Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 14 septembre 2015

Tempête sur la colline - Thunder on the Hill, Douglas Sirk (1951)

Lors d'une inondation, tout un village se réfugie dans un couvent, situé sur la colline surplombant la région. Parmi les personnes déplacées, se trouve une jeune femme, escortée de deux policiers, qui la conduisent au lieu de son exécution. En effet, elle est condamnée à mort pour le meurtre de son frère. Une des religieuses, Sœur Mary, par certains détails, se convainc, petit à petit, de l'innocence de la meurtrière...

Tempête sur la colline est le premier film de Douglas Sirk à la Universal, studio où il connaîtra l’apogée de sa carrière américaine avec une grande série de mélodrame produit par Ross Hunter et souvent interprété par Rock Hudson. Le parcours qui précède aura été quelque peu chaotique pour le réalisateur, fuyant l’Allemagne Nazie pour les Etats-Unis où avant de retrouver les plateaux de cinéma il entamera même une courte carrière d’éleveur fermier. Comme nombres d’émigrants germaniques comme Fritz Lang, Sirk loin du prestige et de l’autonomie dont il disposait au sein du cinéma allemand va devoir apprendre à composer avec le système des studios hollywoodiens. Le ton, le style et les genres abordés varieront donc durant les premières années d’un exil pensé comme provisoire mais qui se prolongera. L’apprentissage sera difficile avec deux seules vraies réussites,  L’Aveu (1944) d’après Tchekhov où il se lie d’amitié avec George Sanders et la délicieuse fresque historique A Scandal in Paris (1946). 

Las et désireux de retrouver son fils (enrôlé dans les jeunesses hitlériennes et tombé sur le front russe, un traumatisme qu’il évoquera dans le superbe Le Temps d'aimer et le Temps de mourir (1958)), Sirk jette une première fois l’éponge en 1949 le temps d’un bref retour en Allemagne. Les retrouvailles avec Hollywood seront bien plus fructueuse à l’orée des années 50 et donc de sa collaboration avec Universal où All I Desire (1953) et surtout Le Secret Magnifique (1954) entameront le cycle de ses mélodrames flamboyant. Il devra composer à nouveau entre les genres et se constituer une équipe technique fidèle (Frank Skinner à la musique, Russell Metty à la photo entre autre) mais signera au studio quelques productions intéressantes comme ce Tempête sur la colline.

Le film adapte la pièce Bonaventure de Charlotte Hastings et témoigne du peu de mainmise de Sirk sur ses films à ce stade de sa carrière américaine. Tempête sur la colline constitue en effet un très inégal mélange des genres entre le mélodrame et le suspense policier. Tous les éléments reliés à l’enquête improvisée (innocenter dans l’urgence une condamnée à mort) sont lourdement introduits et le spectateur le plus attentif aura résolu le mystère dès la moitié de l’intrigue par des indices grossiers. L’intérêt reposera donc sur le sens visuel de Sirk mais aussi ce que l’on repère des classiques à venir dans la facette mélodramatique du récit. La culpabilité constitue un moteur essentiel des mélodrames de Sirk, motif d’éveil des protagonistes ou de déchéance. Rock Hudson indirectement coupable de la mort de l’époux de Jane Wyman change sa manière d’être pour le meilleur dans Le Secret Magnifique (1954). 

Barbara Stanwyck se sent également coupable de son passé indigne dans All I Desire (1953), l’attrait d’ailleurs ronge Fred MacMurray sur Demain est un autre jour (1955), sans parler du remord de la fille lors des funérailles qui concluent Mirage de la vie (1959). Cela peut même relever d’une facette extra-diégétique avec Le Temps d'aimer et le Temps de mourir qui repose entièrement sur la propre culpabilité de Sirk envers son fils disparu. On retrouve donc l’aspect positif de cette thématique dans Tempête sur la colline. La bon sens et la droiture morale de Sœur Mary (Claudette Colbert) l’a autrefois conduite à éloigner sa sœur d’un amant néfaste mais à conduite cette dernière au suicide. Ce traumatisme l’a amené à sceller ses vœux de religieuse sans faire disparaitre cette fêlure qui se réveillera avec la rencontre de Valerie Carns (Ann Blyth) condamnée à mort pour le meurtre de son frère.

Plus que la poussive enquête policière, c’est donc de la profonde conviction de Sœur Mary que naîtra le sentiment de l’innocence de Valerie. Cette croyance qui lui a coûté une sœur va lui permettre de sauver une malheureuse, la culpabilité servant non pas une faute à oublier mais une bonne action à mener à son terme. Sirk mise avant tout sur l’humain et l’initiative individuelle pour réaliser des prouesses. La philosophie divine du Secret Magnifique constituait presque un pastiche par son imagerie outrancière quand les élans de Rock Hudson étaient constamment poignants. La grandiloquence religieuse du final de Mirage de la vie, aussi puissante soit-elle s’effaçait également par l’émotion simple d’une fille pleurant sa mère. 

On trouve déjà cette ambiguïté ici, Sirk offrant des images élégiaques et envoutante de ce couvent contredites à la fois par les révélations du scénario mais également par le comportement résolu et inflexible de la Mère Supérieure ne voyant en la condamnée qu’une âme perdue et coupable. Guidée par son seul instinct, Sœur Mary va ainsi poursuivre son but pour faire triompher la justice. Claudette Colbert apporte sa douceur, vulnérabilité et détermination pour une belle prestation même si la collaboration avec Sirk fut difficile puisqu’elle lui imposa son chef opérateur William H. Daniels. On sera moins convaincu par le jeu outrancier et théâtral d’Ann Blyth même si cet aspect constitue en partie l’illusion de pécheresse que le personnage suscite au premier abord. Une œuvre intéressante donc, en dépit de ses défauts et bien que Sirk lui-même la tenait en piètre estime au sein de sa filmographie. 

Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Elephant Films

vendredi 11 septembre 2015

Prince des ténèbres - Prince of Darkness, John Carpenter (1987)


À la demande d'un prêtre, le professeur Birack et plusieurs de ses étudiants entreprennent d'étudier un mystérieux cylindre de verre conservé dans une église désaffectée de Los Angeles. Les analyses de ces scientifiques les conduisent à penser que le liquide vert prisonnier de ce cylindre n'est autre que le fils de Satan attendant sa libération. Lorsqu'ils s'assoupissent, ils font tous le même rêve qui est en réalité un message envoyé par des scientifiques du futur les enjoignant à tout mettre en œuvre pour empêcher le Prince des ténèbres de revenir sur Terre.

L’échec injuste de son survolté  Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin (1986) aura scellé les velléités de John Carpenter de devenir un réalisateur de studio populaire et rentable au box-office. Il viendra ainsi noyer son amertume dans Prince des ténèbres, une de ses œuvres les plus sombres et s’inscrivant au sein de sa filmographie dans « la trilogie de l’apocalypse » avec le glaçant The Thing (1982) et le vertigineux L’Antre de la folie (1995). Ce cycle constitue la quintessence des thématiques de John Carpenter, capturant dans une inspiration à la Lovecraft la notion d’un mal indéfini et insaisissable issu de mondes inconnus, qu’il soit extraterrestre (The Thing), religieux et/ou inter dimensionnel (Prince des ténèbres) ou issu d’un esprit dément (L’Antre de la folie). Prince des ténèbres paie son tribut à la saga des Quatermass et plus particulièrement le troisième volet Quatermass and the Pit (1967), Carpenter se créditant même en tant que Martin Quatermass au scénario. Le film reprend donc le mélange de science et fantastique de la saga de la Hammer avec son enjeu alarmiste voyant un groupe de scientifiques réunit pour empêcher l’émergence d’une entité maléfique.

Carpenter entrecroise donc mysticisme religieux (l’entité étant supposée être le fils de Satan endormi depuis des siècles), surnaturel et occultisme façon Lovecraft (l’aspect « autre" de l’entité et ses origines inconnues) et semblant de rigueur scientifique à travers les moyens très concrets des protagonistes d’étudier la chose. Il soulève ainsi avant que les évènements s'enchaînent une angoisse latente répondant aux terreurs secrète de chacun, le croyant y voyant une manifestation de l’apocalypse biblique, les esprits ouverts une menace inconnue et les cartésiens une énigme qu’ils ne peuvent expliquer. L’interprétation inégale fait plus ou moins bien fonctionner ces situations dans les dialogues mais la force évocatrice de la mise en scène de Carpenter parvient à en imprégner le spectateur. L’alliance de toutes ces peurs troublera même les repères de chacun, le professeur Birack (Victor Wong) adhérant à la spiritualité qu’éveille la situation tandis que le père Loomis (Donald Pleasence) reniera un temps sa foi ébranlée par ces découvertes. Carpenter ne s’attarde pas plus que de raison sur cette dimension réflexive pour privilégier l’atmosphère pesante de son récit.

Cette notion de mal sans visage aura su prendre une imagerie innommable avec le monstre transformiste de The Thing , le masque sans expression du tueur d’Halloween (1978) ou les assaillants réduits à des silhouettes de Assaut (1976) et Carpenter l’introduit progressivement ici par le malaise ressenti dès les premières minutes. L’oppressant score synthétique accompagnant l’imagerie crépusculaire, la mélancolie se dégageant de l’amorce de romance semble déjà nous faire comprendre que le temps est compté. Le réalisateur exacerbe cette facette dès que s’instaure le huis-clos ou ce ressenti se concrétise peu à peu, le mal attirant les âmes perdues (ce groupe de sans-abris mené par Alice Cooper), agit sur les éléments (les nuées d’insectes se collant à l’église abandonnée) et justifiant enfin la vision fascinante de l’entité maléfique.

Le ton est pesant et désespéré mais le film s’avère inégal lorsqu’il s’agira de manifester cette présence du mal. Quelques moments réellement dérangeant n’atténue pas complètement le côté un peu cheap des contaminations et certaines bagarres balourdes, le budget restreint se ressentant grandement dès qu’il cherche à en montrer un plus quand la pure retenue rendait le tout terrifiant. La seul vision de cette matière emprisonnée suffisait à fasciner et c’est quand il esquisse l’horreur se trouvant « de l’autre côté du miroir » que la terreur peut surgir dans les derniers instants. 

La mise en scène rattrape les petits défauts (la gestion du scope et la manière d’y faire surgir le danger par la profondeur de champs impressionne plus d’une fois), certains effets gore sont du plus bel effet (l’écorchée vive peu ragoutante) et certains débordement sont réellement inattendus comme l’usage tout personnel que fera Alice Cooper d’un vélo. Une œuvre imparfaite et la plus faible de la trilogie de l’apocalypse mais une belle démonstration de la capacité de Carpenter à glacer le sang dans un de ses films les plus personnels.

Sorti en dvd zone 2 français chez Studiocanal 

mercredi 9 septembre 2015

Le Repas de noces - The Catered Affair, Richard Brooks (1956)

Apprenant, au cours d’un repas de famille, que leur fille va se marier, un couple d’origine modeste décide de tout mettre en œuvre pour offrir à Jane (Debbie Reynolds) la cérémonie rêvée. En dépit de la préférence de cette dernière pour une fête sans fioriture, ses parents se sentent en compétition avec ceux du futur époux, Ralph (Rod Taylor) dont la sœur a eu droit à un mariage somptueux.

La filmographie de Richard Brooks durant les années 50/60 se partage le plus souvent entre grands sujets (la délinquance juvénile dans Graine de violence (1955), le fanatisme religieux pour Elmer Gantry (1960)), adaptations prestigieuses (F. Scott Fitzgerald avec La Dernière fois que j'ai vu Paris (1954), Tennessee Williams sur La Chatte sur un toit brûlant (1958)), Dostoïevski dans Les Frères Karamazov (1958) Joseph Conrad avec Lord Jim (1965) voire les deux pour le sommet De sang-froid (1967) d'après Truman Capote. Bien que placé sous patronage haut de gamme (Gore Vidal au script adaptant une pièce télévisée de Paddy Chayefsky) Le Repas de noces détone par sa modestie dans cette ensemble.

Le drame du film se noue autour d'un évènement supposé heureux, lorsqu’Agnes (Bette Davis) et Tom Hurley (Ernest Borgnine) apprennent le mariage futur de leur fille Jane (Debbie Reynolds). Cette annonce va pourtant provoquer la discorde au sein de la famille à cause de la volonté de Jane de faire un mariage modeste et intime. Les Hurley se trouvent donc dans un premier temps confrontés à leurs limites financières, Agnes ne pouvant se résoudre à ne pas offrir un somptueux mariage à sa fille. Le script semble d'abord illustrer ce désir contrarié à travers une dimension sociale et le regard des autres, que ce soit la suspicion autour de cette cérémonie précipitée (Jane se trouvant peut-être dans "l'embarras") ou le complexe d'infériorité face à la famille nantie du marié Ralph (Rod Taylor). Les tensions naîtront donc de ce côté bassement pécuniaire et du déséquilibre qu'amène la démesure annoncée de ce mariage dans le quotidien des Hurley, bouleversant les projets d'une vie pour Tom et n'étant plus en adéquation avec la modestie de leurs entourage (la meilleure amie de Jane ne pouvant payer la robe de demoiselle d'honneur).

On devinera pourtant progressivement les raisons de cet acharnement d'Agnes à travers le jeu subtil de Bette Davis. La star détone dans ce rôle modeste de mère de famille dénué des excès esthétiques ou dramatiques des interprétations qui ont fait sa gloire. Elle reste digne dans sa quête maladive d'une cérémonie fastueuse, car la surface superficielle dissimule une fêlure bien plus grande pour le personnage. Les révélations sur le passé de la famille (avec la disparition d'un fils mobilisé à la Guerre de Corée) illustrent la culpabilité cette mère au moment de perdre sa fille mais aussi sa terreur face à la solitude d'une maison vide où elle s'annonce le tête à tête inédit avec ce mari dont elle se sera éloignée au fil des années.

Des questionnements ordinaires que Richard Brooks rend captivant par sa mise en scène sobre capturant avec une tendresse bienveillante le quotidien de cette famille, bien aidé par une interprétation touchante. Outre Bette Davis (dont c'était un des deux rôles favoris), Ernest Borgnine est très attachant en patriarche bourru et dépassé, offrant une bouleversante scène de confession où s'exprime tout le dépit des parents ayant tout sacrifié à leur progéniture. Barry Fitzgerald est très amusant en oncle quelque peu encombrant. Au passage Brooks fait montre d'une sensualité assez inattendue dans la manière de filmer Debbie Reynolds, érotisée dans des moments assez anodins qui interpellent ou dans une scène trouble où les vœux du mariage ne sont pas loin d'être prématurément rompus. Une belle histoire, pleine de bienveillance sans jamais tomber dans la mièvrerie.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner 

lundi 7 septembre 2015

The Night Has Eyes - Leslie Arliss (1942)

Deux enseignantes, Doris et Marian, visitent les landes du Yorkshire, un an après que leur amie Evelyn y a disparu. Une nuit prises par l'orage, elles se réfugient dans la maison isolée de Stephen Deremid, un temps pianiste pendant la Guerre civile espagnole. Doris quitte la maison dès la fin de l'orage mais Marian reste. En fait, elle soupçonne Stephen d'être responsable de la disparition de son amie.


Avant de faire des étincelles dans les extravagantes productions romanesque du studio Gainsborough (The Man in grey (1943) et The Wicked Lady (1945)) le réalisateur Leslie Arliss et l'acteur James Mason collaborèrent sur ce The Night has eyes. On retrouve certains éléments qui feront le sel des classiques Gainsborough à venir (le romantisme torturé, l'atmosphère gothique) et James Mason s'y exerce déjà à cet emploi de châtelain austère et inquiétant mais le film (adapté d'un roman de Alan Kennington ) verse plutôt dans le thriller gothique.

Le postulat est des plus intrigants : deux enseignantes explorent les landes du Yorkshire en forme de pèlerinage à leur amie disparue sur ses lieux un an plus tôt. Prise dans un orage, elles sont recueillies par un pianiste (James Mason) vivant en solitaire et à l'inspiration tarie depuis son retour de la Guerre d'Espagne. La douce Marian (Joyce Howard) est bientôt sous le charme de son hôte ténébreux, mais de nombreux indices indiquent que son amie Evelyn est passée par là, jetant un voile de soupçon sur la romance naissante.

 Leslie Arliss montrera plus tard un certain génie pour alterner les tons et les atmosphères dans ses films Gainsborough et l'exprime déjà bien dans ce qui est seulement sa deuxième réalisation après The Farmer's Wife (1941). Il excelle ici amorcer une direction attendue au récit, tout en la maintenant dans une retenue qui rend jusqu'au bout le film inclassable et imprévisible. Le somptueux décor studio de cette lande brumeuse du Yorkshire évoque le meilleur des productions Universal (la photo de Günther Krampf fait merveille), l'ombre de la disparue planant sur les lieux lorgne autant sur Rebecca que Jane Eyre et l'humeur changeante de James Mason évoquera Barbe Bleue (il suggère lui-même à ses invitées de s'enfermer à clé dans leurs chambres) qu'une histoire de loup-garou puisque les basculements interviennent les soirs de pleine lune.

 Tout cela ne reste pourtant qu'esquissé, Arliss ne rentrant jamais de plain-pied dans la promesse de ses amorces d'intrigue. Au contraire l'ambiance ténébreuse s'estompe parfois complètement dans de superbes scènes romantiques (Marian subjuguée par Stephen au piano, leur complicité dans les tâches quotidiennes) ou comiques (les truculents domestiques), le trouble se renforçant parfois par la temporalité floue qu'éveillent certaines séquences oniriques comme quand Marian troque ses vêtement trempés contre une robe d'époque. Même la glaçante découverte d'une pièce macabre du domaine signifiera exactement l'inverse de la terreur initiale.

La révélation progressive du mystère, les ruptures de ton et la mise en scène immersive de Leslie Arliss aura ainsi suffit à nous tenir en haleine le temps d'une narration alerte (le tout dure à peine plus d'une heure) qui fait oublier l'absence de vrai rebondissement et laisse tout espérer. Le twist final n'en est que plus réussi et évident, faisant soudain glisser la vraie folie dans une œuvre jusque-là si incertaine. Une belle démonstration renforcée par un final à la morale impitoyable. Sans totalement égaler le brio des futurs classiques Gainsborough, un thriller rural très réussi et imprévisible.


Sorti en dvd zone 2 anglais chez Network sans sous-titres

dimanche 6 septembre 2015

Nous voulons les colonels - Vogliamo i colonelli, Mario Monicelli (1973)

En ces années post-68, le député Tritoni veut profiter de la peur suscitée par les gauchistes pour fomenter un coup d'Etat. Il réunit quelques militaires, fascistes retraités, pour former son état-major. Le plan est minutieusement préparé. Le jour J, rien ne fonctionne comme prévu.

L'Italie des années 60/70 vit au rythme des soubresauts des "Années de plomb", périodes de troubles politiques dont le cinéma su s'emparer autant dans de vrais brûlots que dans la comédie. Le film de Mario Monicelli s'inscrit bien évidemment dans la seconde catégorie et constitue une farce noire parmi les plus virulente et lucide de l'époque. Si le postulat de ce coup d'état imaginaire semble improbable, le pays subit pourtant pas moins de quatre tentatives entre 1964 et 1974 qui nourrissent l'inspiration du film notamment le troisième de 1973 orchestré par le leader d'extrême droite et ancien fasciste Valerio Borghese. Monicelli aura sans doute grandement puisé le personnage d'Ugo Tognazzi avec ce sinistre personnage en tête mais le film (le titre y étant une allusion explicite) puise aussi du pouvoir militaire grec appelé la Grèce des colonels qui sévira de 1967 à 1973 - et dont les personnages du films veulent s'inspirer.

Les meilleurs films de Monicelli auront souvent été des récits d'errance et d'échecs, parfois sans but et désespéré (Larmes de joie (1960)) ou décrivant l'effondrement d'une entreprise comme dans le classique Le Pigeon (1958). Monicelli signe d'ailleurs une sorte de remake masqué du Pigeon dont il réajuste le ton, le contexte et les problématiques à cette époque plus agitée tout en en reprenant grandement la construction. A l'Italie encore frappée de pauvreté des années 50 où de malheureux bougres échouaient à mener à bien un hold-up minable répond celle contemporaine où politiques et militaires d'extrême droite vont tenter de mener un putsch dans ce régime démocratique qu'ils souhaitent ramener à plus d'autorité. La qualité de Nous voulons les colonels est aussi sont plus grand défaut.

Les losers magnifiques de Monicelli restent malgré leurs travers particulièrement touchant dans leurs échecs car servant toujours une cause à laquelle le spectateur pouvait s'identifier (égailler son quotidien sinistre dans Mes chers amis (1975), survivre au front dans La Grande Guerre (1959), mettre du piment à sa libido dans Casanova 70 (1965)). On ne pourra espérer la réussite pour la joyeuse galerie d'extrémistes en tout genre que l'on verra défiler ici. Ugo Tognazzi est survolté en politique délicieusement réac et machiste et la première partie du film préparant le putsch permet d'introduire ses sinistres acolytes. Monicelli conjugue travers et nostalgie d'un passé douteux (les putschistes oscillant entre ancien fascistes nostalgique de Mussolini dont ils reprennent tous le culte de la virilité ridicule) cupidité du présent (l'industriel Steiner suivant la cause la plus profitable à ses profits) et une modernité associé à la libération des mœurs prenant un virage monstrueux avec la fille de militaire nymphomane Marcella (Carla Tatò).

Homme d'église, d'affaire et politiques sont passés au vitriol sans distinction dans ce jeu de massacre, Monicelli adoptant un style reportage à la narration alerte et pleine d'invention (les détails de la biographie d'un des putschistes venant s'insérer à son introduction dans des moments jubilatoire de ridicule et d'ironie). Une deuxième vision sera nécessaire pour savourer tous les détails placés par Monicelli, entre les sobriquets ridicules (l'agente des services grecs nommé Automatik, un quidam dans une soirée mondaine appelé Pubis) et les références subtile comme quand Tognazzi croisera un domestique au visage peint en noir et s'écrira "faccetta nera" qui est en fait un chant fasciste. Stupides, cupides, réactionnaires et séniles, les comploteurs sont des êtres dépassés, peu préoccupés par le sort du pays et souhaitant établir un savant mélange la dictature fasciste d'antan avec le versant le plus inégal du capitalisme d'aujourd'hui.

Les préparatifs ayant déjà provoqués moult moments d'hilarité, la mise en œuvre s'avère aussi pathétique et tordant que le cambriolage du Pigeon mais dans des proportions bien plus grandes. Quiproquos en pagailles, gags visuels grandioses (cette électricité stoppée et réactivée à très mauvais escient) et interprétations outrancières (seconds rôles géniaux, ah ce vieux militaire apprenant son discours après s'être exercé en enterrement) démontre tous le génie comique intact de Monicelli.

Reste donc ce problème de l'empathie impossible qui ne dérange pas chez un féroce Risi ou un cynique Germi mais Monicelli avec un De Sica ou un Comencini aura toujours su amener une certaine tendresse envers ses canailles. Seulement là les figures dépeintes cumule nature abjecte et incompétence où non seulement on rira d'eux mais se délectera aussi de leur échec. Le seul semblant de personnage positif ne fait pas long feu lors du final pour ne laisser sous les rires qu'une sinistre impression, la conclusion concrétisant le rêve de nos comploteurs malgré leur défaite.

Sorti en dvd zone 2 français chez SNC/M6 vidéo

Extrait

vendredi 4 septembre 2015

Les Conquérants d’un nouveau monde : Essais sur le cinéma hollywoodien - Michel Ciment

Les Conquérants d’un nouveau monde est une édition révisée de l’ouvrage de Michel Ciment initialement publié en 1980. Le livre est la réunion de différents textes d’analyses et de réflexions autour du cinéma classique hollywoodien écrits par Ciment des années 60 à aujourd’hui, pour la plupart issus de la revue Positif. A travers les différentes parties, Ciment explore à la fois l’œuvre de certaines personnalités marquantes, les mues de genres fondateurs comme le western mais aussi quelques questionnements critiques sur la notion d’auteur.

Bien évidemment on retrouvera de grands textes autours des cinéastes avec lesquels il entretint une relation privilégiée et à qui il consacra des documentaires ou des ouvrages références. L’évocation de l’influence de la culture viennoise et de la Mitteleuropa à Hollywood nous amène ainsi tout naturellement sur une passionnante série de textes sur Billy Wilder, tour à tour richement analytiques et audacieux surtout au moment de leur parution initiale avec une belle défense de la filmographie mal-aimée des années 60/70 (y compris pour Wilder qui les renie pour leur insuccès) : Embrasse-moi, idiot, Un, deux, trois ou encore La Vie privée de Sherlock Holmes évoqué en détail. Un texte plus trivial et attachant dresse d’ailleurs un joli portrait de Wilder venu à Rome pour un colloque/hommage qui lui était consacré et où on savourera l’esprit caustique intact du vieux maître alors en fin de carrière prématurée (l’article date de 1983 et bien que décédé en 2002 Wilder ne signera plus de réalisation dans les vingt années suivantes). De même on appréciera la parfaite connaissance et l’acuité des textes consacrés à Elia Kazan, notamment son acte de délation qui le voua un temps aux gémonies critiques. La documentation (voir les riches appendices) et les sources fouillées permettent d’ailleurs de dénoncer tout en relativisant cette faute, révoltante tout en étant guidée par de bonnes intentions au vu du contexte complexe et de l’aveuglement des communistes (reniant les génocides du régime soviétique) finalement pas si éloigné de l’acharnement obtus des anti-rouges qui provoqueront une série de drames humain.

Cette recherche historique fouillée offre des textes absolument captivant comme celui consacré à Hollywood face au nazisme et les actes peu glorieux des patrons de studios se voilant la face sur l’horreur sous couvert de profit durant les années 30, le plus droit étant le non-juif Darryl Zanuck à la Fox, les plus concernés de par leur origines Harry Cohn (Columbia), Adolphe Zukor (Paramount) ou Carl Laemmle (Universal) pactisant avec le régime nazi pour continuer à sortir leur production en Allemagne. Cette approche pointilleuse servira aussi à dénoncer les travers de ses collègues critiques, exercice où excelle Michel Ciment qui ne cède jamais à l’emportement stérile pour une idéologie ou une chapelle. Ainsi la grande Pauline Kael, auteur dans les 70’s d’un texte polémique affirmant qu’Orson Welles n’était pas le véritable auteur de Citizen Kane (mais plutôt son scénariste Herman Mankiewicz, frère de Joseph)  se voit contredite dans les grandes largeurs par Ciment qui citations multiples d’intervenants (et dont toutes les sources sont bien sûrs en appendice) à l’appui (y compris de Welles que Kael n’a pas daigné interroger un comble) montre l’étroitesse de sa réflexion qui sert justement plus sa vision du cinéma (les formalistes tels que Welles l’insupporte et un David Lean en fera les frais à l’époque) que la réalité.

En resituant certains écrits dans leur contexte, on apprécie d’autant plus l’audace de Michel Ciment. Le corpus sur le western inclus ainsi une chronique d’époque élogieuse sur Il était une fois dans l’Ouest (même s’il suscite moins de méfiance Leone est alors bien loin de la sacralisation qui suivra) qui tisse le lien à la fois évident et impossible du film au western classique américain. La mise en avant d’auteur négligé, ou injustement associé à « la qualité américaine » permet une belle ode à l’art de Robert Mulligan et la réhabilitation (à l’époque puisque son statut semble rétablit dans le paysage cinéphile actuel) d’un William Wyler. La connaissance de Ciment excelle autant à dépeindre certains aspects de cet environnement hollywoodien (le texte sur le destin assez douloureux des grands écrivains exilés à Hollywood comme F. Scott Fitzgerald), mettre en avant certaines de ces personnalités brillantes et oubliées (le texte sur le travail du producteur Dore Schary à la RKO) ou illustrer un pan méconnu de figures emblématiques comme les films muets de Cecil B. DeMille. Un ouvrage captivant de bout en bout donc comme souvent avec Michel Ciment et dont la richesse n’est que très partiellement évoquée ici (Howard Hawks, Von Stroheim, Von Sternberg, Leo McCarey ou Frank Capra auront droit à une approche riche et fouillée aussi entre autre). 

Edité chez Folio Essais

mercredi 2 septembre 2015

Quatre de l'espionnage - Secret Agent, Alfred Hitchcock (1936)

1916 : une cérémonie funèbre honore la mémoire d'Edgar Brodie, soldat de Sa Majesté et écrivain. Mais tout cela n'est qu'une mise en scène, car Brodie est un espion qui va se voir confier une mission prioritaire. Sous le nom de Richard Ashenden, il doit se rendre en Suisse pour démasquer et abattre un espion allemand. Il est accompagné du Général, assassin sans pitié et coureur de jupons, et rencontre sur place Elsa que sa hiérarchie lui a assignée comme épouse. Ils identifient rapidement un suspect, mais Richard et Elsa tombent peu à peu amoureux et sont de moins en moins convaincus du bien-fondé de leur mission.

Perdu au milieu des grand classiques de la période anglaise d’Hitchcock (juste après Les 39 marches (1935) et un peu avant Jeune et Innocent (1937) et Une femme disparait (1938)), Agent Secret est plutôt considéré comme un opus mineur du maître du suspense. Adaptant un roman de Somerset Maugham, le film sans atteindre les hauteurs des œuvres précitées s’avère pourtant fondamental car il définit l’approche à venir d’Hitchcock dans le cadre du film d’espionnage. Des films comme Les Enchaînés (1946), La Mort aux trousses (1959) ou le plus tardif L'Étau (1969) dépeignent ainsi des personnages déchirés entre leurs sentiments et leur devoir, les romances naissantes ne pouvant survivre à la mission en cours. 

Agent Secret initie cette réflexion du réalisateur par sa description au premier abord froide et désinvolte du monde de l’espionnage. L’existence d’un agent a peu d’importance au regard de son devoir, à la manière de Brodie (John Gielgud) dont la mort est simulée pour lui permettre d’aller incognito traquer un agent allemand en suisse. La légèreté du ton surprend et préfigure presque la série des James Bond durant l’introduction, que ce soit l’entrevue avec le chef des services secret R (Charles Carson), l’acolyte mexicain pittoresque joué par Peter Lorre et bien sûr le jeu de séduction qui va s’instaurer avec l’agent féminin débutant Elsa (Madeleine Carroll). Tout ne semble qu’être prétexte aux bons mots et à une certaine extravagance dans cette vision ludique du renseignement en dépit des enjeux cruciaux.

L’ombre plane cependant sur cette légèreté de façade, que l’on peut déjà deviner à travers le personnage de Peter Lorre qui si l’on fait abstraction de son excentricité rigolard est un psychopathe en puissance (pas si loin de son M le Maudit) pourtant situé dans le camp des « gentils ». Le sale boulot demande pourtant ce type d’individu sans états d’âmes, y compris quand on se trompera de cible et assassinera un innocent. Elsa au départ vue comme une écervelée en quête de sensations fortes verra sa détermination ébranlée, tout comme Brodie perdant de son assurance machiste et les deux vont ainsi se rapprocher. Dans cette idée le fameux agent s’avérera être le personnage en apparence le plus superficiel. La mise en scène d’Hitchcock est soumise à cette prise de conscience, se faisant de plus en plus stylisée au fil des doutes croissant des héros qui constituent finalement le principal danger pour eux alors que l’exécutant froid Peter Lorre parait intouchable.

 La mort s’invite de façon tout d’abord onirique (la découverte du cadavre dans l’église et notamment ce plan en plongée au-dessus de l’orgue), détachée (Brodie assistant à l’assassinat du mauvais agent à distance) avant que la culpabilité frappe nos héros dans une séquence virtuose dans un fondu enchaîné dont la métaphore sur fond d’orchestre évoque le muet. Hitchcock agence certes quelques séquences d’actions et de suspense haletante (la poursuite dans l’usine) mais la tension repose moins la peur de ce qui sera fait aux personnages que de la crainte de ce qu’ils comptent faire.

Infliger la mort ne semble plus aussi naturel et les sentiments face à cet ennemi seront des plus ambigus, ne se révélant pas entre sincérité et manipulations. Une ultime péripétie spectaculaire viendra résoudre le dilemme tout en affirmant un vrai positionnement moral. Hitchcock affinera avec bien plus de brio ces thématiques dans d’autres œuvres mais en dépit de ces maladresses Agent Secret s’avère passionnant. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Filmedia