En Ohio à la suite
d’un rendez-vous amoureux, deux jeunes afro-américains qui se rencontrent pour
la première fois, sont arrêtés pour une infraction mineure au Code de la route.
La situation dégénère, de manière aussi soudaine que tragiquement banale, quand
le jeune homme abat en position de légitime défense le policier blanc qui les a
arrêtés. Sur la route, ces deux fugitifs malgré eux vont apprendre à se
découvrir l’un l’autre dans des circonstances extrêmes et désespérées…
Queen & Slim est un beau premier film qui tout en
scrutant les clivages de la société américaine actuel, parvient à prendre une
vraie belle hauteur poétique et romanesque sous le message. Cet équilibre tiens
certainement à sa conception. L’idée initiale vient de l’écrivain James Frey
mais qui en tant qu’écrivain blanc ne se sent pas suffisamment imprégné de
cette culture pour narrer la cavale d’un couple afro-américain. Il va alors s’associer
à la scénariste Lena Waithe (connue pour son travail sur la série Master of None) pour signer le script
qui sera réalisé par Melina Matsoukas, clippeuse célèbre pour son travail avec
Beyoncé et qui apportera donc une dose d’imagerie pop sus le sujet réaliste.
Le film s’ouvre sur un rendez-vous amoureux quelconque et
probablement sans lendemain, mais dont les conséquences vont lier définitivement
les protagonistes. La caractérisation de chacun les fige dans les archétypes
des deux grands militants afro-américains que sont Malcolm X et Martin Luther
King. Il (Daniel Kaluuya) est un observateur dépolitisé et apaisé du monde qui
l’entoure quand elle (Jodie Turner-Smith) est désabusée, en a trop vu et ne
crois plus au système. Cela se dégage de leur badinage amoureux anodin avant de
brutalement se concrétiser lorsque, victimes d’une violence policière (dans une
scène à l’escalade de tension remarquable) ils vont abattre accidentellement un
agent et devenir des fugitifs traqués dans tout le pays. L’attitude rationnelle
et déterminée de la jeune femme éduquée s’oppose constamment à la naïveté
placide du garçon prolo, toujours dans la sidération face à la tournure des
évènements. La situation dramatique débouche paradoxalement sur un mélange de
légèreté et de tension dans la dynamique du couple, dans les interactions qu’ils
auront durant la cavale.
La médiatisation de leur cavale (leur crime ayant été filmé)
en fait des Bonnie and Clyde black, exacerbant les peurs des blancs et
renforçant le sentiment de revanche des noirs. Cependant les rencontres
débouchent sur des clichés white trash (l’employé de station-service amateur d’arme
à feu) ou du militantisme noir bas du front (le père de famille obèse et
gouailleur), mais qui se pose finalement en miroir des archétypes que les
personnages incarnent dans leur relation et aux yeux du public. Les dialogues
percutants apportent une vraie énergie à leur opposition de caractère, avant qu’ils
se dévoilent peu à peu l’un à l’autre.
Lui jusque-là dans une existence
protégée des maux du monde se « salit » positivement dans l’aventure,
fumant un joint, buvant de l’alcool et oubliant peu à peu la religion (la
prière qu’il entame avant de manger lors du premier rendez-vous). A l’inverse
elle se purifie, s’anoblit et pose un regard plus lumineux et candide au fil du
récit (la scène où elle la cynique finit par entamer une prière). Le délicat rapprochement du duo se fait au fil des paysages défilant sur
fond de R’n’B, de doux moments romantiques comme cette danse lascive dans un
club. Le vrai danger de la cavale est finalement intermittent pour privilégier
l’apprivoisement mutuel. La mue se fait d’ailleurs dans leur look qui les sort
de l’ordinaire pour en faire des icônes afro malgré eux.
C’est par leur prisme que le regard sur la société
américaine se fait peu à peu plus contrasté, plus subtil. La haine et la
frustration nourrie par les noirs débouche ainsi sur une exécution violente et
injuste d’un policier plus raisonné (et noir), une trahison fatale sera
également l’œuvre d’un congénère quand à l’inverse un couple WASP se montrera
bienveillant. Tous les éléments extérieurs fonctionnent sur ce va et vient
moral notamment autour de la figure policière et/ou raciale (le shérif pris en
otage début) même parfois de façon grossière que cet agent noir qui laisse
filer les fugitifs après un échange avec un collègue raciste. Le couple demeure
ainsi symbolique, notamment dans le fait de ne pas connaître leur nom (si ce n’est
lors de la conclusion) et endosse une universalité aimante et romanesque face à
la tension sociale et raciale ambiante.
Ce dimension est manifeste lorsque les
amants font l’amour pour la première fois avec en montage alterné une féroce
scène d’émeute, l’étreinte des corps nus, la connexion des âmes et les
halètements s’opposent aux hurlements de haine, bruits de d’armes à feu et coup
de matraque. Les personnages auront dépassés les maux de leur société dans une
adversité extrême et la ballade se fait apaisée, radieuse et solaire. La nuit
oppressante de la fuite d’ouverture laisse place au ciel bleu de la dernière
ligne droite. Le charisme et l’empathie dégagés par les acteurs est pour
beaucoup dans l’immersion du film, en particulier une magnétique Jodie
Turner-Smith. Une belle réussite qui ne scrute le réel que pour mieux nous en
libérer par le rapprochement intime.
En salle
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