Juzo est un ingénieur
du son, spécialisé dans les bruitages de films érotiques à très petit budget.
Mais il a des rêves de grandeur : il s'imagine égaler ses idoles, Shohei
Imamura ou Nagisa Oshima. Alors qu'un nouveau tournage débute, son actrice lui
annonce qu'elle est enceinte d'un compagnon de jeu et qu'elle veut se ranger.
Juzo va tout faire pour la faire changer d'avis et lui exposer les bienfaits du
cinéma érotique sur le monde...
La filmographie de Tatsumi Kumashiro est peuplée de figures
de marginaux qui s’affranchissent des contraintes morales de la société par le
sexe dans des œuvres comme Sayuri,strip-teaseuse (1972) ou La Femme aux cheveux rouges (1979). L’Extase de la
rose noire illustre bien cette approche et est typique du ton adopté par
Kumashiro, oscillant souvent entre émotion et ironie. Ce second aspect
intervient dans le milieu et le personnage principal du film, Juzo (Shin
Kishida) réalisateur de film érotique. Juzo aspire aux hauteurs artistiques de
ses modèles Shohei Imamura et Nagisa Oshima qui poussèrent l’imagerie érotique
vers une vraie vision provocatrice, mais les conditions des scènes que nous le
voyons tourner le place plutôt du côté d’une sexualité filmique sous le manteau
(soit la profession du héros de Le Pornographe de Shohei Imamura (1966) justement) et à l’économie. Le scénario joue
habilement de l’ambiguïté de Juzo où sa dimension de réalisateur se confond
avec son propre désir.
La dévotion à son art se conjugue donc à une certaine forme
de voyeurisme lorsqu’il enregistre des gémissements de femmes dans un cabinet
de dentiste. C’est là qu’il tombe sous le charme des feulements d’Ikuyo (Naomi
Tani), femme aux désirs ardents enfouis sous son allure réservée et
respectable. Privé de son actrice principale enceinte, Juzo autant par attirance
que par volonté artistique va donc poursuivre de ses assiduités Ikuyo pour la
convaincre de jouer dans son film. Comme souvent chez Kumashiro, la narration
se fait erratique (et ponctuée de surprenant sursauts comiques) et tout le jeu
d’attirance/répulsion entre Juzo et Ikuyo s’appuie sur ce questionnement entre
fantasme et réalité crue (aspect déjà exploré dans Sayuri, strip-teaseuse). L’approche relativement rigoureuse et
méticuleuse de certains aspects techniques (les montages sonores façonnés par
Juzo qui anticipe presque le Blow Out
de Brian De Palma (1981)) est toujours rattrapé par le vrai désir latent au sein de
cette industrie sulfureuse notamment la scène où le couple d’acteur cède à ses
pulsions à force d’entendre des bandes-son torrides.
Juzo est en proie à cette hésitation envers Ikuyo en tant
que pygmalion et en tant qu’homme. Ikuyo n’existe qu’envers des amants furtifs
ou indifférents et semble tentée malgré ses réticences à un abandon plus total
de tournage de film érotique. Kumashiro finit par cumuler cette contradiction
dans une séquence impressionnante où la sournoiserie masculine cède le pas (ou en tout cas sert) à la
vision artistique, avant que le tout soit balayé par l’ouragan du plaisir
féminin. Juzo ramène ainsi Ikuyo chez lui, l’incite se donner à lui avant que le
subterfuge se révèle, l’acte s’inscrivait dans le film tourné l’insu de la jeune femme. Pourtant fort de la
prestation physique fiévreuse de Naomi Tani, c’est son personnage qui semble
dominer la scène, à la fois star face à la caméra intrusive et femme libre de
son plaisir. Ce qui appuie encore la porosité réel/fiction et amour/manipulation
vient du fait que Juzo ne libère son plaisir qu’une fois la caméra éteinte, une
fois le film dans la boite son désir d’homme peut reprendre le dessus. Le style
sur le vif de Kumashiro fait merveille, s’attardant autant sur les courbes de
Naomi Tani que sur les rictus d’extase de son visage et la mise en scène amène
subtilement la stylisation (notamment le travail sur la photo) dans cette
crudité.
La dernière scène fait grimper la même force érotique mais
en inversant les rôles. Le tournage est désormais officiel et Ikuyo découvre et
se livre à présent volontairement à l’étreinte filmée. La séquence précédente
avait montré la bascule et la fusion entre un acte fictionnalisé puis désiré,
Juzo faisant office d’acteur et de réalisateur démiurge du moment. C’est cette
fois au tour de Juzo de passer d’un état à un autre, abandonnant ses consignes
de direction d’acteur et placement de caméra pour stopper le tournage. L’inattendu
s’est produit, il est devenu jaloux et l’artiste a cédé le pas à l’homme. Kumashiro
aura construit un dispositif plus subtil qu’il n’en a l’air, où l’ironie et la
romance se tiennent à égale distance à travers cette ultime et géniale réplique
d’Ikuyo : Excuse-moi, j’ai joui.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Elephant Film
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