Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Harry Stoner est le patron d'une entreprise de prêt à porter au bord
de la faillite. Il dresse alors un bilan de sa vie et se rappelle
notamment son enfance perdue...
Save the tiger est le film qui valut son seul Oscar du meilleur acteur à Jack Lemmon (après celui du meilleur second rôle pour Permission jusqu'à l'aube
de John Ford en 1956). Le film adapte le roman éponyme de Steve Shagan
(qui en écrit également le scénario) et constitue un projet qui tenait
vraiment à cœur de Jack Lemmon qui réduisit son salaire pour le mettre
sur pied. L'intrigue suit la journée d'Harry Stoner (Jack Lemmon),
patron d'une usine de prêt à porter au bord de la faillite. L'ensemble
du film est traversé de la présence anxieuse et lasse de Stoner, écrasé
sous les responsabilités tout en s'interrogeant sur le bien-fondé à se
battre encore. Dans chaque instant du récit se déroulant sur une
journée, Stoner semble vainement s'accrocher à maintenir les édifices de
son existence sans y croire complètement.
L'ouverture morne dans villa
de Beverly Hills le voit regretter de ne pas avoir fait l'amour une
dernière fois avant le départ en voyage de son épouse (Patricia Smith)
plus attristée qu'aimante. C'est cette même énergie du désespoir qui le
voit céder aux méthodes les plus douteuses pour maintenir son usine à
flot, incendie à l'assurance, proxénétisme au service d'un commanditaire
et liaisons dangereuses avec la mafia. Chaque élément de sa vie qui
sombre ramène Stoner à ses aspirations passées et ses ratés dans ce
monde changeant. Ce sera pour l'intime l'éloignement de sa fille en
pension et l'affection estompée avec son épouse et pour l'usine, l'idéal
et la ferveur d'entreprenariat disparue.
John G. Avildsen ne
lâche pas d'une semelle son acteur tout en capturant l'esprit de ce LA
70's dont la modernité contrebalance avec la nostalgie constante de
Stoner. On ressentira cela surtout à travers les deux rencontres avec la
marginale hippie peu farouche jouée par Laurie Heineman, seule
respiration vers l'extérieur et le monde qui l'entoure pour notre héros.
Ce sont pourtant bien les dialogues désabusés avec son associé Phil
(Jack Gilford), la bande-son rétro et la constante évocation du passé
qui marquent le personnage. Cette atmosphère dépressive est en
contrepoint de l'atmosphère ensoleillée de LA et Avildsen distille
progressivement par le dialogue, les situations (et ce bonheur d'antan
toujours rattaché à la même période) la source de ce mal-être. Jack
Lemmon fébrile et angoissé porte superbement le film sur ses épaules
dans une de ses prestations les plus vulnérables avec Le Jour du vin et des roses (1962).
Une nuit d'orage, un couple se dispute violemment. Le lendemain
matin, le corps de la femme est retrouvé échoué sur la plage. La police
ne tarde pas à mettre la main sur le coupable idéal : Robert Tisdall,
jeune homme aperçu sur les lieux du crime, lié à la victime et dont la
ceinture a servi d'arme du crime... Durant la préparation d'un procès
dont l'issue semble ne pas pouvoir lui être favorable, Tisdall s'échappe
: c'est à lui, désormais, seul contre tous, de prouver son innocence.
Il sera en cela aidé par Erica, la propre fille du commissaire lancé à
ses trousses.
Jeune et innocent réitère après Les 39 marches (1935) le schéma par la suite maintes fois repris (La Loi du silence (1952) et Le Faux Coupable (1956), La Mort aux trousses (1959), Frenzy (1972)) du de l'accusé à tort en cavale afin de prouver son innocence. Jeune et innocent sur ce schéma procède d'une dynamique différente des 39 Marches dont l'urgence, l'action échevelée et la romance enlevée constitue le vrai modèle de l'achèvement que constituera La Mort aux trousse. A l'inverse Jeune et innocent
est une des œuvres jouant le plus de la distance british d'Hitchcock où
passé une double introduction sous tension (la dispute conjugale dans
une nuit orageuse, la découverte macabre du cadavre de femme sur la
plage) le piège se referme sur Robert Tisdall (Derrick De Marney) dans
une étonnante décontraction.
Entre un avocat distrait, une amorce de
séduction avec Erica (Nova Pilbeam) et une évasion rocambolesque, on ne
ressent pas réellement l'étau de l'injustice se refermer sur notre héros
qui prend les choses avec détachement. Les péripéties sont à l'avenant,
la ballade se substituant à la course poursuite attendue. Le cadre
rural anglais autorise ainsi des figures policières balourdes, des
moments de pause bucolique et truculents qui atteignent un sommet avec
l'interlude durant la fête d'anniversaire avec une nouvelle fois un
héros plus facétieux (le nain de jardin) qu'inquiet sur sa situation.
L'équilibre
et la tension dramatique repose finalement sur le personnage d'Erica.
Le jeu anxieux et passionné de Nova Pilbeam contrebalance ainsi avec la
décontraction de Derrick De Marney et Hitchcock joue à plusieurs niveaux
dans son évolution. Il y a bien évidemment le dilemme entre ses
sentiments naissants pour le coupable et l'opposition à la justice, un
déchirement qui constitue aussi une forme d'émancipation de la jeune
fille rangée à son père symbole d'autorité à la fois familiale mais
aussi de la loi puisqu'il est commissaire. Sans être forcément une des
plus grandes réussites d'Hitchcock, l'ensemble fonctionne donc plutôt
bien dans cette approche tranquille que le réalisateur secoue par
quelques morceaux de bravoure dont il a le secret.
Un début de poursuite
en voiture dans une gare avec un usage habile de maquette, la fuite
d'un éboulement de mine (où le sauvetage d'Erica rappelle forcément
celui d'Eva Marie Saint du final au Mont Rushmore de La Mort aux trousses)
et surtout un climax virtuose dans un hôtel (et un plan séquence
impressionnant exploitant le décor et révélant la présence du coupable)
bouscule ainsi cette approche bucolique. Plutôt plaisant donc et assez
emblématique (un peu trop peut-être) du style Hitchcock ici tout en
maîtrise tranquille.
En 1917, la Révolution
Russe éclate. Le traitre Raspoutine est bien décidé à éliminer tous les
Romanov. Anastasia, la plus jeune enfant de la famille royale, parvient à
s'échapper grâce à Dimitri, un garçon de cuisine. Dix ans plus tard, réunis par
le destin, ces derniers partent pour un extraordinaire voyage qui les emmènera
de Saint Petersbourg à Paris, poursuivis à leur insu par l'infâme Raspoutine et
sa délirante chauve-souris Bartok…
Anastasia est une
des œuvres témoignant des bouleversements du cinéma d’animation américain, où
Disney s’apprête à enfin connaître une réelle concurrence. Jeffrey Katzenberg
ayant quitté avec fracas le giron de Disney crée la branche animation du studio
émergeant Dreamworks avec Le Prince d’Egypte
et Warner fait de même en produisant Excalibur,
l'épée magique. Anastasia sort
ainsi dans ce contexte où la proposition se fait plus large après la fin du
second âge d’or Disney sur Le Roi Lion
(1994). Le succès de Toy Story (1995)
et la révolution Pixar reste à confirmer et Disney loin du déclin des années
2000 parvient encore en sortir des réussites comme Hercule (1997) ou Mulan
(1998). Don Bluth reste pourtant à cette période le seul à avoir représenté une
vraie alternative, d’abord artistique avec le magnifique Brisby et le Secret de NIMH (1982) puis également commercial grâce
au triomphe de Fievel et le Nouveau Monde
(1986) et Le Petit Dinosaure et la Vallée
des merveilles (1988). Sans le parrainage d’Amblin sur ses films suivants (Charlie (1989), Rock-O-Rico (1991), Poucelina
(1994), Le Lutin magique (1994), Youbi le petit pingouin (1995)), Don
Bluth alignera les échecs commerciaux et cet environnement plus concurrentiel
arrive à point nommé lorsqu’il est sollicité par le Fox Animation Studios créé en 1994. Le premier projet sera donc cet
Anastasia que Don Bluth coréalise
avec son partenaire de toujours, Gary Goldman.
Le film peut au premier abord sembler manquer d’audace tant
il s’inscrit dans la pure filiation Disney. Alors que Brisby et Fievel avaient
réellement une volonté de se démarquer, Anastasia
aligne les figures imposées du studio aux grandes oreilles : héroïne
princesse (la confusion faisant parfois intégrer Anastasia aux princesses
Disney) chansons comme leitmotivs narratif et petits animaux en caution
enfantines pas toujours à bon escient avec la chauve-souris Bartok et un petit
chien. On retrouve également l’édulcoration disneyenne de rigueur du matériau
original, ici avec le contexte de la Révolution Russe essentiellement dû à un
sortilège de Raspoutine. Sous ces contours convenus Don Bluth offre néanmoins
un spectacle captivant qui puise dans la légende romanesque de la possible
survie de la princesse Anastasia, et plus précisément l’histoire d’Anna
Anderson « identifiée » comme Anastasia dans les années 20.
Cela
conduira Don Bluth à une foisonnante imagerie de la Russie tsariste, présentée
comme un paradis perdu. La reconstitution historique rigoureuse s’auréole ainsi
d’un faste de conte de fée mais derrière la facilité d’attribuer la Révolution
à Raspoutine, les inégalités y ayant conduit sont néanmoins introduite dans le
scénario. Don Bluth tout en éliminant tout message politique inscrit cependant
cette idée d’inégalité sociale à travers ses personnages. Alors qu’une Anastasia
encore enfant s’épanouit dans ce cadre somptueux, Dimitri assigné aux cuisine
mais désirant furtivement apercevoir les festivités du bal en est immédiatement
exclu. Ce bref moment anticipe la relation à venir entre les deux personnages
adultes, pour le meilleur et pour le pire puisque Dimitri contribuera à la
fuite d’Anastasia et sa grand-mère quand le palais royal sera assiégé.
Toute l’intrigue poursuit et entremêle donc cette splendeur
passée de la Russie tsariste dans la reconstruction de l’identité d’Anya/Anastasia,
tout en cherchant à en guérir les maux dans la possible romance entre la
possible princesse et le roturier Dimitri. Don Bluth crée une belle dynamique
de screwball comedy à travers ce couple mal assorti. Anya devant apprendre la
posture de princesse offre de nombreuses possibilités comiques par ses attitudes
désinvoltes et le tempérament orageux de celle ayant grandie dans la rue. On s’éloigne
là du canon Disney, que Don Bluth souligne par le design du personnage dont le
long visage ovale, les grands yeux et les attitudes masculines doivent d’abord
souligner le caractère fort avant la grâce royale. Il en va de même pour
Dimitri même si là Disney avait tout de même préparé le terrain par les
attitudes frimeuses d’un Aladdin
(1992) et c’est plus dans la caractérisation d’escroc à la petite semaine que
par sa conception visuelle que le personnage trouve son intérêt. Pour ce qui
est du cruel Raspoutine, Don Bluth reprend le design longiligne, amaigri et
intimidant du rat Nicodemus dans Brisby
et le secret de NIHM tout en accompagnant ce qui l’entoure d’un savant mélange
de de son classique de 1982 et de son passé Disney.
Les atmosphères sous-terraines
ténébreuses peuvent rappelant le ton fantasy
de Brisby mais les teintes verdâtres pour
évoquer les forces occultes, la sophistication du décorum gothique et certaines
séquences (Raspoutine descendant un escalier en colimaçon, entouré de créatures
entre l’amusant et l’inquiétant, son arrivée trouble fête lors du bal dont la mise en scène reprend celle de Maléfique) sont directement issus d’une esthétique vue
dans Blanche neige et les Septnains
et La Belle au bois dormant - le
premier ayant donné la vocation de dessinateur à Don Bluth et le second étant
celui où il fit ses premiers travaux chez Disney en tant qu’intervalliste. Mais
là où dans Brisby, Don Bluth avait
réussi à déployer une noirceur vraiment originale Anastasia est plus convenu.
Raspoutine n’a qu’une imagerie superficielle et pas de vraie conviction et même
les quelques idées macabres (son corps décrépi dont se détache toujours un
membre ou un œil par inadvertance, le pacte avec les ténèbres lui donnant ses
pouvoirs) sont toujours désamorcées par un effet cartoonesque ou une remarque
de Bartok. D’ailleurs dans le récit Raspoutine s’avère finalement peu présent
et n’est qu’un prétexte à lancer des morceaux de bravoures (dont une époustouflante
péripétie en train) quand le tout se
ralenti un peu trop.
Heureusement le brio formel de Don Bluth est là pour
constamment nous éblouir. C’est là que repose la subversion, notamment lors de
cette scène de rêve où Don Bluth détourne l’imagerie disneyenne factice qui
mène Anya en pleine déambulation somnambule vers la noyade. La référence change
également lorsque l’intrigue se déplace à Paris, Don Bluth donnant une
sautillante version animée des Années Folles et plaçant habilement les clins d’œil
culturels (Folies Bergères, passages furtifs de Joséphine Baker, Claude Monet
et Auguste Rodin) dans une séquence musicale lorgnant le meilleur des comédies
musicales Stanley Donen/Gene Kelly. D’autres allusion sont plus subtiles comme
la robe portée par Anya lors du final qui est la même que celle d’Ingrid
Bergman dans le Anastasia d’Anatole
Litvak (1956), mis en musique par Alfred Newman tandis que son fils David
Newman s’occupe de celle du dessin animé – dont on retiendra particulièrement la
sublime chanson et thème musical Far from
the cold of December.
Don Bluth malgré les concessions apparentes fait de
toute la dimension princière un obstacle à l’épanouissement de ses personnages.
La grandeur du tsarisme est contrebalancée par l’injustice et la violence (et
façonne symboliquement son inverse absolu avec Raspoutine) et n’existe plus qu’en
tant que vestige du passé lors d’une magnifique scène où Anya ranime la magie d’antan
en traversant le palais royal en ruine. Ce n’est donc pas en renouant avec ce
passé que notre héroïne redéfinira son identité et Don Bluth place
intelligemment le climax final sur le Pont Alexandre-III dont la destruction
libère Anastasia de ce passé pour suivre sa voie. Le film sera un joli succès
laissant les coudées franches à Don Bluth pour le nettement plus aventureux
Titan A.E. (annoncé ici par les nombreux croisements entre 3D et animation
classique) dont l’échec retentissant signera malheureusement la fin de carrière
et la fermeture du Fox Animation Studios.
Sorti en dvd et bluray chez Fox et ressort en salle le 24 mai
Daniel Lattimer (Mark Lester) se lie d'amitié avec Ornshaw (Jack
Wild), un garçon perturbateur. Un jour, Daniel tombe amoureux de Melody
Perkins (Tracy Hide) et ils annoncent à leurs parents leur intention de
se marier, non pas à l'avenir, mais dès maintenant. Cependant, les
adultes, les parents comme les professeurs, ne les prennent pas au
sérieux. Ornshaw non plus car il pense que Melody lui vole son ami. Plus
tard cependant, Ornshaw et leurs autres camarades aident le jeune
couple.
Melody est un des films les plus charmant
évoquant le monde de l'enfance et une merveille injustement méconnue du
cinéma britannique. On retient surtout le film pour être le premier
script pour le cinéma d'Alan Parker (affirmant son intérêt pour ce monde
de l'enfance avant son Bugsy Malone (1976) en culotte courte.
Le film dépeint plus précisément l'ère de la préadolescence, ce moment
coincé entre la candeur de l'enfance et les premiers émois amoureux
maladroits, les premières manifestations d'une affirmation de soi. C'est
le sentiment que vivent Daniel (Mark Lester) et Ornshaw (Jack Wilde)
deux jeunes écoliers aux antipodes l'un de l'autre. La scène d'ouverture
dévoile en partie le propos en introduisant nos deux héros embrigadé
bien malgré eux dans la fanfare locale. Lors du minutieux examen des
uniformes, Orsnshaw débraillé et désinvolte raille l'adulte tandis que
le plus introverti Daniel est tiré à quatre épingle tout en avouant ne
pas saisir sa présence là. Le caractère franc et innocent de Daniel
fonctionne ainsi en complément de celui renfrogné d’Orsnshaw.
Wari
Hussein s'attarde longuement sur leur amitié naissante, scrutant leur
différence de classe et un quotidien où pour chacun s'exprime la
faillite des adultes. Entre un père immature et une mère snob, Daniel
est comme invisible, suscitant l'indifférence (une scène de dîner entre
amis au montage remarquable où la boucle de plan répétitif est brisée
par une bêtise de Daniel, seul moyen d'attirer l'attention) où le repli
lâche (l'absence de réaction de sa mère quand il s'exerce au dessin avec
des revues de charmes). Cette invisibilité répond à celle des parents
d’Orsnshaw que l'on ne verra jamais et qui semble totalement livré à
lui-même. L'espace de l'école catholique qu'ils fréquentent reflètera
cette idée avec des professeurs assénant dogmes et châtiment corporels
sans passion ni explications (Orsnshaw rabroué par un professeur de
latin rigide).
En contrepoint nous aurons donc ce monde de l'enfance,
merveilleusement capturé dans l'espace de l'école avec la caméra de Wari
Hussein accompagnant entre documentaire et pure poésie les
pérégrinations diverses. Salle de classe agitées, self bondés,
récréations où chacun vaque à des occupations diverses, tout cela est
scrutés avec grâce et réalisme et s'étend avec plus de libertés à la
sortie de l'école où Daniel et Ornshaw se baladent à Londres. Le
réalisateur dresse une vraie imagerie bigarrée de la ville, sa
population métissée, ses quartiers nantis et ceux plus difficiles, les
terrains vagues constituant autant d'espace de jeu pour nos deux héros
et leur bande.
Peu à peu cet univers se trouve contaminé par une
préoccupation toute nouvelle : les filles. Celles-ci constituent d'abord
un objet qu'on ignore, puis qu'on observe de loin (les garçons lorgnant
une leçon de danse) et enfin duquel on tombe amoureux lorsque Daniel
sera sous le charme de Melody (Tracy Hide). Approfondissant moins
l'univers des fillettes, le scénario ne s'en montre pas moins juste tant
dans leur maturité précoce (ça se préoccupe des garçons et s'entraîne
déjà à s'embrasser) que par une faillite des parents s'exprimant de
façon fort différente. Le père joué par Roy Kinnear sera plus causant
avec Daniel que sa propre fille en bonne promiscuité masculine attendue,
et à l'absence des parents des personnages de garçons répond
l'omniprésence de la mère et grand-mère de Melody (notamment dans une
hilarante scène où une explication trop vague de Melody leur laisse
croire qu'elle a croisée la route d'un pervers).
Dès lors ce cadre de
l'enfance savamment dépeint devient aussi celui d'une séduction
maladroite de Daniel, Waris Hussein excellent à illustrer l'entre-deux
des mondes des garçons bruyant et puérils (vers lequel est
irrémédiablement retenu Daniel par le tapageur Ornshaw) et celui des
filles dont il tente de se rapprocher non sans mal. Tout cela est narré
en situation, dans un va et vient entre l'intime et le collectif les
vrais sentiments se révèlent furtivement sous posture adoptée face aux
camarades. Le charisme et le naturel du trio de héros est pour beaucoup
dans le charme de l'ensemble, Tracy Hide (enfant mannequin dont c'est le
premier rôle) imposant une présence lumineuse, tandis que Mark Lester
et Jack Wild (tous deux plus expérimentés et déjà réunis dans Oliver! de Carol Reed (1968)) se complètent parfaitement entre silencieux rêveur et Gavroche tapageur.
Tous
s'estompe et plus rien n'existe que l'autre dans la dernière partie où
s'épanouit enfin l'histoire d'amour. L'espace se restreint et tout ce
qui concerne le monde extérieur à la romance s'avère oppressant : les
railleries des camarades, les cours qui les obligent à se séparer, les
adultes incrédules face à cet attachement. Là encore pas de dialogues
superflus, le charme du couple juvénile, la mise en scène ample de Waris
Hussein et la superbe photo de Peter Suschitzky suffisent à façonner un
écrin chatoyant et intime aux personnages (la superbe scène du
cimetière sous la pluie). L'autre atout majeur repose sur la magnifique
bande-originale des Bee Gees dont les chansons (In the Morning, Melody Fair, Give Your Best, To Love Somebody, First of May)
se substituent aux dialogues, amènent un lyrisme, une consistance et
finalement une vérité qui ne fera jamais prendre cette romance à la
légère - même quand il sera le plus sérieusement du monde question de
mariage.
Un élan de rébellion fort ludique fait le triomphe de l'utopie
enfantine et amoureuse dans une magnifique conclusion, la dernière image
éloignant Daniel et Melody de toutes les entraves du monde des adultes.
Le film sera hélas un échec en Angleterre et aux Etats-Unis mais fera
un triomphe au Japon où Tracy Hide deviendra une véritable icône (une
production japonaise autour d'elle failli se faire dans les 70's et les
japonais iront la traquer en Angleterre dans les 90's pour un reportage
alors qu'elle est retirée du métier). Mais surtout c'est une des œuvres
de chevet d'un certain Wes Anderson qui y puisera une inspiration
évidente pour son fabuleux Moonrise Kingdom (2012).
Sorti en bluray et dvd zone 2 anglais chez StudioCanal
Après vingt ans de vie commune, Amy et Jim Preston sont au bord de
la rupture. Jim ne supporte plus l'insouciance de sa femme, et prend une
maîtresse.
Une carrière d'habile mais impersonnel faiseur hollywoodien dans les 60's (Les Canons de Navarone (1961), Les Nerfs à vif (1962), Tarass Boulba
(1962)) puis de piteux yes-man d'un Charles Bronson sur le déclin dans
les 80's aura fait oublier les brillants débuts de Jack Lee Thomson au
sein du cinéma anglais des années 50. Durant cette période le
réalisateur signe une série de mélodrames sociaux progressistes dont le
l'un des fils rouge serait l'interrogation sur la condition féminine. The Weak and the Wicked (1954) dépeignait ainsi le quotidien de détenues, Yield to the Night
(1956) creusait le même sillon en dépeignant le destin d'une condamnée à
mort (les deux films tant notamment interprétés par Diane Dors) tandis
que No Trees in the Street (1958) s'attardait sur l'avant, cette fange et ces tentations qui pourraient conduire l'héroïne à se perdre. Woman on a dressing gown délaisse les jeunes filles perdues pour s'attarder sur la torpeur du couple.
Le
mariage d'Amy (Yvonne Mitchell) et Jim Preston (Anthony Quayle)
s'enlise ainsi après vingt ans de vie commune. Cela ne se ressentira pas
par le conflit mais par la médiocrité ambiante visible dès la scène
d'ouverture. Le domicile familial apparait ainsi désordonné, comme un
reflet de l'apparence négligée d'Amy arborant coiffure hirsute et robe
de chambre informe (d'où le titre du film) à longueur de journée. Amy
apparait comme une sorte de femme-enfant distraite et plus préoccupée
par ses émissions de musiques classiques à la radio plutôt que la tenue
de son foyer. Jack Lee Thomson n'accable pas son héroïne et fait au
contraire de ce désordre une sorte de manifestation inconsciente du
mal-être d'Amy qui s'oublie dans une dévotion aussi inconditionnelle que
maladroite envers son mari et son fils Brian (Andrew Ray).
Ainsi si
l'entrée en matière pourrait sembler machiste à dépeindre cette
maîtresse de maison indigne, l'attitude désinvolte de Jim soumettant
tacitement son épouse (pour son petit-déjeuner, pour lui recoudre un
bouton de chemise) alors qu'il se rend au travail donne une perspective
de la situation. Si Amy est dans le déni, Jim n'est que trop conscient
de la médiocrité de son existence et trouvera refuge dans les bras de
Georgie (Sylvia Syms), sa secrétaire plus jeune et follement amoureuse
de lui. De plus en plus pressé par Georgie de divorcer, Jim va
longuement hésiter et sa prise de décision va causer le chaos. Le
scénario de Ted Lewis (qui transposait là au cinéma son script
initialement tourné pour la télévision l'année précédente) se situe
durant cette journée où les masques tombent et l'équilibre habituel
vacille. Jack Lee Thomson film le foyer comme une prison à travers
différentes idées formelles.
Les barres du montant du lit conjugal
semble comme former des barreaux par es cadrages choisis, le capharnaüm
ambiant donne un sentiment d'encombrement permanent et claustrophobe et
surtout la dévotion empressée d'Amy rend l'atmosphère étouffante pour
Jim jamais dans les bonnes conditions pour faire son aveu fatal. La
scène où il se résigne à le faire témoigne de ces choix esthétiques de
Jack Lee Thomson, Jim étant filmé assis et de dos pour signifier sa
lâcheté et la douleur de l'aveu (lâché dans un soupir) tandis qu'Amy une
nouvelle fois s'agitait en tous sens et déblatérant à tout va comme
pour combler le vide - comme pour l'empêcher inconsciemment de prononcer
ces mots douloureux pour elle.
Le parallèle entre l'élégance, la beauté
et l'éducation de Georgie offre un parallèle cruel à Amy, l'amour
sincère de chacune tirant le héros vers le haut ou vers le bas, vers un
futur heureux et libéré ou vers un présent sinistre chargé de
responsabilité. Yvonne Mitchell se met à nu comme rarement, l'extrême
sensibilité de son personnage surmontant tout ce qu'il pourrait avoir de
caricatural. Aucune humiliation ne lui sera épargné, son allure
quelconque étant encore plus abîmée une fois la béquille de son couple
menacé dans une scène sa seule réponse sera de se faire belle et
d'arranger son appartement. Les éléments se liguent contre elle comme
une fatalité à sa médiocrité (la pluie gâchant sa coiffure, une table
fragile gâchant ses velléités d'ordre) et la font sombrer dans un
profond désespoir. Anthony Quayle est remarquable aussi en homme déchiré
dans ses aspirations et Sylvia Syms rend très touchante aussi cette
jeune femme tiraillée entre culpabilité et amour. Jack Lee
Thompson évite le piège du théâtre filmé malgré une intrigue se
déroulant pour l'essentiel dans un appartement exigu et explore si bien
sa problématique qu'aucune solution n'apparait réellement juste. Si la
conclusion paraitra sans doute très moralisatrice, le propos est plus
subtil puisque laissant apparaître comme partagées les raisons du
délitement du couple. En apparence la responsabilité incombe à la
négligence d'Amy mais plus concrètement c'est l'effacement de Jim qui
aura causé cette lente déchéance.
Le film offre un beau portrait de la
famille anglaise traditionnelle d'alors, où le non-dit domine dans les
maux/mots qui s'ignorent que dans la chaleur timidement retrouvée de la
scène finale. Dès lors impossible de réellement savoir si l'on a assisté
à un happy-end et si les choses pourraient réellement aller mieux pour
les protagonistes. Le film rencontrera un grand succès et sera auréolé
de nombreuses récompenses (meilleur film et Ourse d'argent de la
meilleur actrice pour Yvonne Mitchell au Festival de Berlin, un Golden
Globe du meilleur film en 1958) et est considéré par la critique
anglaise à la fois comme précurseur du kitchen sink drama et une sorte de pendant réaliste et plus cru du Désert Rouge (1964) d'Antonioni.
Sorti en dvd zone 2 anglais chez StudioCanal et doté de sous-tires anglais
Le film suit plusieurs
adolescents, entre drogue, sexe et amour. Un jeune de 18 ans, Dark, se
désespère de l'infidélité de sa copine Mel, qui sort aussi avec Lucifer. Dark
se met à fantasmer sur Montgomery, et sur le couple SM formé par Kriss et Kozy.
Le meilleur ami de Dark, Cowboy, recherche son petit ami Bart, tandis que
Dingbat est amoureuse de Ducky, lui-même amoureux d'Alyssa, qui rêve du motard
Elvis… Des chaînes raciniennes compliquent ainsi l'intrigue du film.
Nowhere vient
conclure la « trilogie de l’apocalypse » de Gregg Araki après Totally F***ed Up (1993) et The Doom
Generation (1995). Entre élans trash, violence, confusion sexuelle et
esthétique tapageuse, Araki offrait une vision très intime et personnelle des
émois adolescent revisités au vitriol de la Génération X. Nowhere vient donc achever le cycle en apothéose.
L.A. is like nowhere,
everybody who lives here is lost.
Cette phrase en voix-off du héros Dark (James Duval)
accompagne une ouverture fantasmatique où le héros se caresse sous la douche.
Dans sa rêverie érotique s’entrecroise amour hétéro avec sa meilleure amie Mel
(Rachel True) avec laquelle il entretient une relation ambiguë, homo avec
l’androgyne Montgomery (Nathan Bexton) et même SM avec deux jeunes filles le
maintenant ligoté. Cette entrée en matière témoigne de la confusion qui anime
l’ensemble des personnages et que Gregg Araki attribue autant à l’inconstance
de l’adolescence que de la facticité inhérente à la ville de Los Angeles. Le
mal-être doit donc se dissimuler sous une posture superficielle consciente (Mel
fuyant l’amour de Dark dans un hédonisme sexuel forcé), dans l’oubli charnel
frénétique ou encore l’oubli des drogues. Les décors stylisés, le montage
agressif et les couleurs flashy servent ainsi à forcer le trait jusqu’au
cauchemar de ce cadre californien ensoleillé.
Gregg Araki place cette idée à la
fois dans son casting constitué de starlettes adolescentes montantes (Rachel
True vue dans Dangereuse Alliance
(1996), Christina Applegate héroïne de la série Mariés, deux enfants, Rose McGowan vue dans Scream (1996), Shannen Doherty jouant dans Beverly Hills) vues sous un jour plus provoquant que leurs
productions lisses habituelles mais aussi dans l’intrigue avec Jaason Simmons
quasi dans son propre rôle de vedette d’Alerte
à Malibu mais qui va montrer un visage des plus monstrueux. Un parfum de
fin du monde plane donc sur cette journée qui va frapper chacun des personnages
de plein fouet, la dépravation ambiante soufflant constamment le chaud (un
orgasme collectif en montage alterné intense dont saura se souvenir Charlie
Lyne dans les collages de son documentaire Beyond Clueless (2015) et le froid avec une frénésie sexuelle d’où semble absents
toute forme de sentiments ou même simple plaisir.
Le but n’est pas de
s’abandonner aux sens, mais au contraire de se désensibiliser par cette
activité intense. Cette volonté de se perdre nourrit ainsi les idées
suicidaires de Bart (Jeremy Jordan) musicien gay dépressif et donc de Mel,
fuyant toute affection trop marquée pour un papillonnage vain qu’elle ne
savoure même pas. Le Nowhere du titre
exprime ainsi le no man’s land existentiel et bariolé des héros, perdus entre
l’enfance viciée (cette partie de cache-cache sous ecstasy) et un âge adulte impossible
à atteindre – voire les savoureux items d’Armageddon des matières étudiées à la
fac, même sur les études symboles d’avenir pèse une chape de plomb.
Le personnage le plus sincère et lucide sera aussi le plus
mélancolique avec Dark. En quête d’amour véritable, il distingue ainsi la
monstruosité réelle du monde qui l’entoure par ces visions hallucinées
d’extraterrestres côtoyant et décimant ses camarades. Les figures parentales
sont déconnectées, hystériques ou absente et prolongent ce profond sentiment de
solitude, magnifiquement exprimée par le charisme de James Duval, fil rouge de
cette trilogie de l’Apocalypse. Gregg Araki ménage néanmoins quelques moments
de candeur (le couple juvénile entre Zero (Joshua Gibran Mayweather) et Zoe
(Mena Suvari)) mais constamment interrompus par le drame (l’atroce sort de Egg
scellant l’amorce de romance entre Dingbat et Duck (Scott Caan)).
Le final sert
magistralement le propos par une scène d’amour où Araki daigne enfin ralentir,
scruter les regards tendres, caresser de sa caméra les corps nus masculin et
amener une poésie sincère au chaos ambiant. Mais c’est chose impossible le
nihilisme est poussé jusqu’à l’absurde kafkaïen dans une conclusion aussi
géniale que tragique. L’atmosphère aussi punk que flottante doit également
beaucoup à une bande-son assez mémorable où la fine fleur du rock indé 90’s
(Slowdive, Radiohead, Elastica, Suede) a fière allure.