole et coquette dans son bikini alors que Nita surveille la cuisson en cuisine dans une inversion totale de leur « rôle ». Le message anti colonial se fera même plus virulent encore lorsque Nita sera enlevée à St James par le personnage du taxi qui aura tout au long du film incarné le gentil autochtone jovial mais qui désormais se pose en égal de l’anglais en lui ravissant sa femme. La construction en flashback apporte une fin moins radicale à St James qui nous aura semblé un rêveur dépassé plus qu’un tyran mais le message féministe et progressif n’en fait pas moins mouche dans cette étincelante comédie. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa