Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 18 août 2015

Bons baisers de Russie - From Russia with Love, Terence Young (1963)

Le MI6 reçoit un message d'une secrétaire russe du consulat soviétique à Istanbul, Tatiana Romanova, qui leur propose de leur apporter une machine de déchiffrement "top secret" appelée Lektor, à condition qu'on l'aide à fuir à l'Ouest. En réalité, elle a été engagée sans le savoir par Rosa Klebb, membre important du SPECTRE et ancien colonel du KGB, afin d'éliminer James Bond, qui est la cause de la chute d'un de leurs meilleurs éléments, le docteur No. La nouvelle mission de James Bond s’annonce bien plus complexe et dangereuse que la précédente...

Durant le tournage de Dr No (1962), Cubby Broccoli et Harry Saltzman envisagent déjà en cas de succès de faire de Bons baisers de Russie la seconde aventure de James Bond. Si Dr No était le roman de Ian Fleming le plus facile à adapter pour un galop d’essai, le choix de Bons baisers de Russie est logique puisque le roman facilita indirectement le financement du premier film lorsqu’il figura parmi les dix livres favoris de John Kennedy dans le magazine Life. L’accueil positif (mais encore loin de la Bondmania qui verra le jour après Goldfinger) aura donc conforté les deux producteurs et l’équipe du premier film est reconduite avec un budget doublé, Terence Young à la mise en scène et bien sûr Sean Connery en Bond et même si quelques éléments clé se désisteront pour cet épisode. Stanley Kubrick impressionné par les décors de Dr No engagera en effet Ken Adam pour créer la salle de contrôle de Docteur Folamour (1964), Syd Cain le remplace avec brio notamment sur la superbe salle de jeu d'échec.

On sait que Ian Fleming rêvait d’Alfred Hitchcock pour transposer son héros à l’écran et cette influence n’aura jamais été aussi prégnante que sur Bon baisers de Russie, surtout sa deuxième partie lorgnant ouvertement sur La Mort aux trousses (1959). Le scénario de ce Bond est celui se rapprochant le plus d’un film d’espionnage classique. Le principal changement par rapport au roman sera de détourner la pure trame de Guerre Froide de ce dernier (afin de ne pas se mettre à dos les russes), les services secrets russes et britanniques étant manipulés par la tentaculaire organisation du SPECTRE introduite dans Dr No. L’appât sera le Lektor, une machine de décodage russe que se propose de livrer l’agent russe Tatiana Romanova (la beauté élégante de Daniela Bianchi) en échange d’un passage à l’Ouest, le SPECTRE par cette manœuvre cherchant à s’approprier l’objet et le revendre au plus offrant. Un scénario (signé   Richard Maibaum et Johanna Harwood déjà à l’œuvre sur Dr No) complexe que Terence Young parvient à rendre limpide par sa narration habile. 

Le monde ordinairement glacial de l’espionnage au cinéma se pare d’un aspect ludique tout en demeurant très rigoureux et loin de la démesure à venir. La longue introduction nous fera ainsi découvrir plus avant le fonctionnement du SPECTRE (chaque épisode suivant introduisant un sbire de plus en plus haut placé de l’organisation criminelle) qui en plus de ses noirs desseins désire plus que tout se venger de Bond comme le montrera le pré-générique (première scène du genre dans la saga) inquiétant. Encore seulement nommé Numéro 1, le redoutable Blofeld se résume à des mains caressant un chat persan et une voix aussi posée qu’inquiétante face à laquelle tremble même la redoutable Rosa Klebb (Lotte Lenya). La frêle silhouette de l’actrice (surtout connue pour ses performances à Broadway et en tant qu’épouse de Kurt Weil) sied à merveille à ses attitudes rigides, sa présence hargneuse constituant une menace complémentaire à celle physique de l’intimidant Red Grand (Robert Shaw).

En plus de ces méchants hors-normes, l’autre aspect ludique est amené par la ville d’Istanbul. Les cités turques servent décidément bien les trames d’espionnage puisque après Ankara dans le chef d’œuvre de Mankiewicz L’Affaire Cicéron (1955), Istanbul s’avère un cadre tortueux dont l’allure touristique n’est qu’un reflet illusoire au jeu de dupes que constitue l’intrigue. Les ruelles bondées sont le théâtre de filatures consenties entre services secrets, les beaux monuments comme les mosquées servent à faire des transactions discrètes et les sous-sols recèlent des passages secrets permettant d’aller surveiller son voisin - Red Grant semant la mort sans un mot ajoutant une dimension inquiétante à tous ces lieux traversés. Hormis la scène d’action dans le camp de gitans, toutes les scènes furent tournées à Istanbul même et sans forcément retrouver l’atmosphère exotique de Dr No la ville s’avère un vrai personnage à part entière. La truculente prestation de Pedro Armendáriz (dont ce fut le dernier rôle il se suicidera alors qu’il souffrait d’un cancer en phase terminale) en Kerim Bey ajoute encore à ce plaisir.

Sean Connery reprend le rôle avec un égal panache, incarnant un Bond encore plus outré dans sa dimension de jouisseur machiste (les deux gitanes avec lesquelles il passent la nuit, une étant d’ailleurs incarné par Martine Beswick qui reviendra avec un rôle plus consistant dans Opération Tonnerre (1965)), d’homme du monde et de tueur impitoyable (voir comme il n’oublie pas de reboutonner sa veste après le féroce combat avec Red Grant). L’érotisme est d’ailleurs bien plus prononcé et ce dès le générique où les crédits apparaissent sur des formes féminines rebondies et en mouvement, la première rencontre à l’horizontale avec Tatiana Romanova (qu’on entraperçoit se glisser nue dans le lit de Bond) et la grande tradition des blagues salaces à double sens de notre héros.

Tatiana: I think my mouth is too big.
James Bond: I think it's a very lovely mouth. It's just the right size - for me that is.

Tout ce jeu a pourtant un prix et la mort sera au bout comme le démontrera la tension de la seconde partie contrebalançant le plaisir initial. Le sommet sera atteint lors d’une des scènes d’anthologie de la saga, le face à face entre Bond et Red Grand où la vivacité de la mise en scène de Terence Young s’harmonise à merveille au montage heurté de Peter Hunt - Robert Bresson, aux antipodes de ce cinéma se montrera d'ailleurs admiratif du montages des James Bond. Toutes les scènes d’actions du film fonctionnent d’ailleurs selon cette approche novatrice, au départ pour corriger les imperfections techniques et le retard de la production causant l’absence de nombreux plans raccords puis pour devenir un style à part entière des premiers Bond qui renouvèle ainsi le cinéma d’action. Même les gadgets ne s’avèrent pas encore trop envahissant (Desmond Llewelyn s’installant dans le rôle de Q même s’il apparaissait déjà dans Dr No)  avec cette valise servant bien le suspense du train. 

Le score de John Barry sait se faire romantique (le main theme de la chanson titre entêtant), percutant dans l’action avec le fameux morceau 007 et le James Bond Theme s’installe définitivement dans l’inconscient collectif. La filiation avec La Mort aux trousses s’affirment définitivement lors du spectaculaire final où Bond est traqué par un hélicoptère, la suite amenant la première grande course poursuite en hors-bord. Ce virage de l’espionnage feutré tout en suspense psychologique vers la pyrotechnie annonce déjà les changements à venir dans la saga. Le succès de ce nouvel opus permettra donc l’arrivée de la vraie démesure avec Goldfinger (1964).

 Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Fox

samedi 15 août 2015

Ma vie commence en Malaisie - A Town Like Alice, Jack Lee (1956)

Une jeune anglaise fortunée (Virginia Mckenna) revient en Malaisie pour aider des villageois à construire un puit. Les souvenirs de sa vie troublée par la guerre remontent alors à la surface, et elle se remémore son histoire d’amour avec Joe (Peter Finch). En 1941, les japonais envahissent le pays et font prisonnier les colons britanniques. Les deux amants se rencontrent dans un camp, et surmontent ensemble de terribles épreuves afin de survivre.

En cette fin des années 50, le cinéma anglais prenait un angle nouveau dans sa manière d’aborder la Seconde Guerre Mondiale. L’illustration de grandes batailles et campagnes militaires dans une veine documentaire et/ou spectaculaire aura toujours cours mais laissera aussi s’exprimer d’autres approches. Contrairement aux œuvres produites lorsque le conflit faisait rage, on peut désormais évoquer des fronts plus éloignés dont les évènements sont alors plus connus. Cette tendance nourrira surtout le mélodrame exotique, ce dépaysement nourrissant idéalement les grands sentiments comme dans Le Vent ne sait pas lire (1958) de Ralph Thomas traitant de la romance entre un anglais et une japonaise ou chez les américains Sayonara (1957) de Joshua Logan – ce dernier traitant cependant de la Guerre de Corée. Ma vie commence en Malaisie s’inscrit dans cette veine, l’orientation de cette adaptation d’un roman de Neil Shute privilégiant l’angle romanesque dépaysant dans le contenu d’une œuvre pourtant plus complexe. Le film n’adapte en effet que la seconde partie du roman à succès paru en 1950, les souvenirs de l’héroïne sur sa captivité en Malaisie. Le roman était une bien plus vaste saga dépeignant tout d’abord l’héritage que faisait une jeune anglaise et les relations avec son mentor/donateur puis l’usage qu’elle en faisait en retournant aider les populations en Malaisie et enfin sa quête d’un amour disparu en Australie.

Le scénario de Richard Mason (qui s’y entend en romance dépaysante puisqu’il est l’auteur de Le Monde de Suzie Wong) et W. P. Lipscomb prend juste brièvement le même point de départ, lorsque la Jean Paget (Virginia McKenna) s’envole pour la Malaisie et finance l’installation d’un puits au sein du village l’ayant accueillie durant la guerre. Malgré la joie de retrouver ses bienfaiteurs d’alors, Jean souffre en silence en repensant à son amour perdu. Nous découvrirons ainsi son odyssée en flashback où elle fut captive des japonais ayant investis le pays où elle officiait en tant que secrétaire. Le film a l’originalité de représenté la Malaisie entière comme une immense geôle à ciel ouvert.

Si les prisonniers masculins peuvent représenter une main d’œuvre utile pour divers travaux, les femmes et enfants constituent un fardeau exploitant inutilement les ressources pour les japonais. Une première confrontation montre avec une grande violence psychologique le fossé culturel entre les femmes anglaises dont la liberté de ton fait figure d’affront aux officiers japonais. Jean et ses compagnes paieront leurs « inutilité » en errant à pied dans toutes la Malaisie, rejetés par tous les camps de prisonniers japonais ne souhaitant pas s’en encombrer et leur sacrifier des denrées. 

Une grande partie du récit constitue donc une marche forcée soumise aux rigueurs du climat tropical et impitoyable pour les constitutions frêles de nos héroïnes. Les différences sociales s’estompent alors dans une même souffrance, le réalisateur Jack Lee montrant avec une cruauté saisissante ce chemin de croix ou femmes et enfants succombent face à la chaleur, la dysenterie et la faim.  La caractérisation fonctionne autant pour nous faire admirer le courage des plus résistantes (l’hypocondriaque Miss Firth qui va afficher une résistance inattendue) que nous serrer le cœur avec la défaillance des plus faibles lors de morts révoltantes. Jean se révèle une la plus dévouée et compatissante, magnifiquement interprétée par une Virginia McKenna qui trouvait là son premier rôle majeur et allait se spécialiser dans les figures héroïque sacrificielle notamment l’espionne anglaise de Carve her name with pride (1958).

Seul lumière dans cette épreuve pour Jean, les rencontres épisodiques avec le prisonnier de guerre australien Joe Harman (Peter Finch). Peter Finch, de nationalité anglaise mais exilé  à l’âge de dix ans en Australie respire l’authenticité dans le rôle où cette identité doit transparaître dans la description exaltée qu’il fait de sa ville natale (Alice Springs qui donne son titre au film) à Jean. L’alchimie entre les deux acteurs est palpable, que ce soit la tendresse de Virginia McKenna ou un Peter Finch (acteur sensible mais qui d’ordinaire ne révèle toujours que subtilement la vulnérabilité de ses personnages) qu’on a rarement vu se mettre autant à nu. Chaque rencontre est une respiration dans l’intrigue, l’aide matérielle risquée de Joe préservant la santé de Jean et ses compagnes tandis que sa présence chaleureuse lui réchauffe l’âme et lui donne un motif de survie à cette guerre. Un terrible rebondissement va pourtant remettre en cause ces fragiles espoirs. 

Le réalisateur britannique Jack Lee signait là son film le plus populaire et son brio technique allait faire des merveilles. Si ce n’est certains moments où les arrière-plans de studios se devine aisément (mais s’oublie pris par l’intrigue), l’illusion fonctionne parfaitement et l’on pense vraiment que le film a été tourné en Malaisie. Le budget pour envoyer toute l’équipe et le casting dans un tournage à l’étranger s’avérant trop couteux, seule sa seconde équipe y filma une multitude de plans d’ensemble où des figurantes malaisiennes étaient habillées comme le casting féminin. Le montage, les éclairages et le brio filmique et narratif de Lee rendent l’ensemble imperceptible, notamment l’éprouvante séquence des marécages insalubres tournée en plein hiver dans un jardin avoisinant le studio Pinewood ! 

Par son approche humaniste et intimiste, A Town like Alice évite tout manichéisme, les japonais étant vus sous leur réel jour le plus belliqueux et inhumain sans pour autant en faire un trait commun à leur ensemble grâce à l’attachant personnage du garde finalement aussi contraint que ses prisonnières de souffrir dans ce pénible voyage. La vraie noirceur du contexte n’interdit une lueur d’espoir ténue dans cette œuvre sensible qui sera le troisième film au box-office anglais en 1956.

Sorti en dvd zone 2 français chez Elephant Films

jeudi 13 août 2015

It Follows - David Robert Mitchell (2014)


Jay est une adolescente américaine vivant à Détroit. Après avoir fait l'amour dans une voiture, elle est chloroformée puis attachée à une chaise roulante par son petit ami Hugh. Alors qu'une femme aux intentions menaçantes apparaît au loin et se rapproche, Hugh explique qu'il est victime d'une étrange malédiction sexuellement transmissible par laquelle une créature multiforme cherche à détruire la dernière personne atteinte par cette malédiction. Hugh a donc transmis la malédiction à Jay, mais il sera de nouveau menacé si Jay est tuée par la créature.

David Robert Mitchell confirme là les espoirs placés en lui après son formidable premier film, la chronique adolescente The Myth of the American Sleepover (2010). On passe du rêve au cauchemar entre ce galop d’essai et It Follows, la même atmosphère cotonneuse, les héros adolescents et le cadre de la banlieue de Détroit servant cette fois un pur récit d’épouvante. S’inspirant d’un cauchemar d’enfance où y voyait la silhouette d’une créature inquiétante le suivre partout, Mitchell amène un postulat aussi novateur que glaçant à son récit. 

A la suite d’une relation sexuelle, une terrifiante malédiction se transmet, voyant la victime poursuivie par une entité adoptant différentes apparences humaines altérée et marchant indéfiniment vers elle jusqu’à la tuer dans d’atroces circonstances et remonter jusqu’à son partenaire pour une même sentence. C’est précisément la mésaventure que va connaitre Jay (Maika Monroe) lorsque son petit ami Hugh (Jake Weary) la « contamine » tout en lui donnant les règles pour échapper au monstre.

Le traitement de Mitchell diffère totalement du tout-venant horrifique actuel où avec pareil postulat, on pouvait s’attendre à une orgie sexuelle et un déchaînement de morts façon Destination Finale. Rien de tout cela ici où au contraire l’angoisse va naître de cette même tonalité suspendue vue dans The Myth of the American Sleepover. L’indécision et le doute de ces adolescent quant à leurs amours est ici remplacé ou du moins additionné à la terreur d’être rattrapé par la créature. Le réalisateur caractérise d’ailleurs à nouveau formidablement ses personnages dans leurs interrogations face à âge adulte (Jay et Paul échangeant sur leurs souvenirs d’enfances, Jay se réfugiant dans un jardin d’enfant après l’attaque de la chose), ce dernier représenté par cette sexualité qu’ils ne savent pas appréhender et se manifestant sous un jour surnaturel. Cela évite l'interprétation "moralisatrice" attendue même si l'analogie en la malédiction et les MST sera facile à faire.

D’ordinaire la peur au cinéma se ressent par des approches bien connues. La peur de ce qu’on ne voit pas, que ce soit l’obscurité où peuvent se tapirent des êtres/créatures innommables ou celles du hors-champs avec là aussi le danger se devinant où surgissant soudainement dans le cadre. Il y a aussi l’horreur plus graphique et direct où les visions explicites et abjectes peuvent nous glacer d’effroi. Mitchell conjuguent toutes ces peurs tout en en inventant une nouvelle. C’est ici au spectateur de chercher au fond du cadre si une silhouette menaçante ne s’avance pas, si ce figurant anonyme l’est vraiment et nous place ainsi dans le même état de paranoïa et d’anxiété que les personnages. Il est même assez parcimonieux en vrais moment horrifiques, l’angoisse latente créant l’essentiel du malaise inconsciemment ou concrètement durant les panoramiques nous incitant à "chercher" l'anomalie. Et quand l’horreur se manifeste concrètement, cela s’avère constamment dérangeant, notamment par les visages parfois bien connus des victimes qu’endosse l’entité (bien être attentif pour la toute dernière).

L’ensemble conserve cependant un vrai aspect ludique et on devine  l’hommage/influence de Scoodby Doo (y compris dans les looks des héros) dans la débrouillardise de nos héros menant l’enquête, cherchant à détourner la malédiction ou à confronter la « chose ». Cela participe aux romances déçues ou espérées de ces ados tout en teintant certaines situations d’une vraie ambiguïté. Désespérée, Jay hésite à se donner en pâture à trois garçons inconnus et une ellipse nous laisse dans le doute quant à sa décision (le scénario explicitant qu’elle y renonçait). 

Rien ne nous dit ainsi qu’elle ait cédé et soi de nouveau poursuivie à cause de la mort de ses partenaires ou qu’au contraire elle ait renoncée et maintenu la malédiction sur elle (ce qu’explicitait le scénario). On devinait déjà l’influence de John Carpenter dans son premier film et c’est d’autant plus vrai ici avec ce cinémascope magistral instaurant la peur (par une vision qu’on ne sait jamais si elle est subjective ou non) dans ce cadre pavillonnaire quelconque façon Halloween (1978) mais aussi le score synthétique hypnotique de Disasterpeace. On pense aussi à des influences plus classiques, le Jacques Tourneur de La Féline (1942) étant explicitement cité et très bien réapproprié lors du final à la piscine. Un des grands films fantastiques sorti ces dernières années, une date. 

Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Metropolitan 


mercredi 12 août 2015

Mesdames et messieurs bonsoir - Signore e signori, buonanotte, Luigi Comencini , Luigi Magni, Nanni Loy , Ruggero Maccari , Mario Monicelli et Ettore Scola (1976)

Le présentateur de TG3 s'adresse à ses spectateurs : ce soir, au programme, les actualités, puis la leçon d'anglais, puis des débats, un épisode de série, un jeu... Une soirée presque normale sur la télévision italienne, en quelque sorte.

Mesdames et messieurs bonsoir s’inscrit dans le genre roi de l’âge d’or de la comédie italienne, le film à sketch dont on ne compte plus les classiques à cette période (Les Monstres de Dino Risi en tête). Cependant à l’orée des années 70 et avec le contexte socio- politique explosif en Italie (fin de la bulle et crise économique, corruption des élites, attentats et enlèvement des Brigades Rouges), le genre atteint une forme de stade terminal dans l’excès et la provocation. Dans des œuvres comme Affreux, sales et méchants (1976) ou Les Nouveaux Monstres (1978), l’hilarité se disputait au vrai malaise pour un ton transgressif typique de la décennie où personne n’était épargné. Sans être totalement à la hauteur de ces titres, Mesdames et messieurs bonsoir reprend cette hargne provocatrice et souille toutes les institutions (religion, politique) avec un mauvais esprit réjouissant.

Le film prend la forme d’un journal télévisé imaginaire - présenté avec un flegme décalé par Marcello Mastroianni - d’une chaîne qui l’est tout autant (et ironiquement en 1979 la Rai Tre créera son journal télévisé qu’elle nommera TG3 soit le nom de la chaîne du film !) et l’ensemble des sketches constituent le programme de cette soirée cathodique. Cet enrobage constitue néanmoins un fil conducteur assez artificiel et comme souvent l’ensemble est plutôt inégal. Malgré ces écueils, la férocité du propos fait mouche dans les sketches les plus réussis. Il faut dire que la fine fleur de la comédie italienne est ici présente à la mise en scène (Scola, Monicelli, Comencini) comme à l’écriture (les légendaires duettistes Age e Scarpelli entre autres).

Le premier grand moment interviendra lors de ce segment où pensant abriter une bombe dans un commissariat, les pontes de la police vont en profiter pour se débarrasser d’un quidam oublié en garde à vue depuis trois ans. La farce est énorme et fait feu de tout bois avec ce possible attentat monté en épingle pour constituer un vrai spectacle médiatique. La finesse n’est pas la vertu première du film qui fait dans l’humour gras et massif mais diablement efficace dans le sketch où quatre députés napolitains débattent. Bouffi, gras et littéralement monstrueux des ressources de la ville exploitées à leurs profits. Leurs natures corrompues se répercutent sur leur physique ogresque et l’épisode s’achève en les voyant carrément manger à pleines mains le plan de la ville disposé devant eux, la gloutonnerie répugnante signifiant leur impunité. Ce côté sale et presque scatologique ne fonctionne pas toujours comme ce court segment ridiculisant un gradé américain (Ugo Tognazzi) en le plongeant dans ses excréments.

Cette noirceur se teinte d’une sorte de néoréalisme au vitriol dans le sketch où un petit garçon traverse une ville grouillante d’enfants miséreux, avant d’arriver chez lui dans un appartement exigu et insalubre ou sa mère malade et enceinte ne peut contenir la marmaille de ses innombrables frères et sœurs. La chute est d’un désespoir absolu avec qu’un enchaînement faussement potache donne une solution radicale pour gérer cette invasion d’enfants pauvres. Même si l’on ne sait pas qui a signé quoi au sein du film, cette imagerie pathétique teintée d’humour très noir évoque le Scola de Affreux, sales et méchants sorti la même année.

L’ensemble saura aussi brillamment user du postulat de programme télévisé dans la forme. Le « reportage » où l’on suit un pauvre bougre (Tognazzi à nouveau grandiose) survivre au quotidien avec sa retraite ridicule est fabuleuse et on rit jaune au système D du protagoniste. En plus léger le faux jeu télévisé où s’affrontent les plus grand poissards est très drôle, en plus d’être cruellement prémonitoire dans le mauvais gout esthétique et la touche racoleuse des vrais programmes stupides dont Berlusconi envahira le paysage audiovisuel italien lors de la décennie suivante.

Enfin le vrai/faux grand feuilleton dominical écorne avec brio l’église, avec un conclave tout en trahison, meurtres et manipulation afin de conquérir le trône du pape, le tout s’inspirant des circonstances mouvementées de l’élection du Pape Sixte V en 1585. Sans doute trop long et décousu dans l’ensemble mais cette réunion de talents nous offre néanmoins un spectacle généreux et grinçant dans l’irrévérence.

Sorti en dvd zone 2 français chez SNC/M6 Vidéo

mardi 11 août 2015

James Bond contre Dr No - Dr. No, Terence Young (1962)

En 1961 dans la capitale jamaïcaine Kingston, le chef de la section jamaïcaine du MI6, John Strangways, est assassiné en compagnie de sa secrétaire Mary. À Londres, l'agent secret James Bond, de matricule 007, est convoqué dans le bureau de son supérieur et reçoit pour ordre d'enquêter sur la disparition de Strangways et de déterminer si elle est liée ou non à une affaire sur laquelle il travaillait avec la CIA, portant sur la perturbation par ondes radio de lancements de fusées depuis Cap Canaveral.

Production modeste qui aurait pu rester une série B exotique oubliée, James Bond contre Docteur No est au contraire le point de départ d’un véritable mythe cinématographique. Avant d’être un phénomène cinéma, James Bond l’est d’abord en littérature lorsque Casino Royale première aventure du personnage rencontre le succès en 1953. Projection de lui-même fantasmée de son créateur Ian Fleming, le personnage en endosse le raffinement et les goûts (culinaire, alcoolisés comme féminin) et fascinera immédiatement le lectorat d’alors. Fleming poursuit donc ses aventures pour une série de roman au succès croissant dont l’univers d’espionnage s’inspire de sa propre expérience dans la Naval Intelligence Division de l'Amirauté britannique.  Une première adaptation télévisée de Casino Royale sera diffusée en 1954 à la télévision américaine (Bond étant incarné par Barry Nelson) mais ne rencontrera guère d’écho. Fleming ne rêve pourtant que de cinéma pour son héros, imaginant Alfred Hitchcock et Cary Grant (qui ont pourtant conçu une sorte de matrice au James Bond cinéma avec La Mort aux trousses (1959)) derrière et devant la caméra. Toutes les tentatives vont pourtant échouer, y compris une première initiée déjà par Cubby Broccoli qui souhaite la coproduire avec son partenaire Irving Allen. La première rencontre entre ce dernier et Fleming s’avère pourtant si catastrophique (Allen n’ayant que mépris pour les romans) que le projet est mort-né. 

En 1961 l’idée d’une adaptation se fait plus urgente encore, les ventes des romans explosant avec la publication des dix livres favoris de John Fitzgerald Kennedy dans le magazine Life et où Bons baisers de Russie figure en neuvième position. Le producteur Harry Saltzman s’en porte immédiatement acquéreur pour six mois mais il n’a ni les moyens, ni les contacts au sein des studios pour lancer la production d’un film. Cubby Broccoli lui les a et, désormais séparé de Irving Allen cherchera à racheter les droits à Saltzman qui au contraire lui propose une association qui perdurera jusqu’à L’Homme au pistoletd’or (1974). Le roman le plus simple à transposer en termes d’intrigue, de logistique et budget sera Dr No, sixième aventure littéraire de Bond. En dépit du budget modeste, la réussite tiendra du savoir-faire exemplaire de l’industrie britannique tant dès ce premier opus la série des James Bond tient d’un vrai travail collectif. 

Aucun nom ronflant (tous ceux envisagés autant pour le rôle de Bond que d’autres secondaires seront écartés comme Noel Coward qui refusera d’être le Docteur No) mais une solide et ambitieuse équipe dont un Terence Young vieux routier de la série B et technicien rompu à l’action sur des titres comme Trois chars d’assauts (1950) ou Les Bérets Rouges (1953). Son style punchy et heurté définira la charte des Bond suivants mais il aidera aussi grandement Sean Connery à s’approprier le personnage. Choisi grâce à sa gestuelle féline malgré son inexpérience, Connery est alors encore un jeune homme mal dégrossi, issus d’un milieu modeste et ayant eu plusieurs vies (engagé à 17 ans dans la marine britannique, culturiste et troisième au concours Mister Univers en 1950, divers travaux manuels) avant d’être acteur. La séduction animale est déjà là mais pas forcément la distinction et le gentleman qu’est Terence Young lui apprendra à se tenir en société, affinera ses goûts et le recommandera à son tailleur. Ian Fleming horrifié par ce jeune prolo changera totalement d’avis après avoir vu le film, au point d’ajouter des origines écossaises à Bond dans les opus littéraires suivants.

La première apparition graduée de Bond à une table de baccara sera ainsi mémorable. Une ombre, une silhouette, une main puis cet homme à l’allure aussi désinvolte que classieuse qui se présente cigare au bec d’un dédaigneux Bond, James Bond. L’alliance du voyou et du gentleman sied idéalement à un Sean Connery parfait. C’est précisément ce mélange d’élégance et de férocité, de classe et de vulgarité qui fera tout l’attrait du film, à tout point de vue. L’entrevue avec le chef du MI6 M (Bernard Lee) teinté d’autorité militaro - paternelle affectueuse voit son sérieux contrebalancé par le ping-pong séducteur avec la secrétaire Moneypenny (Lois Maxwell). Bond est également un héros à la sexualité affirmée, poussant jusqu’au bout la logique du héros macho. Les femmes le regardent avec désir et le poursuivent de leurs assiduités (Sylvia Trench à peine rencontrée l’attendant en nuisette dans son appartement), si ce n’est pas le cas sa séduction virile s’impose à elles (la secrétaire agent du Docteur No dont il profite tout en connaissant sa traitrise) tôt ou tard (Honey Rider méfiante mais sous le charme au final). 

Cette dualité opère aussi dans l’exotisme du film, le dépaysement ne virant jamais à la carte postale et toujours imprégnée d’une aura menaçante à travers le folklore local (les pittoresques faux aveugles qui s’avèrent être des assassins redoutables). Enfin, cela s’applique bien sûr à l’héroïsme tout particulier de Bond. Adepte du jeu de mot macabre (loin cependant de la surenchère grotesque d’un Roger Moore trop blagueur) après s’être débarrassé d’un ennemi, Bond malmène et tue de sang-froid (le professeur Dent (Anthony Dawson) désarmé et abattu froidement, presqu'avec plaisir) quiconque s’interposera sur son chemin, faisant passer la chose avec un bon verre. C’est un véritable choc dans le paysage cinématographique d’alors et ce Bond sera l’incarnation la plus fidèle du personnage avant d’être progressivement adoucie à partir de Goldfinger (1964) et Sean Connery crève l’écran par sa présence élégante et menaçante. Les ennemis seront à la hauteur de ce héros surdimensionné avec le Dr No (Joseph Wiseman) où là encore l’apparat de bd entourant le personnage (la forteresse, les traits eurasiens forcés par le maquillage d’un acteur canadien) ne sont qu’un contrepoint à sa présence glaciale et inquiétante. 

C’est bien tous ces éléments typiques du cinéma d’aventures (dépaysement, action, érotisme) mais aux traits accentués qui font toute la particularité de ce premier James Bond et qui seront affiné dans les opus suivants. C’est déjà la promesse d’un divertissement plus corsé que la moyenne en dépit d’éléments ayant forcément vieillis notamment les scènes d’actions (cette poursuite en voiture en rétroprojecteur bien ratée). 

Le style fait pourtant tout dans la caractérisation du personnage (le Walter PPK, le vodka-martini) et marque la rétine (fabuleux décor de salle de contrôle par Ken Adam qui signera d’autres créations folles pour la série, l’apparition d’Ursula Andress en bikini posant les bases de la James Bond Girl) autant que les oreilles avec le légendaire thème de Bond. D’un vague thème de Monty Norman, John Barry fera un arrangement percutant, inventif et entêtant dont il ne pourra pourtant pas s’attribuer la paternité. Il se rattrapera en signant onze bandes originales pour la saga. Félin, bariolé, sensuel et brutal même si encore perfectible, un premier épisode marquant : la légende était en marche.


Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Fox