Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

mardi 18 février 2020

Freud, passions secrètes - Freud: The Secret Passion, John Huston (1962)


Le jeune Sigmund Freud se rend à Paris pour rencontrer le professeur Charcot, dont les travaux sur l'hypnose l'intéressent. Revenu à Vienne, il poursuit ses propres recherches, malgré l'opposition de son entourage. Seul le docteur Breuer le soutient... La psychanalyse devient donc pour lui une méthode de traitement des troubles.

En 1946, John Huston est chargé par le gouvernement américain de filmer le suivi médical des blessés traumatiques de la Seconde Guerre Mondiale. Il y observe et se passionne pour les différentes méthodes de psychanalyse et découvre ainsi la prégnance de l’inconscient dans nombres de maux humains. Si le gouvernement renoncera à diffuser le court-métrage Let There Be Light car ne souhaitant pas montrer cette image de l’armée américaine, l’expérience fait naître chez Huston le désir de signer un film autour des méthodes freudiennes. Il sollicite Jean-Paul Sartre en 1958 afin d’écrire un scénario, mais la longueur du script et le refus de concessions de l’intellectuel français crée rapidement des dissensions.  Si nombres de ses idées demeurent dans le script final (notamment l’idée de condenser plusieurs patientes de Freud dans le personnage inventé que joue Susannah York), Sartre demandera à être retiré des crédits après les réécritures de  Wolfgang Reinhardt, Charles Kaufman et John Huston himself.

Freud, passions secrètes n’est pas un biopic de Sigmund Freud, mais suit plutôt la grande aventure de sa recherche autour de l’inconscient et son invention de la psychanalyse. La scène d’ouverture ne s’y trompe pas, la voix-off (du timbre de stentor de John Huston) comparant cette découverte de l’inconscient à la théorie de l’évolution de Darwin ou de la découverte du système solaire en terme d’impact sur la perception humaine. On sort de l’image iconique de Freud en vieux professeur à la mine sévère pour prendre les traits plus jeunes de Montgomery Clift que l’on accompagnera sur une période de 5 ans, entre 1885 et 1890. Alors qu’il officie à l’hôpital général de Vienne, Freud se heurte à l’interprétation uniquement physiologique de ses collègues quand pour lui certains maux relèvent d’une faille issue de l’inconscient qui appelle à une autre méthode de soin. Un voyage à Paris et l’observation des travaux  du professeur Charcot (Fernand Ledoux) l’initie ainsi à l’hypnose, mais qui reste une porte d’entrée sans être une voie de guérison en soi. De retour à Vienne, il s’associe avec le docteur Breuer (Larry Parks), le seul partageant ses idées, pour mettre en pratiques les différents questionnements auprès de patients en proie à des symptômes spécifiques.

John Huston effectue une véritable prouesse puisqu’il part d’ouvrages purement théorique de Freud (notamment Trois essais sur la théorie sexuelle paru en 1905) pour construire un suspense intellectuel et dramatique autour de ses avancées. Les ambiances inquiétantes, oppressantes et parfois hallucinées qui se dégagent du film rejoignent finalement l’usage marqué de la psychanalyse que firent les studios hollywoodiens dans des genres comme le film noir, prétexte à nombre d’expérimentations formelles, un des exemple les plus fameux étant la scène de rêve de La Maison du Docteur Edwardes d’Alfred Hitchcock. Si l’hypnose suffit à faire ressortir et résoudre les traumas les plus évidents, ceux très enfouis et tendancieux seront plus ardus. Le film captive en montrant Freud tâtonner car pour avancer, il devra autant se mettre à nu que ses patients (au contraire de son supérieur Meynart (Eric Portman) dans le déni de sa propre névrose). Il sera ainsi comme effrayer par les territoires qu’il côtoie quand il traitera Carl von Schloessen (David McCallum) dont il découvre les élans meurtriers envers son père, écho d’une jalousie issue d’un amour incestueux pour sa mère. La morale le rattrape ainsi et éveille des refoulements sombres de son inconscient qu’il va devoir surmonter pour ses travaux.

La jeune Cecily (Susannah York) développe nombres de syndromes physiologiques (perte de vue, impossibilité de marcher) qui découle de différentes failles de son inconscient. Huston use d’une imagerie et de ressorts dramatiques de thriller (les joutes verbales des thérapies lorgnant parfois sur l’interrogatoire) pour faire naître une tension psychologique dont l’enjeu est la fois un défi intellectuel et émotionnel. Le cheminement est fascinant dans le côté laborieux, hasardeux et méthodique avec lequel Freud traverse les strates du monde intérieur et des souvenirs de Cecily. On pense au traumatisant flashback où elle revit la mort de son père, en en déformant le cadre et les circonstances, Huston altérant et revisitant le souvenir dans une étrangeté qui traduit le ressenti des songes les plus tortueux. Il en va de même dans les traumas tout aussi complexes à dénouer de Freud lui-même où Huston invente des séquences surréalistes, baroques et expérimentales qui contiennent dans leurs motifs subtils toutes les clés du mystère à résoudre. 

Les monologues intérieurs chargés de doutes et les interprétations erronées accompagnent tout le cheminement semés de doutes de Freud, où l’on voit se construire toute la méthodologie de la psychanalyse. Ainsi passé les spectaculaires scènes d’hypnose, c’est par le seul dialogue et ce qui s’en dégage dans l’attitude (Cecily tombant dans une forme de passion amoureuse pour tous ses médecins) ou les lapsus que se forge la manière d’interpeller le patient, de se positionner face à lui (la fameuse posture du psychanalyste installé derrière le patient faisant ses confidences arrivant avec un naturel parfait). Tout cela nous conduit de manière exemplaire vers des territoires audacieux dans le cinéma de l’époque en évoquant explicitement la sexualité infantile, le complexe d’Œdipe et en illustrant le choc d’une telle approche dans la médecine d’alors. D’un point de vue actuel, même si ces termes sont entrés dans le langage courant, on imagine mal avec les sordides faits divers des dernières années le thème abordé aussi frontalement (et pour preuve le A Dangerous Method de David Cronenberg (2011) n’en parle pas).

Montgomery Clift impose toute sa personnalité torturée dans son interprétation fascinante même si la relation fut compliquée avec John Huston (malgré une première collaboration dans Les Désaxés (1961)). L’alchimie avec Susannah York est parfaite, créant ce cocon de proximité et de confiance qui fait défaut aux premières scènes où Charcot traite ses malades comme de purs outils d’illustration de ses théories. C’est donc une des plus belles réussites de John Huston, capable de s’attaquer aux matériaux les plus complexes pour en donner un spectacle riche et passionnant. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Rimini 

dimanche 16 février 2020

Chaudes gymnopédies - Jimunopedi ni midareru, Isao Yukisada (2016)


Shinjin, un réalisateur has-been à l'égo surdimensionné, met dans son lit tout un tas de femmes, jeunes ou plus âgées, pour se sentir mieux. Dans le même temps, la production de son dernier long métrage est mise en péril quand son actrice principale quitte le projet. Ses derniers moyens de gagner de l'argent s'envolent et Shinjin est désemparé...

Chaudes gymnopédies s’inscrit dans le projet de revival des Roman Porno de la Nikkatsu, en cherchant à retrouver l’audace des classiques des années 70 mais thématiquement revus au goût du jour. La démarche s’avère d’ailleurs assez directe avec Chaudes gymnopédies qui est le remake de L’extase de la Rose noire de Tatsumi Kumashiro (1975). Seul le point de départ s’avère néanmoins identique, à savoir un cinéaste lâché par son actrice principale qui va tout au long du récit errer en quête de rédemption artistique chez Kumashiro, et dans un questionnement plus existentiel chez Isao Yukisada. La différence vient du statut des deux personnages principaux. Le héros de L’extase de la rose noire est un outsider œuvrant dans le cinéma porno amateur, mais dont la fièvre érotique et la foi en son art aide à surmonter tous les obstacles.  A l’inverse, Shinji (Itsuji Itao) est un cinéaste classique au succès lointain et dont le déclin l’amène à tourner un film érotique dont la production va tourner court.

L’errance du personnage de Kumashiro était donc pleine d’énergie décalée et picaresque, le contexte libertaire et une certaine dimension méta rendant ludique tous les apartés érotique. Rien de tout cela avec Shinji qui traîne sa peine au fil des rencontres et situations incongrues qui ne le grandissent pas. Son aura déclinante de cinéaste prestigieux et de « sensei » l’amènent à séduire abusivement des jeunes femmes, ou alors à recroiser d’ex amantes ou épouses partagées entre affection, pitié et mépris pour lui. Notre héros blasé exécute d’ailleurs selon une même gestuelle brutale chacune des étreintes avec ces partenaires féminine, n’en tirant aucun plaisir si ce n’est celui de la domination. Le film est bien plus proche du travail d’un Hong Sang Soo que des classiques plus méta et introspectifs mettant en scène un cinéaste comme Stardust Memories de Woody Allen (1980) ou 8 ½ de Federico Fellini (1963). L’érotisme ne fonctionne donc pas par le prisme du personnage principal ou alors de façon détournée et discutable, la séquence la plus troublante étant celle où son ex-femme se donne à un fétichiste pour lui procurer la somme dont il a besoin. 

Le héros évite d’être détestable par la mélancolie qu’il dégage. Les raisons en reste longtemps obscures avant que son comportement se couvre du sceau de la culpabilité. Les séquences hallucinées et onirique mettant en scène la pièce de l’appartement où trône un piano entourée de fleur illustre le mal-être qui ronge Shinji, le lieu s’apparentant à un linceul. C’est dans ce contexte que l’érotisme se teinte d’étrange avec ce jeu de regard avec une voisine exhibitionniste (jouée par la vraie actrice porno Sho Nishino déjà remarquable dans un rôle classique sur le Hotel Singapura d’Eric Khoo). C’est donc assez captivant thématiquement par sa relecture neurasthénique du film de Kumashiro, mais l’on regrettera tout de même que la forme un peu terne (un des principaux problèmes de ces revivals notamment la photo impersonnelle) ne suive pas.

Sorti en dvd zone 2 français chez Elephant Film

vendredi 14 février 2020

Queen & Slim - Melina Matsoukas (2020)


En Ohio à la suite d’un rendez-vous amoureux, deux jeunes afro-américains qui se rencontrent pour la première fois, sont arrêtés pour une infraction mineure au Code de la route. La situation dégénère, de manière aussi soudaine que tragiquement banale, quand le jeune homme abat en position de légitime défense le policier blanc qui les a arrêtés. Sur la route, ces deux fugitifs malgré eux vont apprendre à se découvrir l’un l’autre dans des circonstances extrêmes et désespérées…

Queen & Slim est un beau premier film qui tout en scrutant les clivages de la société américaine actuel, parvient à prendre une vraie belle hauteur poétique et romanesque sous le message. Cet équilibre tiens certainement à sa conception. L’idée initiale vient de l’écrivain James Frey mais qui en tant qu’écrivain blanc ne se sent pas suffisamment imprégné de cette culture pour narrer la cavale d’un couple afro-américain. Il va alors s’associer à la scénariste Lena Waithe (connue pour son travail sur la série Master of None) pour signer le script qui sera réalisé par Melina Matsoukas, clippeuse célèbre pour son travail avec Beyoncé et qui apportera donc une dose d’imagerie pop sus le sujet réaliste.

Le film s’ouvre sur un rendez-vous amoureux quelconque et probablement sans lendemain, mais dont les conséquences vont lier définitivement les protagonistes. La caractérisation de chacun les fige dans les archétypes des deux grands militants afro-américains que sont Malcolm X et Martin Luther King. Il (Daniel Kaluuya) est un observateur dépolitisé et apaisé du monde qui l’entoure quand elle (Jodie Turner-Smith) est désabusée, en a trop vu et ne crois plus au système. Cela se dégage de leur badinage amoureux anodin avant de brutalement se concrétiser lorsque, victimes d’une violence policière (dans une scène à l’escalade de tension remarquable) ils vont abattre accidentellement un agent et devenir des fugitifs traqués dans tout le pays. L’attitude rationnelle et déterminée de la jeune femme éduquée s’oppose constamment à la naïveté placide du garçon prolo, toujours dans la sidération face à la tournure des évènements. La situation dramatique débouche paradoxalement sur un mélange de légèreté et de tension dans la dynamique du couple, dans les interactions qu’ils auront durant la cavale. 

La médiatisation de leur cavale (leur crime ayant été filmé) en fait des Bonnie and Clyde black, exacerbant les peurs des blancs et renforçant le sentiment de revanche des noirs. Cependant les rencontres débouchent sur des clichés white trash (l’employé de station-service amateur d’arme à feu) ou du militantisme noir bas du front (le père de famille obèse et gouailleur), mais qui se pose finalement en miroir des archétypes que les personnages incarnent dans leur relation et aux yeux du public. Les dialogues percutants apportent une vraie énergie à leur opposition de caractère, avant qu’ils se dévoilent peu à peu l’un à l’autre. 

Lui jusque-là dans une existence protégée des maux du monde se « salit » positivement dans l’aventure, fumant un joint, buvant de l’alcool et oubliant peu à peu la religion (la prière qu’il entame avant de manger lors du premier rendez-vous). A l’inverse elle se purifie, s’anoblit et pose un regard plus lumineux et candide au fil du récit (la scène où elle la cynique finit par entamer une prière). Le délicat rapprochement du duo se fait au fil des paysages défilant sur fond de R’n’B, de doux moments romantiques comme cette danse lascive dans un club. Le vrai danger de la cavale est finalement intermittent pour privilégier l’apprivoisement mutuel. La mue se fait d’ailleurs dans leur look qui les sort de l’ordinaire pour en faire des icônes afro malgré eux.

C’est par leur prisme que le regard sur la société américaine se fait peu à peu plus contrasté, plus subtil. La haine et la frustration nourrie par les noirs débouche ainsi sur une exécution violente et injuste d’un policier plus raisonné (et noir), une trahison fatale sera également l’œuvre d’un congénère quand à l’inverse un couple WASP se montrera bienveillant. Tous les éléments extérieurs fonctionnent sur ce va et vient moral notamment autour de la figure policière et/ou raciale (le shérif pris en otage début) même parfois de façon grossière que cet agent noir qui laisse filer les fugitifs après un échange avec un collègue raciste. Le couple demeure ainsi symbolique, notamment dans le fait de ne pas connaître leur nom (si ce n’est lors de la conclusion) et endosse une universalité aimante et romanesque face à la tension sociale et raciale ambiante.

Ce dimension est manifeste lorsque les amants font l’amour pour la première fois avec en montage alterné une féroce scène d’émeute, l’étreinte des corps nus, la connexion des âmes et les halètements s’opposent aux hurlements de haine, bruits de d’armes à feu et coup de matraque. Les personnages auront dépassés les maux de leur société dans une adversité extrême et la ballade se fait apaisée, radieuse et solaire. La nuit oppressante de la fuite d’ouverture laisse place au ciel bleu de la dernière ligne droite. Le charisme et l’empathie dégagés par les acteurs est pour beaucoup dans l’immersion du film, en particulier une magnétique Jodie Turner-Smith. Une belle réussite qui ne scrute le réel que pour mieux nous en libérer par le rapprochement intime. 

En salle