Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 19 mai 2016

Retour à Babylone - Kenneth Anger



Retour à Babylone est la suite du cultissime Hollywood Babylone, compilation de faits divers et affaires de mœurs sordides des icônes ou figures oubliées de l’âge d’or hollywoodien. Le style percutant et ironique de Kenneth Anger en faisait un plaisir coupable où l’on se délectait de la fange dissimulée derrière l’usine à rêve, et où la vérité des faits racontés importait finalement peu au vu du panache déployé à les dépeindre. Même s’il fut enrichit lors de ses éditions américaines de 1965 et 1974, la proximité de la rédaction de l’ouvrage - première édition française en 1959, expurgée des ragots concernant les personnalités encore en activité - avec un âge hollywoodien déclinant mais vivace lui donnait un vrai fil conducteur. Kenneth Anger dépeignait l’opulence et le stupre étalés au grand jour des stars hollywoodiennes du muet bientôt confrontés à un retour à l’ordre moral symbolisé par l’instauration du Code Hays qui coïncidait avec l’avènement du parlant. Les mœurs n’en restaient pas moins dissolues mais devaient désormais être dissimulées. Cette dichotomie provoquerait le triomphe de la presse à scandale dont Anger reprend la verve pour s’amuser ou s’émouvoir des excès et destins brisés des icônes tout comme des personnalités oubliées. On avait ainsi une vraie progression, chronologique - des années 20 aux années 50 - sociologiques quant au regard changeant du public sur les dérapages des idoles – le moralisme cédant à une tolérance amusée pour un Errol Flynn entre autre – et nominatives quant aux stars évoquées et des tentations changeantes provoquant chute. Pour résumer, Hollywood Babylone sous le racolage était le fruit d’une vraie réflexion qui l’empêchait de tomber dans l’écueil auquel cède ce second volet : la simple compilation de ragots crapoteux.

Paru un 1984, le livre est nettement plus éloignés des personnalités et évènement dépeint. Alors que Hollywood Babylone donnait l’illusion de survoler une feuille à scandale d’époque, Kenneth Anger nous place ici à distance avec ces allusions l’Amérique des 80’s et notamment un Ronald Reagan étrillé plus pour son action de président que pour sa carrière d’acteur. Cette distance se ressent aussi par un jugement moral qui était absent du premier livre pétrit d’un savoureux cynisme même pour les faits divers les plus glauques. Entre redites du précédent (le suicide gracieux manqué de Lupe Velez), faits redondant même si sans doute plus neufs en 1984 (Hitchcock et son harcèlement de Tippi Hedren, la notule superficielle sur Le Dahlia Noir) et gros raccourcis, le contenu est nettement moins riche.

Heureusement l’auteur nous réserve quelques portraits savoureux. La liaison de Joe Kennedy avec Gloria Swanson (avec Erich Von Stroheim en dommage collatéral) et ses magouilles avortées pour s’imposer dans le monde du cinéma offrent quelques situations gratinées qu’Anger lie habilement à l’évolution des mœurs hollywoodiennes – la défense sauvant d’une fausse accusation de viol façonnant celle qui sauvera plus tard un Errol Flynn pour des abus bien réels. C’est cependant lorsqu’il s’attaque à des figures oubliées que l’auteur captive le plus. La star du muet reconvertie en célèbre décorateur William Haines donne un aperçu glaçant de la violence de l’homophobie d’alors. Le couple Paul Kelly/ Dorothy Mackaye émeut en transcendant le scandale - Kelly ayant tabassé jusque mort s’ensuive l’époux de sa maîtresse - par ses sentiments sincères et recycle habilement ses mésaventures dans le film Lady they talk about (1933) avec Barbara Stanwyck – inspiré du séjour en prison de Dorothy Mackaye considérée comme complice. Le meilleur concernera cependant la sexualité débridée du spécialiste des rôles de savant fou Lionel Atwill (vu dans Docteur X (1932)  et Le Masque de Cire (1933) de Michael Curtiz) et de ses conséquences judiciaires, Anger se délectant dans la description détaillée d’une orgie de nouvel an impliquant diverses stars. L’un des derniers chapitres avec son best-of des suicidés et de leurs méthodes est à la fois drôle, pathétique et percutant en plus de permettre au cinéphile de compléter la liste puisqu’on y évoque Richard Quine qui mettra fin à ses jours en 1989. Pour résumer donc une agréable lecture mais un ouvrage moins définitif, novateur et inventif que son prédécesseur. Finalement c’est tout aussi bien que Kenneth Anger ne soit pas parvenu à publier le troisième volet qu’il envisageait - car il aurait été fortement question de Tom Cruise et de la scientologie.

Paru aux éditions Tristram

mercredi 18 mai 2016

Je suis un criminel - They made me a criminal, Busby Berkeley (1939)

Johnnie Bradfield, un champion de boxe, est injustement accusé du meurtre d’un journaliste. Le coupable, son manager, s'enfuit avec sa voiture et sa petite amie. Alors qu’ils sont poursuivis par la police, ils ont un accident et sont retrouvés carbonisés. Pris pour mort et mal conseillé, Johnnie décide de disparaître et part sur les routes pour échapper aux éventuelles poursuites. Après avoir traversé tous les États-Unis, il fait une halte en Californie dans un "camp de redressement" pour jeunes délinquants.

Les talents de Busby Berkeley ne se limitaient pas à la comédie musicale, en témoigne ce joli film où à un clin d'œil près (la scène où le héros est arrosé et qu'un des gamins sifflote l'air de By the waterfall entendu dans Prologue (1933)) on se trouve dans plaisant mélodrame. Le film est le remake de La Vie de Jimmy Dolan (1933) de Archie Mayo et participera à l'ascension de John Garfield dont c'est seulement le deuxième film. Il incarne ici un champion de boxe fraîchement vainqueur et se parant d'une vertu et innocence aux yeux de la presse, un fils à maman se tenant éloigné des tentations du succès.

Une façade qui va éclater lorsque la réalité le révèle coureur, buveur et arrogant. La supercherie est sur le point d'être dévoilée par un journaliste dont il sera injustement accusé du meurtre. Les circonstances le font passer pour mort mais néanmoins coupable et il est désormais condamner à errer dans l'anonymat et sans le sous. John Garfield impose déjà son authenticité et charisme avec ce anti-héros cynique et individualiste. On appréciera la justesse avec laquelle sa désinvolture s'atténue et participe à sa rédemption, d'abord par la crainte d'être reconnu puis ensuite pour défendre enfin une autre cause que la sienne.


Ce sera celle des gamins d'une maison d redressement et de leur responsable Peggy (Gloria Dickson). La groupe d'adolescent est joué par la troupe des Dead End Kids, révélée par le Dead End (1937) de William Wyler et très célèbre alors. Leur énergie et gouaille apporte un répondant idéal à John Garfield, toute les scènes montrant l'apprivoisement commun créant un lien bien plus attachant que la romance très convenue avec Gloria Dickson (qui au départ semble avoir un vrai répondant avant d virer à l'amoureuse transie).

C'est reflet inversé de la première partie où tous les proches de Garfield étaient des sangsues prêtes à le lâcher à la première déconvenue et justifiant presque son individualisme. Là malgré la progression convenue du récit on vibre néanmoins à l'empathie et compassion naissante de Garfield pour ses garnements auxquels il va peut-être sacrifier son secret. Un bon moment dont on regrette juste la sobriété excessive de Busby Berkeley, le rythme et les dialogues percutant son là mais la mise en scène est anonyme. Sans attendre la folie de ses comédies musicales on pouvait espérer plus d'inventivité notamment lors des combats de boxe. Sympathique néanmoins même si l'incarnation suivante d boxeur de John Garfield sera autrement plus mémorable dans Sang et Or (1947) de Robert Rossen.

Sorti en dvd zone 2 français chez Widl Side

mardi 17 mai 2016

Les Professionnels - The Professionals, Richard Brooks (1966)

1917. Ancien soldat de Théodore Roosevelt et de Pancho Villa, Henry 'Rico' Fardan est engagé par Grant, un magnat texan du pétrole, pour retrouver sa femme Maria, enlevée par des révolutionnaires mexicains conduits par Jesus Raza. En échange, Grant offre une récompense de 100 000 $. Fardan est épaulé dans sa mission par trois autres 'spécialistes' : Hans Ehrengard, ancien cavalier et éleveur de chevaux, Jacob 'Jake' Sharp passé maître dans l'art de manier n'importe quelle arme et enfin Bill Dolworth, spécialiste en explosifs et ami de Fardan avec qui il a opéré nombre de coups de main au Mexique deux ans auparavant...

Au premier abord, The Professionals avec sa promesse d’action et d’aventures portées par un étincelant casting viril semble creuser le sillon des Sept Mercenaires (1960) qui a popularisé ce type de structure dans le western. C’est mal connaître Richard Brooks qui, tout en assurant le quota de grand spectacle livre une œuvre plus subtile qu’il n’y parait. Le côté divertissant semble dominer au départ avec une caractérisation des « professionnels » se faisant dans l’action à travers un générique pétaradant présentant leurs compétences : Rico (Lee Marvin) ex-militaire introduit en instructeur de mitrailleurs, Hans (Robert Ryan) l’expert en chevaux et Jake (Woody Strode) maître en maniement d’armes et plus précisément l’arc. Seul Bill (Burt Lancaster) a droit à une introduction plus comique, sa science des explosifs ne se révélant que plus tard. Avec Burt Lancaster et le cadre du Mexique où se déroulera la mission, on pense immédiatement au classique de Robert Aldrich, Vera Cruz (1954). Ce dernier film obéit à une construction proche du film de Brooks, avec ces deux aventuriers cyniques (Gary Cooper et Burt Lancaster) finissant par s’affronter dans un Mexique à feu et à sang, l’appât du gain de l’un s’opposant à la noblesse d’âme retrouvée de l’autre.

Les héros de Richard Brooks suivent un même cheminement où cependant leur lien au Mexique est plus fort. Rico et Bill sont des anciens compagnons d’armes qui furent gagnés par la fièvre de la révolution. Ce retour sur la terre de leurs combats n’est désormais plus guidé par la cause mais par une lucrative récompense. Brooks met donc en valeur leurs aptitudes militaires qu’il croise à celle plus associée au western classique de leurs acolytes avec le pistage pour Woody Strode et le soin des chevaux pour Robert Ryan. Le froid professionnalisme des soldats s’oppose ainsi à l’humanisme d’un Robert Ryan novice, que ce soit dans la résistance au rude climat du désert ou au sort à accorder aux chevaux ennemis après une embuscade. La raison est en tout cas toujours donnée aux deux soldats, dans la science du combat comme dans l’attitude détachée. 

Le sourire goguenard et carnassier de Burt Lancaster (proche de son personnage de Vera Cruz) se complète ainsi à l’autorité naturelle et au bon sens stratégique de Lee Marvin (qui quant à lui annonce son rôle d’instructeur dans Les Douze Salopards (1967)). L’objectif de la mission se déroulera dans une même maîtrise avant qu’un coup de théâtre fasse tout voler en éclat. Sous la distance de façade, toute cette première partie aura développé en filigrane une certaine nostalgie des hauts faits guerriers qui eurent un sens, un engagement et un certain romantisme pour les personnages. Réprimant ce sentiment par le simple appât du gain, nos héros sont ramenés à leurs doutes quand la mission ne sera pas ce qu’elle parait être avec la vraie nature de la kidnappée (Claudia Cardinale) et du kidnappeur (Jack Palance), ex frères d’armes aussi.

Tout le film change avec ce vacillement. Les scènes d’actions impressionnantes mais mécanique car simples démonstrations du « savoir-faire » militaire des héros prennent un tour plus déchirant. On pense à l’époustouflante embuscade à un contre cinq que mène Burt Lancaster dans un canyon et où sous l’aspect rigolard, chaque exécution est douloureuse notamment Chiquita (Marie Gomez) cessant d’être une simple silhouette pulpeuse par sa mort déchirante. Jack Palance lancera d’ailleurs une superbe tirade en comparant la Révolution aux atours d’une femme dont on est amoureux et recelant plus de plaisir que la maîtresse éphémère que constitue le seul attrait pécuniaire. Aldrich célébrait l’héroïsme américain avec Gary Cooper tout en donnant de beaux atours à l’amoralité symbolisée par Lancaster dans Vera Cruz

Plus tard Sam Peckinpah donnera dans l’approche crépusculaire et la nostalgie des « vrais » hommes avec La Horde sauvage (1969) pour rester au Mexique, et dans Pat Garret et Billy le Kid (1973) si on l’étend au western au sens large. Le propos de Richard Brooks est bien plus concret et politisé, Rico et Bill étant une métaphore de la politique américaine. Les personnages auront participé à la Révolution Mexicaine par engagement et volonté de libération comme on pourrait l’interpréter l’action des Etats-Unis durant la Deuxième Guerre Mondiale. 

Leur retour au Mexique pour cette mission les rapprocherait plus de l’impérialisme calculé associé à l’Amérique en ce milieu des années 60 avec la Guerre du Vietnam, les missiles de Cuba. Tout comme dans son précédent et magnifique Lord Jim (1965), l’héroïsme naît cependant du renoncement et peut faire retrouver grandeur d’âme aux héros de Richard Brooks. C'est le sentiment qui domine la cinglante conclusion et qui en fait un film à part, plus proche du sous-genre du « western Zapata » qu’on trouve dans le western spaghetti et une œuvre comme El Chuncho (1966) sorti la même année.

Sorti en dvd zone 2 français chez Sony

 

dimanche 15 mai 2016

L'Ultime Garçonnière - The Bed-Sitting Room, Richard Lester (1969)

La dernière guerre nucléaire n'a duré que deux minutes vingt-huit secondes. Londres n'est plus que ruines et désolation. Un petit groupe de survivants tente pourtant de s'organiser. Une famille vit dans une rame de métro qui ne cesse de rouler ; Pénélope est enceinte de 17 mois, sa mère se transforme peu à peu en armoire tandis qu'à chaque arrêt son père se précipite à l'extérieur pour fracturer les distributeurs de friandises

The Bed-Sitting Room participe à une volonté chez Richard Lester de donner une certaine profondeur à l'esthétique pop qu'il participa à démocratiser avec ses films cultes des années 60 comme A Hard Day's Night (1964), Le Knack... et comment l'avoir (1965) et Help (1965). Comment j'ai gagné la guerre (1967) usait ainsi de ce décalage dans un récit anti-guerre et surtout Petulia (1968) était un magnifique mélodrame enfin délesté de toute la distance qui peut rendre ces films des plus agaçant. The Bed-Sitting Room nait de l'abandon d'un autre projet de Lester.

Le réalisateur devait réaliser pour la United Artist Up Against It sur un scénario du dramaturge Joe Orton mais celui-ci est assassiné peu avant le tournage et la production est annulée. Se retrouvant avec un million de dollar à investir dans un film anglais, la United Artist laisse carte blanche à Richard Lester, mal lui en prendra. Le cinéaste se rabat donc sur The Bed-Sitting Room d'après une pièce de Spike Milligan. Celui-ci est une figure emblématique de l'humour britannique, rendu par durant les années 50 par The Goon Show, émission radio de la BBC où aux côtés de Peter Sellers et Harry Secombe il préfigurait les facéties des Monty Pythons.

Le film est donc un récit post-apocalyptique prenant place dans un Londres dévasté après une catastrophe nucléaire. L'origine théâtrale se ressent par une construction fonctionnant sur une suite de tableaux surréalistes, sans trame narrative définie. Les survivants réagissent chacun à leur manière à une situation sinistres. Le duo Peter Cook/Dudley Moore assure depuis un ballon le maintien d l'ordre, la royauté est sauvegardée par l'ancienne femme de ménage de la Reine reprenant le titre tandis qu'une famille survit dans le métro en se nourrissant des barres chocolatées des distributeurs. De l'autre côté d'autres protagonistes basculent dans une vraie folie douce due aux radiations avec un Ralph Richardson errant en attendant de se réincarner en la fameuse bed-sitting room en titre.

Les moments absurdes et parfois réellement inventifs dans leur folie s'enchaînent (les "programmes de la BBC, le cycliste maintenant l'énergie) mais difficile de s'intéresser sur la longueur à ce qui constitue plutôt une suite de sketches inégaux. Lester tente bien d'instaure un semblant de noirceur et mélancolie qui fonctionne par l'esthétique singulière du film, notamment les expérimentations de la photo de David Watkin qui annoncent son travail sur Les Diables (1971) de Ken Russell. Cela reste néanmoins assez poussifs et peine à maintenir l'attention. La United Artist sera horrifiée par le résultat, retardant d'un an la sortie qui sera catastrophique au niveau du public et de la critique. Pas vraiment drôle, et pas assez profond pour rendre sincère sa mélancolie le film gagnera tardivement le prix du jury lors du Festival international du film fantastique d'Avoriaz 1976 et semble avoir gagné une certaine aura culte aujourd'hui.

Sorti en dvd et BR anglais chez BFI

 

samedi 14 mai 2016

De Broadway à Hollywood - Marguerite Chabrol

Ce passionnant ouvrage de Marguerite Chabrol vient éclairer les liens assez méconnus (au sein de la cinéphilie française du moins) entre théâtre et cinéma, et plus précisément entre Broadway et le Hollywood de l’âge d’or. C’est à une vaste étude thématique, économique et richement documentée à laquelle nous invite Marguerite Chabrol. La réalité mais aussi une certaine forme de cliché oppose Broadway, symbole de la sophistication et culture new yorkaise dans sa tradition du théâtre au cinéma, art récent et destiné à des masses plus larges et populaires. L’équation n’est pas si simple comme va le démontrer l’analyse.

L’auteur se penche tout d’abord sur les liens économiques entre Broadway et Hollywood. L’adaptation de pièces de Broadway va s’accélérer fortement et constituer une manne considérable avec l’arrivée du parlant au début des années 30. On découvre que l’influence de Broadway s’étend notamment aux méthodes de promotion d’Hollywood reprenant certaines idées de lancement des pièces, que ce soit dans les slogans, l’association des stars hollywoodiennes aux grandes icônes du théâtre où aux modèles de sortie progressives dans le pays qui correspondent aux tournées nationales de pièces en guise de test avant les grandes scènes de Broadway. L’échange ne se fait pas que dans un sens, la possibilité d’une adaptation pouvant se faire avant que la pièce soit jouée et contribuant même au financement de sa production scénique. Le studio y repère une thématique en vogue ou un véhicule pour une star par cette aide au montage scénique pourra s’appuyer sur son succès au moment de lancer le film. On peut même avoir des exemples plus extrêmes avec L’Insoumise (1939) de William Wyler dont la pièce adapte remporta un succès très modeste mais dont le sujet correspondait à la star de la Warner, Bette Davis. Ce succès lance donc un cycle qui spécialisera Bette Davis dans la reprise de grands rôles théâtraux qui l’associeront à cette veine dans l’imaginaire du public bien qu’elle ne se soit jamais produite sur scène. 

L’auteur soulève d’ailleurs un pan méconnu des prestations les plus mémorables à l’écran, l’influence de l’interprète original de la pièce. Dans le cas de Bette Davis, on constate le mimétisme avec Tallulah Bankhead (dont la carrière au cinéma ne pris jamais réellement) dont elle repris souvent les rôles - avec quelques anecdotes sur la défiance de l’actrice de théâtre vexée d’être copiée -  comme dans les mélodrames Dark Victory (1939) ou The Little Foxes (1941). Ce fait n’est pas dévoilé pour amoindrir la prestation de Bette Davis qui amène ses propres nuances à cette inspiration initiale mais plutôt pour expliciter une logique et continuité à tenir entre la connaissance qu’a le public du matériau original auquel il faut rester fidèle mais aussi de maintenir sans le dénaturer ce qui a fonctionné sur scène. Cette idée est approfondie et étendue à la réalisation des films où l’on constate une reprise du dispositif et d’idées développé dans la mise en scène de théâtre. Marguerite Chabrol décrypte là aussi avec forte documentation à l’appui – des photos très rares  la manière dont certaines idées visuelles et/ou narratives sont revisitées à l’écran dans une logique cinématographique. 

Les perspectives du studio et des acteurs guident donc le choix mais aussi la fidélité fluctuante aux œuvres originales. La censure du Code Hays (s’opérant en amont en pointant les points sensibles des pièces) obligent à une certaine inventivité pour reprendre les sujets à problèmes de façons plus codées mais parfois les pièces sont dénaturées pour cette raison qu’afin d’être orienté vers un genre plus en vogue – la transition pouvant être spectaculaire du drame sur scène à la comédie à l’écran, le succès de New York – Miami (1934 et pourtant pas issue d’une pièce) ayant contribué à des mues inattendues vers la screwall comedy. La scène peut être également un instrument de reconstruction pour les acteurs avec ici l’exemple de Katherine Hepburn se réinventant dans The Philadelphie Story qui triomphe à Broadway et dont elle reprendra le rôle principal pour retrouver le succès à l’écran après de nombreux échecs au box-office. Une méthode qui ne marche pas toujours comme le constatera  Ingrid Bergman, interprète de Jeanne D’arc sur scène mais avec moins de réussite commerciale au cinéma. Cela peut être aussi un obstacle à l’adaptation quand l’acteur refuse de voir transformée l’œuvre qu’il a interprété au théâtre, en témoigne le conflit qui conduira à l’éviction de John Ford dans Permission jusqu’à l’aube (1955). Ce passage de la scène à l’écran pour les acteurs semble d’ailleurs surtout concerner les stars ou pour les interprètes plus modestes qu’on spécialise dans des rôles pittoresques – qui peuvent d’ailleurs incarner à eux seuls la provocation ou excentricité lissée dans l’adaptation. Cette transition au sens large est d'ailleurs abordé à travers les metteurs en scène de Broadway passant à la réalisation tel Joshua Logan sur Picnic et surtout Elia Kazan pour un des rares exemples où l'équipe reste grandement identique d'un support à l'autre dans Un tramway nommé désir (1951).

Ce ne sont que quelques pistes parmi celles nombreuses qu’explore Marguerite Chabrol dans un vrai travail de recherche (y compris les mémos des exécutifs de studios) passionnant. Il faudra néanmoins avoir une bonne connaissance du cinéma hollywoodien sans quoi les multiples références resteront un peu abstraites.

Paru chez CNRS Editions

mercredi 11 mai 2016

Le Bigame - Il bigamo, Luciano Emmer (1956)

Mario De Santis, un honnête représentant de commerce, voit sa vie bouleversée lorsqu’une femme qu’il ne connaît absolument pas l’accuse à tort d’être bigame. Il est défendu par un avocat très distrait.

Luciano Emmer signe une hilarante comédie avec Le Bigame où il retrouve Sergio Amidei (secondé par le duo Age et Scarpelli et un débutant nommé Francesco Rosi), scénariste de son classique Dimanche d'aout (1950). On est cependant loin du néoréalisme rose naissant pour plonger dans la franche comédie sociale dans une veine proche du Pigeon (1958). Mario De Santis (Marcello Mastroianni) est un séduisant représentant de commerce et père de famille qui va voir son quotidien bouleversé lorsqu'une inconnue va l'accuser de bigamie pour un mariage contracté sept ans auparavant. Marcello Mastroianni tout au long de sa carrière se plaira à détruire l'image de séducteur que son physique avenant peut évoquer, Le Bel Antonio (1960) en tête. Ici tout le film tend à détruire justement cette facette en la mettant en valeur au départ où l'on est admiratif du bagout et du charme de Mario pour vendre des tubes de dentifrice aux (épouses des) commerçants qu'il prospecte. Il en va de même dans son foyer où un baiser viril calme les ardeurs jalouses de son épouse Valeria (Giovanna Ralli).

Tout bascule donc lorsque la très lunaire Isolina (Franca Valeri) l'accuse de bigamie. Luciano Emmer manie à la fois la satire sociale et l'humour absurde pour dépeindre la déchéance du malheureux Mario. La morale inquisitrice teintée de bigoterie instaure ainsi une vindicte qui ne laissera aucune chance à Mario, toujours plus coupable quoiqu'il dise ou fasse, que ce soit dans les situations dont l'interprétation est constamment à son désavantage (une rencontre secrète avec son épouse devenant une tentative d'enlèvement pour la police) ou le regard des autres avec une belle-famille et des voisins qui ont tôt fait de se retourner contre lui. Cela pourrait tout à fait être les éléments d'un drame pesant mais Emmer y ajoute une outrance toute italienne qui élève l'injustice à des proportions hilarantes.

Une longue scène de vaudeville voit par une suite de hasards malheureux s'empiler dans l'appartement du couple tous les protagonistes n'ayant aucun intérêt à se rencontrer (les deux épouses, leurs familles et avocats respectifs) et se conclut en bagarre générale. La respectabilité perdue expose à tous les malentendus mais aussi aux vautours en tout genre. Vittorio De Sica nous offre ainsi un grand numéro comique en avocat plus intéressé par les paillettes que la plaidoirie. Le ton se fait grinçant à travers ce personnage reflet de la corruption ordinaire avec des running gags tordants, entre les poses qu'il prend dès que passe un appareil photo ou des sentences fatales à tous ses clients ivres de vengeance. Partant du principe que son client est de toute façon coupable, inutile de s'informer de l'affaire en détail et autant compter sur une éloquence creuse pour le défendre. La plaidoirie finale est absolument hilarante, De Sica plus théâtral que jamais calomniant, jurant, pleurant et vociférant tout en citant des poèmes de Gabriele D'Annunzio, grand moment.

Là où l'on sent que nous ne sommes pas encore entré dans la comédie italienne cruelle des années à venir, c'est dans la caractérisation du/des couples. Mario et Valeria ne cessent jamais de s'aimer, le dépit de cette dernière repose plus sur un sincère désespoir que la crainte du regard des autres et plus que l'accusation, c'est bien l'influence néfaste de leur entourage qui les sépare. Franca Valeri aussi parvient à être étonnamment attachante malgré son rôle négatif puisque les indices du scénario et son jeu décalé ne laissent jamais planer le doute quant à son mensonge. La solitude de la vieille fille, étouffée par un père autoritaire émeuvent sous les rires et comme souvent dans le cinéma italien la dimension régionale constitue l'identité de manière sous-jacente.

Les multiples allusions à ses origines de la petite ville de Forlimpopoli soulignent à la fois les mœurs sévères de la province du nord mais aussi une richesse qui permettra d'accuser et d'être crue plus facilement que le modeste Mario. Ces trois-là sont les seuls dont le film expose sincèrement les failles et les tourments quand tout le reste du casting est dans l'outrance et la caricature. On détache tout de même le truculent Memmo Carotenuto, grand second rôle italien de l'époque et excellent en acolyte de prison bienveillant. Il sera d'ailleurs récompensé d'un Ruban d'argent du SNGCI (Syndicat National des Journalistes du Cinéma Italien) pour son interprétation. Un très bon moment, plaisant de bout en bout.

Sorti en dvd zone 2 français chez René Chateau 

Extrait

mardi 10 mai 2016

La mort n'était pas au rendez-vous - Conflict, Curtis Bernhardt (1945)

Richard et Katherine Mason semblent former un couple heureux. En réalité, Richard est amoureux d’Evelyn, la plus jeune sœur de son épouse. Quand cette dernière découvre leur secret et déclare ne pas vouloir divorcer, Richard imagine alors une machination afin de s'en débarrasser.

Conflict est une tentative intéressante de film noir psychanalytique dont le scénario a pour base une histoire d'Alfred Neuman et Robert Siodmak, ce dernier étant bien sûr maître en intrigue labyrinthique et chargée d'atmosphère. On peut regretter qu'il ne l'ait pas réalisé lui-même puisque sans démériter, Curtis Bernhardt n'exploite pas tout le potentiel de cette histoire. Le problème est avant tout un manque de subtilité qui empêche de distiller une certaine ambiguïté au récit. Ici dès la scène d'ouverture le personnage de psychanalyste incarné par Sydney Greenstreet nous explique badin ce qui définit une pensée obsessionnel, annonçant la veine essentiellement psychologique des tourments de l'époux meurtrier joué par Humphrey Bogart.

La symbolique et les indices sont particulièrement grossiers, Bogart architecte voyant par exemple au détour d'un schéma papier la forme de la crevasse où git sa femme apparaître en surimpression. C'est bien dommage car la mise en scène de Curtis Bernhardt parvient par moment à créer ce doute et nous faire hésiter quant au genre dans lequel se situe le film. La réapparition d'objets appartenant à la disparue, les appels anonyme et l'atmosphère pesante suggère autant que l'épouse réalise une vengeance d'outre-tombe ou bien réelle, ou alors qu'un mystérieux manipulateur joue avec les nerfs de Bogart. L'apparition des objets et savamment amenée, le leitmotiv de la chanson Tango of Love associé à l'épouse laisse constamment planer une aura de surnaturel et Humphrey Bogart excelle à laisser sa tranquille assurance se désagréger face à la peur et la culpabilité.

Quelques séquences sont formellement superbes comme la scène de meurtre où l'époux surgit de la brume d'une forêt de studio pour en finir, on est presque dans le conte avant qu'une brutalité plus concrète vienne rompre le charme. L'enjeu du crime peine à intéresser avec une Alexis Smith transparente (pourtant capable de caractère dans ses rôles face à Errol Flynn) tandis que Rose Barr entre mégère et victime impose plus de personnalité malgré un faible temps de présence. La lourdeur de cette dimension psychanalytique estompe toute les nuances avec les longues tirades de Sidney Greenstreet et casse tout la vraie aura d mystère habilement installée. Du coup le twist final même si joliment amené ne satisfait pas vraiment tant nous avions été aiguillé vers une solution rationnelle, dommage.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner 

lundi 9 mai 2016

Le Signe du païen - Sign of the Pagan, Douglas Sirk (1954)

En l'an 450, alors que les rivalités entre les empereurs de Rome et de Constantinople fragilisent la toute-puissance de l'empire romain, Marcian, un centurion chargé d'acheminer un message vers Constantinople, est capturé par les Huns. Leur chef, Attila, le fléau de Dieu, a décidé de profiter de la décadence de l'empire pour faire tomber les murs de Rome.

Si durant sa carrière américaine Douglas Sirk signera des chefs d’œuvre dans son registre de prédilection qu’est le mélodrame, il n’en reste pas moins un artisan de studio se pliant à des commandes parfois bien éloignées de sa sensibilité. Il s’acquitte donc avec plus (le film d’aventure Capitaine Mystère (1955)) ou moins (le western Taza, fils de Cochise (1954)) de réussite à la tâche comme avec le péplum Le Signe du Païen. Après le succès du Quo Vadis (1951) d Mervyn LeRoy, le genre connaît son âge d’or à Hollywood à travers des fresques opulentes. Le Signe du Païen s’inscrit dans le péplum biblique, avec comme d’habitude un respect historique tout relatif. Contrairement au film, c’est entre l’empire Romain d’Occident en déconfiture qui avait cédé aux Huns des territoires contre la paix et celui d’Orient menacé d’invasion par Attila. A cette l’épopée d’Attila revisitée s’ajoute des figures bien réelles avec l’officier romain Marcian (Jeff Chandler) devenu empereur en épousant l’impératrice Pulchérie (Ludmilla Tcherina) et succédant à Théodose (George Dolenz). Le choc des civilisations se fait donc entre l’Empire Romain et les barbares et plus particulièrement entre le Christianisme représenté par Rome et le culte païen célébré par les Huns. 

C’est précisément lorsqu’il s’intéresse à cette opposition que Sirk offre les moments les plus intéressants du film. Le cinéaste, si apte à conférer une vraie emphase visuelle aux pics émotionnels de ses mélodrames est à l’inverse très brouillon pour mettre en scène les morceaux de bravoures et l’imagerie spectaculaire du péplum. Les moyens semblent pourtant là - en témoignent les quelques plans d’ensemble chargés en figurants lors des chevauchées des Huns et quelques décors studios – mais le résultat est très étriqué et finalement moins impressionnant que le pendant italien sorti la même année, Attila, fléau de Dieu de Pietro Francisi avec Anthony Quinn dans le rôle-titre. Les intrigues de palais permettent cependant au réalisateur de s’approprier le récit de manière intéressante. La révélation mystique est au cœur de l’œuvre de Douglas Sirk, dans une idée plus spirituelle que religieuse notamment dans l’éveil à l’amour qui se conjugue à celui pour la nature environnante pour la Jane Wyman de Tout ce que le ciel permet (1955).

Dans Le Secret Magnifique (1954) l’égoïste et richissime Rock Hudson allait enfin se soucier d’autrui dans une même révélation mystique. C’est un personnage voisin d’Attila qu’incarne ici Jack Palance, guerrier fier, plein d’assurance et avide de revanche envers l’Empire Romain. Toute la première partie tend à mettre en valeur son brio tactique, son arrogance et ses aptitudes guerrières hors pairs. On pense à son arrivée tonitruante lors du festin que donne l’empereur Théodose pour les barbares où il impose autorité et puissance en humiliant le champion romain. Malgré le manque d’ampleur de la mise en scène de Sirk – d’autant plus regrettable avec un acteur du charisme de Jack Palance - l’effet est bien là et se prolonge dans les interactions des autres personnages et Attila, pas plus impressionné par le prestige de l’empereur que séduit par les charmes de la princesse Pulchérie.

La révélation mystique rendait Rock Hudson meilleur dans Le Secret Magnifique, elle rendra ici Attila vulnérable. Les présages fendent son armure et le rendent craintif du vrai pouvoir de ce Dieu chrétien. Sirk use de cliché du péplum biblique avec la conversion béate de Kubra (Rita Gam) la fille d’Attila mais aussi d’une pure symbolique par l’image. Dans cette idée le ridicule un peu cheap (un éclair qui fend un arbre) alterne avec des visions sublimes telle cette apparition fantomatique de la barque du Pape Léon 1er, surgissant des brumes nocturnes du Tibre - dans une superbe photo bleutée de Russell Metty.  Si l’on ne sent pas une exaltation particulière de Sirk pour le Christianisme – malgré la multitude de compositions de plan faisant surgir la croix -, il s’en sert comme révélateur d’Attila redevenu humain et écrasé par une force qui le dépasse. 

Jack Palance excelle dans l’incarnation de cette force de la nature qui se désagrège et confirme que chez Sirk, d’Écrit sur du vent à la Ronde de l’aube en passant par Mirage de la vie, les vrais héros sont aussi les plus torturés. Jeff Chandler, figure de stabilité et de sagesse parvient néanmoins à exister par son charisme et le pivot que signifie son personnage face à la cupidité, lâcheté et folie que représentent les figures de puissances. C’est dans cette veine réflexive et intimiste que Le Signe du Païen captive, une ultime bataille indigente confirmant que l’intérêt de Sirk n’était définitivement pas là.

Sorti en dvd zone 2 français chez Elephant Films