Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

vendredi 30 décembre 2016

Désir meurtrier - Akai satsui, Shohei Imamura (1964)

Après avoir accompagné son mari à la gare et envoyé son fils chez sa belle-mère, Sadako est suivie jusque chez elle par un jeune homme. Celui-ci force la porte de sa maison et la viole. La jeune femme, humiliée, en garde le secret. Quelques jours plus tard, Hiraoka, revient et lui explique que, malade du cœur, il ne lui reste que peu de temps à vivre. Une passion déchaînée va lier ces deux amants et Sadako ne voit qu'une seule issue: la mort.

Désir meurtrier est une œuvre qui participe à la construction du style et des thématiques de Shohei Imamura. Le réalisateur envisage cette adaptation du roman de Shinji Fujiwara après Cochons et cuirassés (1961) mais le scandale provoqué par le film le met au banc de la Nikkatsu, le laissant deux ans sans réaliser. C’est grâce au succès de La Femme insecte (1963) qu’il va pouvoir enfin lancer la production. Désir meurtrier assume de manière plus affirmée les partis pris entrevus dans les deux films précédents. Le style heurté et documentaire de Cochons et Cuirassés se mêle aux élans plus oniriques de La Femme insecte, et l’on retrouve cette approche entomologiste bousculant les barrières morales ainsi que ce questionnement sur le désir féminin.

La Femme insecte dépeignait l’ascension et la chute d’une japonaise ayant décidée de s’émanciper par l’usage de son corps, mais par là même endossant une inhumanité ne la différenciant plus de l’oppresseur masculin ordinaire. Désirs meurtrier suit le destin de Sadako (Masumi Harukawa), épouse (mais plus vraisemblablement concubine) soumise, infantilisée et rabaissée par son époux (Kô Nishimura) et sa belle-mère - objet sexuel, ménagère et infirmière pour les uns et les autres. Son quotidien monotone est bouleversé lorsque rentrant seule après avoir accompagné son mari à la gare, un inconnu (Shigeru Tsuyuguchi) s’introduit chez elle et la viole. La séquence sème un malaise certain où Imamura montre la brutalité avec laquelle s’impose ce désir masculin mais surtout où l’héroïne in fine semble prendre du plaisir à l’acte après avoir vainement tenté de se défendre. 

Le schéma de la femme découvrant le plaisir physique via une agression sera largement utilisé dans le Pinku Eiga (genre lancé quelques années plus tard par la Nikkatsu productrice du film) et de façon plus large dans le cinéma érotique japonais. Imamura sera à son corps défendant un précurseur de cette vague alors que pour lui cette scène n’a aucune valeur d’excitation du spectateur, mais à traduire la psychologie de Sadako. Les flashbacks évoquent ainsi le passif de soumission qui pèse sur Sadako, petite-fille de concubine et fille d’enfant illégitime dont la vie perpétue finalement une malédiction familiale - objet sexuel, ménagère et infirmière pour l'époux tout-puissant. Dès lors la bascule morale de ce viol n’est pas surprenante.

Imamura donne dans une approche psychologique scrutant le déni puis la culpabilité de Sadako, tentant de reprendre sa vie comme si de rien n’était avant de tenter de se suicider. C’est la surprenante étape intermédiaire qui aura cours, Sadako se rapprochant de plus en plus d’Hiraoka, son agresseur amoureux qui ne cesse de revenir la tourmenter. La narration lente laisse progressivement se développer les contradictions de l’héroïne à travers les séquences oniriques, les flashbacks fragmentés et/ou revisités (Sadako proie puis aguicheuse potentielle d’un prétendant selon l’interprétation) et l’ambiguïté de plus en plus marquée des scènes de sexe. Tous ces éléments perturbateurs tourmentent notre héroïne tout en rendant paradoxalement sa réalité plus palpitante que la tonalité morne initiale. 

Cela tient à la dimension sensorielle qu’exprime Imamura à travers son actrice Masumi Harukawa. Loin des canons de beauté classiques, elle arbore un physique charnu, un bon sens et un plaisir aux choses de la vie (plaisir sexuel, gout de la bonne chair) qui en font une figure lumineuse à laquelle on ne peut totalement faire endosser ce rôle de victime. Il suffit de de comparer avec l’amante (Yûko Kusunoki) de son époux, son inverse en tout point par son allure svelte, son milieu intellectuel (quand Sadako reste une provinciale sans éducation) et un caractère plus soumis dans le sexe où il s’agit plus de satisfaire/récupérer l’homme que de prendre soi-même du plaisir. 

En mettant en parallèle « l’amant » et l’amante (tous deux harcelant l’être aimé chez lui et dans la rue), Imamura renverse ainsi le pouvoir. Sadako est la fois prisonnière et maîtresse de son désir sans pour autant dépendre d’un homme. Le cheminement est méticuleux et passe par la mise en scène. Une nouvelle scène d’agression dans un train - là aussi futur gimmick glauque du cinéma érotique japonais – est renversée par la narration (Hiraoka affaibli par une crise cardiaque et qui se révèlera mourant) et la mise en scène où Sadako domine Hiraoka par un cadrage en plongée. A la fin du film, le seul fait que sa femme ait pu être capable de le tromper bouleverse également le rapport de force entre les époux. Tout en semblant garder une attitude dominatrice, le mari se soumet aux exigences de Sadako notamment dans la légitimation de leur union.

Imamura se montre si fin que l’ambiguïté est constante jusqu’au bout : pour les rapports sexuel consentis/subis, pour l’allure soumise de Sadako qui reprend pourtant le pouvoir et surtout la longue errance finale enneigée où se dispute le suicide amoureux et la tentative de meurtre. La réponse tient finalement dans cette répétition en début et fin de film où brimée Sadako écrase un vers à soie qu’elle tenait dans sa main, alors que parvenue à ses fins elle laisse l’insecte remonter sur sa jambe lors de la dernière scène. Pas le Imamura le plus facile d’accès, mais certainement un des plus passionnant. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Elephant Films

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire