Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mercredi 25 août 2021

People's Hero - Yan man ying hung, Derek Yee (1987)


 Sai et Boney sont deux gangsters inexpérimentés et rapidement leur tentative de braquage tourne au cauchemar. Sonny Koo, un redoutable gangster recherché par la police, se trouve également malgré lui pris en otage dans l’établissement bancaire. La situation bascule lorsque deux flics aux méthodes opposées s’affrontent pour la libération des otages...

Derek Yee se fait au départ connaître au sein de la Shaw Brothers où il fait figure d’antagoniste charismatique notamment dans les films de Chu Yuan comme Le Poignard volant (1977) ou Le Tigre de Jade (1977). Lorsque le studio décline et ralenti sa production au début des années 80, Derek Yee se réinvente et profite de l’émergence de compagnies indépendantes en quête de nouveau talent pour se lancer en tant que réalisateur. Il signe en 1986 The Lunatics sa première réalisation au sein de la société de production D&B. Il va bien s’y entendre avec un des producteurs John Shum qui, parti fonder sa propre compagnie va de nouveau faire appel à lui pour People’s Hero son second film.

Parmi les talents ayant maintenu un standard de qualité au sein du marché hongkongais déclinant des années 200-2010, Derek Yee se caractérise par l’ancrage social fort de ses polars – son genre de prédilection. Des œuvres comme One Nite in Mongkok (2004), Protégé (2007) ou Shinjuku Incident (2009) se nourrissent ainsi du réel à partant de faits divers ou de mues socio-politiques locales du moment. Cette approche est déjà présente dans People’s Hero. Le postulat évoque le classique Un après-midi de chien de Sidney Lumet (1975), ou d’autres films ou le déroulement incongru d’un casse oriente le récit vers des sphères inattendues – en versant franchouillard réussi on peut citer Les Fugitifs de Francis Veber. 

Ici le point de départ sera lorsque Sai (Tony Leung Chiu-wai) petite frappe apeurée se lance maladroitement dans le braquage d’une banque avec un complice tout aussi empoté que lui. La situation pourrait se régler au vu de leur inexpérience, mais parmi les otages se trouve Sunny Koo (Ti Lung), vrai criminel en cavale qui va reprendre les choses en main. Lors de la séquence d’introduction, les futurs otages représentent tout un pendant détestable d’une société hongkongaise froidement égoïstes et capitaliste. Une adolescente impose ses caprices sa mère trop occupée à boursicoter, le vigile pakistanais subi la condescendance de son patron, les nouveaux riches n’ont aucun scrupule à se doubler les uns les autres au guichets… Devenus otages d’un dangereux criminel, ils constituent alors paradoxalement un microcosme solidaire face à l’adversité.

Sunny sert de révélateur aux instincts bienveillants enfouis en eux, à la fois par l’aura de menace et d’humanité qu’il dégage. Ti Lung est excellent en gangster vulnérable et torturé, catalysant en lui toutes les contradictions de cette société hongkongaise. Attentif au bien-être de ses otages, il s’en fait des alliés sans jamais totalement effacer le danger qu’il représente, le sentiment de peur qu’il éveille en eux. A travers l’inventivité et la diversité des situations dans ce cadre de huis-clos, le malfrat se fait juge, ange-gardien et mauvais génie de ses otages dont il fustige ou s’amuse du comportement, avant d’être scruté à son tour. 

Tous les otages, par le compagnon qui les accompagne dans l’épreuve (mère, fille, mari, épouse, fiancée) ou par les perspectives envisagées en dehors de cet espace (le rêve d’ouvrir un restaurant de curry du vigile pakistanais) renvoient Sunny à sa solitude et à son absence de futur. Dès lors, il saborde presque volontairement sa possible fuite en réclamant à la police de lui envoyer sa fiancée afin qu’ils puissent partir ensemble. Le jeune Sai (excellent Tony Leung Chiu-wai) lui renvoie finalement un miroir juvénile, moins assuré mais tout aussi désespéré que lui. 

La solidarité créée dans le groupe semble défier ce désespoir et déterminisme social, la vraie menace se trouvant à l’extérieur. La police se partage en effet entre une loi juste représentée par Chan (Tony Leung Kar-fai) cherchant à trouver une issue positive, et un versant haineux voulant juste se vengeant en abattant arbitrairement Sonny au détriment de la sécurité des otages. La tension est avant tout psychologique dans ce qui est finalement plus un drame qu’un polar. Derek Yee par sa conclusion marquante trouve un équilibre idéal entre nihilisme et espoir plus prononcé en cette société hongkongaise, voire de la nature humaine en son entier tant le récit parvient à quelque chose de plus universel. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Spectrum Films

mardi 24 août 2021

Stardust, le mystère de l'étoile - Stardust, Matthew Vaughn (2007)


 Pour conquérir le cœur de son véritable amour, Tristan Thorn pénètre dans le royaume interdit afin de retrouver une étoile tombée du ciel qui a pris forme humaine.

Les blockbusters de la première moitié des années 2000 furent marqués par le succès de la trilogie du Seigneur des Anneaux et de la saga des Harry Potter. Dès lors l’adaptation des classiques plus ou moins connus de l’heroic fantasy devient un filon lucratif qui exploite au choix la veine épique de Peter Jackson ou celle plus féérique des Harry Potter, voire les deux avec la trilogie des Chroniques de Narnia. Il y a autant de plus ou moins grandes réussites (Chroniques de Narnia, Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire…) que de francs ratages (Donjons et Dragons, Eragon et autre Le Septième fils de sinistres mémoires) dans le lot, mais tous semblent beaucoup trop marqués par l’influence formelle du Seigneur des Anneaux, ou tonale de Harry Potter, au point de générer quelques stéréotypes filmiques – le premier volet des Chroniques de Narnia gonflé d’une longue bataille médiévale absente du livre. 

Stardust de Matthew Vaughn va venir apporter un sang-neuf bienvenu, ces éléments détonants venant en grande partie de sa source, le livre éponyme de Neil Gaiman. Que ce soit dans ses romans ou ses comics, l’approche de Neil Gaiman se trouve souvent dans un juste équilibre entre pure création d’univers, pastiche, veine référentielle et mythologique. C’est particulièrement vrai lorsqu’il se frotte au à l’heroic fantasy ou plus spécifiquement au contre de fée dans des romans comme Neverwhere ou Stardust, l’ironie et l’humour tout britannique se disputant à un vrai sens du merveilleux. C’est là le deuxième film de Matthew Vaughn qui tant dans sa carrière initiale de producteur (Arnaques, Crimes et Botanique (1998), Snatch (2000)) que de réalisateur vise lui aussi à déconstruire les genres auxquels il s’attaque, auréolés désormais d’une dimension plus irrévérencieuse (les détracteurs diront puérile) et pop dans la relecture du film de super-héros Kick-Ass (2010) ou d’espionnage Kingsman (2015). Vaughn repère donc très vite à la lecture la matière qu’il pourrait tirer de Stardust et va chercher à en tirer un croisement en Princesse Bride de Rob Reiner (1987, réussite majeure en termes de conte de fée décalé) et Midnight Run de Martin Brest (1988), petit mètre-étalon de la course-poursuite mâtinée de comédie. 

La tonalité adulte sombre, cruelle et sexuelle du livre éloigne la perspective d’un film grand public mais Vaughn tout en l’édulcorant en maintient l’esprit. La veine absurde qui reposait grandement sur la touche référentielle littéraire dans le livre (citations ou passage écrit dans le style de Shakespeare, Laurence Sterne, John Bunyan) se traduit ici par des acteurs à contre-emploi (Robert de Niro en pirate queer), l’humour noir appuyé et un environnement certes décalé/merveilleux mais toujours so british. Cela permet d’amener la thématique typiquement anglaise du clivage de classe avec le jeune héros Tristan (Charlie Cox) freiné dans ses amours pas sa condition modeste. La belle Victoria (Sienna Miller) le rejette au profit d’un rival nanti (Henry Cavill) et ne lui donnera sa main qu’à la condition de lui ramener un morceau d’étoile filante qu’ils ont regardé ensemble traverser le ciel nocturne. Démarre là une folle aventure où ladite étoile va prendre les traits de la belle Yvaine (Claire Danes), poursuivie également par une sorcière en quête d’immortalité (Michelle Pfeiffer) et les héritiers du royaume de Stormhold.

Le film mène avec brio le récit d’apprentissage dans l’assurance et maturité prise par Tristan au fil de l’aventure, et la romance délicate avec Yvaine. Les élans macabres qui caractérisent les méchants sont là pour souligner la vacuité et le narcissisme de leurs ambitions, traduites par les morts grotesques et inattendues de la fratrie royale ou la décrépitude physique de la sorcière (Michelle Pfeiffer parfaite de second degré pour s’amuser de son vieillissement). Le traitement des amoureux navigue lui entre trivialité plaisante de screwball comedy et romantisme naïf où la promiscuité des corps, la sensualité n’est pas exclue. Matthew Vaughn exprime cela visuellement dans la trajectoire des personnages. En poursuivant une femme ne partageant et ne méritant pas son affection, Tristan reste figé dans ses complexes, sa timidité et sa basse extraction. Réellement amoureux et aimé en retour, il devient peu à peu un beau jeune homme courageux et plein de panache. Yvaine habituée à observer avec envie les amours des humains à distance, depuis les cieux, goutte enfin ce doux sentiment qui trahit à la fois sa nouvelle condition terrestre (la maladroite et touchante déclaration d'amour dans la roulotte) et sa nature d’astre. 

Lorsqu’elle se trouve apaisée et aimante entre les bras de Tristan, elle brille dans un effet luminescent tour à tour discret et étincelant. La sidération et l’émerveillement du conte de féé fonctionne ici à la fois dans le contemplatif (fabuleuse arrivée d’une licorne dans un sous-bois qui lorgne sur le Legend de Ridley Scott (1985), une veine d’épouvante réussie (la longue séquence de l’auberge) et la grande réussite des décors. La direction artistique s’appuie en partie sur le travail de Charles Vess (qui dessina l’adaptation comics du livre de Neil Gaiman) et dont Matthew Vaughn à la judicieuse idée de traduire toutes les idées en dur. Les extérieurs filmés en Angleterre, Écosse et Islande sont magnifiquement mis en valeur (même si quelques effets à la Peter Jackson pointent ici et là pour perdre les personnages dans l’immensité du décor) et les intérieurs studios sont stylisés à souhait. Le Royaume de Stormhold, l’incroyable bateau de pirate volant ou l’antre des sorcières possèdent cet équilibre entre nature tangible et merveilleux dans l’extravagance de leur design, de leur photographie.

 La bande-originale d’Ilan Eshkeri brille dans la pétaradante manifestation de l’épique et de la féérie (les pistes Shooting Star et The Star Shines soulignant l’arrivée puis l’épanouissement de la brillance d’Yvaine) mais aussi dans les instants de romance intimiste. Stardust malgré son échec en salle à l’époque s’avère donc un des avatar d’heroic fantasy vieillissant le mieux désormais et fait office de beau pendant contemporain à Princesse Bride. Le meilleur film de Matthew Vaughn ? Certainement !

Sorti en bluray et dvd zone   français chez Paramount

lundi 23 août 2021

Alexandrie... Pourquoi ? - Iskanderija... lih ?, Youssef Chahine (1979)

1942, Alexandrie. L’Egypte, sous la domination britannique, s’attend à la prochaine arrivée de troupes allemandes ; la bataille d’El-Alamein est imminente. Yéhia, un adolescent pétri de cinéma américain, veut devenir acteur et prépare un spectacle avec ses camarades du lycée catholique.

Alexandrie… Pourquoi ? entame pour Youssef Chahine une tétralogie autobiographique qui se poursuivra avec La Mémoire (1982), Alexandrie encore et toujours (1990), Alexandrie-New York (2004). Cette orientation arrive à un moment-clé dans la vie du réalisateur qui s’apprête à subir une opération à cœur ouvert des suites d’un problème aux artères – évènement qu’il abordera dans La Mémoire. Ce contexte mène donc Chahine à une forme d’introspection où en se plongeant dans l’Alexandrie de sa jeunesse, il parlera de lui-même et de ses espérances d’alors tout en dressant un portrait choral des différents microcosmes de la société égyptienne. 

Le héros adolescent Yéhia (Mohsen Mohieddin) est le double de Youssef Chahine et traverse le récit de sa fougue, porté par ses velléités artistiques. Son bouillonnement reflète celui de toute cette société égyptienne à vif dans ses amours, ses revendications politiques et/ou sociale. La première partie du film avance sous la menace de l’invasion des troupes allemandes avançant vers Alexandrie et amorçant la bataille d'El-Alamein. Ces derniers instants avant le possible chaos sont donc ceux des amours bientôt interdits entre une juive et un arabe, ceux d’une liberté illusoire chez les activistes attendant les nazis en libérateur du colon anglais, ceux où l’on ose enfin défier le patron d’usine tyrannique, et enfin et surtout ceux où l’on enflammera la scène de théâtre d’une sensibilité qui ne demande qu’à se révéler. 

La mise en scène de Chahine traduit cette énergie par l’intensité et la virtuosité de ses ruptures de ton, tel ce moment où Yéhia va déclamer avec rage un passage d’Hamlet devant sa classe. La subtilité des émotions et l’absence de manichéisme s’exprime également par cette manière de capturer le déraillement d’un phrasé, la force d’un regard où l’on devine les dogmes s’effacer pour laisser entrevoir les sentiments. Ainsi un jeune militant égyptien issu d’un milieu bourgeois va chercher à marquer son engagement en assassinant au hasard un jeune soldat anglais. Les dialogues révèlent les différences sociales entre eux et intronisent l’individu au-delà de l’uniforme ou la nationalité, tandis que la gestuelle passionnée laisse entendre des amours plus coupables que certaines situations auront trahies (le réveil en sous-vêtement du jeune anglais). 

L’imminence de la fin incite à brûler au firmament avant de disparaître, et cela passe par l’obsession du monde du spectacle de Yéhia d’abord longuement spectateur/rêveur de l’éclat hollywoodien et la comédie musicale, puis acteur enfiévré d’une réussite espérée. Une séquence de représentation pourtant ratée devient l’enjeu d’une vie pour l’artiste en herbe, par l’émulation qu’il parvient à créer parmi ses camarades, les soutiens que son allant provoque (la princesse venant assister au spectacle) et la magie que parvient à tirer Chahine d’un échec avec son tourbillon de couleurs, danses et panoramiques passant des coulisses à la scène. Lorsque l’arrivée des Allemands est évitée, la vie et ses déconvenues ordinaires reprennent leurs droits. Tous les espoirs que ce tsunami aura suscités seront voués à l’échec, et préfigurent les soubresauts politiques à venir par cette évocation du conflit israélo-palestinien en germe qui provoquera l’ire des pays arabe et l’interdiction du film dans différentes contrées du Moyen-Orient.  

Les révolutions du monde réel semblent impossibles à accomplir, à l’image de l’échec du père progressiste et droit de Yéhia (Mahmoud El-Meliguy). Il faut donc chercher à réaliser l’ambition de la sphère du rêve et des arts, toute l’urgence de la dernière partie consistant à permettre le départ au Etats-Unis de Yéhia dans l’école qui souhaite l’accueillir (ce qui fut une réalité pour Youssef Chahine qui parti à 21 ans étudier le cinéma à Pasadena Playhouse, à Los Angeles). Le recul de l’adulte s’entremêle à la furie juvénile dans le fond comme dans la forme pour un résultat captivant et touchant. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Tamasa et disponible aussi sur Netflix