Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 17 juillet 2016

Les Diamants sont éternels - Diamonds Are Forever, Guy Hamilton (1971)

James Bond fait le tour du monde pour retrouver Ernst Stavro Blofeld, responsable de la mort de sa femme. Bond le retrouve et le jette dans une mare bouillante, croyant l'avoir tué. Bond retourne en Angleterre et apprend que des diamants sud-africains disparaissent. Il se rend aux Pays-Bas pour rencontrer une certaine Tiffany Case, qui est censée le renseigner, et il part avec elle pour Las Vegas.

Au service secret de Sa Majesté (1969) s’avérera avec le temps le sommet artistique de la saga mais rencontrera à sa sortie un succès bien plus mitigé que les épisodes de Sean Connery. L’introduction d’un nouvel interprète et son incarnation d’un Bond plus vulnérable ainsi que le final dramatique semble avoir dérouté le public. George Lazenby mal conseillé avait jeté l’éponge avant même la sortie du film et les producteurs doivent donc se mettre en quête d’un nouvel interprète ainsi que d’une orientation neuve du personnage en ce début des années 70. Les Etats-Unis étant la principale source de revenus de la saga, le choix est fait de rendre Bond plus américain notamment en engageant l’acteur John Gavin pour reprendre le rôle. La United Artist va mettre le holà à ces choix car tout ce qu’elle souhaite est le retour du fils prodigue, Sean Connery. Ce dernier ne pourra refuser le pont d’or inédit à l’époque de 1,25 million de dollars et la promesse de pouvoir se faire produire deux films de son choix – un seul résultera finalement de cet accord mais un grand, The Offence (1972) de Sidney Lumet.

Dès lors tout le projet se déleste des velléités novatrices du précédent pour retrouver le ton de la glorieuse époque Sean Connery et plus particulièrement Goldfinger (1964) qui lança définitivement le phénomène Bond. Son réalisateur Guy Hamilton revient donc, le scénario en offre un décalque sur de nombreux points (les diamants substitués à l'or, l’histoire se déroulant essentiellement aux Etats-Unis) et bien évidemment on rappelle Shirley Bassey pour le générique. Hamilton avait miraculeusement su mélanger nonchalante élégance, sursauts de sadisme et excentricité de tous les instants (se souvenir de la grand-mère adepte de la mitrailleuse,  du Fort Knox chromé or du final) dans Goldfinger et rejoue la même partition en moins inspiré dans Diamonds are forever. Le film alterne ainsi constamment les réussites et les déconvenues. Le duo de tueurs gay Mr Wint (Bruce Glover) et Mr Kidd (Putter Smith) apporte un mélange de menace et d’excentricité qui donne un ton glaçant et loufoque à chacune de leurs sinistres exécutions. Le Blofeld incarné cette fois par Charles Gray (pourtant capable de jouer des méchants terrifiants comme dans la production Hammer Les Vierges de Satan 1968) est plus facétieux et bien loin de la menace glaçante que représentaient Donald Pleasence et Telly Savalas précédemment dans On ne vit que deux fois (1967) et Au service secret de Sa Majesté

Le film se laisse néanmoins suivre, notamment grâce à un scénario habile qui mêle habilement de l’actualité d’alors (un camouflage de Blofeld reposant sur la nature reclus d’un simili Howard Hughes), la contrebande de diamants et rejoue la carte futuriste (la menace venue de l’espace d’On ne vit que deux, la poursuite en buggy lunaire) avec un relatif panache. Même si l’on passe un bon moment, la nonchalance de Goldfinger se mue ici en mollesse que ne parviennent pas à rehausser les moments de tensions trop bref et sans idées. Tout est constamment désamorcé par une distance et un humour qui annonce le pire de la période Roger Moore. Le suspense a beau être remarquablement amené par moments (la bagarre dans l’ascenseur, Bond coincé dans un incinérateur moments qui doivent surtout à la musique de John Barry), un bon mot de trop, une attitude décalée, dénue l’ensemble du souffle épique qui portait pourtant des épisodes bien plus extravagants. 

Loin de l’élégance de Lewis Gilbert sur On ne vit que de fois et du punch de Terence Young dans les premiers volets et de l’inventivité de Peter Hunt dans Au service secret de Sa Majesté, Guy Hamilton amène à peine une certaine luxuriance dans sa capture de Las Vegas et s’avère assez poussif pour rendre l’ensemble réellement palpitant. Sean Connery, vieillissant, légèrement empâté  conserve néanmoins cette prestance et présence animale mais clairement sans l’implication d’antan. Quelques jeux de mots prêteront à sourire (la rencontre avec la gironde Plenty O’Toole qui prolonge la tradition des personnages féminins de la saga nommés dans un double sens graveleux) et l’ensemble n’est pas désagréable à suivre notamment grâce à l’équipe artistique toujours aussi inventive - Ken Adam qui lâche un sacré décor avec l’ascenseur argenté de Blofeld. 

Le dilemme du film se situe autant dans son ouverture que sa conclusion. Le pré générique hésite entre l’héritage d’Au service secret de Sa Majesté et la première période. Bond y cherche activement Blofeld comme pour une vengeance du meurtre de son épouse à la fin du précédent, le montage percutant et la voix off assénant agressivement « Where is Blofed » le laisse penser avant que l’allure goguenarde et assurée de Sean Connery - absolument pas dans le ton donc, aurait-il su jouer la vulnérabilité voulue du précédent même s’il avait conservé le rôle ? – ne vienne gâcher les attentes. La destruction finale de la base de Blofeld et leur ultime face à face ridiculise définitivement la Némésis bondienne et appuie ce ton désinvolte - sans oublier une des James Bond girls les plus nunuche de la saga jouée par Jill Saint-John. Alors si l’on est loin de la pantalonnade des deux volets suivants, l’âge d’or bondien semble pour un temps bien révolu d’autant que Sean Connery fait ses adieux définitifs au rôle – malgré une ultime et lucrative rechute dans le poussif Jamais plus jamais (1983) hors saga. 

Sorti en  dvd zone 2 français et bluray chez Fox

vendredi 15 juillet 2016

Voici le temps des assassins - Julien Duvivier (1955)


À Paris, André Chatelin, restaurateur aux Halles à l'enseigne Au rendez-vous des Innocents, est un modèle d'homme droit, patron paternaliste et le cœur sur la main. Mais un beau matin, une jeune fille tout juste arrivée de Marseille se présente à son restaurant. Elle dit être Catherine, la fille de Gabrielle, première femme de Chatelin, dont il est divorcé et n'a plus de nouvelles depuis vingt ans. Selon Catherine, Gabrielle vient de mourir, et elle n'a nulle part où aller. Chatelin lui offre alors son hospitalité. Mais insidieusement, Catherine mène un jeu trouble auquel Chatelin ne voit que du feu.

Pour Julien Duvivier Voici le temps des assassins sonne comme la réponse noire et désespérée au romantisme naïf et flamboyant de Marianne de ma jeunesse (1955), son film précédent fraîchement accueilli par la critique et le public. Ce sera l’occasion des retrouvailles entre Duvivier et Jean Gabin, qui avaient tournés La Promesse (1944) le temps de leurs exil Hollywoodien sous l’Occupation mais dont les grandes collaborations remontaient aux années 30 avec les mythiques La Bandera (1935), La Belle équipe (1936), Pépé le Moko (1937) entre autres… Ce sera avec Touchez pas au grisbi de Jacques Becker (1954) un des films qui reconstruira l’image de Jean Gabin aux yeux du public, pas encore le « Patron » et plus le jeune premier écorché vif des années 30. 

Les grands classiques de Duvivier avaient souvent été empreints d’une vraie noirceur mais le lyrisme et le romanesque l’emportaient toujours malgré les conclusions tragiques. S’il s’adonne à la plus franche comédie dans certains de ses films d’après-guerre (Le petit monde de Don Camillo (1952) et Le Retour de Don Camillo (1954) qui restent ses plus gros succès), c’est également là qu’il signe ses films les plus nihilistes. Les fantômes de l’Occupation planent au-dessus de Panique (1947) avec son racisme ordinaire et sa peur de l’autre, mais également Marie-Octobre (1959) où la fraternité de la Résistance se voit ébranlée par la suspicion. Même n’évoque pas frontalement le sujet, on peut tout à fait y associer Voici le temps des assassins. Le personnage faussement angélique Catherine (Danièle Delorme) est le portrait d’une jeunesse précocement avilie par la misère de cette Occupation, et prêt à tout pour ne pas y retomber. Tout comme dans La Belle équipe, c’est l’aura corruptrice d’une séductrice qui viendra briser un espace de fraternité. Duvivier filme dans une approche réaliste (les extérieurs tournés sur place, et les intérieurs minutieusement reconstitués en studio) l’activité foisonnante des Halles (superbe photo de Armand Thirard), la camaraderie des maraîchers qui se connaissent  tous et dont l’allant teinté de bonhomie est bien représenté par le restaurateur André Chatelin (Jean Gabin). Catherine, fille de l’ex-épouse de Chatelin va venir y semer le chaos.

Le choix de Danièle Delorme peut surprendre mais alors que le choix d’une vamp pulpeuse aurait été trop évident, la candeur  de l’actrice peut bien plus aisément laisser s’immiscer la discorde chez ses interlocuteurs ne soupçonnant pas sa duplicité. Un regard enjôleur, une déclaration d’amour innocente, une allusion ambigüe, tout cela suffira à enflammer le cœur du vieux Chatelin comme du jeune fils spirituel Gérard (Gérard Blain) et les brouiller sans raison. Jean Gabin incarne un personnage gentiment bourru et attachant qui ne voit rien venir, tant sa vie semble destiner à être dominée par des femmes fortes. Chacune symbolise une figure de cauchemar où la fragilité de Catherine dissimule une âme pervertie, l’ex-épouse en fait bien vivante Gabrielle (Lucienne Bogaert) tire les ficelles du complot en coulisse et la mère de Chatelin (Germaine Kerjean qui n’avait en fait que 10 ans d’écart avec Gabin) véritable harpie castratrice et envahissante – on pourrait même y ajouter la vieille domestique intrusive jouée par Gabrielle Fontan. Elles auront toutes droit à une scène montrant l’envers monstrueux de cette féminité que ce soit le regard meurtrier et fou de Catherine lors d’un meurtre révoltant dans la dernière partie – la Jean Simmons du final de Un si doux visage (1952) n’est pas loin - , le visage déformé par le manque de Gabrielle devenue junkie,  et la froideur impitoyable de la mère Chatelin qui châtie sa belle-fille à coups de fouet lors séquence hallucinante. 

Toutes les aspirations légitime à une existence douce (matérielle, sentimentale…) guide les personnages vers un point de non-retour dont il sera impossible de revenir. Visuellement tous les éléments positifs initiaux se voient teintés de cette noirceur. L’espace convivial du restaurant se resserre peu à peu ne plus capturer que la jalousie et la suspicion naissante, le fourmillement pittoresque des travailleurs des Halles s’interrompt saisir un bagarre brutale et Duvivier inverse même l’imagerie de ses films précédent ici avec les rives de la Marne - théâtre de moments de joie hédoniste dans La Belle équipe - où se déroulera la tragédie finale. Cette quête d’ailleurs sera synonyme de perte dramatique (de son âme, de sa vie, d’un proche et surtout de ses illusions) pour tous les protagonistes dans une conclusion parmi les plus désespérée du cinéma français des années 50. Un pur diamant noir, un des chefs d’œuvres de Duvivier. 

Sorti en dvd et bluray chez Pathé 

mardi 12 juillet 2016

Metropolis - Metoroporisu, Rintaro (2001)

À Metropolis, une cité futuriste, humains et robots cohabitent, mais vivent dans des espaces bien délimités. Dans une atmosphère baignée par la musique de jazz, cette cité est le théâtre d'une enquête de police menée par un inspecteur japonais et son jeune neveu, Kenichi, au sujet d'un savant accusé de trafic d'organes, le docteur Laugthon, qui est au service de l'homme le plus puissant de la ville. Celui-ci utilise les services du savant pour créer un robot ultra-moderne, ayant l'apparence de sa défunte fille, Tima.

Metropolis constitue autant une relecture animée du classique de Fritz Lang qu’un immense hommage à Osamu Tezuka, maître du manga et de l’animation japonaise. Le film est l’adaptation du manga éponyme de Tezuka paru en 1949 et où, inspiré par une photo de l’œuvre de Fritz Lang, il en offrit sa version sans avoir vu le film original. Tezuka fonda au début des années 60 le studio Mushi qui contribua à façonner les codes de l’animation japonaise, notamment à la télévision avec des œuvres cultes telles que Astro Boy (Astro le petit robot en France) ou encore Le Roi Léo. Il y formera nombres de futures grandes figures de la japanimation amenées à voler de leurs propres ailes sur les cendres de Mushi qui fit faillite suite à l’échec de Belladonna (1973). Les anciens de Mushi fonderont ainsi dans la foulée Madhouse, un des studios les plus audacieux et novateurs qui lancera les carrières de Katsuhiro Otomo ou encore Yoshiaki Kawajiri et produira des classiques comme La Cité Interdite (1987), Akira (1988) ou Ninja Scroll (1994). En 2001 Madhouse paie donc son tribut à Osamu Tezuka en adaptant son Metropolis que réalise son disciple Rintarō sur un scénario de Katsuhiro Otomo.

Le film constitue une belle réussite où s’harmonisent totalement les velléités humaniste de Tezuka, le sens du chaos de Otomo et le style fluide et malléable (l’esthétique de Tezuka et notamment le design si singulier de ses personnages est totalement respecté) de Rintarō, vrai Zelig de l’animation. Le récit façonne une fable plus politique et moins allégorique que le film de Fritz Lang, en tout cas marquée par une expérience réelle du totalitarisme japonais quand Hitler n’obtiendra le pouvoir en Allemagne que six ans après le Metropolis original. La version animée dépeint certes une cité futuriste et dystopique où le statut social s’inscrit par la hauteur où l’on s’y situe, mais finalement traite symboliquement d’un phénomène d’exclusion plus raciale que sociale dans son déroulement. 

Les nantis vivent dans les hauteurs bariolées, aérées et luxuriantes de la ville quand les pauvres se terrent dans des profondeurs ténébreuses, engoncées et tentaculaires où la promiscuité témoigne de ce dénuement. Les hommes sont pourtant renvoyés dos à dos dans une même imperfection, entre quête de pouvoir et instincts violents. Les vrais exclus sont les robots, exploités et pliés à une discipline cruelle par les riches, détestés et conspués par les pauvres dont ils prennent les emplois. La mise en scène de Rintarō par sa manière d’amener les maltraitances arbitraires envers les robots crée immédiatement l’empathie par son parallèle évident à l’esclavage. La fillette robot Tima est à la croisée des chemins des clivages de la cité : au départ création révolutionnaire destinée à contrôler la ville, elle va au contraire découvrir le monde sous son angle le plus chaleureux au contact du jeune Kenichi. Ainsi détournée de son objectif destructeurs, elle va s’avérer le personnage le plus touchant du film dans sa quête d’elle-même.

Le chaos prend toujours des contours bibliques avec Katsuhiro Otomo qui multiplie les symboles. La tour Ziggurat reprend le nom d’un édifice babylonien transposé en Tour de Babel dans l’Ancien Testament et illustre donc cette quête du pouvoir, cette volonté des hommes de défier le divin, et qui les perdra. On retrouve une relecture de Caïn et Abel où Tima, image de la fille défunte du Duc Rouge est détestée par le fils adoptif Rock. Tima est l’innocence et la candeur incarnée quand Rock est corrompu, névrosé et le bras armé du parti totalitaire de Marduk (dont les tenues oscillent entre l’uniforme nazi et les tuniques noires fascistes). Toute cette richesse thématique est rendue accessible par l’approche de Rintarō. L’esthétique enfantine des personnages s’oppose ainsi à l’architecture oppressante de la ville. Chez les nantis, le foisonnement de couleurs et de monuments excentriques a quelque chose de forcé et factice dans son bonheur, toujours contrebalancé par l’autorité qu’incarnent les tours imposantes au style plus sobre. A l’inverse les profondeurs dessinent une machinerie tortueuse lorgnant sur le steampunk (là encore l’influence d’Otomo est évidente et anticipe les dédales à vapeurs de Steamboy (2004)) mais aussi une photo sombre, des couleurs opaques et un environnement chargé. L’ensemble revêt une imagerie monumentale mais tout aussi inquiétante en haut comme en bas malgré les différences, et témoigne ainsi du renvoi à une imperfection chez les humains quel que soit leur statut social. 

On oscille entre le récit d’initiation et la romance naïve pour tout ce qui a trait à Tima et Kenichi (avec un attachement mutuel joliment amené dans la découverte du monde de Tima, et la poursuite de la métaphore biblique avec l’allure réellement céleste que lui confère Rintarō dans certaines scènes) et le film noir pour l’enquête du détective Shunsaku Ban. La bande-son jazzy de Toshiyuki Honda et la direction artistique lorgnant sur le polar des années 40 (le design des véhicules, l’imper et le feutre de Shunsaku Ban) amènent donc cette facette plus référencée qui se fond bien à l’ensemble. Tout cela va progressivement s’estomper pour laisser place à la furie des hommes, égaux dans la violence et les émotions négatives quand les robots seront toujours bienveillants, que ce soit dans la candeur de Tima, le bon sens du robot policier Pero et une rencontre avec un robot éboueur digne du Miyazaki du Château dans le ciel (1986). 

Chacun des robots sera victime à son tour de cette folie humaine se laissant dépasser par la jalousie, l’ambition ou la revanche. Si les robots domestiques se plieront à cette souffrance attendue, Tima renvoyé à son statut de machine va déchaîner l’enfer dans un final apocalyptique à la Otomo mais que Rintarō atténue par une émotion poignante. Alors que tout s’effondre, ce sont bien les ultimes instants entre Kenichi et Tima qui émeuvent, porté par le I Can't Stop Loving You de Ray Charles. Une belle réussite, où le respect d’Osamu Tezuka et Fritz Lang n’exclue par une approche originale et captivante. 

Sorti en dvd zone 2  français chez Sony